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Ma mère

Ma mère


Ma mère a voulu que je lise son journal qu'elle a intitulé " Ma drôle de vie ". Elle l'a longtemps laissé sur un meuble ces derniers temps ! J'en avais lu une partie lorsque j'étais jeune, en fouillant dans ses meubles ... Mais je savais que cette fois, elle parlerait de moi. J'ai attendu qu'elle me demande de le lire. Pourquoi l'a-t-elle fait alors qu'elle ne cherche même pas à endosser quelques torts, à comprendre la vie des autres, les pensées des autres?  Règlement de compte ? Dernière leçon de morale ??? Je suis encore sous le choc de cette lecture qui m'a un peu révoltée. Rien ne me paraît juste. Tout est interprété à travers aigreur, jalousie, fausses justifications, aveuglement.

 
Je n'ai jamais su vraiment pleurer. Pourquoi suis-je devenue si dure ? Ai-je eu trop de problèmes personnels ou bien assez de sagesse pour savoir que pleurer est inutile... J'entrevois l'allée du cimetière, l'allée du cèdre, le caveau, quelques membres de la famille... Pas de larmes, pourtant son image me revient souvent, tantôt douce, tantôt.
C'est maintenant que ma mère est morte que je pense que sans doute elle m'aimait à sa façon. Nous n'avons pas partagé grand-chose car le désir de me confier à elle était mort avant mes dix ans lorsque je vivais chez ma tante. Alors m'aimait-elle ? Mon père m'aimait-il ? Mes parents ont eu la patience de me payer des études. Un jour ma fille avait poussé un cri  : " maman ! " devant ma mère et elle s'est brusquement levée, elle semblait soudain angoissée. Lorsque j'ai eu un cancer, mon père a enfin daignée venir me voir chez moi ...
Trop de choses nous avaient éloignés mes parents et moi : Mon éducation chez la sœur de ma mère. Mes 8 années au Maroc. Ma vie à plus de 600 km de chez eux. Mais à la fin de leur vie ils m'avaient parus si vieux  et si fragiles. J'avais réalisé que la séparation serait pour bientôt. Au fond de moi je savais qu'il était temps de pardonner, de comprendre. Mais je n'arrivais pas à tendre la main, à faire le premier pas. Mon père en plus comme toujours s'est montré jusqu'au dernier moment, parfois odieux. Pour lui je n'étais qu'une garce d'être partie si loin d'eux. Et pour tant son dernier regard était suppliant. Ma mère se démenait pour justifier tous ses actes même en écrivant et elle déformait à sa façon la réalité. C'est maintenant que j'essayais de penser à eux différemment, maintenant que c'était trop tard, que nous n'avions jamais pu tant qu'ils étaient en vie, contourner les murs que chacun avait dressés.
Qui était ma mère ? Était-elle égoïste, un peu trop simple pour approfondir, était-elle aigrie ? Des images se brouillent dans ma tête. Je la vois encore hacher son persil, ses oignons sur une planche. Elle était travailleuse... 
Ma mère est morte le 11 Avril 2013 à minuit juste passé. Elle ne s'est pas suicidée; mais, manifestement elle était décidée à se laisser aller car elle n'avait plus envie de vivre, de gêner... elle est morte, comme mon père, en me laissant le poids d'un regret, d'un malaise.  Elle est morte sans se débattre pour survivre... Je savais qu'elle venait chez nous très réticente parce qu'elle s'y ennuyait. Mais c'est le seul endroit où nous pouvions la recevoir, loin de son milieu, loin de sa ville, loin de son climat, loin de ses amies.
La nostalgie, de plus, consume et anéantit, c'est le vice des déracinés et elle le savait. Savoir qu'elle ne parcourrait plus les rues de sa ville, n'entendrait plus l'accent caractéristique de Marseille, qu'elle ne contemplerait plus les collines et le clocher de Mont. qui se détachait à l'horizon de sa fenêtre de cuisine, qu'elle ne respirerait plus les parfums de fenouil, de thym et de lavande de son jardin et surtout qu'elle perdait, ses chats vagabonds qui miaulaient à sa porte en quête de nourriture et d'abri...Tout cela l'a anéantie, tout simplement.
De même je revois les yeux verts de mon père recouverts par la pellicule de l'âge comme de nuages et qui me suppliaient pour la première fois. Avait-il deviné que nous ne nous reverrions plus ? Ai-je agi comme je le devais ? Il était si égoïste, si exigeant.. Et soudain ce dernier regard suppliant. Ma mère, elle, était complexe, elle ne voulait pas vivre avec nous, elle ne voulait pas aller en maison de retraite, elle ne pouvait plus vivre seule. Que faire sinon la prendre avec nous tout de même ?

Pourquoi voulait-elle être en blanc et noir dans son cercueil ? C'est le seul souhait auquel je n'ai pas pu obéir car elle n'avait pas porté ces vêtements-là chez nous. Je l'ai préparée de façon à ce qu'elle fût bien présentée. Sa robe marron-rouge sombre me paraissait la plus correcte. A-t-elle choqué ? Je préfère d'ailleurs de beaucoup la robe que je lui ai mise à celle découverte plus tard à Marseille. De plus, ma mère avait insisté pour qu'on pense à lui maintenir les mâchoires à l'aide d'un foulard, du moins provisoirement. Souhait qui montrait manifestement qu'elle ne pensait plus qu'à cela.
Tout le monde n'est pas fait pour émigrer. Je sais maintenant que nous sommes attachés à notre lieu d'enfance par beaucoup de racines, à commencer par le climat, les habitudes, le langage...
L'intervention chirurgicale pour une pile qui devait seconder le cœur l'a fatiguée, le voyage l'a fatiguée, le médecin débordé n'est pas venu à son aide dès mon premier appel...
Certains jours je pense : " Maman " effaçant de ma mémoire les différents. Lorsque j'ai senti sa si petite tête dans mes mains, j'ai pensé " tu ne vas pas mourir " ! Et je lui ai crié: " que t'arrive-t-il ? ". J'ai senti le désarroi, la rage que tout se soit passé si vite, que je n'ai pas eu le temps de lui créer un intérieur qui lui rappelle sa maison... J'étais presque vexée comme si elle avait gagné, réussi à nous échapper, elle qui refusait de vivre chez nous, avec nous. Les derniers jours ont d'ailleurs été difficiles. J'ai dû jouer aux infirmières, la laver, changer souvent ses draps
. Elle était un peu râleuse aussi... Mais elle est morte si vite après son intervention, si vite après sa venue chez nous...
 Mais lorsque je me vois accusée par ses voisines, convoquée par le Procureur, lorsque je relis son journal, une certaine rancœur ressort.  Je suis furieuse que quoique morte, elle fût encore parvenue à me faire considérer comme coupable. Elle était tellement têtue, elle aimait critiquer  les membres de sa famille, mais refusait les critiques à son égard, elle était tellement sûre d'avoir raison que le moindre accrochage avec les autres était noté et qu'elle terminait sa phrase avec jubilation comme si de l'avoir écrite était une preuve contre les autres. Pourtant, si elle avait gardé la mémoire des événements passés ou plus récents, je suis certaine qu'il lui arrivait de mélanger les époques, les dates et peut-être même les personnes. Elle avait une mémoire sélective. Elle opérait des choix dans ses souvenirs. Elle retenait juste le fait qui l'avait mise en colère...
A sa maison les plantes ont tout envahi et les chats vagabonds qu'elle nourrissait s'en sont allés subrepticement comme ils étaient venus un jour, affamés. Le vent continue à s'acharner sur les feuilles de platanes des voisines, mais elle n'est plus là pour râler. La vieille maison assez grande cependant,  reste vieillotte, modeste, avide de coups de peinture et de réparations. C'est une vieille rhumatisante qui n'en peut plus par manques de soins. La nuit elle craque doucement au point que ma mère croyait entendre mon père qui venait la chercher.
Aujourd'hui la maison est comme neuve, bien restaurée et prête à accueillir des locataires et nous.

 
Ma mère s'est toujours attendu et mon père aussi au fait que sa fille devait se consacrer à elle dans ses vieux jours. Une fille n'est-elle mise au monde pour cela ? N'a-t-elle pas sa vie ? Elle voulait vivre à Marseille ? Je l'ai laissée à Marseille. Elle savait qu'elle pouvait venir chez nous quand elle voulait. Personnellement je n'avais pas une âme d'infirmière, de garde malade. Je consentais à la garder, à lui procurer du personnel pour l'aider, à lui donner une belle chambre, une belle salle de bain... Je n'avais aucun goût pour les travaux et les soins à un malade en fin de vie et d'un caractère assez exigeant : " Ton sol n'est pas assez lisse, il aurait mieux valu que tu me donnes des légumes plutôt qu'une omelette... ". Et pourtant, que d'heures ai-je passé à tricoter à côté d'elle, en silence. Nous n'avions pas grand chose à nous dire. La distance de nos maisons était égale à la distance de nos pensées...
Depuis la mort de mon père, elle parlait de lui  avec adoration, elle avait oublié jusqu'à ses souffrances à cause de lui. Elle parlait à son oratoire personnel. Des fois je me dis que la vieillesse lui avait un peu tourneboulé les méninges, les fois où sa solitude lui pesait et qu'elle s'inventait des présences autour d'elle. Elle entendait même mon père l'appeler disait-elle, toujours à la même heure.
Bref, ce dernier soir, elle était tombée du lit, elle était par terre, je lui ai tenu la tête. Qu'elle était petite dans ma main ! C'est le souvenir de cette petitesse qui m'a marquée et que j'invoque parfois. Elle a prononcé quelques mots. Ses yeux se sont révulsés et la vie l'a lâchée très vite, sans bruit....
Elle vivait avec la croyance en Dieu et l'idée que le prêtre est porteur de mystiques messages. Sa foi était inébranlable. Mon mari avait même envisagé de la mener à Rome pour lui faire plaisir. Mais sa santé ne nous en a pas laissé le temps. Elle vivait donc sous influence, non seulement des croyances, de la religion, mais encore de la fausse gentillesse ( parfois intéressée ) des unes et des autres.. Certaines personnes savent manier les personnes âgées, même les plus blindées ! Par conséquent, elle avait aussi l'esprit étroit ! En voyage en Russie, nous avions acheté une icône en bois, très chère pour la lui offrir. Elle a été scandalisée et a refusé cette
œuvre d'art d'une religion orthodoxe.
Les gens meurent du jour où on les oublie. Mes parents avaient une telle personnalité que je ne les oublierai pas !
Elle continuait à vivre avec son époque, ses convictions collées à la peau comme des vêtements humides. Elle vitupérait râlait parfois. Je n'aurais pas dû répliquer. Pourquoi en avoir honte ? C'est une leçon à tirer pour nos futures réactions face aux enfants. D'un autre côté elle aurait aimé rendre service : trier les haricots verts, coudre ou tricoter. Je sentais sa bonne volonté parfois même si ses offres étaient démodées.

Ma mère priait toujours St Antoine. Lorsqu'elle perdait quelque chose elle répétait : " St Antoine de Padoue, vous qui faites trouver tout, faites-moi trouver... "
Lorsque j'étais enfant, elle ne m'achetait jamais de pantalons, même par grands froids et jours de mistral. Elle exigeait que je mette ma robe sur le pantalon en hiver. Elle était d'avis qu'une fille en effets masculins était tout aussi grotesque qu'un gars en jupette... Où va se placer la morale ? Alors qu'aujourd'hui les adolescentes en jupe se font maltraiter dans les collèges...
Si elle a aimé mon père, je crois qu'elle n'a pas aimé l'amour. La pudeur, la religion... que sais-je encore la retenaient.
Et mon père se plaignait de ce fait. Elle aimait écrire et écouter de jolies phrases d'amour mais était réticente pour se laisser toucher.

J'ai retrouvé une lettre que je pense être une lettre d'amour de mon père pour ma mère. Je pense qu'à l'époque il était allé se reposer et se faire soigner après sa pleurésie attrapée sur les bateaux pendant la guerre. Poème très inspiré de la chanson " étoile des neiges " .
 

Dans un coin perdu de montagne
Un tout petit savoyard
Chante son amour dans le calme du soir
À sa bergère au doux regard
Étoile des neiges, sèche tes bons yeux
Le ciel protège les amoureux.
Je pars en voyage pour qu'à mon retour...
Alors il partit vers la ville
Sur les cheminées dans le vent et la pluie
Petit diable noir de suie
Étoile des neiges, sèche tes bons yeux
Le ciel protège les amoureux..
Ne perds pas courage, il te reviendra
Et te serrera bientôt entre ses bras

Et ma fiancée
Amie des clochettes et des troupeaux
Tes garçons d'honneur
Vont en cortège portant des fleurs...
Par un mariage
Finis mon histoire
D'une étoile des neiges
Et de son petit savoyard.

.
Ma mère est née à Madagascar et lorsqu'elle était enfant, elle avait droit à une native, une sorte de  " nounou " qui l'habillait, surveillait ses jeux et lui enseignait ce qu'elle savait elle-même, le malgache et les occupations des îles. Son frère était mort du paludisme et elle pense avoir aussi attrapé cette maladie  car il lui arrive encore d'avoir la fièvre sans véritable raison. Personnellement, je ne le pense pas. Le paludisme est assez ravageur, c'est une fièvre d'une rare violence qui tourmente de plus en plus avec le temps et ma mère n'est jamais été malade à en transpirer ou à s'aliter.
Ma mère avait une amie, une ancienne collègue devenue paralysée et qui vivait à l' Estaque. Lorsque nous allions la voir, il fallait faire un long trajet en bus et escalader la colline. Chez cette amie, la vue était extraordinaire. Elle passait ses journées sur un fauteuil face à la mer avec un livre, un ouvrage et ses jumelles. Elle levait les yeux de temps en temps pour regarder l'horizon lointain, les bateaux qui arrivaient.
Lorsque nous vivions au Maroc, mon mari et moi, nous n'avions pas besoin de télévision. Les programmes même en Français n'attiraient pas des jeunes ayant passé une enfance sans télévision. Mais nous en possédions une dans notre appartement du Cap d'Agde. Un jour mon mari eut l'idée de ne pas la laisser inactive et voulut la prêter à mes parents lors de notre retour au Maroc, à la fin des vacances. C'est donc nous qui les avons attirés vers ce conformisme. Plusieurs mois avec les programmes proposés ont suffi à les transformer en spectateurs absorbés, passifs et rivés à l'écran ! Ont-ils alors regardé tout ce qui passait pour rattraper le temps perdu ? Cela semble probable. Ils ont été acheter leur propre télévision le jour où nous avons repris la nôtre.
J'ai mis des années à pardonner certaines choses ( et encore par étapes ! ) qui finalement me semblent dérisoires aujourd'hui qu'ils sont morts. Le temps qui passe efface les mauvais souvenirs.
Quand j'allais à Marseille, des silences s'installaient. Je me sentais comme une étrangère et en plus mes idées s'étaient éloignées des leurs. Vous revoyez vos parents autrefois. En grandissant vous vous rendez compte que tout était déformé par les illusions de l'enfance à commencer par la vision que vous avez des choses et des gens. Le jardin vous paraît plus petit et vos parents plus vieux, plus vulnérables et pourtant toujours aussi têtus... Perception mouvante d'un enfant devenu adulte.
Ma mère a voulu que je lise son journal qu'elle a intitulé " Ma drôle de vie ". Elle l'a longtemps laissé sur un meuble les derniers temps ! J'en avais lu une partie lorsque j'étais jeune, en fouillant dans ses meubles ... Mais je savais que cette fois, elle parlerait de moi. J'ai attendu qu'elle me demande de le lire. Pourquoi l'a-t-elle fait alors qu'elle ne cherche même pas à endosser quelques torts, à comprendre la vie des autres, les pensées des autres?  Règlement de compte ? Dernière leçon de morale ??? Je suis encore sous le choc de cette lecture qui m'a un peu révoltée. Rien ne me paraît juste. Tout est interprété à travers aigreur, jalousie, fausses justifications, aveuglement. Moi aussi j'interprète bien sûr !
Les côtés positifs de ma mère ? : une grande volonté, son attention envers les animaux...

Journal de ma mère ( voir la page qui lui est consacrée )

( ses interprétations donc !)..

 Avec mes corrections   ( Ces dernières écrites en marron ) et mes propres interprétations ! ( en rouge )

Alternances avec mes corrections
 
 Et mes commentaires

" Je suis issue d'une famille modeste, ma grand-mère, que j'ai toujours connue âgée, était légèrement voûtée et avait quelques années de plus que son mari. Le grand-père, lui, était droit, costaud, avec un air franc. Il était maçon. Il y avait chez eux la sœur de la grand-mère qui s'était placée chez une dame riche, comme dame de compagnie ".
" Les grands-parents ont eu une fille unique qui avait fait des études commerciales. Elle a réussi comme dactylographe.
Selon moi elle était aussi commis de soutien à la gestion administrative ou un intermédiaire entre les deux ???
Par la suite, elle a été embauchée au Fort St Jean, une caserne tout près du port de Marseille qui abritait des soldats.
Notre mère avait fait la connaissance d'un soldat venu de Madagascar pour accomplir son service militaire.  Comme ils s'étaient plu, quelques temps après ma mère l'avait mené à la maison pour les présentations. Tout allait bien pour eux, sauf que les parents sentaient que leur fille unique allait les quitter et c'est en 1920 que le mariage a eu lieu à Marseille et qu'ils sont partis pour Madagascar.
 
Ma mère se dit issue " d'une famille modeste ". C'est vrai depuis que son père est mort et il est mort jeune  ( 27 ans à peu près ).  Mais il faut savoir qu'ils ont vécu sur les îles et qu'il avait un emploi de fonctionnaire, haut placé, dans l'administration des colonies. Il n'était pas comme elle prétend " administrateur ". Il faudrait que je consulte nos archives !!!
Voilà... c'est fait. Il est entré dans l'administration le 12 Octobre 1921, il était chargé du contentieux des impôts directs. Le 4 Juin 1925 il a été affecté à Mohéli ( Comores ) en qualité de chef de district. C'est pour cette raison qu'étant né à Madagascar, de parents nés à la Réunion, mais dont les ancêtres venaient de France, il est mort aux Comores.
Les parents de notre père étaient de l'île de la Réunion, mais ils s'étaient installés à Madagascar où ils tenaient un commerce de quincaillerie . Et c'est là qu'est né notre père.

"Je suis issue d'une famille modeste " : Tout de même, ma grand mère a dû avoir une correcte pension, bien qu'elle avait aux colonies abandonné son travail, vu la situation de son mari et la naissance de ses enfants; elle avait de plus dès son retour en France, repris son métier;  elle travaillait au ministère de l'armée, et vivait chez son père maçon, avec sa  mère et une tante, la sœur de son père, placée la journée comme " dame de compagnie chez une personne riche". Dans ce milieu, ma propre grand-mère était fille unique.  Elle avait fait des études pour être secrétaire commerciale.
C'est là qu'elle avait fait la connaissance d'un soldat venu de Madagascar. Ma mère prétend que c'est pour son " service militaire ", sa sœur affirme que c'est pour la guerre. On doit pouvoir trancher en fonction des dates. En effet ils se sont mariés en 1920. Il faudrait voir les archives en ligne de la Réunion. D'après son âge ( né en 1897 ) il a pu faire les derniers moments de la guerre. Sinon pourquoi serait-il venu à Marseille ?
Bref en lisant les archives que nous avons, je viens de vérifier qu'en réalité, mon grand-père a été appelé, durant la guerre, avec la " classe de 1917 " à laquelle il appartenait, pour aller tout d'abord sur le " front d'Orient, puis sur le front français : Alsace, Aisne ".

Il était venu à la fois pour son service militaire et pour la guerre. 


Pour en revenir à mes parents, ils menaient une vie de rêve, notre père ayant été nommé dans l'administration des colonies, gagnait bien sa vie et ma mère pouvait se permettre de rester à la maison...

Ses grands parents, dit ma mère, lorsque ma grand-mère a fait sa connaissance " étaient tristes car ils sentaient que leur fille unique allait les quitter ". Ma mère l'a-t-elle appris après coup ? Cela lui paraît-il logique ? ... Certainement...Ou bien pense-t-elle déjà à moi, sa propre fille; moi qui devais à mon tour partir loin de la maison, au Maroc, dans le Lot ensuite ? Que doit-on privilégier dans la vie ? Ses parents, sa propre vie, ses enfants ? Comme ma grand mère, j'ai fait un choix et je me suis tournée.

Le jeune couple de mes grands parents, une fois installé aux colonies a donc semble-t-il vécu  " une vie de rêve ". Bientôt leur première fille, la sœur de ma mère, ma tante, mais aussi ma marraine  est née à Marseille lors d'un séjour chez les grands parents. C'était lors d'un congé accordé au père par son administration.

En 1921, notre père a eu droit à un congé, ils sont venus à Marseille car ma mère était enceinte de ma sœur aînée, pour qu'elle puisse accoucher  chez les parents. Ils ont eu une fille prénommée M.

Après les vacances, ils sont retournés à Madagascar, notre mère continuait son rêve, une nounou s'occupait de M.

Vingt mois après la naissance de M. voilà que je faisais mon apparition sur terre à la grande déception de notre mère " encore une fille " prénommée R. M.

Je n'étais pas responsable d'être une fille et pourtant on me l'a fait ressentir tout au long de ma vie, d'où mon caractère réservé et renfermé. Je ne parlais pas avant l'âge de deux ans, alors que ma sœur parlait bien au même âge et même un peu malgache.
 

Ma mère est née 20 mois après à Madagascar et, selon elle, ma grand mère a été déçue que ce soit une fille. Effet de son imagination ? Le lui aurait-on dit plus tard ? Cela me surprend de la part de ma grand mère qui m'a toujours semblé discrète... Ou tout simplement ma mère amplifie-t-elle cette idée,  issue de sa propre pensée, de sa jalousie ? En tout cas, ma mère attribue à cette déception le fait d'avoir été réservée, renfermée. Est-ce la raison? Il y a des enfants perturbés par le bilinguisme tout simplement.
 

Ainsi la vie continuait paisiblement et un an après ma naissance, un troisième enfant, venait agrandir la famille et la combler de bonheur. Ce fut un garçon appelé Jean. Mais la joie fut de courte durée. Ce petit garçon tant désiré décéda quelques semaines après sa naissance des fièvres du paludisme. Je pense que ce fut un drame, surtout pour notre mère. Mais le malheur ne s'arrêta pas là.

En effet, peu après, en 1925, ce fut le tour de notre père. A l'âge de 27 ans, il mourut du tétanos. Pour notre mère, tout s'écroulait. Elle dut emballer toutes nos affaires, laissant son mari enterré aux Comores où il avait été appelé en mission. Elle partit avec ses deux enfants jeunes pour le très long et certainement pénible, retour vers la France.

Chapitre 2


Elles sont allées vivre chez les grands parents, à Marseille, dans le quartier de Montolivet. Ma grand-mère a donc repris, à Marseille, son travail au Fort St Jean.

Ma mère, revenue à deux ans des colonies, a  connu sa grand mère âgée et voûtée. Son grand père au contraire " droit comme un i, costaud avec un air franc " .Elle pense avoir hérité des problèmes de sa grand mère en ce qui concerne les os. Ce qui n'est pas impossible. Cette grand mère était plus âgée que son mari.

Pour ma mère " tout le monde semblait préférer l'aînée " des petites filles. " Nous vivions pauvrement ", dans la petite maison ( que je connais pour y avoir passé tous les week ends de mon enfance ), il n'y avait " pas de toilettes, nous devions aller au fond du jardin où était aménagé un cabinet rudimentaire, ( genre feuillées des scouts que j'ai connu aussi, une génération après !) en planches. L'hiver, c'était dur de sortir dès le lever. Elle couchait dans un lit métallique pliant, au pied du lit des grands parents. La marraine, la sœur du Grand père, dormait sur un divan dans la salle à manger et sa sœur dormait avec leur mère dans une petite chambre.

Nous sommes venues vivre chez les grands parents qui étaient déjà trois : grand-mère, grand-père et la sœur de la grand-mère appelée Marraine car elle était la marraine de M.. Quant à moi, j'aurais dû être tenue sur les fonds baptismaux par la sœur de notre père, Laurence, d'où mon deuxième prénom. Mais comme elle habitait l'île de la Réunion, elle n'a pas pu venir. J'ignore qui m'a tenue lors du baptême.

Je croyais qu'elle avait été baptisée à Tananarive. Il me semble que lorsque nous avons été à Madagascar ma mère m'avait donné le nom de l'église où elle avait été baptisée !

Ma mère avait des moments d'oublis ! En réalité elle avait été baptisée à Madagascar. Quand nous y sommes allés mon mari et moi, elle nous avait donné le nom de l'église pour que nous la visitions.


Alors, faute de marraine, j'ai adopté celle de ma sœur, mais elle aussi faisait des différences entre nous deux.
Décidément, la jalousie ronge à tout âge !

Nous vivions pauvrement dans la petite maison des grands parents. Il n'y avait même pas de toilettes et nous devions aller pour nos besoins au fond du jardin où était aménagé un cabinet en planches, l'hiver, c'était dur de sortir en se levant.

Ma mère oublie simplement de dire que longtemps après ma naissance, mon père, elle et moi vivions dans cette même maison où aucun des travaux de sanitaire n'avait encore été fait. Nous avons vécu dans la même maison et dans les mêmes conditions car personne dans la famille ne voulait payer les frais de cet investissement : des toilettes intérieures. La seule amélioration fut un seau hygiénique ! La maison était à ma grand-mère et mon père n'avait aucune confiance pour investir dans ce qui ne lui appartenait pas ou pas encore...

J'avais un lit métallique pliant comme les enfants, installé au pied du lit des grands-parents, la marraine dormait sur un divan dans la salle à manger et M. avec notre mère dans une petite chambre.

Ce lit me rappelle des souvenirs de dispute incompréhensibles. Des années après, alors que j'étais moi-même maman, ma mère restait persuadée que j'avais pris le lit pour mes propres enfants et que je l'avais jeté. je n'ai aucun souvenir de ce genre. Et puis ce lit devait être très vieux. Enfin, nous avions acheté un lit à barreaux au Maroc pour notre fille aînée et nous l'avions ramené avec le reste du déménagement !
Je dormais avec un chat abandonné sans que personne s'en aperçoive, j'ai toujours aimé les chats, c'étaient mes meilleurs amis..

 

Pourtant moi, leur enfant, il a fallu que j'attende d'avoir 12 ans pour avoir un chat et encore c'est parce que la mère-chat avait fait ses bébés chez nous dans une dépendance. Mon père essayait de l'assommer avec une planche. J'ai supplié de l'épargner et j'ai réussi à garder la mère et un petit que j'ai appelé " Pompon ".

" J'avais un lit métallique ". Est-ce le lit qu'elle prétend nous avoir donné pour notre fille plus tard ? Et dont je n'ai aucun souvenir. Jusqu'à ses 90 ans j'ai entendu parler de ce lit que nous aurions fait disparaître ?? Nous avions ramené nos propres meubles du Maroc. Je n'ai rien compris à cette histoire ou totalement oublié... De plus ce lit semblait très ancien, non ?

Dès notre arrivée à Marseille nous sommes allées à l'école paroissiale, je n'avais que deux ans, notre mère avait pu reprendre son travail au Fort St Jean.


Les deux filles vont à l'école paroissiale, dès deux ans pour ma mère. Le jeudi, jour de congé, elles vont au patronage et pendant les vacances en colonies de vacances. Elles grandissent dans cette ambiance, apprennent à ranger leur chambre, aident le samedi la famille pour les tâches ménagères. Une dame venait laver le linge au lavoir, la grand mère faisait les courses, le repas, jusqu'au jour où elle oublia où elle se trouvait et s'écria en pleine rue : " Mais mount et siam " Mais où je suis?
Le jeudi, n'ayant pas classe, nous allions au patronage, la religieuse qui était très âgée mais très gentille était aidée par une vieille demoiselle qui s'occupait de nous, ce qu'elle avait déjà fait du temps de notre mère.
Avec le patronage, nous étions allées deux fois en colonie de vacances, tout d'abord en Haute Loire où nous avions visité Notre Dame du Puy, nous étions allées jusque sur la couronne en montant par un escalier intérieur d'où nous avions une vue magnifique.
Une autre année, nous étions allées à Lourdes et nous avions dit à la religieuse que nous avions vu notre curé avec la directrice de l'école. Elle n'arrivait pas à nous faire taire.

Un soir, nous sommes allées taper à la porte de sa chambre pour lui dire qu'une copine était malade, nous voulions simplement la voir tête nue sans sa cornette, mais elle avait un bonnet, elle n'était pas contente du tout.

Plus tard à Marseille, nous étions allées rendre visite au patronage des Chartreux, quartier près de chez nous, devant la porte de l'hôtel était marqué sur le tapis " caressez le paillasson "? Nous nous sommes penchées pour le caresser avec la main. Soeur Henriette ne savait plus où donner de la tête: Mesdemoiselles, voyons, un peu de tenue ! "

Nous avions fait la connaissance d'une fillette miraculée.

Un photographe, choisi par les autorités a fait installer tous les patronages de Marseille sur les marches de la basilique pour faire une photo d'ensemble, à un moment, il a crié : " il y a un drapeau tenu trop haut qui gêne".
C'était le nôtre qui avait pour devise inscrite : " toujours plus haut "; nous en avions un autre : " Un cœur d'or dans une âme blanche " représenté par une marguerite, quant à la première devise, elle était symbolisée par  une étoile dorée au bord d'un béret rose.

Notre tenue comprenait une jupe marron avec quelques plis sur le côté, un chemisier rose et une cravate rose.
Mais pour les processions à Lourdes nous étions habillées en blanc avec le voile de la première communion soutenu sur la tête par le béret rose.
Les pèlerins qui nous croisaient nous demandaient d'où nous venions et nous félicitaient en disant, quand vous défilez, on dirait un parterre de roses. Les anglaises avaient un voile bleu en toile, aucun n'avait le même ton, ce n'était pas très joli.

Nous avons grandi normalement, avec pour consigne de faire du rangement le jeudi, une dame venait laver le linge au lavoir, pas de machine en ce temps-là.

Le Samedi, notre mère ne travaillant pas, on faisait toutes les trois les tâches ménagères que la grand-mère ne pouvait faire, elle se contentait d'aller faire les courses et de préparer le repas 
C'était déjà bien pour son état de santé. Je l'ai toujours connue vieille avec le dos voûté.

Un jour, en revenant des courses, elle ne reconnaissait pas son chemin et elle parlait à haute voix dans la rue : " Mais mount et sian " ( Mais où suis-je ? "? C'est un voisin aveugle qui lui a dit : " Mémé vous êtes sur le bon chemin".

Le grand père au contraire se sentait toujours jeune. Par contre, le grand-père qui avait 4 ans de moins qu'elle, ne voulait pas qu'on l'appelle grand-père, ( Les filles devaient dire " parrain ".  ) ce qu'on ne manquait pas de faire quand en allant à l'école on l'apercevait sur un chantier. De sa main il nous faisait signe que nous allions recevoir une fessée. Fessée qu'il ne donnait jamais. Il était si gentil. Il voulait qu'on l'appelle parrain car il avait tenu ma sœur sur les fonds baptismaux. Mais quand on est jeune, on est si taquin !

La vie se déroulait simplement. Quand M. a eu 6 ans, nous sommes allées à l'école communale. J'y ai eu droit moi aussi à condition que ma sœur s'occupe de moi. Elle a tellement pris son rôle au sérieux que cela a continué tout au long de ma vie.

Un jour que nous étions allées en excursion avec la patronage et que nous avions chacune un sac à dos elle a ainsi voulu commander.

Dans son sac se trouvaient  les aliments qui étaient toujours : pigeons et petits pois du jardins, dans le mien la gourde pleine d'eau avec les gobelets. Nous étions assises à terre, ma sœur avec ses copines de classe et moi avec les miennes. Quand je suis allée vers elle pour obtenir ma ration, elle m'a répondu : " Tu n'as qu'à rester avec moi. " Comme je n'étais pas contente du tout, je lui ai répondu : " Et bien, tu ne boiras pas " !

On se chamaillait souvent, notre mère n'avait d'yeux que pour elle, soi disant qu'elle travaillait bien à l'école. Il est vrai que je ne faisais pas beaucoup d'efforts. Mais ma famille, au de m'encourager ne faisait que me répéter : " Tu vendras des citrons ".

Enfin, notre mère avait décidé de me faire donner des leçons par la fille d'un couple ami de la marraine qui habitait en ville. Donc le jeudi j'allais chez Denise T.i. Ce qui me faisait le plus plaisir, c'était le petit déjeuner qu'elle me servait avant de me mettre au travail. C'étaient toujours de gros sandwiches, avec de la confiture ou de la charcuterie.

Le Dimanche nous allions souvent au théâtre. Ma première comédie fut Faust. Quand le diable a fait son apparition sur scène, il paraît que j'ai crié.
Plus tard lorsqu'on a joué pour la première fois Rose-Marie nous y étions allées et j'avais eu droit à une entrée gratuite, d'après le journal local, à cause de mon prénom.
J'avais environ 9 ans, quand le grand-père de la Réunion mourut, quelques temps avant, il nous avait envoyé des pochettes brodées pour notre première communion et une somme importante à notre mère pour subvenir à notre éducation, mais elle en a profité pour acheter une maison plus grande. J'(avais
désormais une chambre, ce fut un bonheur. Bien qu'on ne le connaissait pas notre mère a tenu à nous faire porter le deuil.
Au patronage, on devait fêter les cinquante années de service de M
elle Vinclair, la personne qui aidait la religieuse. Colmme elle avait gardé avant nous notre mère lorsqu'elle était enfant et qu'elle allait au patronage, j'ai été choisie pour lui faire un discours . Toutes les filles qui avaient participé à la fête avaient droit à une brioche qui pourtant m'avait été refusée.Je suis allée voir ma mère en pleurant, celle-ci est à son tour allé voir Melle Vinclair. Cette personne m'avait accompagnée au bureau de la religieuse, avait demandé aux grandes laquelle avait refusé la brioche à Rosette ( c'est ainsi qu'on m'appelait lorsque j'étais jeune ). Elle avait même ajouté " alors que c'est elle qui m'a fait un si beau discours ! ".

- On croyait que c'était Rosette Costa
C'était la sœur de la pianiste ! Comme quoi la popularité avait son importance !
- Mais non, pas du tout.

Enfin j'ai eu ma brioche. C'est qu'à la maison, on n'en mangeait jamais !

La grand-mère cultivait le jardin, il n'y avait pas un centimètre libre
sur le terrain, ce qui nous permettait de vivre des produits récoltés. Nous profitions aussi du poulailler. A Noël on mangeait l'oie que je nourrissais. mais quand la grand-mère lui coupait le cou et qu'elle partait en courant sans tête, j'étais dans tous mes états.
Notre mère avait fini par faire la connaissance d'un homme marié. Quand par hasard il écrivait, la grand- mère subtilisait les lettres et si elle s'apercevait que nous lui écrivions, elle nous prenait les lettres et les déchirait.
Une seule fois nous étions allées dans le Var en vacances et nous avions retrouvé à l'hôtel de monsieur. Un jour, j'avais arraché des mains de ma sœur un petit matelot en carton pour l'envoyer dans la rivière qui passait sous nos fenêtres. J'ai reçu une gifle de Paul. Tel était son prénom.
J'avais une telle colère que je lui ai crié " Vous n'avez pas le droit de me frapper, vous n'êtes pas mon père. Je crois que j'avais jeté un froid qui s'est terminé par une séparation. Je n'ai jamais su ce qu'en pensait ma sœur.

Pendant ce temps nous poursuivions nos études. Je ne me plaisais pas à l'école communale où j'ai usé mes culottes de la maternelle au certificat d'études que je n'ai pas obtenu la première fois. A mon grand regret il a fallu que je redouble.

Enfin, en ce qui concerne mes études, je ne suis pas allé jusqu'au BAC comme ma sœur qui finalement ne l'a pas réussi. Ce qui ne lui a servi à rien. Moi, j'ai toujours été reçue dans tous les examens que j'ai présentés dans l'enseignement supérieur. ( hormis le certificat d'études primaires que j'ai dû repasser...) que ce soit au cours supérieur, au cours complémentaire et pratique. Ce qui m'a bien servi dans la vie.
Après cette année ayant réussi l'examen, j'ai fini par aller en ville pour passer un concours dans une école où suivant le classement par note on était réparties dans des classes : commerce, couture, corsets, j'avais réussi dans la catégorie des corsets et comme la mode s'atténuait peu à peu, notre mère avait choisi les cours complémentaires où tout était au programme : études générales, sténo, dactylo, couture et pendant la récréation,
au lieu de nous reposer, celles qui savaient tricoter faisaient des cache-nez, des gants, des bonnets, des cagoules pour les soldats qui étaient au front. Quand on pouvait, avec les moyens de bord, on leur faisait un colis avec quelques friandises. C'était une période très dure.
Ma mère qui était très gourmande et souffrait de la faim allait derrière la gare où stationnaient des gitans et achetait des friandises faites avec n'importe quoi, ce qui lui a valu un urticaire géant, dans la nuit.
Le grand-père avait dû descendre à la cave pour prendre une scie à métaux pour lui couper son alliance, tant les doigts gonflaient. Son visage gonflait également.
Elle était méconnaissable et cela a duré plusieurs années.
Quant aux excursions faites en famille, c'était toujours avec une amie d'enfance de notre mère, dont la fille était aussi notre amie.

Moi aussi j'ai été au patronage, en colonie... avec ma cousine qui était un peu plus âgée.

Lors de ses 6 ans, la fille aînée fut envoyée à l'école communale. La maman, insiste ma mère, préférait l'aînée ! De toutes façons, sa sœur était bien l'aînée, donc logiquement la plus sage, la plus responsable ... La plus jeune suivit donc l'aînée à la même école, mais sous sa surveillance. Dès lors les disputes étaient nombreuses. L'aînée travaillait bien à l'école, à la seconde on disait : " Tu vendras des citrons".
Ma mère avait 9 ans lorsque son arrière grand-père de la Réunion mourut. Elle dit que c'est son grand-père, mais à la même époque son grand-père était à Madagascar ? Et d'après les papiers que nous possédons son arrière grand-père est mort vers cette époque, à la Réunion. Ce grand père, arrière ou pas avait alors envoyé de l'argent pour l'éducation des filles, mais en France, la famille en avait profité pour acheter une maison plus grande. Ma mère avait sa chambre et ce fut pour elle un bonheur.
Le grand père de France cultivait le jardin. Il n'y avait pas un centimètre de libre, sans culture. Ils avaient un poulailler. A Noël ils mangeaient l'oie que ma mère nourrissait.
Leur mère, ma grand mère avait fini par faire la connaissance d'un homme marié dont la vieille grand-mère voûtée subtilisait les lettres.  Un jour, lors de vacances dans le Var avec ce monsieur, ma mère avait arraché un matelot de carton qui appartenait à sa sœur, pour l'envoyer de la fenêtre dans la rivière en contrebas. Elle avait reçu une gifle de ce Paul. En colère, elle avait crié : " Vous n'avez pas le droit de me frapper, vous n'êtes pas mon père. " Cela a jeté un froid et conduit à une séparation du couple en train de se former.
Les filles à l'école jouaient à " Colin-Maillard ", il s'agissait de déposer un mouchoir derrière une élève qui devait ensuite poursuivre celle qui avait posé le mouchoir et l'attraper avant qu'elle ne regagne sa place.
Ma mère portait des chaussures offertes par la Mairie aux orphelines.

La tristesse fut grande lorsque le chien Hip fut écrasé.
Ma mère est restée longtemps à l'école communale et a passé plusieurs fois son CEP avant de l'avoir. Elle avait pris en horreur cette école et la maîtresse de son côté la renvoyait chez elle dès qu'elle toussait, ce à quoi elle était sujette.
Après le CEP elle fut envoyée au " cours supérieur " à Beaumont. Elle n'y fut pas plus heureuse car le bruit circulait que sa mère s'était mariée avec un noir. Ce qui révoltait ma mère car son père était bien blanc, issu d'une famille de la Réunion, mais né à Madagascar, à une époque où l'île était française. La maîtresse elle-même insistait pour lui dire : " Peu importe qu'il soit de la Réunion ou de Madagascar, vous risquez d'avoir des enfants noirs, mais cela peut sauter une ou deux générations. "
Sa sœur a poursuivi ses études jusqu'au bac, mais elle ne l'a pas obtenu. Ma mère a réussi à passer du cours supérieur au cours complémentaire ou pratique avec études générales, sténo, dactylo, couture. Pendant les récréations, les élèves tricotaient des cache-nez, des gants, des bonnets, des cagoules pour les soldats qui étaient au front. Elles leur préparaient aussi des colis.
Leur mère achetait quelques friandises aux gitans qui en vendaient derrière la gare. Elles n'étaient pas faites en suivant les règles de l'hygiène la plus élémentaire. Leur mère avait alors attrapé un urticaire géant. Son visage et ses mains étaient gonflés. Le grand père avait dû descendre à la cave de la nouvelle maison, chercher la scie à métaux pour lui couper son alliance.. Elle était méconnaissable et cela a duré plusieurs années. La famille sortait, mais ma mère ne participait pas toujours aux sorties car sa famille la trouvait trop grosse. Pourtant il aurait peut-être fallu qu'elle marche pour perdre du poids. On l'appelait " Boule de gomme " dans le quartier. On la confiait à Mme Père  (Paire? ) la dame qui leur lavait le linge.
Le goûter avait souvent lieu à Bois Luzy où à l'époque il n'y avait que des bois fermés par une enceinte et des portails. Les gens alentour pouvaient se promener. Le château n'était pas encore auberge de jeunesse. Ma mère a encore fait une autre année à l'école privée " La Ruche " toujours dans le domaine : sténo, dactylo, calligraphie, couture. Vers la même période, elle dut subir l'opération de l'appendicite, prise un peu tardivement car sa famille la jugeant douillette n'avait pas réagi à ses plaintes. A la sortie de l'hôpital, elle avait perdu 9 kg.
Les deux sœurs faisaient désormais souvent le ménage, la vaisselle. A la suite de sa dernière année d'études, ma mère a travaillé au fort St Jean comme sa mère, elle travaillait sous l'ordre d'un capitaine qui lui donnait de nombreux comptes rendus à taper et surtout à déchiffrerC'est à cette époque qu'elle a rencontré R. mon père. Elle le connaissait en fait depuis 1937,  lorsqu'ils jouaient ou faisaient du sport à Bois Luzy, mais elle l'avait perdu de vue. Au premier abord, il n'a pas déplu à sa mère qui a bien voulu qu'elle en fasse son compagnon.
Elle commença donc à sortir avec R...
Les valises en cette période devaient être toujours prêtes car de 42 à 43, la vie était mouvementée, les menaces de repliement constantes; il était difficile de circuler. Les tramways étaient arrêtés pour des contrôles d'identité des passagers.
Ma mère fut changée de caserne. Elle travaillait désormais à Busserade. Ils avaient voulu faire un gâteau des rois pour recevoir R. (mon père ), mais ce fut impossible car il y avait une rafle. La police recherchait des personnes. Les commerçants étaient surveillés et pourchassés par la police. Un haut parleur, au-dessus d'une voiture demandait aux jeunes gens de la défense passive, d'aller garder les immeubles des vieux quartiers qui devaient être évacués et les personnes amenées sur Fréjus.
Ce jour-là, ma mère n'avait pas pu aller manger avec ma grand-mère à cause de la rafle qui avait concerné la partie de la ville allant du Vieux Port à la Canebière. Cela n'avait duré que le temps d'arrêter quelques personnes.
 Mon père avait habité le vieux quartier du Panier qui était à l'époque un des plus mal fréquentés de Marseille. N'ayant pas apprécié de vivre après la mort de son propre père, avec le nouveau mari de sa mère et toute la marmaille de ses frères et sœurs, anciens et nouveaux, il avait préféré aller vivre chez son oncle et sa tante de saint Barnabé qui l'ont toujours gardé sans l'adopter réellement. Ma grand-mère paternelle est d'ailleurs morte peu de temps après la naissance de sa fille, la demi-sœur de mon père. Mon père n'avait que 6 ans. Les autres enfants ont été dispersés. Les plus jeunes avec leur père et la famille de celui-ci, mais le frère  du même nom que mon père a été dans un orphelinat. Ce qui va sans doute expliquer sa jalousie lorsqu'il sera adulte.
Mon père était un bon élève. Premier de la région au certificat d'études, il avait fait quelques études, puis s'était dirigé vers un Brevet commercial. Il avait choisi le métier de chaudronnier sur cuivre, ensuite, il avait arrêté ce métier trop pénible et comme il ne trouvait pas vite un autre emploi, ses parents adoptifs qui en avaient assez qu'il soit à leur charge et surtout à mon avis de le voir traîner à la maison. D'autant qu'à l'adolescence il devait être assez révolté par son passé. Comme son oncle lui faisait la morale, il a fini par s'engager dans la marine comme matelot, à ToulonAprès ses années de service civil, alors qu'il allait presque en avoir terminé, la guerre a éclaté. Ce qui fait qu'au total il a subi 5 années de galère. Il était sur le croiseur Foch. N'étant pas gradé, il devait faire toutes les corvées les plus pénibles. Souvent sur le pont où il faisait froid et d'autres fois aux machines où il grillait. C'est ainsi qu'il avait attrapé une mauvaise bronchite. Comme il n'arrivait pas à suivre le rythme des corvées, on le mettait souvent aux arrêts.

R., mon père, se montrait selon ma mère de plus en plus amoureux. Sa vieille tante et mère adoptive offrait le thé à ses invités.
Sa rencontre avec ma mère avait émerveillé celle-ci. Il était beau, viril, sportif, d'apparence gentille... Elle, elle avait un doux visage et un tempérament très sentimental. Elle était comme un cerf-volant voguant au gré du vent. Elle vivait de rêves, d'émotions, niait le réel qu'elle transformait à son gré. Elle n'était pas faite pour les réalités sordides et pourtant elle cherchait à imposer ses rêves aux autres comme si c'étaient des réalités. Elle ne réalisait même pas que déformer celles-ci, c'était mentir ou parfois même blesser...
A cette époque, ma mère et sa sœur se sont installées en ville chez leur marraine. Ma grand-mère avait fait des démarches pour trouver du travail à mon père, mais celui-ci n'était pas venu au rendez-vous. Il ne voulait pas encore travailler car il devait partir en maison de repos.

Un certain P.T amoureux de M., la soeur de ma mère, avait fait sa demande en mariage, par courrier. Ma grand mère était contente car elle connaissait la famille depuis longtemps. Cette demande affirme ma mère a contribué à sa tranquillité car depuis elle ne recevait plus aucun reproche de sa sœur.
La sœur de la tante J., la mère adoptive de mon père,  habitait Enco de Botte. Elle était presque aveugle et n'avait que le bras gauche. Son mari avait une ferme dans une campagne magnifique avec devant chez eux des champs, une colline...
Des légions de volontaires français furent, à cette époque, envoyées en Russie au côté des allemands.
Les parents de R. jouaient aux boules avec les voisins...

La demi-sœur de R. habitait à la place du 4 Septembre. Quand les deux fiancés allaient la voir, ils rentraient tard et avaient peur des rafles.
Un recensement  avait été rendu nécessaire. Les personnes recensées avaient pu faire tamponner leur carte de droit à la circulation. 
R. mon père devait bientôt partir pour l'Isère, pour un séjour de trois mois. " Mon cœur n'a fait qu'un tour à cette nouvelle si triste pour moi " !
Un jour alors que R. mon père avait aidé à couper le bois, ma mère l'avait admiré. Elle le trouvait beau avec sa hache à la main et son tablier bleu. : " il représentait l'homme dans toute sa force ". R devenait entreprenant ! et ma mère lorsqu'elle sortait avec lui évitait les traverses...
Pendant ce temps elle préparait son trousseau avec l'aide de la famille. On achetait tout avec des tickets. La sœur de ma mère manquait de vitamines et ma mère elle-même perdait un peu ses cheveux par plaques.
Les bagues de famille allaient être transformées pour les fiançailles des deux filles qui auront lieu le même jour. C'est le grand branle bas pour la préparation de cette fête. Déjà les chaussures neuves font souffrir R. Son pied blessé par un phlegmon l'a obligé à s'aliter mais il a tout de même acheté un gros bouquet avec trois œillets blancs, 4 glaïeuls, nœud de tulle et vase de cristal.
R. a enfin reçu un courrier important. Sa demande pour travailler dans les assurances sociales était acceptée. Il a débuté le lendemain. Il trouvait ce nouveau travail moins pénible que celui de chaudronnier et plus intéressant.. RM travaillait toujours à ce moment-là rue Fongate mais elle faisait divers remplacements rue Sylvabelle entre autres..
 
La sœur aînée M. s'est mariée la première. Ma mère en a été un peu irritée car elle avait connu son fiancé plus tôt que sa sœur. Fallait-il comme chez les arméniens marier l'aînée avant ? ! P. Le mari était-il intéressé au point de faire accélérer les événements pour hériter de la marraine ? Ce sont toujours des pensées de ma mère ou déjà de mon père...
Les préparatifs ont recommencé. Tous les membres de la famille se sont faits beaux ! Joseph J. le tuteur de M. avait sa place dans le cortège et les musiciens,
les " tambourins de la coquette ", étaient de la partie, jouant des marches. Un mois plus tard, elle attendait un enfant. Les premiers désaccords apparaissaient déjà car P le mari de M. prétendait tout diriger, mais la marraine ne le supporta pas et le chassa de chez elle.
Après le départ de sa sœur, la vie avait changé à la maison.

Le mariage de mes parents a eu lieu le 15 Avril 1944. La cérémonie a paru à ma mère moins belle que celle organisée pour sa sœur. Une fois encore sa robe lui a été prêtée par M. comme toujours depuis leur enfance ! Les jalousies, les caprices sont loin d'être morts ! Et pourtant ma grand mère faisait sans doute de son mieux, tiraillée peut-être par les colères des uns et des autres ?
Reprise des préparatifs. Ils devaient être 18 à table...
Menu : 4 lapins, 4 douzaines de raviolis, 4 kg de petits pois 216 gâteaux de soirée et deux pièces montées.
Pour la mairie, ma mère avait un bel ensemble bordeaux. R. avait oublié le bouquet de la mariée, il a fallu faire un arrêt chez le fleuriste.
La cérémonie fut pourtant belle, simple. La demoiselle d'honneur était Gil Rol. en robe bleue.
La nuit de noce eut lieu chez la marraine, le voyage de noces n'en fut pas vraiment un. Ils se contentèrent de St Joseph de rivière dans l'Isère où " nous coulions des jours heureux ".
Eux non plus ne sont pas restés longtemps chez la marraine qui leur faisait des reproches incessants. Énervée, RM. a fait ses valises et est allé avertir sa mère au travail. Le réceptionniste a encore plus énervé ma mère en lui posant beaucoup de questions !

On partagea l'autre maison de l'impasse des cigales ( c'était son nom autrefois ) en deux appartements, en isolant le couloir par un matelas ! Les jalousies et les querelles entre les deux sœurs sont assez fréquentes. Qui a tort, qui a raison ? Dans son journal, ma mère aime bien protester et donner son point de vue. On connait les disputes, le beau-frère par exemple qui a coupé le gros platane devant la maison alors qu'il n'y vivra pas longtemps, les audaces auxquelles on ne répond que par des silences.

  La villa de la Mazarade était occupée par des réfugiés du nord. Le mari de cette famille qui était pompier était mort brusquement dans un accident de voiture. La veuve et ses enfants avaient alors décidé de repartir vers le nord, d'où ils étaient originaires. On voulut réquisitionner de nouveau la villa mais R. et RM ma mère, s'y sont installés vite.  Ils ont pu fournir des preuves qu'ils étaient bien chez eux et ont pu y rester. Ils étaient enfin seuls.
Ils se sont donc installés à Montolivet dans cette autre maison plus petite du grand-père. Le travail d'installation avait été éprouvant car la veuve qui y vivait avait emporté tout ce qui pouvait être emporté et cassé pas mal de choses. Un appareil électrique servirait pour faire la cuisine.
Le 27 Mai 44, il y avait eu des bombardements à Marseille qui avaient causé la mort de 2000 personnes. Ma mère s'était réfugiée sous le pont du boulevard national mais s'était heureusement éloignée avant qu'il ne soit détruit. Ils avaient tous trouvé refuge dans une cave, sauf mon père qui était chargé de vérifier que chaque membre de la famille allait bien. Il était allé voir la sœur de ma mère, son oncle et sa tante...P. le mari de la sœur de ma mère aurait pris un fourgon Air France pour s'éloigner de Marseille.
En Mars 45 dit ma mère, la situation se compliquait.  Ma mère était enceinte de moi, l'atmosphère n'était pas à la gaîté " surtout  en travaillant, mais nous étions heureux  quand même et maman aussi ". Cl. la première fille de M. était née en 44.
La sœur de ma mère a eu une seconde fille en septembre 45. Comme ma mère avait besoin d'argent à cette époque-là, elle allait faire la lessive de sa sœur dans un lavoir en plein air.  " J'en avais bavé dit-elle pour gagner 4 sous !
Je suis née quelques mois après.

La guerre durait à cause des restrictions qui donnaient toujours l'impression de la subir. Mon père conseilla à ma mère d'aller dans l'Ariège, dans son village pour avoir du lait sans restriction, pour moi, le bébé. Ma mère avait commencé par perdre sa valise à Tarascon.Tout d'abord il fallut trouver un moyen de transport. Ma mère sachant qu'un ami de son mari conduisait le car de Saurat, fit un signe pour l'arrêter. Ils avaient réussi à trouver la valise... Ensuite, il fallait, à Saurat,  loger chez une vieille tante, aigrie par la vie. ( Ses deux enfants étaient morts ainsi que son mari. Sa fille avait eu la tuberculose. Son fils au séminaire avait reçu un coup de couteau sur la cuisse et cicatrisant mal, il s'était vidé se son sang. ) et elle ne nous reçut pas avec le sourire et se montra de mauvaise humeur à plusieurs reprises, contre ma mère et à cause de mes bêtises d'enfant.  Le bébé était fatigué par une forte diarrhée. Selon les dires de ma mère, elle avait dû me laver dans la rivière. Chez la tante, dès le premier jour, au moment de monter la valise, le bébé avait suivi les deux dames dans l'escalier et avait dégringolé l'ensemble des marches avant de se cogner la tête contre la porte d'entrée. La tante aurait mis les mains sur sa tête en disant : " Il va falloir lui être toujours derrière ". Elle devait ensuite bougonner tout le long du séjour.

Un jour également la fillette tirait une chaise pour s'amuser. Un vieux barreau usé s'était cassé. La tante aurait pleurniché en disant : " Il ne me restera plus rien ". Elle interdisait à ma mère de repasser car même après la guerre, cela coûtait cher.. Si elle trouvait le fer chaud, elle se mettait en colère. Heureusement une voisine serait intervenue pour recevoir ma mère le temps de lui prêter son fer à repasser. Quant au lait personne n'a voulu lui en vendre. Et les gens répondaient assez brutalement à ma mère : " Quel culot ! " Quelqu'un aurait même ajouté : " Je préfère en prendre un bain de cul que de vous le vendre ".
Ce séjour fut donc pour ma mère encore un cauchemar selon ses dires. Mais avec du recul, en sachant que c'était juste après la guerre, il semble normal que la tante veuille économiser. Elle était veuve, sans enfants, amère sans doute, et ma mère ne venait-elle pas s'incruster ? Car si les agriculteurs avaient du lait, ils n'avaient pas l'intention d'en donner, voulait-elle vraiment l'acheter comme elle dit ? Il me semble impossible que dans ce cas ils aient refusé, sauf s'ils n'en avaient pas assez pour eux ? Comment savoir ?
Ma mère n'oublie jamais ce qu'on lui a fait, même si elle a mal interprété. Elle ne se pose même pas la question. Aussi, bien après la guerre, lorsque les restrictions avaient pris fin, elle refusait, par vengeance, d'acheter du beurre aux agriculteurs qui faisaient du porte à porte pour le vendre. " Pendant les restrictions, vous n'avez pas voulu me dépanner pour ma fille, maintenant faite -vous un cataplasme du beurre ! "
Ma mère après son congé volontaire de deux ans  ( pour garde d'enfant) n'a pas retrouvé son emploi. Lorsque les soldats étaient au front, l'armée avait supprimé des bureaux, et renvoyé des employés pour compression d'effectifs. Elle a mis un certain temps pour retrouver une place.
Ma mère a enfin été embauchée à la DDE qui s'appelait à l'époque le ministère de la reconstruction ( à cause des dégâts d'après guerre ). Cependant son diplôme bien qu'il ait été accepté, n'a pas été reconnu à sa valeur supposée car il avait été accordé par une école privée, non reconnue par l'État, à cette époque-là.
Quand elle a pu reprendre son travail ma mère m'a fait garderAvec un père, une mère et une grand-mère au travail, j'étais gardée par l'arrière- grand-père car son épouse avait eu une attaque et ne pouvait plus grand chose. Très vieux, très maladroit, fatigué, il ne savait même pas me culotter.. Il me mettait par exemple deux jambes dans le même trou. Ma mère s'énervait contre son grand-père : " Tu sais bien mettre ton pantalon, tu mets bien un pied dans chaque jambe de pantalon, c'est pourtant la même chose, pourquoi ne fais-tu pas de même pour les culottes de ma fille ? "
La grand mère alla mal.
C'est mon père qui était appelé lorsqu'il fallait faire les piqûres à la famille. A cette époque-là, on ne faisait pas appel aux infirmières pour de simples piqûres dans le muscle.
Janvier 45, la grand mère va de plus en plus mal. R. dit  ma mère ! lui donne un petit verre de liqueur et elle meurt peu après.
R. pleure : " Mais non, c'était son heure " lui répète-t-on . Le grand père est désespéré...
La grand-mère de l'Ariège était morte dans cette même période. Mon père est parti seul pour l'enterrement car la France était toujours occupée, mais il avait été repoussé dès Tarascon.
Le grand-père de mon père est mort à son tour, dans l'Ariège.
Au début des années 50, j'avais 5 ans, le vieux grand-père, toujours seul avec moi, est tombé. Je me suis approchée de la barrière du voisin,  et j'ai hurlé pour attirer l'attention. La voisine est sortie de sa maison en disant : " Oui, ma chérie, tu t'amuses ? " . Elle a fini par comprendre mes explications angoissées, mes appels mêlés de larmes. Quelqu'un est venu relever le grand-père, le mettre sur son lit et appeler un médecin. La marraine est venue s'en occuper et de moi et finalement, elle est morte avant lui. Affecté, le grand-père est mort à son tour le 14 Février 50.

Ma mère dut alors me faire garder par sa sœur qui ne travaillait pas. "En payant bien entendu ". A cette époque-là le mari de ma tante était parti. Elle était revenu vivre chez le grand-père. Son mari avait eu une aventure et ma tante ne voulait plus de lui. Peut-être était-ce réciproque car il avait réussi à se faire muter à Madagascar ?
J'avais été gardée par le grand-père ( L'arrière grand-père pour moi ), par la Marraine de ma mère, et maintenant par la sœur de ma mère. Je n'étais pas bien vieille encore. Mes parents n'habitaient qu'à 200 m  et ne venaient pourtant jamais me voir le soir. Ils ne venaient me chercher que pour le week end, encore fallait-il que je ne sois pas malade ! Je n'ai jamais compris pourquoi.
Au cours de cette période, ma mère s'était blessée. Elle s'était enfoncé un clou au milieu de la main gauche en coupant du bois a-t-elle dit. Un Dimanche, difficile de trouver un docteur. Il a fallu d'urgence lui faire une piqûre contre le tétanos.

Lors des congés, mon père et ma mère étaient revenus à Saurat. Ils quittèrent la maison de la tante ronchon, pour aller dans la maison vide laissée par la grand-mère et le grand-père après leur décès. Dans cette maison, il n'y avait ni eau, ni électricité, mais ils avaient enfin la paix.  Ma mère pouvait aller chercher l'eau à une fontaine, pas loin, fontaine d'eau qui semblait pure et fraîche.
Nous passions souvent la journée au col de port, nous escaladions, nous montions jusqu'à la source, faisions des randonnées vers les sommets enneigés sans jamais les atteindre...
Chaque été nous revenions dans la maison de la grand-mère et les promenades dans les environs ne manquaient pas. Il y avait un lavoir communal où selon ma mère " on apprenait toutes sortes de nouvelles du village ".

La mère adoptive de mon père, sa tante en réalité et son oncle également venaient certains étés avec nous. Une année mes parents avaient aussi invité ma grand-mère, la sœur de ma mère et ses filles. Ma marraine ne s'était pas plu à Saurat.. Elle n'appréciait pas le caractère de mon père. Celui-ci leur avait pourtant rendu de menus services comme aller les chercher en voiture, l'amener à la clinique pour chaque accouchement...

Mes parents n'avaient jamais eu d'animaux. Une année cependant, alors que mon père voulait trouver un emplacement pour garer sa moto, il avait été dans le petit hangar à charbon et avait trouvé une chatte de gouttière qui venait de mettre bas. Il avait commencé par frapper la chatte rayée, au moyen d'une planche pour la faire fuir. J'étais intervenue, ma mère aussi sans doute et j'avais obtenu de garder la maman et un de ses petits : un beau chat devenu énorme, blanc avec des tâches noires que nous avions appelé Pompon. Les deux animaux venaient avec nous à Saurat. Mais Pompon est mort très jeune certainement empoisonné par un voisin, à moins qu'il n'ait eu une maladie comme le typhus. Il est mort après des crises affreuses de vomissements. La même année la tante de Saurat est décédée. Alors, l'année suivante, au lieu d'aller passer nos vacances dans la vieille maison de la grand-mère, mes parents ont décidé d'aller chez la tante et ils avaient amené la chatte qui nous suivait depuis son adoption, sans son petit bien sûr, cette fois puisqu'il était mort. Un jour, alors que mes parents discutaient sur le pas de la porte avec un voisin handicapé toujours assis sur son banc, la chatte en avait profité pour sortir. Elle avait traversé la route et mes parents ne l'avaient plus revue. Où étais-je à ce moment-là ? Je me souviens très bien qu'elle avait disparu. J'étais désolée et inquiète. mais d'après ma mère, j'étais en colonie. Tiens, tiens, en colonie alors que mes parents étaient en vacances ? J'apprécie !! Toujours est-il qu'à mon retour, alors que nous revenions de Tarascon, nous avons décidé d'aller jeter un coup d'œil dans l'ancienne maison de vacances, la maison vide de la grand-mère. La chatte était là, dans le poulailler, les yeux hagards !! Quelle surprise et quelle joie pour moi. Elle avait su retrouver l'ancienne maison de vacances ! Nous l'avons ramenée vers la maison de la grand tante et elle n'est plus partie.
Lorsque j'ai été adolescente, je restai à Marseille pour garder la vieille tante de mon père et mes parents en avaient profité pour aller en Suisse en caravane. Mon père souhaitait voir le village de ses ancêtres, quelques descendants. Ils avaient même été jusqu'en Italie.

Le 27 Novembre 1953, ma mère a eu un accident sur la route en rentrant du travail. Un motard l'avait renversée Bd Die. Elle avait eu une fracture en " v " de la région frontale médiane. Après des soins à domicile, elle avait obtenu  une petite rente pour accident du travail.

Où était passé le mari de ma tante, la sœur de ma mère ? Mystère depuis un certain temps...

Pourtant son mari revenait aux vacances et au grand scandale de ma mère sa sœur se trouva enceinte, 12 ans après sa seconde fille, d'un mari qu'elle savait infidèle, qui avait osé déguiser sa maîtresse en femme de ménage pour l'introduire sous son propre toit et  qui n'avait pas hésité à se faire muter très loin.

Le 26 Juin 1960 Madagascar devint indépendante.
A cette époque-là, ma mère dut aussi faire des démarches pour obtenir sa carte d'identité. Sa sœur étant née à Marseille était française et ma mère étant née à Madagascar fut considérée comme Malgache à dater de l'indépendance le 26 Juin 1960. C'est ce que prétend ma mère ! Mais c'est faux. En réalité, c'est beaucoup plus complexe. Le lieu de naissance correspond sur les papiers à un nombre ( département, commune )... Ma mère étant née à Madagascar a sur ses papiers, le nombre correspondant à son lieu de naissance : Madagascar. Lorsque Madagascar est devenue indépendante, elle était mariée, j'étais née et  j'avais 14 ans ! C'est alors seulement, qu'il fallut faire une importante correspondance pour justifier sa nationalité, sans résultat.  C'est encore faux. On ne peut pas changer son lieu de naissance à mon avis, il suffisait de prouver qu'elle était française...Sa mère alla voir le juge de paix pour lui expliquer que son mari bien que né à Madagascar était issu de parents de l'île de la Réunion et que s'il n'avait pas été français, il n'aurait pas pu occuper un poste dans l'administration. Elle finit par obtenir gain de cause.
Ma mère parle ensuite de mon séjour en Angleterre avec une copine. Je n'ai jamais été en Angleterre du temps où je vivais avec mes parents !! Peux-être pense-t-elle à mon voyage avec Régine. Nous avions été à Carcassone, aux baux de Provence. Nous avions fait du stop sous la pluie, une pluie torrentielle car nous pensions avoir manqué le dernier autobus pour rentrer à l'auberge de jeunesse où nous séjournions. Personne ne s'était arrêté pour nous prendre d'ailleurs... et heureusement, l'autobus était passé avec beaucoup de retard. C'est au cours de ce voyage que j'avais connu mon mari, à la gare de Carcassonne. Mon père devait nous rejoindre en caravane et nous devions aller dans l'Ariège, chez les cathares d'abord. Régine était rentrée à Marseille alors que mon père et moi avions passé ensuite la frontière espagnole.Je me souviens des ricanements des gens au restaurant : un vieil homme avec une très jeune femme !! Que les gens sont bêtes parfois !! C'était mon père !
Pourquoi ma mère parle-t-elle de l'Angleterre ? Il s'agissait de l'Espagne...
Mes fiançailles ont eu lieu à G en famille.
Je me souviens de ces fiançailles chez mon mari. Il trouvait que c'était trop loin de Marseille. Il faisait son attitude habituelle d'ours mal léché.  Refuser d'assister aux fiançailles de sa fille unique ! Mais peut-être après tout aurait-il mieux valu qu'il ne vienne pas. Il est arrivé en bougonnant et rien n'allait comme il voulait. Il a fallu aller les chercher à la gare, ma mère et lui. Il a fallu les accompagner pour des visites dans les environs ( nous aurions préféré des promenades en amoureux alors que nous avions peu de temps pour nous voir. Mon mari repartait immédiatement travailler au Maroc, et moi je terminais mes études à  Aix en Provence ).
Mes parents ont été durant cette courte période logés chez une tante de mon mari. Quand elle servait le petit déjeuner, mon père quittait sa maison pour aller faire ses courses et s'acheter un autre petit déjeuner. Je crois même qu'il a fini par aller à l'hôtel ! Mais il en a tellement fait que j'en ai oublié, de ses humiliations !!
Pour le mariage à Marseille, le 28 07 1970, il y avait peu d'invités. Ceux du Lot habitaient trop loin. De mon côté, nous ne fréquentions plus tellement la famille. Certains sont venus à la cérémonie. Ma Grand-mère était présente. Puis nous sommes partis pour le Maroc. Ma mère a fait le parallèle évidemment avec le départ de ma grand-mère pour la Réunion. A-t-elle vraiment été déchirée comme elle dit ? J'ai parfois des doutes, puisqu'elle refuse de venir passer sa vieillesse chez nous. Sur le moment peut-être, j'étais leur seule enfant, et je partais très loin dans un pays musulman; mais... plus tard mes parents ont refusé de me rendre certains services qui étaient normaux et à leur portée, comme venir à mon accouchement à Béziers. Par contre il est arrivé plusieurs fois à ma mère de venir en vacances au Maroc et non comme elle prétend par obligation pour m'aider !
Mon mari travaillait au lycée français ce qu'on appelait non la coopération, mais la " diffusion ".
Lorsque ma première fille est née, j'ai voulu accoucher en France pour que mon enfant n'ait aucun problème de papiers officiels voire de nationalité. Nous avions fait en sorte qu'elle naisse de préférence pendant les vacances scolaires puisque nous étions professeurs. Mon mari était donc présent. Nous habitions dans notre résidence d'été au Cap d'Agde. J'étais suivie par un très grand médecin de Béziers. Pourquoi ma mère, dans son journal, prétend-elle être venue m'aider, les jours qui précèdent l'accouchement ? Pourquoi dit-elle avoir pris l'avion pour la première fois pour  aller au Maroc, à cette occasion, alors que j'ai accouché en France. Veut-elle dire pendant ma grossesse ? Bien sûr qu'elle est venue, mais pour passer des vacances. Je n'avais absolument pas besoin d'elle. Je n'étais pas de ces filles choyées par leur mère qui éprouverait le besoin d'être près d'elle lors d'un premier accouchement. Je souhaitais avant tout être près de mon mari.  Je crois même que nous avons mené ma mère en voyage à travers le Maroc lorsqu'elle est venue nous voir et j'étais loin d'accoucher puisque je travaillais encore. C'était au cours de vacances scolaires. Pourquoi aurais-je eu besoin d'elle ? J'avais une femme de ménage qui faisait même la lessive et certains repas. Mon mari m'aidait.
C'est bien plus tard que j'aurais aimé qu'elle vienne m'aider, pour la naissance de ma seconde fille. A-t-elle voulu cacher son absence pour ce second accouchement, alors que j'avais une fillette de 3 ans et que je me trouvais seule, pour accoucher au Cap, une ville désertée l'hiver, tandis que mon mari travaillait au Maroc ?
Bref ma mère semble cependant fière d'avoir été grand-mère à 49 ans !
Après le premier accouchement, mon mari est reparti travailler au Maroc et je suis allée chez mes parents, pour peu de temps, avec le bébé, dans l'espoir d'y terminer mon congé de maternité. Pourquoi ne suis-je pas restée longtemps ? Tout simplement parce que mon père a recommencé à me faire des réflexions. J'étais devenue femme, mère, je n'ai pas pu le supporter et mon mari a dû avancer mon retour au Maroc alors que j'étais censée attendre .son arrivée en France pour les vacances de Noël.
Je me souviens très bien d'avoir été placée dans l'avion sur un premier rang pour que je puisse mettre mon bébé dans son couffin à mes pieds. A l'arrivée il ne tombait vraiment que trois gouttes de pluie !  et les marocains, toujours très attentifs pour les bébés, avaient envoyé une voiture abritée jusqu'au pied de l'avion pour que le bébé ne soit pas mouillé. Cela me rappelle, en outre, que le pharmacien marocain n'aimait pas que j'aille peser mon bébé, à sa pharmacie, qui se trouvait en face de chez nous, lorsqu'il tombait quelques gouttes
Pourtant le temps était loin d'être froid,  mais pour eux si !
Les petites misères se multipliaient. Ma mère avait eu une paralysie faciale et on l'avait soignée avec des infiltrations.
Ma grand-mère, dont je garde un bon souvenir a su venir me voir régulièrement malgré l'accueil chaque fois désagréable de mon père. Elle m'avait offert une petite chatte grise lorsque mon chat blanc avait été écrasé par un autobus.
Elle est morte jeune ( en 1975 ). Ses reins s'étaient bloqués et elle avait refusé d'aller à l'hôpital. Elle laissait un grand vide dans la vie de ses filles qui avaient eu l'habitude de vivre avec les ancêtres. Comme dit ma mère, Pierrot, le mari de sa sœur, le fantôme qui revenait aux vacances, allait pouvoir diriger la maison en maître.  D'ailleurs où était-il, lui le vagabond instable ! ?
Mon oncle comme mon père avait ouvertement trompé sa femme. C'étaient des machos, des salauds même, sans aucune honte.
Moi, j'avais donc eu une seconde fille ( en 1975 ).
Nous avions quitté le Maroc alors que l'aînée avait 6 ans, la seconde 3 ans à peu près. Pendant la construction de notre maison, nous avions vécu chez mon beau-frère, non pas un an comme le prétend ma mère, mais seulement quelques mois. J'avais un poste à M., mais j'étais enceinte de mon fils et en congé depuis le mois de Janvier. C'est pendant cette période et jusqu'à l'été que nous avons vécu à B., disons 5 à 6 mois.
Pendant mon séjour à M., nous avions invité mes parents. A l'hôtel, car il nous était impossible de les recevoir dans le petit appartement de M.. Depuis les fiançailles, mon père n'était jamais revenu chez moi. La seconde fois où il viendra, ce sera pour mon cancer et pour m'inviter au restaurant.

Ensuite ma mère énumère certaines dates : la naissance de mon fils, sans commentaires, son accident lorsqu'elle s'est cassé le fémur droit en tombant sur sa terrasse à cause des carreaux disjoints. Elle s'étend sur son opération à la clinique St Bernard, la pose d'une plaque, sa rééducation, sa rente. Une de ses amies est morte à cette époque-là et mon père l'a quittée pour vivre à Nice où il avait acheté un appartement dans un lieu bien exposé, ensoleillé et dans un quartier chic apparemment. Il l'avait acheté avec l'argent de la maison de sa tante. Maison dont il avait hérité et qu'il n'aurait pas dû vendre selon le souhait de cette tante. Et pourtant il a vendu la maison avant même qu'elle ne soit morte. Je vivais encore avec mes parents lors de l'achat et de son courrier pour connaître une autre femme sur Nice. La tante vivait avec nous. 
Il a vécu à Nice, sans complexe, avec une femme connue par correspondance. Il vivait plusieurs jours avec elle, à Nice et ramenait le linge sale à ma mère, à Marseille !

Ma mère dit qu'elle a pardonné à mon père cette période. Avec l'âge on finit par tout pardonner. Même moi je lui ai pardonné maintenant qu'il est mort. Pourtant les 3 mois que j'ai passés plus tard, avec lui, ont été un cauchemar! Le pire chez ma mère, est qu'en plus elle semble avoir tout oublié, tout effacé, tout déformé à la moulinette de ses interprétations. Bref, elle lui a pardonné. C'est même devenu un saint à ses yeux ! Elle a oublié les insultes, les exigences, les coups mêmes, les larmes et lui a consacré une sorte  d'autel, devant lequel elle parle à haute voix car elle prétend l'entendre lorsqu'il l'appelle de l'au-delà !

Ma mère parle de son attitude comme de la conséquence du " démon de midi. " Or mon père n'a pas attendu la quarantaine pour tromper ma mère, il l'a très souvent trompée. Il la trouvait distante dans ce domaine voire plus. Je suis certaine que lorsque j'ai fait l'école buissonnière, pour le voir, car je le croyais malade parce que sa voiture était devant la maison, il avait profité de son congé pour tromper ma mère, puisque malgré  ce congé, il était sorti.
Une autre année, lorsque nous allions en vacances à Saurat, il avait emmené avec nous l'ex-épouse de son copain et ses enfants. Pourquoi était-il si généreux ? Nous avions séjourné avec la femme et ses enfants, tout le mois, cet été-là, dans la même maison.

 
Ma mère s'est fait ensuite enlever les plaques, ( suite à son opération du col du fémur ) en 83.
En 86...
C'est nous qui avons eu un accident  : mon mari, les enfants et moi. Au retour du Cap d'Agde, mon mari qui était au volant s'est retrouvé face à une voiture qui avait complètement franchi la ligne continue. Pour l'éviter il a donné un violent coup de volant à droite et nous nous sommes encastrés dans un poteau électrique. Les enfants n'ont eu que des blessures légères. lui, a dû porter une minerve. C'est moi qui ai été le plus blessée avec un fort tassement de vertèbres qui m'a fait souffrir assez longtemps. J'ai été hospitalisée sur place puis transférée dans un hôpital proche de chez moi. Il m'a fallu rester un mois immobilisée sans même avoir le droit au début de soulever la tête pour manger.
Mon beau-frère, ma belle sœur, sont venus chercher les trois enfants qui étaient très choqués, récupérer les bagages et le chien.
Pour la suite de ce récit il y a bien des passages pour lesquels je ne suis pas d'accord avec ma mère. Elle prétend avoir eu un gros coup au moral à l'annonce de mon cancer des ovaires. Soit. C'était un an après notre accident de voiture et c'était un cancer grave, avancé dont peu réchappent. Qui allait s'occuper des enfants ? dit-elle. Et bien mon mari, le temps de mon hospitalisation et mon mari et moi dès mon retour à la maison ! Je n'ai jamais cessé de m'en occuper. D'ailleurs ils étaient scolarisés et ne pouvaient donc aller à Marseille. Elle ajoute que mon père est venu chercher notre fils ! Aucun souvenir de cela !!! Mon père est en effet venu me voir et pour la première fois, depuis mon mariage, c'est-à-dire 14 ans après, il a vu où je vivais. Je me souviens qu'il s'est signé, qu'il a joué au ballon avec notre garçon qui avait 8 ans et qu'il m'a invitée au restaurant comme je l'ai dit plus haut. Notre fils est allé à Marseille en effet, en dehors de nos propres visites, rares à cette époque, je le reconnais. C'est ma fille aînée et son mari qui partaient en voyage vers l'Italie qui l'ont laissé une fois en passant, à Marseille. Il y est allé aussi lorsqu'il a eu un cancer, à son tour, pour entendre mon père lui dire : " Tu es maigre et tu viens bouffer chez moi ! ". Mais jamais en dehors des vacances et surtout pas parce que j'étais malade ou pour nous aider. Je sais qu'ils l'ont amené à la Vierge de la Garde.
Le beau-frère de ma mère est mort en 95 à 85 ans.
Les filles de ma fille sont nées avec chaque fois un intervalle de deux ans et demi.
En 2003 ma belle-mère est décédée.
En 2003, ma mère a de nouveau été opérée de sa hanche et on lui a mis cette fois, une prothèse. Cette année-là mon père est décédé. Mais l'opération de ma mère a eu lieu avant. Elle dit que mon père était malade.  Il vieillissait et d'ailleurs il a toujours été plus ou moins malade. Il y avait donc des années et des années qu'il était à la fois vrai et faux malade. Où s'arrêtait le vrai ? Une fille doit-elle consacrer sa vie à son père parce qu'il a attrapé une mauvaise pleurésie pendant la guerre ?
A cette époque-là, mon père et ma mère ont donc fait appel à moi pour rester avec lui, le temps que ma mère fasse changer sa prothèse. Ma mère dit que je suis venue un mois. D'après mon mari et d'après moi, il semble que ce soit beaucoup plus. D'ailleurs elle a été opérée en Juin et j'ai quitté mon père alors qu'Août était entamé. Il faut tenir compte de l'opération et d'un mois de rééducation au moins. Peu importe. Ce qui me révolte, ce sont encore les interprétations de ma mère. J'ai tout laissé : un fils de 23 ans, étudiant,  déprimé à la suite d'un cancer, de jeunes petits enfants, mon mari...pour devenir l'esclave de mon père. Il sifflait pour m'appeler avec un véritable sifflet strident, exigeait une diversité
effarante de légumes  à chaque repas; je passais tellement de temps à ses repas que je n'avais plus le temps de cuisiner pour moi. Je me contentais de manger ce qu'il laissait lorsqu'il n'avait pas trop mis ses mains plaines de microbes dedans. Les repas qu'on lui portait ne lui suffisaient pas ( car en plus il recevait les repas du conseil général ! ). Enfin pour terminer le portrait, lorsqu'il n'aimait pas ce que je faisais, il prenait dans le plat et jetait à pleines mains sur la table... Bref, l'horreur pour moi qui avais appris à vivre en paix dans mon Sud Ouest. Il fallait que j'aille aussi voir ma mère et plutôt que de prendre trois bus, je coupais à travers les quartiers de Marseille et faisais jusqu'à 6 km à pied. Comme il me tardait de retrouver ma petite famille avec ses petits problèmes, ses petits heurts pleins d'affection... !
  Le mois de Juillet s'est ainsi écoulé. J'aurais dû rester en Août aussi, mais R. mon mari avait réservé depuis assez longtemps déjà, pour un voyage lointain et, sans certificat médical il n'était pas possible d'annuler. J'ai donc pris mes précautions. J'ai cherché une maison de retraite dans le quartier (que ma mère qualifie de mouroir ), mais tout de même celle indiquée par  son médecin de famille. Il est vrai qu'il en était le patron, qu'il ne pensait qu'à l'argent et que c'était un bonhomme horrible. J'ai fait appel à nos enfants qui devaient à tour de rôle passer leurs vacances à Marseille. Mais jamais je n'aurais fait subir à mes enfants la garde de mon père chez lui avec son sifflet, son machisme et ses exigences...
Il ne devait y rester qu'un mois dans cette maison de retraite. Je lui avais appris à se servir du téléphone portable et il téléphonait tous les jours à ma mère.
Pour en revenir à leur médecin de famille, il faisait passer les revenus de sa maison de retraite avant ses patients. Il était plutôt cynique. Devant mon problème : envoyer ma mère en rééducation ou mon père en maison de retraite, il m'avait, par curiosité malsaine, demandé si je préférais mon père ou ma mère. Que c'était à moi de choisir qui je devais sacrifier !
Bref, j'ai inscrit ma mère en maison de rééducation, j'ai gardé mon père chez lui et pour le temps de notre voyage, j'ai mis mon père provisoirement dans cette maison de retraite.
Une de mes filles devait venir une dizaine de jours d'août, pour le voir, et elle est venue tous les jours. Mon aînée est venue la dizaine suivante, en famille. Ils lui rendaient visite de temps en temps. Elle avait 3 enfants jeunes, mon père avait une maladie des poumons, elle évitait la multiplication des contacts. Mais elle y allait.
Il paraît qu'il n'y avait pas de sonnerie la nuit dans sa chambre et qu'une nuit, il est tombé du lit et est resté toute la nuit par terre, qu'une vieille dame lui avait volé dans son placard son argent, qu'il avait maigri ( évidemment, il ne mangeait pas des quantités de légumes à chaque repas ! Pourtant, ma mère ne précise pas que mes filles fournissaient des compléments à sa demande, qu'il avait même osé faire venir de l'extérieur des plats cuisinés et que pour la première fois, déprimé et conscient que les soins de sa femme-esclave lui manquaient, il avait négligé ses médicaments.

Ma fille aînée et son mari devaient le ramener chez lui, au retour de ma mère à la maison. Ce qu'ils ont fait. J'avais programmé la venue d'une femme de ménage et  l'apport de repas, de deux maisons différentes, pour qu'il ait le choix des menus et que ma mère cuisine moins, car elle n'était pas remise... Mon père est mort dans son lit, en 2003, par temps de canicule, quelques jours après son retour à la maison.
Il avait réussi, par cette mort, et bien malgré lui, d'ailleurs, à me mettre mal à l'aise et à me faire sentir coupable. De quoi ? Je ne sais au juste. D'avoir suivi mon mari en voyage ? D'habiter loin de chez eux pour vivre ma vie ? D'avoir agi cet été-là, avec un sentiment mêlé de devoir ( quel devoir, enfant j'avais été élevée par ma tante ! ), de répulsion devant ses tenues négligées ( même en maison de retraite, il se promenait presque nu au grand scandale des vieilles dames ), de rancune et tout de même d'attachement à ma filiation.


Il faisait beau à Marseille, mais j'ai honte de le dire, je n'éprouve pas assez d'affection pour ma mère. Le fait qu'elle n'ait pas été près de moi dans l'enfance y est pour beaucoup. De plus je me sens trop loin d'elle pour les idées. Elle ne pense qu'à travers une religion mal assimilée et avec des œillères, elle est un peu raciste, un peu égoïste... Bon mais c'est vrai qu'avec nous deux, elle n'est pas trop désagréable.

Ma mère a oublié mon enfance. Elle est toujours persuadée d'avoir raison :  " Vous nous laissez seuls et malades ! ) a-t-elle écrit. Ils n'ont jamais été seuls. Maison de rééducation pour l'un, maison de retraite ( et elle coûtait cher ! ) pour l'autre. Toujours la présence pas loin de leur fille ou de leurs petites filles. " Ton père, après 22 opérations ( en une vie ) finit sa vie dans un lit médicalisé " et y meurt.  Et elle ajoute : " Je n'arrivais pas à pleurer tant cela est arrivé vite ! " Vite ? mais elle le dit elle-même : il avait subi 22 opérations dans sa vie dont l'ablation d'un lobe de poumon. Il avait plusieurs maladies de longue durée et 85 ans malgré tout.
Est-ce que je sais comment je vais finir moi ? Est-ce que mes enfants en seront responsables ?!! Ils vivent leur vie eux aussi. Et j'en suis heureuse. Nous les avons élevés ( nous-mêmes ) pour qu'ils volent de leurs propres ailes et non pour qu'ils s'occupent de nous plus tard.
Finalement ma mère était assez aigrie par la vie, elle aimait critiquer : "
Mi, n'a pas offert de fleurs à l'enterrement de Ro. sous prétexte de grosse chaleur. Elle avait dû oublier la belle et coûteuse couronne que j'avais offerte pour l'enterrement de P..
Cl à sa retraite avait habité Marseille avec sa mère et sa s
œur. Elle avait fait monter un étage, ma sœur avait ainsi deux de ses filles à sa disposition pour s'occuper d'elle....Toutes ces phrases cachaient son amertume et son côté aigri. C'étaient aussi souvent des pointes pour moi qui vivais si loin d'elle et qui finalement m'en occupais peu.
Jo. Jan. est mort en Décembre 1963. Mireille aurait vécu quelques temps avec l'épouse de Jo Jan ? Cette tante, morte quelques années plus tard, se laissait aller. Elle souhaitait qu'on lui fasse le ménage et ma mère y allait le Samedi. Je me souviens qu'elle m'envoyait parfois voir comment elle allait.
Ils ont ensuite acheté à BL pour recevoir la famille. Malheureusement nous habitions loin. Les enfants grandissaient et il était difficile d'aller voir les grands parents plus souvent.
C'est à la fin de son journal  que ma mère écrit ses différents avec nous. Différents qui nous ont vexés et qui nous sont tombés dessus sans que nous nous y attendions.
Le premier concerne un vieux lit d'enfant qui remonterait pour l'achat à ma naissance si ce n'est à la sienne. Ce lit, nous l'aurions emprunté pour notre fille aînée ? Aucun souvenir. Mais, comme elle marquait tout, pourquoi pas ? Pourtant, notre fille aînée a eu un couffin dès la naissance et lorsque nous sommes allés au Maroc nous avons acheté là-bas, un lit d'occasion. Ce même lit est arrivé en France avec le déménagement pour notre fils plus tard. Y a-t-il eu une période de transition durant laquelle nous aurions emprunté son vieux lit ? Peut-être... J'ai oublié. Mon mari en a été vexé car en effet elle nous a souvent répété que nous avions pris un lit d'enfant. Elle répétait cela alors que nous étions vieux et que nos enfants avaient 20 ans !!! Qu'est devenu ce lit ? Nous avons jeté depuis longtemps le nôtre. En admettant que nous ayons emprunté celui-ci, à qui d'autre aurait-il pu servir ? Nous l'avons sûrement jeté aussi et de plus je n'en ai aucun souvenir. Le ramener, faire plus de 800 km avec, pour qui ? dans une maison de vieillards pleine de vieux objets inutiles.
Le deuxième différent concerne les chats. Il y a deux histoires concernant les chats :
J'ai raconté un jour que nous amenions en vacances à Saurat, une chatte et son petit. Le petit étant mort, nous avons amené la chatte seule. La tante qui habitait Saurat étant morte aussi, nous avons déménagé chez elle car sa maison était un peu plus confortable. La chatte s'est perdue et a retrouvé l'autre maison. Je me souviens l'avoir vue dans un clapier ouvert. Elle semblait nous attendre. Eh bien non, ma mère ( qui note tout ) me dit que je ne peux pas l'avoir vue car j'étais en colonie. Triple colère. Je me souviens très bien l'avoir vue. Peut-être même est-ce moi, enfant, qui ai eu l'idée d'aller voir là-bas. Colère de penser que pendant leurs vacances ils m'avaient mise en colonie ! Colère de ces mises au point mesquines et tardives. Je pense qu'en réalité je suis revenue de vacances avant la fin de leur congé, que j'ai dû être furieuse de savoir qu'ils l'avaient perdue et que nous l'avons retrouvée après mon retour. Qui saura jamais ? Est-ce utile 20 ou 30 ans après ? Un journal doit être un lien affectueux, une sorte de bon souvenir, de réconciliation comme héritage.
Je viens de faire mon cours séjour à Marseille, et je suis de retour à G.. Ma mère va à peu près, mais elle a fait un retour à des souvenirs qu'elle m'avait souvent racontés... un peu tristes, comme si elle devinait que c'était presque fini. La mort de son chat l'a démoralisée. J'ai essayé de lui en procurer un autre, elle ne veut pas...
Cette deuxième histoire de chat est plus récente. Ma mère nourrissait depuis un certain temps beaucoup de chats errants...
Cette année-là, elle est revenue à Marseille et son chat sauvage est mort peu de temps après. Cela faisait deux fois qu'elle venait chez nous et qu'au retour elle perdait un chat. Cela m'ennuyait de la laisser seule, sans compagnie. Je lui ai proposé  un chat de la SPA. Il serait bien à elle, vacciné, soigné et en recherche de maître affectueux et non sauvageon. Elle a fini par accepter. Nous avons été ensemble à la SPA le choisir. Une dame nous a même conseillé. Une autre trouvait ma mère un peu âgée pour adopter un chat. Bref nous sommes revenus à la maison avec une jolie chatte noir et blanc, très douce qui a vraiment fait son bonheur pendant un temps. Mais ma mère s'est aperçue qu'elle était souvent malade, son carnet de santé n'était pas complet...La SPA prétendait pourtant toujours donner des animaux sains, contrôlés, vaccinés... Et moi qui avais insisté pour qu'elle prenne un chat soigné, vacciné etc... et non un vagabond ! J'ai été trompée  par la SPA de Marseille ! La lui avaient-ils conseillé parce que ma mère était elle-même vieille ???
. Visite chez le vétérinaire. La chatte avait le SIDA des chats. Un cauchemar pour ma mère qui l'a fait soigner jusqu'au bout. Et bien sûr, c'était de ma faute !!! Ma mère en effet, m'a considérée comme un peu responsable, disant qu'elle préférait ses vagabonds et elle a même réussi à se faire rembourser la somme demandée par la SPA. Mais cette fois elle n'en veut plus de chat de la SPA. Pourtant qu'est-ce qu'elle l'a aimée cette chatte qui venait de la SPA !
La conclusion de ma mère est dure : "Je vis seule à 87 ans bien que j'aie une fille trois petits enfants et des arrières petits enfants. " Elle oublie de dire qu'elle ne veut pas aller en maison de retraite. Elle oublie de dire qu'elle ne veut pas vivre avec nous. Elle oublie certains des comportements du passé surtout de mon père qui, lorsqu'il a vu venir mon fils après son cancer a dit : " Tu es maigre et tu viens bouffer chez moi ? " Ma mère poursuit ainsi : " Je m'occupe comme je peux, je vais au club, je joue au loto, je bavarde avec des copines. Je participe à certains repas et à certains voyages. Je fais mes courses et je soigne des chats abandonnés.

 Ma mère depuis qu'elle est veuve est venue plusieurs fois chez nous passer un mois ou deux. Elle n'est pas trop trop pénible mais têtue et persuadée que sa fille a des devoirs envers elle.
 Ma maman est vieille, seule, mais en bonne santé; je dois cependant aller la voir régulièrement. La dernière fois, j'ai cru bien faire d'aller lui chercher un chat à la SPA, le sien était mort. malheureusement, alors que je lui avais dit : " il aura été vacciné, soigné etc... " Nous sommes tombés sur un chat qui avait le Sida " !!! Elle a bien assez râlé à cause de cela. mais comment pouvais-je le savoir. Je soupçonne la SPA de le lui avoir vendu parce qu'elle était vieille. Le chat lui a coûté cher !.

-Tu devrais téléphoner à Mamie, tu sais bien comment elle est, elle boude que tu ne lui ais pas téléphoné. Dis-lui quel jour tu viens, si tu auras de quoi manger etc...
 
Ma mère avec l'âge vient plus rarement et désormais il faut aller la chercher jusqu'à Montauban à plus de 100 km. Elle a peur de changer seule de train. De plus elle se débrouille pour son retour de prendre un train qui va la faire rentrer à Marseille dans la nuit !!! C'est inquiétant car alors il n'y aura ni métro, ni bus et pas facile de trouver un taxi. Si je ne peux pas changer son billet, il faut que je l'accompagne jusque chez elle. Deux jours de voyage !
Maintenant, ce n'est plus à Montauban qu'il faut aller la chercher, mais à Marseille. Parfois un seul d'entre nous y va. Nous aussi, nous avons nos activités, nos responsabilités et nous vieillissons.

 
Ce sont les vieillards qui font notre passé et notre futur aussi. Quand ils partent, il semble pendant un moment que ni ce passé ni nous, n'avons eu d'existence réelle et surtout nous avons perdu notre avenir car c'est nous qui devenons l'ancêtre.
La mort, ma mère en parle, ce n'est à la fois pas une terreur pour elle et une inquiétude réelle. On a toujours tendance à étirer vers l'infini cet avenir. Je ne suis pas certaine d'avoir vraiment connu ma mère et je sais que je vais rester avec ce regret comme je l'ai parfois pour mon père. Après la mort d'une personne les rancunes s'effacent. Je reconnais que je ne fais pas beaucoup d'efforts pour parvenir à la connaître mieux  et elle reste trop attachée aux apparences, aux gestes, aux paroles qui sont superficiels et cachent la partie profonde de chacun. Je suis et resterai très réservée. Les élans d'affection naissent dans la petite enfance et je ne l'ai pas vécue avec elle. Ce fait a tué mes propres élans d'affection envers mes propres enfants que j'adore cependant. J'arrive mieux à les manifester envers les petits lorsque je les vois souvent et que je les garde parfois.

 Chaque année pour les fêtes ou l'été, c'est le même souci...Ma mère arrive ce soir. Il faut que j'aille la chercher à Montauban et cela m'inquiète un peu car je ne connais pas bien la ville. Je sais que la gare sera bien indiquée, mais est-ce que je trouverai facilement à me garer ? Enfin on verra. Il faut que j' apprenne à me débrouiller. Les autres fois, c'était mon mari ou ma fille qui y allaient...Ma fille a son bébé maintenant, mon mari ne doit pas conduire avant demain soir à cause de son intervention  ( Il vaut mieux respecter ce délai  ) et lorsqu'il va bien il est désormais pris par l'entreprise de notre fils...

A un moment donné, elle avait envisagé de venir vivre près de chez nous à la suite d'une sciatique qui l'avait inquiétée. Mais elle avait toujours peur de réaliser ces projets. Il aurait fallu le faire plus tôt, qu'elle ait le temps de se faire des amis. L'appartement était occupé par un locataire et après ma mère n'avait plus voulu. Elle ne souffrait presque plus de cette sciatique. Comment faire des projets avec une personne indécise ?
De plus, nous sommes toujours submergés d'occupations.
R. est toujours adjoint au maire, il écrit les articles locaux pour le journal la dépêche. Heureusement il a pratiquement abandonné la bibliothèque, le site du village qui ne tourne plus d'ailleurs et il n'écrit presque plus ses fascicules sur le passé et le patrimoine local.
Ma mère va bientôt donc peut-être venir vivre à B., elle ne se sent plus de rester absolument seule à 87 ans. Dans un premier temps nous allons lui aménager le petit appartement au centre et pas loin de chez G. Dans quelques mois... car nous avons un locataire. Il y a longtemps qu'on lui propose cet appartement, mais elle avait du mal à quitter son climat, son club et ses quelques amies. Elle vient seulement de se décider car elle est bloquée par cette sciatique mais le lendemain elle n'est plus aussi volontaire ! Elle croit qu'elle va pouvoir venir du jour au lendemain, mais il faut faire plein de travaux à commencer par mettre une douche au lieu d'une baignoire, séparer l'immense salon en deux pour qu'elle ait une chambre... Après il faudra sans doute la prendre chez nous et j'avoue que cela me fait un peu peur. A B., elle aura des voisins un peu de son âge, l'ascenseur, c'est en plein centre donc avec tout : bibliothèque, magasins, église...Allons-nous trouver l'équivalent de son club ? Je ne sais pas. Mais nous pourrons la voir en allant faire des courses, aller la chercher pour le WE. Sa sciatique a guéri et elle n'a plus voulu. Le locataire reste et tout est à repenser !
Nous nous sommes souvent occupé de son jardin vers la fin de sa vie. Elle ne voulait pas payer un jardinier. J'arrachais quelques herbes, nous allions à la déchetterie. Je taillais les branches envahissantes ( cela m'a déclaré une maladie de Dupuytren, grosseur dans la main ! ), mais c'est surtout mon mari qui faisait le plus gros du travail.
 
- As tu passé un bon séjour à Marseille chez ta mère ? C'est vrai que la solitude chez les personnes très âgées les rend moins sociables et facilement irritables, j'imagine aussi toutes les misères subies jour après jour et je ne te cache pas que cela me fait peur quand j'y pense, peur parce que notre tour viendra tôt ou tard mais ainsi est faite la vie et profitons à fond du bon temps qu'il nous reste !

Maintenant, elle n'accepte même plus de venir, sauf si je vais la chercher à Marseille. Et ça m'embête. Je comprends qu'elle est âgée, mais elle me faisait tout de même un peu de chantage à un certain moment car je sais que dans le même temps elle voyageait encore avec son club et elle a accepté d'aller en croisière. Ce qui lui a d'ailleurs coûté cher. C'est elle la première qui nous a reparlé d'une croisière. Nous en avions fait une ensemble il y a quelques années. Mais elle était plus jeune, plus alerte. Nous n'avons pas osé nous opposer à sa participation à cette croisière. Mon mari refusait de l'inscrire aux sorties. Têtue, elle prétendait y arriver. Or, elle ne marche plus qu'en traînant les pieds. Nous avions amené des enfants, des petits enfants. Nous étions 9. Le premier jour, il y a eu une tempête. Le roulis l'a déstabilisée et elle s'est cassé les côtes contre la table de nuit. Eh bien maintenant, elle dit qu'elle n'était venue que pour nous faire plaisir. Façon de me culpabiliser ?

- Comment s'est passée votre croisière en famille ? Les enfants ont-ils apprécié ?
Tatie R.M. s'est blessée à une jambe au retour de la croisière d'après ce que me dit Maman, et vous l'avez prise avec vous à G.. Pourrais-tu nous envoyer de ses nouvelles ? Maman s'inquiète pour sa sœur, car elle n'arrive pas à vous joindre par téléphone
.

     
- Merci de prendre des nouvelles. En fait cela s'est mal passé pour maman. Le premier soir il y avait un fort mistral de 120 km heure et donc une assez violente tempête. Au repas, elle a eu le mal de mer et S., le mari de C. l'a raccompagnée à sa cabine. Nous n'étions pas au même étage.
Dans la nuit, au lieu de rester au lit avec une protection, elle a voulu aller aux toilettes et la houle l'a fortement bousculée, elle s'est cassé les côtes contre la table de nuit, avec épanchement dans la plèvre. Elle a été conduite à une clinique de Barcelone où elle est restée jusqu'au 4. Je l'ai fait rapatrier chez nous après la croisière. Malheureusement pour elle, cela a été le seul jour mauvais. La croisière a été très agréable, il y a eu un vent assez violent le dernier jour au retour sur Marseille mais pas aussi violent et il n'y a pas eu d'autre accident. Nous sommes restés avec elle R. et moi, à la clinique, le jour de l'accident, le plus longtemps possible. Puis j'ai poursuivi le voyage. Nous avions deux des petits dans notre cabine dont celui de Guillaume en entière responsabilité.

Nous l'avons depuis à la maison. Maintenant, elle souffre encore beaucoup; les côtes, c'est très douloureux, mais je la pousse à se débrouiller de plus en plus et à marcher, car sinon, elle ferait une phlébite. Ses jambes ont tendance à enfler.
Elle va rester à G. jusqu'aux fêtes, au moins. Peu à peu, elle commence à aller mieux...
Nous avons un autre voyage prévu. Pendant cette période, elle devait aller chez I., mais elle ne veut pas rester seule la journée et I. travaille. Nous allons donc la confier à une personne, une voisine agréée, qui a déjà 3 personnes âgées, pour la durée de notre voyage et I., mais aussi mon beau-frère et ma belle-sœur, passeront la voir.
- Je l'ai laissée en clinique à Barcelone. Je n'ai pas abandonné la croisière. J'avais mon petit fils en responsabilité. Ma fille aînée et sa famille. Le voyage était payé. Lorsqu'elle a été rapatriée, nous l'avons reçue à la maison.
-  Nous avons levé mamie. Merci pour la chaise, elle sert déjà pour son repas.  J'ai mis mamie devant la télé cela lui rendra un peu le moral. Mais elle s'ennuie chez nous. Elle a sa douche, sa chambre, la télévision à volonté ( qu'elle met à fond ). Elle pourrait vivre avec nous, elle verrait ses petits enfants, ses arrière-petits enfants. Eh bien non. Chez nous, dans une famille de 15 personnes proches... elle est seule, elle ne voit personne dit-elle. Il est vrai qu'elle est sourde, qu'elle refuse les prothèses auditives, et que chez nous, nous ne crions pas comme à Marseille, nous parlons.
Et maintenant, elle me demande quand est-ce que je viendrai à Marseille = une journée de voyage ! pour l'amener chez le dentiste !

- J'ai bien vu que garder Mamie pendant notre voyage t'angoissait...De plus, elle a peur de rester seule toute la journée... Bref, nous sommes en train de faire des démarches pour la laisser chez Mme L.. Je pense que cela va se faire pour une vingtaine de jours.
Le rendez-vous pour la radio, c'est Mercredi. Il faudra t'annoncer à Mme L. la veille, aller chercher Mamie et J.. J. est au courant. Elle rentrera avec Mamie pendant que tu iras te garer avec B.. Tu les déposes devant. Je suis désolée pour la sieste de B.. Peut-être le matin et en fin d'après-midi?  
- Ne t'inquiète pas pour Mamie, tu n'as pas à l'inviter. Papa dit n'importe quoi. Ses repas sont payés et la maison serait froide. Par contre tu peux lui téléphoner ou aller la voir quand cela t'arrange.
- Pour mamie, c'est ok, je l'ai eue hier. Tout va bien. Elle a toujours très mal mais ça va. Elle a essayé d'utiliser le téléphone portable pour appeler quelqu'un mais n'a pas réussi. J'avais essayé de l'appeler deux fois en fin de semaine, mais elle ne répondait pas. Du coup, elle a dit à P. que personne ne l'appelait. Bon, enfin, je l'ai eue hier quand même... Je n'ai pas osé utiliser le N° fixe....
- Impossible de joindre Mamie ( téléphone éteint ? elle ne veut pas décrocher ?) et quand je fais le fixe, personne... P. passe la voir régulièrement ( tous les 2 jours), il y revient demain et moi je passe mercredi. Elle exagère de dire qu'on l'a abandonnée...
-   Merci pour les nouvelles. Elle est manifestement en train de déprimer...d'autant qu'elle a encore du liquide dans les poumons.

- Elle a toujours du mal avec le portable que vous lui avez prêté. De plus, elle le laisse souvent débranché. Le froid arrive ce qui n'arrange rien !

 
- Comment ça va ? Apparemment mamie a des problèmes avec le portable, tout simplement. Elle dit que vous ne l'appelez pas, mais sans doute qu'elle ne le branche pas régulièrement ou mal ou qu'elle n'entend pas toujours la sonnerie si elle sommeille.
- Il faut expliquer de nouveau à Mamie pour le téléphone; il faut savoir aussi qu elle doit mettre du temps pour répondre ou qu elle fait la sieste ou se couche tôt. P. et J. sont sympas d'aller si souvent la voir.
- Mamie s'est plainte tout hier matin d'avoir mal. Mme L. m'a demandé d'aller voir avec elle le médecin. Après la radio, on s'est donc arrêté au cabinet : au niveau cardiaque, c'est mieux, les jambes sont moins gonflées. L'hématome du côté droit est mieux mais encore impressionnant. T. lui a enlevé le point qu'ils avaient fait en Espagne. Par contre, elle a toujours de l'eau dans les poumons. Moins, mais suffisamment pour qu'elle ait encore du mal à respirer. T. voulait l'envoyer de suite à la clinique mais le spécialiste a préféré la voir d'abord. Résultat Rendez-vous avec moi, ce matin à 10h15. J'ai donc supplié J. et P. de l'amener ( je ne pouvais pas encore manquer l'école !! ). Ils n'étaient pas très "chauds". Ils doivent m'appeler à 12h pour me dire si le traitement se poursuit " à la maison " ou s'il faut l'hospitaliser.
- Mamie est rentrée chez Mme L., elle n'a pas besoin d'être hospitalisée. Il reste très peu d'eau dans ses poumons; Des piqures comme l'autre fois devraient suffire. Mais elle est très fatiguée par les voyages et les Rendez-vous. Il faut qu'elle se repose. Tension OK. Il lui a prescrit un antidouleur ( style doliprane...).

Mamie va a l'hôpital demain se faire enlever l'eau dans les poumons suite à la radio d'aujourd'hui Pierrot et Jeannette l'emmènent demain.

-  Hier, nous sommes allés voir Mamie, elle avait mal dormi, mais elle avait l'air d'aller. Elle respire mieux. Elle compte les jours de votre retour, il lui tarde de revenir à la maison, en famille. Mme L. vous fait dire de ne pas débarquer pour dire " on part avec elle " sans l'avoir prévenue la veille, au moins...

 
- Mamie compte les jours de votre retour elle va bien.
   
- Nous irons chercher Mamie le Samedi entre 17 h et 18 h. Peux-tu le  dire  à Mme L. s'il te plaît ? Nous, nous serons dans l'avion et que cela lui plaise ou non, nous débarquerons chez elle !!! Mais essaie de lui téléphoner...Retour aléatoire bien sûr !!! Le train arrive vers 16 h, dans un autre message tu auras l'heure exacte.
- Ma mère est toujours chez nous et va un peu mieux. Nous la ramènerons sans doute à Marseille après les fêtes..
 
Ma mère est décédée et sa mort m'a marquée plus que je ne le pensais. Je me sentais sans raison coupable. On pense toujours que ce n'est pas le dernier moment. Et je me suis brusquement retrouvée à la place de l'ancêtre...
Ma tante commence à perdre ses idées.

Ainsi la vie continuait paisiblement et un an après ma naissance, un troisième enfant venait agrandir la famille et la combler de bonheur. Ce fut un garçon appelé Jean. Mais la joie fut de courte durée. Ce petit garçon tant désiré décéda quelques semaines après sa naissance des fièvres du paludisme.Je pense que ce fut un drame, surtout pour notre mère. Mais le malheur ne s'arrêta pas là.

En effet, en 1925, ce fut le tour de notre père. A l'âge de 27 ans, il mourut du tétanos. Pour notre mère, tout s'écroulait. Elle dut emballer toutes nos affaires, laissant son mari enterré aux Comores où il avait été appelé en mission. Elle partit avec ses deux enfants jeunes pour le très long retour vers la France.


 

Chapitre 2


Nous sommes venues vivre chez les grands parents. Ils étaient déjà trois dans la maison : grand-mère, grand-père et la sœur de la grand-mère appelée Marraine car elle était la marraine de M.. Quant à moi, j'aurais dû être tenue sur les fonds baptismaux par la sœur de notre père, Laurence, d'où mon deuxième prénom. Mais comme elle habitait l'île de la Réunion, elle n'a pas pu venir. J'ignore qui m'a tenue lors du baptême.

En réalité ma mère a bien été baptisée à l'île de la Réunion


Alors, faute de marraine, j'ai adopté celle de ma sœur, mais elle aussi faisait des différences entre nous deux.

Nous vivions pauvrement dans la petite maison des grands parents. Il n'y avait même pas de toilettes et nous devions aller pour nos besoins au fond du jardin où était aménagé un cabinet en planches, l'hiver, c'était dur de sortir en se levant.

J'avais un lit métallique pliant comme les enfants, installé au pied du lit des grands-parents, la marraine dormait sur un divan dans la salle à manger et M. avec notre mère dans une petite chambre.
Je dormais avec un chat abandonné sans que personne s'en aperçoive, j'ai toujours aimé les chats, c'étaient mes meilleurs amis..


Dès notre arrivée à Marseille nous sommes allées à l'école paroissiale, je n'avais que deux ans, notre mère avait pu reprendre son travail au Fort St Jean.
Le jeudi, n'ayant pas classe, nous allions au patronage, la religieuse qui était très âgée mais très gentille était aidée par une demoiselle âgée qui s'occupait de nous, ce qu'elle avait déjà fait du temps de notre mère.
Avec le patronage, nous étions allées deux fois en colonie de vacances, tout d'abord en Haute Loire où nous avions visité Notre Dame du Puy, nous étions allées jusque sur la couronne en montant par un escalier intérieur d'où nous avions une vue magnifique.
Une autre année, nous étions allées à Lourdes et nous avions dit à la religieuse que nous avions vu notre curé avec la directrice de l'école. Elle n'arrivait pas à nous faire taire.

Un soir, nous sommes allées taper à la porte de sa chambre pour lui dire qu'une copine était malade, nous voulions simplement la voir tête nue sans sa cornette, mais elle avait un bonnet, elle n'était pas contente du tout.

Plus tard à Marseille, nous étions allées rendre visite au patronage des Chartreux, quartier près de chez nous, devant la porte de l'hôtel était marqué sur le tapis " caressez le paillasson "? Nous nous sommes penchées pour le caresser avec la main. Soeur Henriette ne savait plus où donner de la tête: Mesdemoiselles, voyons, un peu de tenue ! "

Nous avions fait la connaissance d'une fillette miraculée.

Un photographe, choisi par les autorités a fait installer tous les patronages de Marseille sur les marches de la basilique pour faire une photo d'ensemble, à un moment, il a crié : " il y a un drapeau tenu trop haut qui gêne".
C'était le nôtre qui avait pour devise inscrite : " toujours plus haut "; nous en avions un autre : " Un cœur d'or dans une âme blanche " représenté par une marguerite, quant à la première devise, elle était symbolisée par  une étoile dorée au bord d'un béret rose.

Notre tenue comprenait une jupe marron avec quelques plis sur le côté, un chemisier rose et une cravate rose.
Mais pour les processions à Lourdes nous étions habillées en blanc avec le voile de la première communion soutenu sur la tête par le béret rose.
Les pèlerins qui nous croisaient nous demandaient d'où nous venions et nous félicitaient en disant, quand vous défilez, on dirait un parterre de roses. Les anglaises avaient un voile bleu en toile, aucun n'avait le même ton, ce n'était pas très joli.

Nous avons grandi normalement, avec pour consigne de faire du rangement le jeudi, une dame venait laver le linge au lavoir, pas de machine en ce temps-là.

Le Samedi, notre mère ne travaillant pas, on faisait toutes les trois les tâches ménagères que la grand-mère ne pouvait faire, elle se contentait d'aller faire les courses et de préparer le repas 
C'était déjà bien pour son état de santé. Je l'ai toujours connue vieille avec le do voûté.

Un jour, en revenant des courses, elle ne reconnaissait pas son chemin et elle parlait à haute voix dans la rue : " Mais mount et sian " ( Mais où suis-je ? "? C'est un voisin aveugle qui lui a dit : " Mémé vous êtes sur le bon chemin".

Par contre, le grand-père qui avait 4 ans de moins qu'elle, ne voulait pas qu'on l'appelle grand-père, ce qu'on ne manquait pas de faire quand en allant à l'école on l'apercevait sur un chantier. De sa main il nous faisait signe que nous allions recevoir une fessée. Fessée qu'il ne donnait jamais. Il était si gentil. Il voulait qu'on l'appelle parrain car il avait tenu ma sœur sur les fonds baptismaux. Mais quand on est jeune, on est si taquin !

La vie se déroulait simplement. Quand M. a eu 6 ans, nous sommes allées à l'école communale. J'y ai eu droit moi aussi à condition que ma soeur s'occupe de moi. Elle a tellement pris son rôle au sérieux que cela a continué tout au long de ma vie.

Un jour que nous étions allées en excursion avec la patronage et que nous avions chacune un sac à dos elle a ainsi voulu commander.

Dans son sac se trouvaient  les aliments qui étaient toujours : pigeons et petits pois du jardins, dans le mien la gourde pleine d'eau avec les gobelets. Nous étions assises à terre, ma sœur avec ses copines de classe et moi avec les miennes. Quand je suis allée vers elle pour obtenir ma ration, elle m'a répondu : " Tu n'as qu'à rester avec moi. " Comme je n'étais pas contente du tout, je lui ai répondu : " Et bien, tu ne boiras pas " !

On se chamaillait souvent, notre mère n'avait d'yeux que pour elle, soi disant qu'elle travaillait bien à l'école. Il est vrai que je ne faisais pas beaucoup d'efforts. Mais ma famille, au de m'encourager ne faisait que me répéter : " Tu vendras des citrons ".

Enfin, notre mère avait décidé de me faire donner des leçons par la fille d'un couple ami de la marraine qui habitait en ville. Donc le jeudi j'allais chez Denise T.i. Ce qui me faisait le plus plaisir, c'était le petit déjeuner qu'elle me servait avant de me mettre au travail. C'étaient toujours de gros sandwiches, avec de la confiture ou de la charcuterie.

Le Dimanche nous allions souvent au théâtre. Ma première comédie fut Faust. Quand le diable a fait son apparition sur scène, il paraît que j'ai crié.
Plus tard lorsqu'on a joué pour la première fois Rose-Marie nous y étions allées et j'avais eu droit à une entrée gratuite, d'après le journal local, à cause de mon prénom.
J'avais environ 9 ans, quand le grand-père de la Réunion mourut, quelques temps avant, il nous avait envoyé des pochettes brodées pour notre première communion et une somme importante à notre mère pour subvenir à notre éducation, mais elle en a profité pour acheter une maison plus grande. J'(avais
désormais une chambre, ce fut un bonheur. Bien qu'on ne le connaissait pas notre mère a tenu à nous faire porter le deuil.
Au patronage, on devait fêter les cinquante années de service de M
elle Vinclair, la personne qui aidait la religieuse. Colmme elle avait gardé avant nous notre mère lorsqu'elle était enfant et qu'elle allait au patronage, j'ai été choisie pour lui faire un discours . Toutes les filles qui avaient participé à la fête avaient droit à une brioche qui pourtant m'avait été refusée.Je suis allée voir ma mère en pleurant, celle-ci est à son tour allé voir Melle Vinclair. Cette personne m'avait accompagnée au bureau de la religieuse, avait demandé aux grandes laquelle avait refusé la brioche à Rosette ( c'est ainsi qu'on m'appelait lorsque j'étais jeune ). Elle avait même ajouté " alors que c'est elle qui m'a fait un si beau discours ! ".

- On croyait que c'était Rosette Costa
C'était la sœur de la pianiste ! Comme quoi la popularité avait son importance !
- Mais non, pas du tout.

Enfin j'ai eu ma brioche. C'est qu'à la maison, on n'en mangeait jamais !

La grand-mère cultivait le jardin, il n'y avait pas un centimètre libre
sur le terrain, ce qui nous permettait de vivre des produits récoltés. Nous profitions aussi du poulailler. A Noël on mangeait l'oie que je nourrissais. mais quand la grand-mère lui coupait le cou et qu'elle partait en courant sans tête, j'étais dans tous mes états.
Notre mère avait fini par faire la connaissance d'un homme marié. Quand par hasard il écrivait, la grand- mère subtilisait les lettres et si elle s'apercevait que nous lui écrivions, elle nous prenait les lettres et les déchirait.
Une seule fois nous étions allées dans le Var en vacances et nous avions retrouvé à l'hôtel de monsieur. Un jour, j'avais arraché des mains de ma sœur un petit matelot en carton pour l'envoyer dans la rivière qui passait sous nos fenêtres. J'ai reçu une gifle de Paul. Tel était son prénom.
J'avais une telle colère que je lui ai crié " Vous n'avez pas le droit de me frapper, vous n'êtes pas mon père. Je crois que j'avais jeté un froid qui s'est terminé par une séparation. Je n'ai jamais su ce qu'en pensait ma sœur.

Pendant ce temps nous poursuivions nos études. Je ne me plaisais pas à l'école communale où j'ai usé mes culottes de la maternelle au certificat d'études que je n'ai pas obtenu la première fois. A mon grand regret il a fallu que je redouble.

Aussi quand je venais me faire inscrire à chaque rentrée, la maîtresse ne manquait pas de me dire " Oh, toi, je te connais ".
J'avais pris en horreur cette école. Chaque fis que je toussais (
et j'étais sujette à la toux ! ), la maîtresse me donnait un mot pour que les parents me gardent à la maison. Ce qui n'arrangeait rien. Il y avait aussi la fille de la maîtresse dans notre classe qui était une vraie chipie. Dans la cour, si on jouait à Colin Maillard ( jeu qui consiste à déposer un mouchoir derrière une élève, laquelle doit le changer de place ), elle n'a jamais voulu se mettre à côté de moi.
Pensez, une élève qui portait des chaussures accordées par la mairie, en tant qu'orpheline ! En classe, j'étais en train d'écrire, pendant que sa mère nous faisait faire une dictée, mademoiselle se promenait.Elle m'avait donné un coup de coude et j'avais dérapé sur mon cahier...

Par contre la directrice qui vivait avec sa nièce, laquelle avait deux filles, était très généreuse. Elle me faisait essayer les vêtements qui n'allaient plus à ses nièces, dans le hall en toute discrétion.
Un jour, en revenant de l'école nous avions trouvé la grand-mère en pleurs. Elle avait ramassé notre chien qui venait de se faire écraser par une voiture. Nous étions tous désolés. Rip était si gentil.
Comme j'avais  enfin obtenu mon CEP, notre mère avait décidé de m'envoyer faire une année de cours supérieur dans un quartier proche de celui où nous habitions. Pensez un peu, je n'étais pas capable d'aller en ville, moi, la simplette !

Après le certificat d'études je suis donc allée dans cette école de Beaumont, banlieue proche de la nôtre pour poursuivre une année de cours supérieur. Le jour de la rentrée, alors que la directrice faisait l'appel, elle s'arrêta à mon nom et leva la tête :
- " Ah, c'est votre mère qui s'était mariée avec un noir ( elle avait connu notre grand-mère ).
- Non, madame, mon père n'était pas noir. Sa famille était issue de la Réunion, un département français !
- Peu importe, cela saute parfois plusieurs générations et vous risquez d'avoir des enfants noirs... "

Quelle tête de mule cette directrice ! Quand on débute une année scolaire, dans une nouvelle école, de cette façon, cela vous refroidit.

Enfin, en ce qui concerne mes études, je ne suis pas allée jusqu'au BAC comme ma soeur qui finalement ne l'a pas réussi. Ce qui ne lui a servi à rien. Moi, j'ai toujours été reçue dans tous les examens que j'ai présentés dans l'enseignement supérieur. ( hormis le certificat d'études primaires que j'ai dû repasser...) que ce soitau cours supérieur, au cours complémentaire et pratique. Ce qui m'a bien servi dans la vie.

Aussi quand je venais me faire inscrire à chaque rentrée, la maîtresse ne manquait pas de me dire " Oh, toi, je te connais ".
J'avais pris en horreur cette école. Chaque fis que je toussais (
et j'étais sujette à la toux ! ), la maîtresse me donnait un mot pour que les parents me gardent à la maison. Ce qui n'arrangeait rien. Il y avait aussi la fille de la maîtresse dans notre classe qui était une vraie chipie. Dans la cour, si on jouait à Colin Maillard ( jeu qui consiste à déposer un mouchoir derrière une élève, laquelle doit le changer de place ), elle n'a jamais voulu se mettre à côté de moi.
Pensez, une élève qui portait des chaussures accordées par la mairie, en tant qu'orpheline ! En classe, j'étais en train d'écrire, pendant que sa mère nous faisait faire une dictée, mademoiselle se promenait.Elle m'avait donné un coup de coude et j'avais dérapé sur mon cahier.
Par contre la directrice qui vivait avec sa nièce, laquelle avait deux filles, était très généreuse. Elle me faisait essayer les vêtements qui n'allaient plus à ses nièces, dans le hall en toute discrétion.
Un jour, en revenant de l'école nous avions trouvé la grand-mère en pleurs. Elle avait ramassé notre chien qui venait de se faire écraser par une voiture. Nous étions tous désolés. Rip était si gentil.
Comme j'avais  enfin obtenu mon CEP, notre mère avait décidé de m'envoyer faire une année de cours supérieur dans un quartier proche de celui où nous habitions. Pensez un peu, je n'étais pas capable d'aller en ville, moi, la simplette !

Après le certificat d'études je suis donc allée dans cette école de Beaumont, banlieue proche de la nôtre pour poursuivre une année de cours supérieur. Le jour de la rentrée, alors que la directrice faisait l'appel, elle s'arrêta à mon nom et leva la tête :
- " Ah, c'est votre mère qui s'était mariée avec un noir ( elle avait connu notre grand-mère ).
- Non, madame, mon père n'était pas noir. Sa famille était issue de la Réunion, un département français !
- Peu importe, cela saute parfois plusieurs générations et vous risquez d'avoir des enfants noirs... "

Quelle tête de mule cette directrice ! Quand on débute une année scolaire, dans une nouvelle école, de cette façon, cela vous refroidit.

Enfin, en ce qui concerne mes études, je ne suis pas allée jusqu'au BAC comme ma soeur qui finalement ne l'a pas réussi. Ce qui ne lui a servi à rien. Moi, j'ai toujours été reçue dans tous les examens que j'ai présentés dans l'enseignement supérieur. ( hormis le certificat d'études primaires que j'ai dû repasser...) que ce soit au cours supérieur, au cours complémentaire et pratique. Ce qui m'a bien servi dans la vie.
Après cette année ayant réussi l'examen, j'ai fini par aller en ville pour passer un concours dans une école où suivant le classement par note on était réparties dans des classes : commerce, couture, corsets, j'avais réussi dans la catrégorie des corsets et comme la mode s'atténuait peu à peu, notre mère avait choisi les cours complémentaires où tout était au programme : études générales, sténo, dactylo, couture et pendant le récréation,
au lieu de nous reposer, celles qui savaient tricoter faisaient des cache-nez, des gants, des bonnets, des cagoules pour les soldats qui étaient au front. Quand on pouvait, avec les moyens de bord, on leur faisait un colis avec quelques friandises. C'était une période très dure.
Ma mère qui était très gourmande et souffrait de la faim allait derrière la gare où stationnaient des gitans et achetait des friandises faites avec n'importe quoi, ce qui lui a valu un urticaire géant, dans la nuit.
Le grand-père avait dû descendre à la cave pour prendre une scie à métaux pour lui couper son alliance, tant les doigts gonflaient. Son visage gonflait également.
Elle était méconnaissable et cela a duré plusieurs années.
Quant aux excursions faites en famille, c'était toujours avec une amie d'enfance de notre mère, dont la fille était aussi notre amie.
Mais je n'ai pas toujours participé à ces sorties, soi-disant que j'étais trop grosse. Il aurait pourtant fallu que je marche pour perdre du poids.
Alors quand on n'était pas décidé de s'encombrer d'une " boule de gomme " , tel était le surnom que les gars du quartier m'avaient donné, on me confiait à la fille de Mme Père, la dame qui nous lavait le linge et nous allions goûter à Bois Luzy tout près de chez nous, où il n'y avait que des bois, pas encore d'habitations. Un grand portail évitait la circulation des voitures mais permettait aux habitants d'alentour de pouvoir se promener.

Il y avait un château qui existe toujours transformé par la suite en auberge de jeunesse. Un pont menait au château. On disait que sur les côtés se cachait un groupe de bandits. On avait peur d'y aller seule.
Après mes deux années d'études au cours complémentaire, j'ai fait une année dans une école privée : " la Ruche " pour parfaire mes études
commerciales : études générales, sténo, dactylo, calligraphie et le samedi il y avait un échange de cours entre celle qui avaient choisi couture et celles qui avaient choisi commerce.

Après sa mort, j'ai trouvé des livres où elle exprimait ses désirs pour son enterrement. J'ai pu rajouter son chapelet et son missel à l'extérieur du cercueil.
Mais les prières, bien que je ne sois plus croyante, je les lis écris :

Lecture du livre de Job

Job prit la parole et dit :
 " Je voudrais qu'on écrive ce que je vais dire, que mes paroles soient gravées sur le bronze avec le ciseau de fer et le poinçon, qu'elles soient sculptées dans le roc pour toujpours : Je sais, moi,  que mon libérateur est vivant, et qu'à la fin il se dressera sur la poussière des morts, avec mon corps, je me teindrai debout et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. Moi-même, je le verrai, et, quand mes yeux le regarderont, il ne se détournera pas.

Lecture du livre d'Isaïe

Le jour viendra où le seigneur Dieu de l'univers, préparera pour tous les peuples un festin sur sa montagne. il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples et le linceul qui couvrait toutes les nations. il détruira la mort pour toujours. Le seigneur essuiera les larmes de tous les visages,  et par toute la terre il effacera l'humiliation de son peuple; c'est lui qui l'a promis.
Et ce jour-là on dira: " Voici notre Dieu,  en lui nous espérions, et il nous a sauvés, c'est lui le seigneur, en lui nous espérions; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! "

Lecture du livre du livre de la sagesse ( son préféré apparemment )

Dieu a créé l'homme pour une exitence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu'il est en lui-même. la vie des justes est dans la minn de Dieu, aucun tourment n'as de prise sur eux. Celui qui ne réfléchit pas s'est imaginé qu'ils étaient morts; leur départ de ce monde a passé pour un malheur; quand ils nous ont quittés, on les croyait anéantis, alos qu'ils sont dans la paix. Aux yeux des hommes ils subissaient un châtiment, mais par leur espérance ils avaient déjà l'immortalité. ce qu'ils ont eu à souffrir était peu de chose auprès du bonheur dont ils seront comblés, car Dieu les a mis à l'épreuve et les a reconnus dignes de lui. Comme on passe l'or au feu du creuset, il a éprouvé leur valeur; comme un sacrfgice offert sans réserve, il les a accueillis. Ceux qui mettent leur confiance dans la seigneur apprendront la vérité; ceux qui sont fidèles resteront avec lui dans son amour, car il accorde à ses élus grâce et miséricorde.

Lecture de la première lettre de St Jean

Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour vient de Dieu. Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu, et ils connaissent Dieu, Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour. Voici comment Dieu a manifesté son amour parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. Voici à quoi se reconnaît l'amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son fils qui est la victime offerte pour nos péchés.

Èvangile de Jésus Christ selon St Jean


Lazare, l'ami de Jésus, était mort depuis 4 jours. Dès que Marie, sa soeur, vit Jésus, elle se jeta à ses pieds et lui dit : " Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. " Quand il vit qu'elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus fut bouleversé d'une émotion profonde. Il demanda : " Où l'avez-vous déposé ? " Ils lui répondirent: " Viens voir Seigneur. " Alors Jésus pleura. les Juifs se dirent : " Voyez comme il l'aimait ! " Mais certains d'entre eux disaient : " Lui qui a ouverty les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? "

Jésus, repris par l'émotion, arriva au tombeau. C'était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : " Enlevez la pierre. "
Marthe la soeur du mort, lui dit : " Ne te l'ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ". On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : " Père, je te rends grâce parce que tu m'as exaucé. Je savais bien, moi, que tu m'exauces toujours, mais si j'ai parlé, c'est pour cette foule qui est eutour de moi, afin qu'ils croient que tu m'as envoyé. " Après cela, il cria d'une voix forte : " Lazare, viens dehors ! ". Et le mort sortit, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : " Déliez-le, et laissez-le aller. " Les nombreux Juifs qui étaient venus entourer Marie et avaient donc vu ce que faisait Jésus, crurent en lui.

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Les croyances auxquelles ma mère tenait

Je n'ai jamais su vraiment pleurer. Pourquoi suis-je devenue si dure ? Ai-je eu trop de problèmes personnels ou bien assez de sagesse pour savoir que pleurer est inutile... J'entrevois l'allée du cimetière, l'allée du cèdre, le caveau, quelques membres de la famille... Pas de larmes, pourtant son image me revient souvent, tantôt douce, tantôt.
C'est maintenant que ma mère est morte que je pense que sans doute elle m'aimait à sa façon. Nous n'avons pas partagé grand-chose car le désir de me confier à elle était mort avant mes dix ans lorsque je vivais chez ma tante. Alors m'aimait-elle ? Mon père m'aimait-il ? Mes parents ont eu la patience de me payer des études. Un jour ma fille avait poussé un cri  : " maman ! " devant ma mère et elle s'est brusquement levée, elle semblait soudain angoissée. Lorsque j'ai eu un cancer, mon père a enfin daignée venir me voir chez moi ...
Trop de choses nous avaient éloignés mes parents et moi : Mon éducation chez la sœur de ma mère. Mes 8 années au Maroc. Ma vie à plus de 600 km de chez eux. Mais à la fin de leur vie ils m'avaient parus si vieux  et si fragiles. J'avais réalisé que la séparation serait pour bientôt. Au fond de moi je savais qu'il était temps de pardonner, de comprendre. Mais je n'arrivais pas à tendre la main, à faire le premier pas. Mon père en plus comme toujours s'est montré jusqu'au dernier moment, parfois odieux. Pour lui je n'étais qu'une garce d'être partie si loin d'eux. Et pour tant son dernier regard était suppliant. Ma mère se démenait pour justifier tous ses actes même en écrivant et elle déformait à sa façon la réalité. C'est maintenant que j'essayais de penser à eux différemment, maintenant que c'était trop tard, que nous n'avions jamais pu tant qu'ils étaient en vie, contourner les murs que chacun avait dressés.
Qui était ma mère ? Était-elle égoïste, un peu trop simple pour approfondir, était-elle aigrie ? Des images se brouillent dans ma tête. Je la vois encore hacher son persil, ses oignons sur une planche. Elle était travailleuse... 
Ma mère est morte le 11 Avril 2013 à minuit juste passé. Elle ne s'est pas suicidée; mais, manifestement elle était décidée à se laisser aller car elle n'avait plus envie de vivre, de gêner... elle est morte, comme mon père, en me laissant le poids d'un regret, d'un malaise.  Elle est morte sans se débattre pour survivre... Je savais qu'elle venait chez nous très réticente parce qu'elle s'y ennuyait. Mais c'est le seul endroit où nous pouvions la recevoir, loin de son milieu, loin de sa ville, loin de son climat, loin de ses amies.
La nostalgie, de plus, consume et anéantit, c'est le vice des déracinés et elle le savait. Savoir qu'elle ne parcourrait plus les rues de sa ville, n'entendrait plus l'accent caractéristique de Marseille, qu'elle ne contemplerait plus les collines et le clocher de Mont. qui se détachait à l'horizon de sa fenêtre de cuisine, qu'elle ne respirerait plus les parfums de fenouil, de thym et de lavande de son jardin et surtout qu'elle perdait, ses chats vagabonds qui miaulaient à sa porte en quête de nourriture et d'abri...Tout cela l'a anéantie, tout simplement.
De même je revois les yeux verts de mon père recouverts par la pellicule de l'âge comme de nuages et qui me suppliaient pour la première fois. Avait-il deviné que nous ne nous reverrions plus ? Ai-je agi comme je le devais ? Il était si égoïste, si exigeant.. Et soudain ce dernier regard suppliant. Ma mère, elle, était complexe, elle ne voulait pas vivre avec nous, elle ne voulait pas aller en maison de retraite, elle ne pouvait plus vivre seule. Que faire sinon la prendre avec nous tout de même ?

Pourquoi voulait-elle être en blanc et noir dans son cercueil ? C'est le seul souhait auquel je n'ai pas pu obéir car elle n'avait pas porté ces vêtements-là chez nous. Je l'ai préparée de façon à ce qu'elle fût bien présentée. Sa robe marron-rouge sombre me paraissait la plus correcte. A-t-elle choqué ? Je préfère d'ailleurs de beaucoup la robe que je lui ai mise à celle découverte plus tard à Marseille. De plus, ma mère avait insisté pour qu'on pense à lui maintenir les mâchoires à l'aide d'un foulard, du moins provisoirement. Souhait qui montrait manifestement qu'elle ne pensait plus qu'à cela.
Tout le monde n'est pas fait pour émigrer. Je sais maintenant que nous sommes attachés à notre lieu d'enfance par beaucoup de racines, à commencer par le climat, les habitudes, le langage...
L'intervention chirurgicale pour une pile qui devait seconder le cœur l'a fatiguée, le voyage l'a fatiguée, le médecin débordé n'est pas venu à son aide dès mon premier appel...
Certains jours je pense : " Maman " effaçant de ma mémoire les différents. Lorsque j'ai senti sa si petite tête dans mes mains, j'ai pensé " tu ne vas pas mourir " ! Et je lui ai crié: " que t'arrive-t-il ? ". J'ai senti le désarroi, la rage que tout se soit passé si vite, que je n'ai pas eu le temps de lui créer un intérieur qui lui rappelle sa maison... J'étais presque vexée comme si elle avait gagné, réussi à nous échapper, elle qui refusait de vivre chez nous, avec nous. Les derniers jours ont d'ailleurs été difficiles. J'ai dû jouer aux infirmières, la laver, changer souvent ses draps
. Elle était un peu râleuse aussi... Mais elle est morte si vite après son intervention, si vite après sa venue chez nous...
 Mais lorsque je me vois accusée par ses voisines, convoquée par le Procureur, lorsque je relis son journal, une certaine rancœur ressort.  Je suis furieuse que quoique morte, elle fût encore parvenue à me faire considérer comme coupable. Elle était tellement têtue, elle aimait critiquer  les membres de sa famille, mais refusait les critiques à son égard, elle était tellement sûre d'avoir raison que le moindre accrochage avec les autres était noté et qu'elle terminait sa phrase avec jubilation comme si de l'avoir écrite était une preuve contre les autres. Pourtant, si elle avait gardé la mémoire des événements passés ou plus récents, je suis certaine qu'il lui arrivait de mélanger les époques, les dates et peut-être même les personnes. Elle avait une mémoire sélective. Elle opérait des choix dans ses souvenirs. Elle retenait juste le fait qui l'avait mise en colère...
A sa maison les plantes ont tout envahi et les chats vagabonds qu'elle nourrissait s'en sont allés subrepticement comme ils étaient venus un jour, affamés. Le vent continue à s'acharner sur les feuilles de platanes des voisines, mais elle n'est plus là pour râler. La vieille maison assez grande cependant,  reste vieillotte, modeste, avide de coups de peinture et de réparations. C'est une vieille rhumatisante qui n'en peut plus par manques de soins. La nuit elle craque doucement au point que ma mère croyait entendre mon père qui venait la chercher.
Aujourd'hui la maison est comme neuve, bien restaurée et prête à accueillir des locataires et nous.

 
Ma mère s'est toujours attendu et mon père aussi au fait que sa fille devait se consacrer à elle dans ses vieux jours. Une fille n'est-elle mise au monde pour cela ? N'a-t-elle pas sa vie ? Elle voulait vivre à Marseille ? Je l'ai laissée à Marseille. Elle savait qu'elle pouvait venir chez nous quand elle voulait. Personnellement je n'avais pas une âme d'infirmière, de garde malade. Je consentais à la garder, à lui procurer du personnel pour l'aider, à lui donner une belle chambre, une belle salle de bain... Je n'avais aucun goût pour les travaux et les soins à un malade en fin de vie et d'un caractère assez exigeant : " Ton sol n'est pas assez lisse, il aurait mieux valu que tu me donnes des légumes plutôt qu'une omelette... ". Et pourtant, que d'heures ai-je passé à tricoter à côté d'elle, en silence. Nous n'avions pas grand chose à nous dire. La distance de nos maisons était égale à la distance de nos pensées...
Depuis la mort de mon père, elle parlait de lui  avec adoration, elle avait oublié jusqu'à ses souffrances à cause de lui. Elle parlait à son oratoire personnel. Des fois je me dis que la vieillesse lui avait un peu tourneboulé les méninges, les fois où sa solitude lui pesait et qu'elle s'inventait des présences autour d'elle. Elle entendait même mon père l'appeler disait-elle, toujours à la même heure.
Bref, ce dernier soir, elle était tombée du lit, elle était par terre, je lui ai tenu la tête. Qu'elle était petite dans ma main ! C'est le souvenir de cette petitesse qui m'a marquée et que j'invoque parfois. Elle a prononcé quelques mots. Ses yeux se sont révulsés et la vie l'a lâchée très vite, sans bruit....
Elle vivait avec la croyance en Dieu et l'idée que le prêtre est porteur de mystiques messages. Sa foi était inébranlable. Mon mari avait même envisagé de la mener à Rome pour lui faire plaisir. Mais sa santé ne nous en a pas laissé le temps. Elle vivait donc sous influence, non seulement des croyances, de la religion, mais encore de la fausse gentillesse ( parfois intéressée ) des unes et des autres.. Certaines personnes savent manier les personnes âgées, même les plus blindées ! Par conséquent, elle avait aussi l'esprit étroit ! En voyage en Russie, nous avions acheté une icône en bois, très chère pour la lui offrir. Elle a été scandalisée et a refusé cette
œuvre d'art d'une religion orthodoxe.
Les gens meurent du jour où on les oublie. Mes parents avaient une telle personnalité que je ne les oublierai pas !
Elle continuait à vivre avec son époque, ses convictions collées à la peau comme des vêtements humides. Elle vitupérait râlait parfois. Je n'aurais pas dû répliquer. Pourquoi en avoir honte ? C'est une leçon à tirer pour nos futures réactions face aux enfants. D'un autre côté elle aurait aimé rendre service : trier les haricots verts, coudre ou tricoter. Je sentais sa bonne volonté parfois même si ses offres étaient démodées.

Ma mère priait toujours St Antoine. Lorsqu'elle perdait quelque chose elle répétait : " St Antoine de Padoue, vous qui faites trouver tout, faites-moi trouver... "
Lorsque j'étais enfant, elle ne m'achetait jamais de pantalons, même par grands froids et jours de mistral. Elle exigeait que je mette ma robe sur le pantalon en hiver. Elle était d'avis qu'une fille en effets masculins était tout aussi grotesque qu'un gars en jupette... Où va se placer la morale ? Alors qu'aujourd'hui les adolescentes en jupe se font maltraiter dans les collèges...
Si elle a aimé mon père, je crois qu'elle n'a pas aimé l'amour. La pudeur, la religion... que sais-je encore la retenaient.
Et mon père se plaignait de ce fait. Elle aimait écrire et écouter de jolies phrases d'amour mais était réticente pour se laisser toucher.

J'ai retrouvé une lettre que je pense être une lettre d'amour de mon père pour ma mère. Je pense qu'à l'époque il était allé se reposer et se faire soigner après sa pleurésie attrapée sur les bateaux pendant la guerre. Poème très inspiré de la chanson " étoile des neiges " .
 

Dans un coin perdu de montagne
Un tout petit savoyard
Chante son amour dans le calme du soir
À sa bergère au doux regard
Étoile des neiges, sèche tes bons yeux
Le ciel protège les amoureux.
Je pars en voyage pour qu'à mon retour...
Alors il partit vers la ville
Sur les cheminées dans le vent et la pluie
Petit diable noir de suie
Étoile des neiges, sèche tes bons yeux
Le ciel protège les amoureux..
Ne perds pas courage, il te reviendra
Et te serrera bientôt entre ses bras

Et ma fiancée
Amie des clochettes et des troupeaux
Tes garçons d'honneur
Vont en cortège portant des fleurs...
Par un mariage
Finis mon histoire
D'une étoile des neiges
Et de son petit savoyard.

.
Ma mère est née à Madagascar et lorsqu'elle était enfant, elle avait droit à une native, une sorte de  " nounou " qui l'habillait, surveillait ses jeux et lui enseignait ce qu'elle savait elle-même, le malgache et les occupations des îles. Son frère était mort du paludisme et elle pense avoir aussi attrapé cette maladie  car il lui arrive encore d'avoir la fièvre sans véritable raison. Personnellement, je ne le pense pas. Le paludisme est assez ravageur, c'est une fièvre d'une rare violence qui tourmente de plus en plus avec le temps et ma mère n'est jamais été malade à en transpirer ou à s'aliter.
Ma mère avait une amie, une ancienne collègue devenue paralysée et qui vivait à l' Estaque. Lorsque nous allions la voir, il fallait faire un long trajet en bus et escalader la colline. Chez cette amie, la vue était extraordinaire. Elle passait ses journées sur un fauteuil face à la mer avec un livre, un ouvrage et ses jumelles. Elle levait les yeux de temps en temps pour regarder l'horizon lointain, les bateaux qui arrivaient.
Lorsque nous vivions au Maroc, mon mari et moi, nous n'avions pas besoin de télévision. Les programmes même en Français n'attiraient pas des jeunes ayant passé une enfance sans télévision. Mais nous en possédions une dans notre appartement du Cap d'Agde. Un jour mon mari eut l'idée de ne pas la laisser inactive et voulut la prêter à mes parents lors de notre retour au Maroc, à la fin des vacances. C'est donc nous qui les avons attirés vers ce conformisme. Plusieurs mois avec les programmes proposés ont suffi à les transformer en spectateurs absorbés, passifs et rivés à l'écran ! Ont-ils alors regardé tout ce qui passait pour rattraper le temps perdu ? Cela semble probable. Ils ont été acheter leur propre télévision le jour où nous avons repris la nôtre.
J'ai mis des années à pardonner certaines choses ( et encore par étapes ! ) qui finalement me semblent dérisoires aujourd'hui qu'ils sont morts. Le temps qui passe efface les mauvais souvenirs.
Quand j'allais à Marseille, des silences s'installaient. Je me sentais comme une étrangère et en plus mes idées s'étaient éloignées des leurs. Vous revoyez vos parents autrefois. En grandissant vous vous rendez compte que tout était déformé par les illusions de l'enfance à commencer par la vision que vous avez des choses et des gens. Le jardin vous paraît plus petit et vos parents plus vieux, plus vulnérables et pourtant toujours aussi têtus... Perception mouvante d'un enfant devenu adulte.
Ma mère a voulu que je lise son journal qu'elle a intitulé " Ma drôle de vie ". Elle l'a longtemps laissé sur un meuble les derniers temps ! J'en avais lu une partie lorsque j'étais jeune, en fouillant dans ses meubles ... Mais je savais que cette fois, elle parlerait de moi. J'ai attendu qu'elle me demande de le lire. Pourquoi l'a-t-elle fait alors qu'elle ne cherche même pas à endosser quelques torts, à comprendre la vie des autres, les pensées des autres?  Règlement de compte ? Dernière leçon de morale ??? Je suis encore sous le choc de cette lecture qui m'a un peu révoltée. Rien ne me paraît juste. Tout est interprété à travers aigreur, jalousie, fausses justifications, aveuglement. Moi aussi j'interprète bien sûr !
Les côtés positifs de ma mère ? : une grande volonté, son attention envers les animaux...

Journal de ma mère ( voir la page qui lui est consacrée )

( ses interprétations donc !)..

 Avec mes corrections   ( Ces dernières écrites en marron ) et mes propres interprétations ! ( en rouge )

Alternances avec mes corrections
 
 Et mes commentaires

" Je suis issue d'une famille modeste, ma grand-mère, que j'ai toujours connue âgée, était légèrement voûtée et avait quelques années de plus que son mari. Le grand-père, lui, était droit, costaud, avec un air franc. Il était maçon. Il y avait chez eux la sœur de la grand-mère qui s'était placée chez une dame riche, comme dame de compagnie ".
" Les grands-parents ont eu une fille unique qui avait fait des études commerciales. Elle a réussi comme dactylographe.
Selon moi elle était aussi commis de soutien à la gestion administrative ou un intermédiaire entre les deux ???
Par la suite, elle a été embauchée au Fort St Jean, une caserne tout près du port de Marseille qui abritait des soldats.
Notre mère avait fait la connaissance d'un soldat venu de Madagascar pour accomplir son service militaire.  Comme ils s'étaient plu, quelques temps après ma mère l'avait mené à la maison pour les présentations. Tout allait bien pour eux, sauf que les parents sentaient que leur fille unique allait les quitter et c'est en 1920 que le mariage a eu lieu à Marseille et qu'ils sont partis pour Madagascar.
 
Ma mère se dit issue " d'une famille modeste ". C'est vrai depuis que son père est mort et il est mort jeune  ( 27 ans à peu près ).  Mais il faut savoir qu'ils ont vécu sur les îles et qu'il avait un emploi de fonctionnaire, haut placé, dans l'administration des colonies. Il n'était pas comme elle prétend " administrateur ". Il faudrait que je consulte nos archives !!!
Voilà... c'est fait. Il est entré dans l'administration le 12 Octobre 1921, il était chargé du contentieux des impôts directs. Le 4 Juin 1925 il a été affecté à Mohéli ( Comores ) en qualité de chef de district. C'est pour cette raison qu'étant né à Madagascar, de parents nés à la Réunion, mais dont les ancêtres venaient de France, il est mort aux Comores.
Les parents de notre père étaient de l'île de la Réunion, mais ils s'étaient installés à Madagascar où ils tenaient un commerce de quincaillerie . Et c'est là qu'est né notre père.

"Je suis issue d'une famille modeste " : Tout de même, ma grand mère a dû avoir une correcte pension, bien qu'elle avait aux colonies abandonné son travail, vu la situation de son mari et la naissance de ses enfants; elle avait de plus dès son retour en France, repris son métier;  elle travaillait au ministère de l'armée, et vivait chez son père maçon, avec sa  mère et une tante, la sœur de son père, placée la journée comme " dame de compagnie chez une personne riche". Dans ce milieu, ma propre grand-mère était fille unique.  Elle avait fait des études pour être secrétaire commerciale.
C'est là qu'elle avait fait la connaissance d'un soldat venu de Madagascar. Ma mère prétend que c'est pour son " service militaire ", sa sœur affirme que c'est pour la guerre. On doit pouvoir trancher en fonction des dates. En effet ils se sont mariés en 1920. Il faudrait voir les archives en ligne de la Réunion. D'après son âge ( né en 1897 ) il a pu faire les derniers moments de la guerre. Sinon pourquoi serait-il venu à Marseille ?
Bref en lisant les archives que nous avons, je viens de vérifier qu'en réalité, mon grand-père a été appelé, durant la guerre, avec la " classe de 1917 " à laquelle il appartenait, pour aller tout d'abord sur le " front d'Orient, puis sur le front français : Alsace, Aisne ".

Il était venu à la fois pour son service militaire et pour la guerre. 


Pour en revenir à mes parents, ils menaient une vie de rêve, notre père ayant été nommé dans l'administration des colonies, gagnait bien sa vie et ma mère pouvait se permettre de rester à la maison...

Ses grands parents, dit ma mère, lorsque ma grand-mère a fait sa connaissance " étaient tristes car ils sentaient que leur fille unique allait les quitter ". Ma mère l'a-t-elle appris après coup ? Cela lui paraît-il logique ? ... Certainement...Ou bien pense-t-elle déjà à moi, sa propre fille; moi qui devais à mon tour partir loin de la maison, au Maroc, dans le Lot ensuite ? Que doit-on privilégier dans la vie ? Ses parents, sa propre vie, ses enfants ? Comme ma grand mère, j'ai fait un choix et je me suis tournée.

Le jeune couple de mes grands parents, une fois installé aux colonies a donc semble-t-il vécu  " une vie de rêve ". Bientôt leur première fille, la sœur de ma mère, ma tante, mais aussi ma marraine  est née à Marseille lors d'un séjour chez les grands parents. C'était lors d'un congé accordé au père par son administration.

En 1921, notre père a eu droit à un congé, ils sont venus à Marseille car ma mère était enceinte de ma sœur aînée, pour qu'elle puisse accoucher  chez les parents. Ils ont eu une fille prénommée M.

Après les vacances, ils sont retournés à Madagascar, notre mère continuait son rêve, une nounou s'occupait de M.

Vingt mois après la naissance de M. voilà que je faisais mon apparition sur terre à la grande déception de notre mère " encore une fille " prénommée R. M.

Je n'étais pas responsable d'être une fille et pourtant on me l'a fait ressentir tout au long de ma vie, d'où mon caractère réservé et renfermé. Je ne parlais pas avant l'âge de deux ans, alors que ma sœur parlait bien au même âge et même un peu malgache.
 

Ma mère est née 20 mois après à Madagascar et, selon elle, ma grand mère a été déçue que ce soit une fille. Effet de son imagination ? Le lui aurait-on dit plus tard ? Cela me surprend de la part de ma grand mère qui m'a toujours semblé discrète... Ou tout simplement ma mère amplifie-t-elle cette idée,  issue de sa propre pensée, de sa jalousie ? En tout cas, ma mère attribue à cette déception le fait d'avoir été réservée, renfermée. Est-ce la raison? Il y a des enfants perturbés par le bilinguisme tout simplement.
 

Ainsi la vie continuait paisiblement et un an après ma naissance, un troisième enfant, venait agrandir la famille et la combler de bonheur. Ce fut un garçon appelé Jean. Mais la joie fut de courte durée. Ce petit garçon tant désiré décéda quelques semaines après sa naissance des fièvres du paludisme. Je pense que ce fut un drame, surtout pour notre mère. Mais le malheur ne s'arrêta pas là.

En effet, peu après, en 1925, ce fut le tour de notre père. A l'âge de 27 ans, il mourut du tétanos. Pour notre mère, tout s'écroulait. Elle dut emballer toutes nos affaires, laissant son mari enterré aux Comores où il avait été appelé en mission. Elle partit avec ses deux enfants jeunes pour le très long et certainement pénible, retour vers la France.

Chapitre 2


Elles sont allées vivre chez les grands parents, à Marseille, dans le quartier de Montolivet. Ma grand-mère a donc repris, à Marseille, son travail au Fort St Jean.

Ma mère, revenue à deux ans des colonies, a  connu sa grand mère âgée et voûtée. Son grand père au contraire " droit comme un i, costaud avec un air franc " .Elle pense avoir hérité des problèmes de sa grand mère en ce qui concerne les os. Ce qui n'est pas impossible. Cette grand mère était plus âgée que son mari.

Pour ma mère " tout le monde semblait préférer l'aînée " des petites filles. " Nous vivions pauvrement ", dans la petite maison ( que je connais pour y avoir passé tous les week ends de mon enfance ), il n'y avait " pas de toilettes, nous devions aller au fond du jardin où était aménagé un cabinet rudimentaire, ( genre feuillées des scouts que j'ai connu aussi, une génération après !) en planches. L'hiver, c'était dur de sortir dès le lever. Elle couchait dans un lit métallique pliant, au pied du lit des grands parents. La marraine, la sœur du Grand père, dormait sur un divan dans la salle à manger et sa sœur dormait avec leur mère dans une petite chambre.

Nous sommes venues vivre chez les grands parents qui étaient déjà trois : grand-mère, grand-père et la sœur de la grand-mère appelée Marraine car elle était la marraine de M.. Quant à moi, j'aurais dû être tenue sur les fonds baptismaux par la sœur de notre père, Laurence, d'où mon deuxième prénom. Mais comme elle habitait l'île de la Réunion, elle n'a pas pu venir. J'ignore qui m'a tenue lors du baptême.

Je croyais qu'elle avait été baptisée à Tananarive. Il me semble que lorsque nous avons été à Madagascar ma mère m'avait donné le nom de l'église où elle avait été baptisée !

Ma mère avait des moments d'oublis ! En réalité elle avait été baptisée à Madagascar. Quand nous y sommes allés mon mari et moi, elle nous avait donné le nom de l'église pour que nous la visitions.


Alors, faute de marraine, j'ai adopté celle de ma sœur, mais elle aussi faisait des différences entre nous deux.
Décidément, la jalousie ronge à tout âge !

Nous vivions pauvrement dans la petite maison des grands parents. Il n'y avait même pas de toilettes et nous devions aller pour nos besoins au fond du jardin où était aménagé un cabinet en planches, l'hiver, c'était dur de sortir en se levant.

Ma mère oublie simplement de dire que longtemps après ma naissance, mon père, elle et moi vivions dans cette même maison où aucun des travaux de sanitaire n'avait encore été fait. Nous avons vécu dans la même maison et dans les mêmes conditions car personne dans la famille ne voulait payer les frais de cet investissement : des toilettes intérieures. La seule amélioration fut un seau hygiénique ! La maison était à ma grand-mère et mon père n'avait aucune confiance pour investir dans ce qui ne lui appartenait pas ou pas encore...

J'avais un lit métallique pliant comme les enfants, installé au pied du lit des grands-parents, la marraine dormait sur un divan dans la salle à manger et M. avec notre mère dans une petite chambre.

Ce lit me rappelle des souvenirs de dispute incompréhensibles. Des années après, alors que j'étais moi-même maman, ma mère restait persuadée que j'avais pris le lit pour mes propres enfants et que je l'avais jeté. je n'ai aucun souvenir de ce genre. Et puis ce lit devait être très vieux. Enfin, nous avions acheté un lit à barreaux au Maroc pour notre fille aînée et nous l'avions ramené avec le reste du déménagement !
Je dormais avec un chat abandonné sans que personne s'en aperçoive, j'ai toujours aimé les chats, c'étaient mes meilleurs amis..

 

Pourtant moi, leur enfant, il a fallu que j'attende d'avoir 12 ans pour avoir un chat et encore c'est parce que la mère-chat avait fait ses bébés chez nous dans une dépendance. Mon père essayait de l'assommer avec une planche. J'ai supplié de l'épargner et j'ai réussi à garder la mère et un petit que j'ai appelé " Pompon ".

" J'avais un lit métallique ". Est-ce le lit qu'elle prétend nous avoir donné pour notre fille plus tard ? Et dont je n'ai aucun souvenir. Jusqu'à ses 90 ans j'ai entendu parler de ce lit que nous aurions fait disparaître ?? Nous avions ramené nos propres meubles du Maroc. Je n'ai rien compris à cette histoire ou totalement oublié... De plus ce lit semblait très ancien, non ?

Dès notre arrivée à Marseille nous sommes allées à l'école paroissiale, je n'avais que deux ans, notre mère avait pu reprendre son travail au Fort St Jean.


Les deux filles vont à l'école paroissiale, dès deux ans pour ma mère. Le jeudi, jour de congé, elles vont au patronage et pendant les vacances en colonies de vacances. Elles grandissent dans cette ambiance, apprennent à ranger leur chambre, aident le samedi la famille pour les tâches ménagères. Une dame venait laver le linge au lavoir, la grand mère faisait les courses, le repas, jusqu'au jour où elle oublia où elle se trouvait et s'écria en pleine rue : " Mais mount et siam " Mais où je suis?
Le jeudi, n'ayant pas classe, nous allions au patronage, la religieuse qui était très âgée mais très gentille était aidée par une vieille demoiselle qui s'occupait de nous, ce qu'elle avait déjà fait du temps de notre mère.
Avec le patronage, nous étions allées deux fois en colonie de vacances, tout d'abord en Haute Loire où nous avions visité Notre Dame du Puy, nous étions allées jusque sur la couronne en montant par un escalier intérieur d'où nous avions une vue magnifique.
Une autre année, nous étions allées à Lourdes et nous avions dit à la religieuse que nous avions vu notre curé avec la directrice de l'école. Elle n'arrivait pas à nous faire taire.

Un soir, nous sommes allées taper à la porte de sa chambre pour lui dire qu'une copine était malade, nous voulions simplement la voir tête nue sans sa cornette, mais elle avait un bonnet, elle n'était pas contente du tout.

Plus tard à Marseille, nous étions allées rendre visite au patronage des Chartreux, quartier près de chez nous, devant la porte de l'hôtel était marqué sur le tapis " caressez le paillasson "? Nous nous sommes penchées pour le caresser avec la main. Soeur Henriette ne savait plus où donner de la tête: Mesdemoiselles, voyons, un peu de tenue ! "

Nous avions fait la connaissance d'une fillette miraculée.

Un photographe, choisi par les autorités a fait installer tous les patronages de Marseille sur les marches de la basilique pour faire une photo d'ensemble, à un moment, il a crié : " il y a un drapeau tenu trop haut qui gêne".
C'était le nôtre qui avait pour devise inscrite : " toujours plus haut "; nous en avions un autre : " Un cœur d'or dans une âme blanche " représenté par une marguerite, quant à la première devise, elle était symbolisée par  une étoile dorée au bord d'un béret rose.

Notre tenue comprenait une jupe marron avec quelques plis sur le côté, un chemisier rose et une cravate rose.
Mais pour les processions à Lourdes nous étions habillées en blanc avec le voile de la première communion soutenu sur la tête par le béret rose.
Les pèlerins qui nous croisaient nous demandaient d'où nous venions et nous félicitaient en disant, quand vous défilez, on dirait un parterre de roses. Les anglaises avaient un voile bleu en toile, aucun n'avait le même ton, ce n'était pas très joli.

Nous avons grandi normalement, avec pour consigne de faire du rangement le jeudi, une dame venait laver le linge au lavoir, pas de machine en ce temps-là.

Le Samedi, notre mère ne travaillant pas, on faisait toutes les trois les tâches ménagères que la grand-mère ne pouvait faire, elle se contentait d'aller faire les courses et de préparer le repas 
C'était déjà bien pour son état de santé. Je l'ai toujours connue vieille avec le dos voûté.

Un jour, en revenant des courses, elle ne reconnaissait pas son chemin et elle parlait à haute voix dans la rue : " Mais mount et sian " ( Mais où suis-je ? "? C'est un voisin aveugle qui lui a dit : " Mémé vous êtes sur le bon chemin".

Le grand père au contraire se sentait toujours jeune. Par contre, le grand-père qui avait 4 ans de moins qu'elle, ne voulait pas qu'on l'appelle grand-père, ( Les filles devaient dire " parrain ".  ) ce qu'on ne manquait pas de faire quand en allant à l'école on l'apercevait sur un chantier. De sa main il nous faisait signe que nous allions recevoir une fessée. Fessée qu'il ne donnait jamais. Il était si gentil. Il voulait qu'on l'appelle parrain car il avait tenu ma sœur sur les fonds baptismaux. Mais quand on est jeune, on est si taquin !

La vie se déroulait simplement. Quand M. a eu 6 ans, nous sommes allées à l'école communale. J'y ai eu droit moi aussi à condition que ma sœur s'occupe de moi. Elle a tellement pris son rôle au sérieux que cela a continué tout au long de ma vie.

Un jour que nous étions allées en excursion avec la patronage et que nous avions chacune un sac à dos elle a ainsi voulu commander.

Dans son sac se trouvaient  les aliments qui étaient toujours : pigeons et petits pois du jardins, dans le mien la gourde pleine d'eau avec les gobelets. Nous étions assises à terre, ma sœur avec ses copines de classe et moi avec les miennes. Quand je suis allée vers elle pour obtenir ma ration, elle m'a répondu : " Tu n'as qu'à rester avec moi. " Comme je n'étais pas contente du tout, je lui ai répondu : " Et bien, tu ne boiras pas " !

On se chamaillait souvent, notre mère n'avait d'yeux que pour elle, soi disant qu'elle travaillait bien à l'école. Il est vrai que je ne faisais pas beaucoup d'efforts. Mais ma famille, au de m'encourager ne faisait que me répéter : " Tu vendras des citrons ".

Enfin, notre mère avait décidé de me faire donner des leçons par la fille d'un couple ami de la marraine qui habitait en ville. Donc le jeudi j'allais chez Denise T.i. Ce qui me faisait le plus plaisir, c'était le petit déjeuner qu'elle me servait avant de me mettre au travail. C'étaient toujours de gros sandwiches, avec de la confiture ou de la charcuterie.

Le Dimanche nous allions souvent au théâtre. Ma première comédie fut Faust. Quand le diable a fait son apparition sur scène, il paraît que j'ai crié.
Plus tard lorsqu'on a joué pour la première fois Rose-Marie nous y étions allées et j'avais eu droit à une entrée gratuite, d'après le journal local, à cause de mon prénom.
J'avais environ 9 ans, quand le grand-père de la Réunion mourut, quelques temps avant, il nous avait envoyé des pochettes brodées pour notre première communion et une somme importante à notre mère pour subvenir à notre éducation, mais elle en a profité pour acheter une maison plus grande. J'(avais
désormais une chambre, ce fut un bonheur. Bien qu'on ne le connaissait pas notre mère a tenu à nous faire porter le deuil.
Au patronage, on devait fêter les cinquante années de service de M
elle Vinclair, la personne qui aidait la religieuse. Colmme elle avait gardé avant nous notre mère lorsqu'elle était enfant et qu'elle allait au patronage, j'ai été choisie pour lui faire un discours . Toutes les filles qui avaient participé à la fête avaient droit à une brioche qui pourtant m'avait été refusée.Je suis allée voir ma mère en pleurant, celle-ci est à son tour allé voir Melle Vinclair. Cette personne m'avait accompagnée au bureau de la religieuse, avait demandé aux grandes laquelle avait refusé la brioche à Rosette ( c'est ainsi qu'on m'appelait lorsque j'étais jeune ). Elle avait même ajouté " alors que c'est elle qui m'a fait un si beau discours ! ".

- On croyait que c'était Rosette Costa
C'était la sœur de la pianiste ! Comme quoi la popularité avait son importance !
- Mais non, pas du tout.

Enfin j'ai eu ma brioche. C'est qu'à la maison, on n'en mangeait jamais !

La grand-mère cultivait le jardin, il n'y avait pas un centimètre libre
sur le terrain, ce qui nous permettait de vivre des produits récoltés. Nous profitions aussi du poulailler. A Noël on mangeait l'oie que je nourrissais. mais quand la grand-mère lui coupait le cou et qu'elle partait en courant sans tête, j'étais dans tous mes états.
Notre mère avait fini par faire la connaissance d'un homme marié. Quand par hasard il écrivait, la grand- mère subtilisait les lettres et si elle s'apercevait que nous lui écrivions, elle nous prenait les lettres et les déchirait.
Une seule fois nous étions allées dans le Var en vacances et nous avions retrouvé à l'hôtel de monsieur. Un jour, j'avais arraché des mains de ma sœur un petit matelot en carton pour l'envoyer dans la rivière qui passait sous nos fenêtres. J'ai reçu une gifle de Paul. Tel était son prénom.
J'avais une telle colère que je lui ai crié " Vous n'avez pas le droit de me frapper, vous n'êtes pas mon père. Je crois que j'avais jeté un froid qui s'est terminé par une séparation. Je n'ai jamais su ce qu'en pensait ma sœur.

Pendant ce temps nous poursuivions nos études. Je ne me plaisais pas à l'école communale où j'ai usé mes culottes de la maternelle au certificat d'études que je n'ai pas obtenu la première fois. A mon grand regret il a fallu que je redouble.

Enfin, en ce qui concerne mes études, je ne suis pas allé jusqu'au BAC comme ma sœur qui finalement ne l'a pas réussi. Ce qui ne lui a servi à rien. Moi, j'ai toujours été reçue dans tous les examens que j'ai présentés dans l'enseignement supérieur. ( hormis le certificat d'études primaires que j'ai dû repasser...) que ce soit au cours supérieur, au cours complémentaire et pratique. Ce qui m'a bien servi dans la vie.
Après cette année ayant réussi l'examen, j'ai fini par aller en ville pour passer un concours dans une école où suivant le classement par note on était réparties dans des classes : commerce, couture, corsets, j'avais réussi dans la catégorie des corsets et comme la mode s'atténuait peu à peu, notre mère avait choisi les cours complémentaires où tout était au programme : études générales, sténo, dactylo, couture et pendant la récréation,
au lieu de nous reposer, celles qui savaient tricoter faisaient des cache-nez, des gants, des bonnets, des cagoules pour les soldats qui étaient au front. Quand on pouvait, avec les moyens de bord, on leur faisait un colis avec quelques friandises. C'était une période très dure.
Ma mère qui était très gourmande et souffrait de la faim allait derrière la gare où stationnaient des gitans et achetait des friandises faites avec n'importe quoi, ce qui lui a valu un urticaire géant, dans la nuit.
Le grand-père avait dû descendre à la cave pour prendre une scie à métaux pour lui couper son alliance, tant les doigts gonflaient. Son visage gonflait également.
Elle était méconnaissable et cela a duré plusieurs années.
Quant aux excursions faites en famille, c'était toujours avec une amie d'enfance de notre mère, dont la fille était aussi notre amie.

Moi aussi j'ai été au patronage, en colonie... avec ma cousine qui était un peu plus âgée.

Lors de ses 6 ans, la fille aînée fut envoyée à l'école communale. La maman, insiste ma mère, préférait l'aînée ! De toutes façons, sa sœur était bien l'aînée, donc logiquement la plus sage, la plus responsable ... La plus jeune suivit donc l'aînée à la même école, mais sous sa surveillance. Dès lors les disputes étaient nombreuses. L'aînée travaillait bien à l'école, à la seconde on disait : " Tu vendras des citrons".
Ma mère avait 9 ans lorsque son arrière grand-père de la Réunion mourut. Elle dit que c'est son grand-père, mais à la même époque son grand-père était à Madagascar ? Et d'après les papiers que nous possédons son arrière grand-père est mort vers cette époque, à la Réunion. Ce grand père, arrière ou pas avait alors envoyé de l'argent pour l'éducation des filles, mais en France, la famille en avait profité pour acheter une maison plus grande. Ma mère avait sa chambre et ce fut pour elle un bonheur.
Le grand père de France cultivait le jardin. Il n'y avait pas un centimètre de libre, sans culture. Ils avaient un poulailler. A Noël ils mangeaient l'oie que ma mère nourrissait.
Leur mère, ma grand mère avait fini par faire la connaissance d'un homme marié dont la vieille grand-mère voûtée subtilisait les lettres.  Un jour, lors de vacances dans le Var avec ce monsieur, ma mère avait arraché un matelot de carton qui appartenait à sa sœur, pour l'envoyer de la fenêtre dans la rivière en contrebas. Elle avait reçu une gifle de ce Paul. En colère, elle avait crié : " Vous n'avez pas le droit de me frapper, vous n'êtes pas mon père. " Cela a jeté un froid et conduit à une séparation du couple en train de se former.
Les filles à l'école jouaient à " Colin-Maillard ", il s'agissait de déposer un mouchoir derrière une élève qui devait ensuite poursuivre celle qui avait posé le mouchoir et l'attraper avant qu'elle ne regagne sa place.
Ma mère portait des chaussures offertes par la Mairie aux orphelines.
La tristesse fut grande lorsque le chien Hip fut écrasé.
Ma mère est restée longtemps à l'école communale et a passé plusieurs fois son CEP avant de l'avoir. Elle avait pris en horreur cette école et la maîtresse de son côté la renvoyait chez elle dès qu'elle toussait, ce à quoi elle était sujette.
Après le CEP elle fut envoyée au " cours supérieur " à Beaumont. Elle n'y fut pas plus heureuse car le bruit circulait que sa mère s'était mariée avec un noir. Ce qui révoltait ma mère car son père était bien blanc, issu d'une famille de la Réunion, mais né à Madagascar, à une époque où l'île était française. La maîtresse elle-même insistait pour lui dire : " Peu importe qu'il soit de la Réunion ou de Madagascar, vous risquez d'avoir des enfants noirs, mais cela peut sauter une ou deux générations. "
Sa sœur a poursuivi ses études jusqu'au bac, mais elle ne l'a pas obtenu. Ma mère a réussi à passer du cours supérieur au cours complémentaire ou pratique avec études générales, sténo, dactylo, couture. Pendant les récréations, les élèves tricotaient des cache-nez, des gants, des bonnets, des cagoules pour les soldats qui étaient au front. Elles leur préparaient aussi des colis.
Leur mère achetait quelques friandises aux gitans qui en vendaient derrière la gare. Elles n'étaient pas faites en suivant les règles de l'hygiène la plus élémentaire. Leur mère avait alors attrapé un urticaire géant. Son visage et ses mains étaient gonflés. Le grand père avait dû descendre à la cave de la nouvelle maison, chercher la scie à métaux pour lui couper son alliance.. Elle était méconnaissable et cela a duré plusieurs années. La famille sortait, mais ma mère ne participait pas toujours aux sorties car sa famille la trouvait trop grosse. Pourtant il aurait peut-être fallu qu'elle marche pour perdre du poids. On l'appelait " Boule de gomme " dans le quartier. On la confiait à Mme Père  (Paire? ) la dame qui leur lavait le linge.
Le goûter avait souvent lieu à Bois Luzy où à l'époque il n'y avait que des bois fermés par une enceinte et des portails. Les gens alentour pouvaient se promener. Le château n'était pas encore auberge de jeunesse. Ma mère a encore fait une autre année à l'école privée " La Ruche " toujours dans le domaine : sténo, dactylo, calligraphie, couture. Vers la même période, elle dut subir l'opération de l'appendicite, prise un peu tardivement car sa famille la jugeant douillette n'avait pas réagi à ses plaintes. A la sortie de l'hôpital, elle avait perdu 9 kg.
Les deux sœurs faisaient désormais souvent le ménage, la vaisselle. A la suite de sa dernière année d'études, ma mère a travaillé au fort St Jean comme sa mère, elle travaillait sous l'ordre d'un capitaine qui lui donnait de nombreux comptes rendus à taper et surtout à déchiffrerC'est à cette époque qu'elle a rencontré R. mon père. Elle le connaissait en fait depuis 1937,  lorsqu'ils jouaient ou faisaient du sport à Bois Luzy, mais elle l'avait perdu de vue. Au premier abord, il n'a pas déplu à sa mère qui a bien voulu qu'elle en fasse son compagnon.
Elle commença donc à sortir avec R...
Les valises en cette période devaient être toujours prêtes car de 42 à 43, la vie était mouvementée, les menaces de repliement constantes; il était difficile de circuler. Les tramways étaient arrêtés pour des contrôles d'identité des passagers.
Ma mère fut changée de caserne. Elle travaillait désormais à Busserade. Ils avaient voulu faire un gâteau des rois pour recevoir R. (mon père ), mais ce fut impossible car il y avait une rafle. La police recherchait des personnes. Les commerçants étaient surveillés et pourchassés par la police. Un haut parleur, au-dessus d'une voiture demandait aux jeunes gens de la défense passive, d'aller garder les immeubles des vieux quartiers qui devaient être évacués et les personnes amenées sur Fréjus.
Ce jour-là, ma mère n'avait pas pu aller manger avec ma grand-mère à cause de la rafle qui avait concerné la partie de la ville allant du Vieux Port à la Canebière. Cela n'avait duré que le temps d'arrêter quelques personnes.
 Mon père avait habité le vieux quartier du Panier qui était à l'époque un des plus mal fréquentés de Marseille. N'ayant pas apprécié de vivre après la mort de son propre père, avec le nouveau mari de sa mère et toute la marmaille de ses frères et sœurs, anciens et nouveaux, il avait préféré aller vivre chez son oncle et sa tante de saint Barnabé qui l'ont toujours gardé sans l'adopter réellement. Ma grand-mère paternelle est d'ailleurs morte peu de temps après la naissance de sa fille, la demi-sœur de mon père. Mon père n'avait que 6 ans. Les autres enfants ont été dispersés. Les plus jeunes avec leur père et la famille de celui-ci, mais le frère  du même nom que mon père a été dans un orphelinat. Ce qui va sans doute expliquer sa jalousie lorsqu'il sera adulte.
Mon père était un bon élève. Premier de la région au certificat d'études, il avait fait quelques études, puis s'était dirigé vers un Brevet commercial. Il avait choisi le métier de chaudronnier sur cuivre, ensuite, il avait arrêté ce métier trop pénible et comme il ne trouvait pas vite un autre emploi, ses parents adoptifs qui en avaient assez qu'il soit à leur charge et surtout à mon avis de le voir traîner à la maison. D'autant qu'à l'adolescence il devait être assez révolté par son passé. Comme son oncle lui faisait la morale, il a fini par s'engager dans la marine comme matelot, à ToulonAprès ses années de service civil, alors qu'il allait presque en avoir terminé, la guerre a éclaté. Ce qui fait qu'au total il a subi 5 années de galère. Il était sur le croiseur Foch. N'étant pas gradé, il devait faire toutes les corvées les plus pénibles. Souvent sur le pont où il faisait froid et d'autres fois aux machines où il grillait. C'est ainsi qu'il avait attrapé une mauvaise bronchite. Comme il n'arrivait pas à suivre le rythme des corvées, on le mettait souvent aux arrêts.

R., mon père, se montrait selon ma mère de plus en plus amoureux. Sa vieille tante et mère adoptive offrait le thé à ses invités.
Sa rencontre avec ma mère avait émerveillé celle-ci. Il était beau, viril, sportif, d'apparence gentille... Elle, elle avait un doux visage et un tempérament très sentimental. Elle était comme un cerf-volant voguant au gré du vent. Elle vivait de rêves, d'émotions, niait le réel qu'elle transformait à son gré. Elle n'était pas faite pour les réalités sordides et pourtant elle cherchait à imposer ses rêves aux autres comme si c'étaient des réalités. Elle ne réalisait même pas que déformer celles-ci, c'était mentir ou parfois même blesser...
A cette époque, ma mère et sa sœur se sont installées en ville chez leur marraine. Ma grand-mère avait fait des démarches pour trouver du travail à mon père, mais celui-ci n'était pas venu au rendez-vous. Il ne voulait pas encore travailler car il devait partir en maison de repos.

Un certain P.T amoureux de M., la soeur de ma mère, avait fait sa demande en mariage, par courrier. Ma grand mère était contente car elle connaissait la famille depuis longtemps. Cette demande affirme ma mère a contribué à sa tranquillité car depuis elle ne recevait plus aucun reproche de sa sœur.
La sœur de la tante J., la mère adoptive de mon père,  habitait Enco de Botte. Elle était presque aveugle et n'avait que le bras gauche. Son mari avait une ferme dans une campagne magnifique avec devant chez eux des champs, une colline...
Des légions de volontaires français furent, à cette époque, envoyées en Russie au côté des allemands.
Les parents de R. jouaient aux boules avec les voisins...

La demi-sœur de R. habitait à la place du 4 Septembre. Quand les deux fiancés allaient la voir, ils rentraient tard et avaient peur des rafles.
Un recensement  avait été rendu nécessaire. Les personnes recensées avaient pu faire tamponner leur carte de droit à la circulation. 
R. mon père devait bientôt partir pour l'Isère, pour un séjour de trois mois. " Mon cœur n'a fait qu'un tour à cette nouvelle si triste pour moi " !
Un jour alors que R. mon père avait aidé à couper le bois, ma mère l'avait admiré. Elle le trouvait beau avec sa hache à la main et son tablier bleu. : " il représentait l'homme dans toute sa force ". R devenait entreprenant ! et ma mère lorsqu'elle sortait avec lui évitait les traverses...
Pendant ce temps elle préparait son trousseau avec l'aide de la famille. On achetait tout avec des tickets. La sœur de ma mère manquait de vitamines et ma mère elle-même perdait un peu ses cheveux par plaques.
Les bagues de famille allaient être transformées pour les fiançailles des deux filles qui auront lieu le même jour. C'est le grand branle bas pour la préparation de cette fête. Déjà les chaussures neuves font souffrir R. Son pied blessé par un phlegmon l'a obligé à s'aliter mais il a tout de même acheté un gros bouquet avec trois œillets blancs, 4 glaïeuls, nœud de tulle et vase de cristal.
R. a enfin reçu un courrier important. Sa demande pour travailler dans les assurances sociales était acceptée. Il a débuté le lendemain. Il trouvait ce nouveau travail moins pénible que celui de chaudronnier et plus intéressant.. RM travaillait toujours à ce moment-là rue Fongate mais elle faisait divers remplacements rue Sylvabelle entre autres..
 
La sœur aînée M. s'est mariée la première. Ma mère en a été un peu irritée car elle avait connu son fiancé plus tôt que sa sœur. Fallait-il comme chez les arméniens marier l'aînée avant ? ! P. Le mari était-il intéressé au point de faire accélérer les événements pour hériter de la marraine ? Ce sont toujours des pensées de ma mère ou déjà de mon père...
Les préparatifs ont recommencé. Tous les membres de la famille se sont faits beaux ! Joseph J. le tuteur de M. avait sa place dans le cortège et les musiciens,
les " tambourins de la coquette ", étaient de la partie, jouant des marches. Un mois plus tard, elle attendait un enfant. Les premiers désaccords apparaissaient déjà car P le mari de M. prétendait tout diriger, mais la marraine ne le supporta pas et le chassa de chez elle.
Après le départ de sa sœur, la vie avait changé à la maison.

Le mariage de mes parents a eu lieu le 15 Avril 1944. La cérémonie a paru à ma mère moins belle que celle organisée pour sa sœur. Une fois encore sa robe lui a été prêtée par M. comme toujours depuis leur enfance ! Les jalousies, les caprices sont loin d'être morts ! Et pourtant ma grand mère faisait sans doute de son mieux, tiraillée peut-être par les colères des uns et des autres ?
Reprise des préparatifs. Ils devaient être 18 à table...
Menu : 4 lapins, 4 douzaines de raviolis, 4 kg de petits pois 216 gâteaux de soirée et deux pièces montées.
Pour la mairie, ma mère avait un bel ensemble bordeaux. R. avait oublié le bouquet de la mariée, il a fallu faire un arrêt chez le fleuriste.
La cérémonie fut pourtant belle, simple. La demoiselle d'honneur était Gil Rol. en robe bleue.
La nuit de noce eut lieu chez la marraine, le voyage de noces n'en fut pas vraiment un. Ils se contentèrent de St Joseph de rivière dans l'Isère où " nous coulions des jours heureux ".
Eux non plus ne sont pas restés longtemps chez la marraine qui leur faisait des reproches incessants. Énervée, RM. a fait ses valises et est allé avertir sa mère au travail. Le réceptionniste a encore plus énervé ma mère en lui posant beaucoup de questions !

On partagea l'autre maison de l'impasse des cigales ( c'était son nom autrefois ) en deux appartements, en isolant le couloir par un matelas ! Les jalousies et les querelles entre les deux sœurs sont assez fréquentes. Qui a tort, qui a raison ? Dans son journal, ma mère aime bien protester et donner son point de vue. On connait les disputes, le beau-frère par exemple qui a coupé le gros platane devant la maison alors qu'il n'y vivra pas longtemps, les audaces auxquelles on ne répond que par des silences.

  La villa de la Mazarade était occupée par des réfugiés du nord. Le mari de cette famille qui était pompier était mort brusquement dans un accident de voiture. La veuve et ses enfants avaient alors décidé de repartir vers le nord, d'où ils étaient originaires. On voulut réquisitionner de nouveau la villa mais R. et RM ma mère, s'y sont installés vite.  Ils ont pu fournir des preuves qu'ils étaient bien chez eux et ont pu y rester. Ils étaient enfin seuls.
Ils se sont donc installés à Montolivet dans cette autre maison plus petite du grand-père. Le travail d'installation avait été éprouvant car la veuve qui y vivait avait emporté tout ce qui pouvait être emporté et cassé pas mal de choses. Un appareil électrique servirait pour faire la cuisine.
Le 27 Mai 44, il y avait eu des bombardements à Marseille qui avaient causé la mort de 2000 personnes. Ma mère s'était réfugiée sous le pont du boulevard national mais s'était heureusement éloignée avant qu'il ne soit détruit. Ils avaient tous trouvé refuge dans une cave, sauf mon père qui était chargé de vérifier que chaque membre de la famille allait bien. Il était allé voir la sœur de ma mère, son oncle et sa tante...P. le mari de la sœur de ma mère aurait pris un fourgon Air France pour s'éloigner de Marseille.
En Mars 45 dit ma mère, la situation se compliquait.  Ma mère était enceinte de moi, l'atmosphère n'était pas à la gaîté " surtout  en travaillant, mais nous étions heureux  quand même et maman aussi ". Cl. la première fille de M. était née en 44.
La sœur de ma mère a eu une seconde fille en septembre 45. Comme ma mère avait besoin d'argent à cette époque-là, elle allait faire la lessive de sa sœur dans un lavoir en plein air.  " J'en avais bavé dit-elle pour gagner 4 sous !
Je suis née quelques mois après.

La guerre durait à cause des restrictions qui donnaient toujours l'impression de la subir. Mon père conseilla à ma mère d'aller dans l'Ariège, dans son village pour avoir du lait sans restriction, pour moi, le bébé. Ma mère avait commencé par perdre sa valise à Tarascon.Tout d'abord il fallut trouver un moyen de transport. Ma mère sachant qu'un ami de son mari conduisait le car de Saurat, fit un signe pour l'arrêter. Ils avaient réussi à trouver la valise... Ensuite, il fallait, à Saurat,  loger chez une vieille tante, aigrie par la vie. ( Ses deux enfants étaient morts ainsi que son mari. Sa fille avait eu la tuberculose. Son fils au séminaire avait reçu un coup de couteau sur la cuisse et cicatrisant mal, il s'était vidé se son sang. ) et elle ne nous reçut pas avec le sourire et se montra de mauvaise humeur à plusieurs reprises, contre ma mère et à cause de mes bêtises d'enfant.  Le bébé était fatigué par une forte diarrhée. Selon les dires de ma mère, elle avait dû me laver dans la rivière. Chez la tante, dès le premier jour, au moment de monter la valise, le bébé avait suivi les deux dames dans l'escalier et avait dégringolé l'ensemble des marches avant de se cogner la tête contre la porte d'entrée. La tante aurait mis les mains sur sa tête en disant : " Il va falloir lui être toujours derrière ". Elle devait ensuite bougonner tout le long du séjour.

Un jour également la fillette tirait une chaise pour s'amuser. Un vieux barreau usé s'était cassé. La tante aurait pleurniché en disant : " Il ne me restera plus rien ". Elle interdisait à ma mère de repasser car même après la guerre, cela coûtait cher.. Si elle trouvait le fer chaud, elle se mettait en colère. Heureusement une voisine serait intervenue pour recevoir ma mère le temps de lui prêter son fer à repasser. Quant au lait personne n'a voulu lui en vendre. Et les gens répondaient assez brutalement à ma mère : " Quel culot ! " Quelqu'un aurait même ajouté : " Je préfère en prendre un bain de cul que de vous le vendre ".
Ce séjour fut donc pour ma mère encore un cauchemar selon ses dires. Mais avec du recul, en sachant que c'était juste après la guerre, il semble normal que la tante veuille économiser. Elle était veuve, sans enfants, amère sans doute, et ma mère ne venait-elle pas s'incruster ? Car si les agriculteurs avaient du lait, ils n'avaient pas l'intention d'en donner, voulait-elle vraiment l'acheter comme elle dit ? Il me semble impossible que dans ce cas ils aient refusé, sauf s'ils n'en avaient pas assez pour eux ? Comment savoir ?
Ma mère n'oublie jamais ce qu'on lui a fait, même si elle a mal interprété. Elle ne se pose même pas la question. Aussi, bien après la guerre, lorsque les restrictions avaient pris fin, elle refusait, par vengeance, d'acheter du beurre aux agriculteurs qui faisaient du porte à porte pour le vendre. " Pendant les restrictions, vous n'avez pas voulu me dépanner pour ma fille, maintenant faite -vous un cataplasme du beurre ! "
Ma mère après son congé volontaire de deux ans  ( pour garde d'enfant) n'a pas retrouvé son emploi. Lorsque les soldats étaient au front, l'armée avait supprimé des bureaux, et renvoyé des employés pour compression d'effectifs. Elle a mis un certain temps pour retrouver une place.
Ma mère a enfin été embauchée à la DDE qui s'appelait à l'époque le ministère de la reconstruction ( à cause des dégâts d'après guerre ). Cependant son diplôme bien qu'il ait été accepté, n'a pas été reconnu à sa valeur supposée car il avait été accordé par une école privée, non reconnue par l'État, à cette époque-là.
Quand elle a pu reprendre son travail ma mère m'a fait garderAvec un père, une mère et une grand-mère au travail, j'étais gardée par l'arrière- grand-père car son épouse avait eu une attaque et ne pouvait plus grand chose. Très vieux, très maladroit, fatigué, il ne savait même pas me culotter.. Il me mettait par exemple deux jambes dans le même trou. Ma mère s'énervait contre son grand-père : " Tu sais bien mettre ton pantalon, tu mets bien un pied dans chaque jambe de pantalon, c'est pourtant la même chose, pourquoi ne fais-tu pas de même pour les culottes de ma fille ? "
La grand mère alla mal.
C'est mon père qui était appelé lorsqu'il fallait faire les piqûres à la famille. A cette époque-là, on ne faisait pas appel aux infirmières pour de simples piqûres dans le muscle.
Janvier 45, la grand mère va de plus en plus mal. R. dit  ma mère ! lui donne un petit verre de liqueur et elle meurt peu après.
R. pleure : " Mais non, c'était son heure " lui répète-t-on . Le grand père est désespéré...
La grand-mère de l'Ariège était morte dans cette même période. Mon père est parti seul pour l'enterrement car la France était toujours occupée, mais il avait été repoussé dès Tarascon.
Le grand-père de mon père est mort à son tour, dans l'Ariège.
Au début des années 50, j'avais 5 ans, le vieux grand-père, toujours seul avec moi, est tombé. Je me suis approchée de la barrière du voisin,  et j'ai hurlé pour attirer l'attention. La voisine est sortie de sa maison en disant : " Oui, ma chérie, tu t'amuses ? " . Elle a fini par comprendre mes explications angoissées, mes appels mêlés de larmes. Quelqu'un est venu relever le grand-père, le mettre sur son lit et appeler un médecin. La marraine est venue s'en occuper et de moi et finalement, elle est morte avant lui. Affecté, le grand-père est mort à son tour le 14 Février 50.

Ma mère dut alors me faire garder par sa sœur qui ne travaillait pas. "En payant bien entendu ". A cette époque-là le mari de ma tante était parti. Elle était revenu vivre chez le grand-père. Son mari avait eu une aventure et ma tante ne voulait plus de lui. Peut-être était-ce réciproque car il avait réussi à se faire muter à Madagascar ?
J'avais été gardée par le grand-père ( L'arrière grand-père pour moi ), par la Marraine de ma mère, et maintenant par la sœur de ma mère. Je n'étais pas bien vieille encore. Mes parents n'habitaient qu'à 200 m  et ne venaient pourtant jamais me voir le soir. Ils ne venaient me chercher que pour le week end, encore fallait-il que je ne sois pas malade ! Je n'ai jamais compris pourquoi.
Au cours de cette période, ma mère s'était blessée. Elle s'était enfoncé un clou au milieu de la main gauche en coupant du bois a-t-elle dit. Un Dimanche, difficile de trouver un docteur. Il a fallu d'urgence lui faire une piqûre contre le tétanos.

Lors des congés, mon père et ma mère étaient revenus à Saurat. Ils quittèrent la maison de la tante ronchon, pour aller dans la maison vide laissée par la grand-mère et le grand-père après leur décès. Dans cette maison, il n'y avait ni eau, ni électricité, mais ils avaient enfin la paix.  Ma mère pouvait aller chercher l'eau à une fontaine, pas loin, fontaine d'eau qui semblait pure et fraîche.
Nous passions souvent la journée au col de port, nous escaladions, nous montions jusqu'à la source, faisions des randonnées vers les sommets enneigés sans jamais les atteindre...
Chaque été nous revenions dans la maison de la grand-mère et les promenades dans les environs ne manquaient pas. Il y avait un lavoir communal où selon ma mère " on apprenait toutes sortes de nouvelles du village ".

La mère adoptive de mon père, sa tante en réalité et son oncle également venaient certains étés avec nous. Une année mes parents avaient aussi invité ma grand-mère, la sœur de ma mère et ses filles. Ma marraine ne s'était pas plu à Saurat.. Elle n'appréciait pas le caractère de mon père. Celui-ci leur avait pourtant rendu de menus services comme aller les chercher en voiture, l'amener à la clinique pour chaque accouchement...

Mes parents n'avaient jamais eu d'animaux. Une année cependant, alors que mon père voulait trouver un emplacement pour garer sa moto, il avait été dans le petit hangar à charbon et avait trouvé une chatte de gouttière qui venait de mettre bas. Il avait commencé par frapper la chatte rayée, au moyen d'une planche pour la faire fuir. J'étais intervenue, ma mère aussi sans doute et j'avais obtenu de garder la maman et un de ses petits : un beau chat devenu énorme, blanc avec des tâches noires que nous avions appelé Pompon. Les deux animaux venaient avec nous à Saurat. Mais Pompon est mort très jeune certainement empoisonné par un voisin, à moins qu'il n'ait eu une maladie comme le typhus. Il est mort après des crises affreuses de vomissements. La même année la tante de Saurat est décédée. Alors, l'année suivante, au lieu d'aller passer nos vacances dans la vieille maison de la grand-mère, mes parents ont décidé d'aller chez la tante et ils avaient amené la chatte qui nous suivait depuis son adoption, sans son petit bien sûr, cette fois puisqu'il était mort. Un jour, alors que mes parents discutaient sur le pas de la porte avec un voisin handicapé toujours assis sur son banc, la chatte en avait profité pour sortir. Elle avait traversé la route et mes parents ne l'avaient plus revue. Où étais-je à ce moment-là ? Je me souviens très bien qu'elle avait disparu. J'étais désolée et inquiète. mais d'après ma mère, j'étais en colonie. Tiens, tiens, en colonie alors que mes parents étaient en vacances ? J'apprécie !! Toujours est-il qu'à mon retour, alors que nous revenions de Tarascon, nous avons décidé d'aller jeter un coup d'œil dans l'ancienne maison de vacances, la maison vide de la grand-mère. La chatte était là, dans le poulailler, les yeux hagards !! Quelle surprise et quelle joie pour moi. Elle avait su retrouver l'ancienne maison de vacances ! Nous l'avons ramenée vers la maison de la grand tante et elle n'est plus partie.
Lorsque j'ai été adolescente, je restai à Marseille pour garder la vieille tante de mon père et mes parents en avaient profité pour aller en Suisse en caravane. Mon père souhaitait voir le village de ses ancêtres, quelques descendants. Ils avaient même été jusqu'en Italie.

Le 27 Novembre 1953, ma mère a eu un accident sur la route en rentrant du travail. Un motard l'avait renversée Bd Die. Elle avait eu une fracture en " v " de la région frontale médiane. Après des soins à domicile, elle avait obtenu  une petite rente pour accident du travail.

Où était passé le mari de ma tante, la sœur de ma mère ? Mystère depuis un certain temps...

Pourtant son mari revenait aux vacances et au grand scandale de ma mère sa sœur se trouva enceinte, 12 ans après sa seconde fille, d'un mari qu'elle savait infidèle, qui avait osé déguiser sa maîtresse en femme de ménage pour l'introduire sous son propre toit et  qui n'avait pas hésité à se faire muter très loin.

Le 26 Juin 1960 Madagascar devint indépendante.
A cette époque-là, ma mère dut aussi faire des démarches pour obtenir sa carte d'identité. Sa sœur étant née à Marseille était française et ma mère étant née à Madagascar fut considérée comme Malgache à dater de l'indépendance le 26 Juin 1960. C'est ce que prétend ma mère ! Mais c'est faux. En réalité, c'est beaucoup plus complexe. Le lieu de naissance correspond sur les papiers à un nombre ( département, commune )... Ma mère étant née à Madagascar a sur ses papiers, le nombre correspondant à son lieu de naissance : Madagascar. Lorsque Madagascar est devenue indépendante, elle était mariée, j'étais née et  j'avais 14 ans ! C'est alors seulement, qu'il fallut faire une importante correspondance pour justifier sa nationalité, sans résultat.  C'est encore faux. On ne peut pas changer son lieu de naissance à mon avis, il suffisait de prouver qu'elle était française...Sa mère alla voir le juge de paix pour lui expliquer que son mari bien que né à Madagascar était issu de parents de l'île de la Réunion et que s'il n'avait pas été français, il n'aurait pas pu occuper un poste dans l'administration. Elle finit par obtenir gain de cause.
Ma mère parle ensuite de mon séjour en Angleterre avec une copine. Je n'ai jamais été en Angleterre du temps où je vivais avec mes parents !! Peux-être pense-t-elle à mon voyage avec Régine. Nous avions été à Carcassone, aux baux de Provence. Nous avions fait du stop sous la pluie, une pluie torrentielle car nous pensions avoir manqué le dernier autobus pour rentrer à l'auberge de jeunesse où nous séjournions. Personne ne s'était arrêté pour nous prendre d'ailleurs... et heureusement, l'autobus était passé avec beaucoup de retard. C'est au cours de ce voyage que j'avais connu mon mari, à la gare de Carcassonne. Mon père devait nous rejoindre en caravane et nous devions aller dans l'Ariège, chez les cathares d'abord. Régine était rentrée à Marseille alors que mon père et moi avions passé ensuite la frontière espagnole.Je me souviens des ricanements des gens au restaurant : un vieil homme avec une très jeune femme !! Que les gens sont bêtes parfois !! C'était mon père !
Pourquoi ma mère parle-t-elle de l'Angleterre ? Il s'agissait de l'Espagne...
Mes fiançailles ont eu lieu à G en famille.
Je me souviens de ces fiançailles chez mon mari. Il trouvait que c'était trop loin de Marseille. Il faisait son attitude habituelle d'ours mal léché.  Refuser d'assister aux fiançailles de sa fille unique ! Mais peut-être après tout aurait-il mieux valu qu'il ne vienne pas. Il est arrivé en bougonnant et rien n'allait comme il voulait. Il a fallu aller les chercher à la gare, ma mère et lui. Il a fallu les accompagner pour des visites dans les environs ( nous aurions préféré des promenades en amoureux alors que nous avions peu de temps pour nous voir. Mon mari repartait immédiatement travailler au Maroc, et moi je terminais mes études à  Aix en Provence ).
Mes parents ont été durant cette courte période logés chez une tante de mon mari. Quand elle servait le petit déjeuner, mon père quittait sa maison pour aller faire ses courses et s'acheter un autre petit déjeuner. Je crois même qu'il a fini par aller à l'hôtel ! Mais il en a tellement fait que j'en ai oublié, de ses humiliations !!
Pour le mariage à Marseille, le 28 07 1970, il y avait peu d'invités. Ceux du Lot habitaient trop loin. De mon côté, nous ne fréquentions plus tellement la famille. Certains sont venus à la cérémonie. Ma Grand-mère était présente. Puis nous sommes partis pour le Maroc. Ma mère a fait le parallèle évidemment avec le départ de ma grand-mère pour la Réunion. A-t-elle vraiment été déchirée comme elle dit ? J'ai parfois des doutes, puisqu'elle refuse de venir passer sa vieillesse chez nous. Sur le moment peut-être, j'étais leur seule enfant, et je partais très loin dans un pays musulman; mais... plus tard mes parents ont refusé de me rendre certains services qui étaient normaux et à leur portée, comme venir à mon accouchement à Béziers. Par contre il est arrivé plusieurs fois à ma mère de venir en vacances au Maroc et non comme elle prétend par obligation pour m'aider !
Mon mari travaillait au lycée français ce qu'on appelait non la coopération, mais la " diffusion ".
Lorsque ma première fille est née, j'ai voulu accoucher en France pour que mon enfant n'ait aucun problème de papiers officiels voire de nationalité. Nous avions fait en sorte qu'elle naisse de préférence pendant les vacances scolaires puisque nous étions professeurs. Mon mari était donc présent. Nous habitions dans notre résidence d'été au Cap d'Agde. J'étais suivie par un très grand médecin de Béziers. Pourquoi ma mère, dans son journal, prétend-elle être venue m'aider, les jours qui précèdent l'accouchement ? Pourquoi dit-elle avoir pris l'avion pour la première fois pour  aller au Maroc, à cette occasion, alors que j'ai accouché en France. Veut-elle dire pendant ma grossesse ? Bien sûr qu'elle est venue, mais pour passer des vacances. Je n'avais absolument pas besoin d'elle. Je n'étais pas de ces filles choyées par leur mère qui éprouverait le besoin d'être près d'elle lors d'un premier accouchement. Je souhaitais avant tout être près de mon mari.  Je crois même que nous avons mené ma mère en voyage à travers le Maroc lorsqu'elle est venue nous voir et j'étais loin d'accoucher puisque je travaillais encore. C'était au cours de vacances scolaires. Pourquoi aurais-je eu besoin d'elle ? J'avais une femme de ménage qui faisait même la lessive et certains repas. Mon mari m'aidait.
C'est bien plus tard que j'aurais aimé qu'elle vienne m'aider, pour la naissance de ma seconde fille. A-t-elle voulu cacher son absence pour ce second accouchement, alors que j'avais une fillette de 3 ans et que je me trouvais seule, pour accoucher au Cap, une ville désertée l'hiver, tandis que mon mari travaillait au Maroc ?
Bref ma mère semble cependant fière d'avoir été grand-mère à 49 ans !
Après le premier accouchement, mon mari est reparti travailler au Maroc et je suis allée chez mes parents, pour peu de temps, avec le bébé, dans l'espoir d'y terminer mon congé de maternité. Pourquoi ne suis-je pas restée longtemps ? Tout simplement parce que mon père a recommencé à me faire des réflexions. J'étais devenue femme, mère, je n'ai pas pu le supporter et mon mari a dû avancer mon retour au Maroc alors que j'étais censée attendre .son arrivée en France pour les vacances de Noël.
Je me souviens très bien d'avoir été placée dans l'avion sur un premier rang pour que je puisse mettre mon bébé dans son couffin à mes pieds. A l'arrivée il ne tombait vraiment que trois gouttes de pluie !  et les marocains, toujours très attentifs pour les bébés, avaient envoyé une voiture abritée jusqu'au pied de l'avion pour que le bébé ne soit pas mouillé. Cela me rappelle, en outre, que le pharmacien marocain n'aimait pas que j'aille peser mon bébé, à sa pharmacie, qui se trouvait en face de chez nous, lorsqu'il tombait quelques gouttes
Pourtant le temps était loin d'être froid,  mais pour eux si !
Les petites misères se multipliaient. Ma mère avait eu une paralysie faciale et on l'avait soignée avec des infiltrations.
Ma grand-mère, dont je garde un bon souvenir a su venir me voir régulièrement malgré l'accueil chaque fois désagréable de mon père. Elle m'avait offert une petite chatte grise lorsque mon chat blanc avait été écrasé par un autobus.
Elle est morte jeune ( en 1975 ). Ses reins s'étaient bloqués et elle avait refusé d'aller à l'hôpital. Elle laissait un grand vide dans la vie de ses filles qui avaient eu l'habitude de vivre avec les ancêtres. Comme dit ma mère, Pierrot, le mari de sa sœur, le fantôme qui revenait aux vacances, allait pouvoir diriger la maison en maître.  D'ailleurs où était-il, lui le vagabond instable ! ?
Mon oncle comme mon père avait ouvertement trompé sa femme. C'étaient des machos, des salauds même, sans aucune honte.
Moi, j'avais donc eu une seconde fille ( en 1975 ).
Nous avions quitté le Maroc alors que l'aînée avait 6 ans, la seconde 3 ans à peu près. Pendant la construction de notre maison, nous avions vécu chez mon beau-frère, non pas un an comme le prétend ma mère, mais seulement quelques mois. J'avais un poste à M., mais j'étais enceinte de mon fils et en congé depuis le mois de Janvier. C'est pendant cette période et jusqu'à l'été que nous avons vécu à B., disons 5 à 6 mois.
Pendant mon séjour à M., nous avions invité mes parents. A l'hôtel, car il nous était impossible de les recevoir dans le petit appartement de M.. Depuis les fiançailles, mon père n'était jamais revenu chez moi. La seconde fois où il viendra, ce sera pour mon cancer et pour m'inviter au restaurant.

Ensuite ma mère énumère certaines dates : la naissance de mon fils, sans commentaires, son accident lorsqu'elle s'est cassé le fémur droit en tombant sur sa terrasse à cause des carreaux disjoints. Elle s'étend sur son opération à la clinique St Bernard, la pose d'une plaque, sa rééducation, sa rente. Une de ses amies est morte à cette époque-là et mon père l'a quittée pour vivre à Nice où il avait acheté un appartement dans un lieu bien exposé, ensoleillé et dans un quartier chic apparemment. Il l'avait acheté avec l'argent de la maison de sa tante. Maison dont il avait hérité et qu'il n'aurait pas dû vendre selon le souhait de cette tante. Et pourtant il a vendu la maison avant même qu'elle ne soit morte. Je vivais encore avec mes parents lors de l'achat et de son courrier pour connaître une autre femme sur Nice. La tante vivait avec nous. 
Il a vécu à Nice, sans complexe, avec une femme connue par correspondance. Il vivait plusieurs jours avec elle, à Nice et ramenait le linge sale à ma mère, à Marseille !

Ma mère dit qu'elle a pardonné à mon père cette période. Avec l'âge on finit par tout pardonner. Même moi je lui ai pardonné maintenant qu'il est mort. Pourtant les 3 mois que j'ai passés plus tard, avec lui, ont été un cauchemar! Le pire chez ma mère, est qu'en plus elle semble avoir tout oublié, tout effacé, tout déformé à la moulinette de ses interprétations. Bref, elle lui a pardonné. C'est même devenu un saint à ses yeux ! Elle a oublié les insultes, les exigences, les coups mêmes, les larmes et lui a consacré une sorte  d'autel, devant lequel elle parle à haute voix car elle prétend l'entendre lorsqu'il l'appelle de l'au-delà !

Ma mère parle de son attitude comme de la conséquence du " démon de midi. " Or mon père n'a pas attendu la quarantaine pour tromper ma mère, il l'a très souvent trompée. Il la trouvait distante dans ce domaine voire plus. Je suis certaine que lorsque j'ai fait l'école buissonnière, pour le voir, car je le croyais malade parce que sa voiture était devant la maison, il avait profité de son congé pour tromper ma mère, puisque malgré  ce congé, il était sorti.
Une autre année, lorsque nous allions en vacances à Saurat, il avait emmené avec nous l'ex-épouse de son copain et ses enfants. Pourquoi était-il si généreux ? Nous avions séjourné avec la femme et ses enfants, tout le mois, cet été-là, dans la même maison.

 
Ma mère s'est fait ensuite enlever les plaques, ( suite à son opération du col du fémur ) en 83.
En 86...
C'est nous qui avons eu un accident  : mon mari, les enfants et moi. Au retour du Cap d'Agde, mon mari qui était au volant s'est retrouvé face à une voiture qui avait complètement franchi la ligne continue. Pour l'éviter il a donné un violent coup de volant à droite et nous nous sommes encastrés dans un poteau électrique. Les enfants n'ont eu que des blessures légères. lui, a dû porter une minerve. C'est moi qui ai été le plus blessée avec un fort tassement de vertèbres qui m'a fait souffrir assez longtemps. J'ai été hospitalisée sur place puis transférée dans un hôpital proche de chez moi. Il m'a fallu rester un mois immobilisée sans même avoir le droit au début de soulever la tête pour manger.
Mon beau-frère, ma belle sœur, sont venus chercher les trois enfants qui étaient très choqués, récupérer les bagages et le chien.
Pour la suite de ce récit il y a bien des passages pour lesquels je ne suis pas d'accord avec ma mère. Elle prétend avoir eu un gros coup au moral à l'annonce de mon cancer des ovaires. Soit. C'était un an après notre accident de voiture et c'était un cancer grave, avancé dont peu réchappent. Qui allait s'occuper des enfants ? dit-elle. Et bien mon mari, le temps de mon hospitalisation et mon mari et moi dès mon retour à la maison ! Je n'ai jamais cessé de m'en occuper. D'ailleurs ils étaient scolarisés et ne pouvaient donc aller à Marseille. Elle ajoute que mon père est venu chercher notre fils ! Aucun souvenir de cela !!! Mon père est en effet venu me voir et pour la première fois, depuis mon mariage, c'est-à-dire 14 ans après, il a vu où je vivais. Je me souviens qu'il s'est signé, qu'il a joué au ballon avec notre garçon qui avait 8 ans et qu'il m'a invitée au restaurant comme je l'ai dit plus haut. Notre fils est allé à Marseille en effet, en dehors de nos propres visites, rares à cette époque, je le reconnais. C'est ma fille aînée et son mari qui partaient en voyage vers l'Italie qui l'ont laissé une fois en passant, à Marseille. Il y est allé aussi lorsqu'il a eu un cancer, à son tour, pour entendre mon père lui dire : " Tu es maigre et tu viens bouffer chez moi ! ". Mais jamais en dehors des vacances et surtout pas parce que j'étais malade ou pour nous aider. Je sais qu'ils l'ont amené à la Vierge de la Garde.
Le beau-frère de ma mère est mort en 95 à 85 ans.
Les filles de ma fille sont nées avec chaque fois un intervalle de deux ans et demi.
En 2003 ma belle-mère est décédée.
En 2003, ma mère a de nouveau été opérée de sa hanche et on lui a mis cette fois, une prothèse. Cette année-là mon père est décédé. Mais l'opération de ma mère a eu lieu avant. Elle dit que mon père était malade.  Il vieillissait et d'ailleurs il a toujours été plus ou moins malade. Il y avait donc des années et des années qu'il était à la fois vrai et faux malade. Où s'arrêtait le vrai ? Une fille doit-elle consacrer sa vie à son père parce qu'il a attrapé une mauvaise pleurésie pendant la guerre ?
A cette époque-là, mon père et ma mère ont donc fait appel à moi pour rester avec lui, le temps que ma mère fasse changer sa prothèse. Ma mère dit que je suis venue un mois. D'après mon mari et d'après moi, il semble que ce soit beaucoup plus. D'ailleurs elle a été opérée en Juin et j'ai quitté mon père alors qu'Août était entamé. Il faut tenir compte de l'opération et d'un mois de rééducation au moins. Peu importe. Ce qui me révolte, ce sont encore les interprétations de ma mère. J'ai tout laissé : un fils de 23 ans, étudiant,  déprimé à la suite d'un cancer, de jeunes petits enfants, mon mari...pour devenir l'esclave de mon père. Il sifflait pour m'appeler avec un véritable sifflet strident, exigeait une diversité
effarante de légumes  à chaque repas; je passais tellement de temps à ses repas que je n'avais plus le temps de cuisiner pour moi. Je me contentais de manger ce qu'il laissait lorsqu'il n'avait pas trop mis ses mains plaines de microbes dedans. Les repas qu'on lui portait ne lui suffisaient pas ( car en plus il recevait les repas du conseil général ! ). Enfin pour terminer le portrait, lorsqu'il n'aimait pas ce que je faisais, il prenait dans le plat et jetait à pleines mains sur la table... Bref, l'horreur pour moi qui avais appris à vivre en paix dans mon Sud Ouest. Il fallait que j'aille aussi voir ma mère et plutôt que de prendre trois bus, je coupais à travers les quartiers de Marseille et faisais jusqu'à 6 km à pied. Comme il me tardait de retrouver ma petite famille avec ses petits problèmes, ses petits heurts pleins d'affection... !
  Le mois de Juillet s'est ainsi écoulé. J'aurais dû rester en Août aussi, mais R. mon mari avait réservé depuis assez longtemps déjà, pour un voyage lointain et, sans certificat médical il n'était pas possible d'annuler. J'ai donc pris mes précautions. J'ai cherché une maison de retraite dans le quartier (que ma mère qualifie de mouroir ), mais tout de même celle indiquée par  son médecin de famille. Il est vrai qu'il en était le patron, qu'il ne pensait qu'à l'argent et que c'était un bonhomme horrible. J'ai fait appel à nos enfants qui devaient à tour de rôle passer leurs vacances à Marseille. Mais jamais je n'aurais fait subir à mes enfants la garde de mon père chez lui avec son sifflet, son machisme et ses exigences...
Il ne devait y rester qu'un mois dans cette maison de retraite. Je lui avais appris à se servir du téléphone portable et il téléphonait tous les jours à ma mère.
Pour en revenir à leur médecin de famille, il faisait passer les revenus de sa maison de retraite avant ses patients. Il était plutôt cynique. Devant mon problème : envoyer ma mère en rééducation ou mon père en maison de retraite, il m'avait, par curiosité malsaine, demandé si je préférais mon père ou ma mère. Que c'était à moi de choisir qui je devais sacrifier !
Bref, j'ai inscrit ma mère en maison de rééducation, j'ai gardé mon père chez lui et pour le temps de notre voyage, j'ai mis mon père provisoirement dans cette maison de retraite.
Une de mes filles devait venir une dizaine de jours d'août, pour le voir, et elle est venue tous les jours. Mon aînée est venue la dizaine suivante, en famille. Ils lui rendaient visite de temps en temps. Elle avait 3 enfants jeunes, mon père avait une maladie des poumons, elle évitait la multiplication des contacts. Mais elle y allait.
Il paraît qu'il n'y avait pas de sonnerie la nuit dans sa chambre et qu'une nuit, il est tombé du lit et est resté toute la nuit par terre, qu'une vieille dame lui avait volé dans son placard son argent, qu'il avait maigri ( évidemment, il ne mangeait pas des quantités de légumes à chaque repas ! Pourtant, ma mère ne précise pas que mes filles fournissaient des compléments à sa demande, qu'il avait même osé faire venir de l'extérieur des plats cuisinés et que pour la première fois, déprimé et conscient que les soins de sa femme-esclave lui manquaient, il avait négligé ses médicaments.

Ma fille aînée et son mari devaient le ramener chez lui, au retour de ma mère à la maison. Ce qu'ils ont fait. J'avais programmé la venue d'une femme de ménage et  l'apport de repas, de deux maisons différentes, pour qu'il ait le choix des menus et que ma mère cuisine moins, car elle n'était pas remise... Mon père est mort dans son lit, en 2003, par temps de canicule, quelques jours après son retour à la maison.
Il avait réussi, par cette mort, et bien malgré lui, d'ailleurs, à me mettre mal à l'aise et à me faire sentir coupable. De quoi ? Je ne sais au juste. D'avoir suivi mon mari en voyage ? D'habiter loin de chez eux pour vivre ma vie ? D'avoir agi cet été-là, avec un sentiment mêlé de devoir ( quel devoir, enfant j'avais été élevée par ma tante ! ), de répulsion devant ses tenues négligées ( même en maison de retraite, il se promenait presque nu au grand scandale des vieilles dames ), de rancune et tout de même d'attachement à ma filiation.


Il faisait beau à Marseille, mais j'ai honte de le dire, je n'éprouve pas assez d'affection pour ma mère. Le fait qu'elle n'ait pas été près de moi dans l'enfance y est pour beaucoup. De plus je me sens trop loin d'elle pour les idées. Elle ne pense qu'à travers une religion mal assimilée et avec des œillères, elle est un peu raciste, un peu égoïste... Bon mais c'est vrai qu'avec nous deux, elle n'est pas trop désagréable.

Ma mère a oublié mon enfance. Elle est toujours persuadée d'avoir raison :  " Vous nous laissez seuls et malades ! ) a-t-elle écrit. Ils n'ont jamais été seuls. Maison de rééducation pour l'un, maison de retraite ( et elle coûtait cher ! ) pour l'autre. Toujours la présence pas loin de leur fille ou de leurs petites filles. " Ton père, après 22 opérations ( en une vie ) finit sa vie dans un lit médicalisé " et y meurt.  Et elle ajoute : " Je n'arrivais pas à pleurer tant cela est arrivé vite ! " Vite ? mais elle le dit elle-même : il avait subi 22 opérations dans sa vie dont l'ablation d'un lobe de poumon. Il avait plusieurs maladies de longue durée et 85 ans malgré tout.
Est-ce que je sais comment je vais finir moi ? Est-ce que mes enfants en seront responsables ?!! Ils vivent leur vie eux aussi. Et j'en suis heureuse. Nous les avons élevés ( nous-mêmes ) pour qu'ils volent de leurs propres ailes et non pour qu'ils s'occupent de nous plus tard.
Finalement ma mère était assez aigrie par la vie, elle aimait critiquer : "
Mi, n'a pas offert de fleurs à l'enterrement de Ro. sous prétexte de grosse chaleur. Elle avait dû oublier la belle et coûteuse couronne que j'avais offerte pour l'enterrement de P..
Cl à sa retraite avait habité Marseille avec sa mère et sa s
œur. Elle avait fait monter un étage, ma sœur avait ainsi deux de ses filles à sa disposition pour s'occuper d'elle....Toutes ces phrases cachaient son amertume et son côté aigri. C'étaient aussi souvent des pointes pour moi qui vivais si loin d'elle et qui finalement m'en occupais peu.
Jo. Jan. est mort en Décembre 1963. Mireille aurait vécu quelques temps avec l'épouse de Jo Jan ? Cette tante, morte quelques années plus tard, se laissait aller. Elle souhaitait qu'on lui fasse le ménage et ma mère y allait le Samedi. Je me souviens qu'elle m'envoyait parfois voir comment elle allait.
Ils ont ensuite acheté à BL pour recevoir la famille. Malheureusement nous habitions loin. Les enfants grandissaient et il était difficile d'aller voir les grands parents plus souvent.
C'est à la fin de son journal  que ma mère écrit ses différents avec nous. Différents qui nous ont vexés et qui nous sont tombés dessus sans que nous nous y attendions.
Le premier concerne un vieux lit d'enfant qui remonterait pour l'achat à ma naissance si ce n'est à la sienne. Ce lit, nous l'aurions emprunté pour notre fille aînée ? Aucun souvenir. Mais, comme elle marquait tout, pourquoi pas ? Pourtant, notre fille aînée a eu un couffin dès la naissance et lorsque nous sommes allés au Maroc nous avons acheté là-bas, un lit d'occasion. Ce même lit est arrivé en France avec le déménagement pour notre fils plus tard. Y a-t-il eu une période de transition durant laquelle nous aurions emprunté son vieux lit ? Peut-être... J'ai oublié. Mon mari en a été vexé car en effet elle nous a souvent répété que nous avions pris un lit d'enfant. Elle répétait cela alors que nous étions vieux et que nos enfants avaient 20 ans !!! Qu'est devenu ce lit ? Nous avons jeté depuis longtemps le nôtre. En admettant que nous ayons emprunté celui-ci, à qui d'autre aurait-il pu servir ? Nous l'avons sûrement jeté aussi et de plus je n'en ai aucun souvenir. Le ramener, faire plus de 800 km avec, pour qui ? dans une maison de vieillards pleine de vieux objets inutiles.
Le deuxième différent concerne les chats. Il y a deux histoires concernant les chats :
J'ai raconté un jour que nous amenions en vacances à Saurat, une chatte et son petit. Le petit étant mort, nous avons amené la chatte seule. La tante qui habitait Saurat étant morte aussi, nous avons déménagé chez elle car sa maison était un peu plus confortable. La chatte s'est perdue et a retrouvé l'autre maison. Je me souviens l'avoir vue dans un clapier ouvert. Elle semblait nous attendre. Eh bien non, ma mère ( qui note tout ) me dit que je ne peux pas l'avoir vue car j'étais en colonie. Triple colère. Je me souviens très bien l'avoir vue. Peut-être même est-ce moi, enfant, qui ai eu l'idée d'aller voir là-bas. Colère de penser que pendant leurs vacances ils m'avaient mise en colonie ! Colère de ces mises au point mesquines et tardives. Je pense qu'en réalité je suis revenue de vacances avant la fin de leur congé, que j'ai dû être furieuse de savoir qu'ils l'avaient perdue et que nous l'avons retrouvée après mon retour. Qui saura jamais ? Est-ce utile 20 ou 30 ans après ? Un journal doit être un lien affectueux, une sorte de bon souvenir, de réconciliation comme héritage.
Je viens de faire mon cours séjour à Marseille, et je suis de retour à G.. Ma mère va à peu près, mais elle a fait un retour à des souvenirs qu'elle m'avait souvent racontés... un peu tristes, comme si elle devinait que c'était presque fini. La mort de son chat l'a démoralisée. J'ai essayé de lui en procurer un autre, elle ne veut pas...
Cette deuxième histoire de chat est plus récente. Ma mère nourrissait depuis un certain temps beaucoup de chats errants...
Cette année-là, elle est revenue à Marseille et son chat sauvage est mort peu de temps après. Cela faisait deux fois qu'elle venait chez nous et qu'au retour elle perdait un chat. Cela m'ennuyait de la laisser seule, sans compagnie. Je lui ai proposé  un chat de la SPA. Il serait bien à elle, vacciné, soigné et en recherche de maître affectueux et non sauvageon. Elle a fini par accepter. Nous avons été ensemble à la SPA le choisir. Une dame nous a même conseillé. Une autre trouvait ma mère un peu âgée pour adopter un chat. Bref nous sommes revenus à la maison avec une jolie chatte noir et blanc, très douce qui a vraiment fait son bonheur pendant un temps. Mais ma mère s'est aperçue qu'elle était souvent malade, son carnet de santé n'était pas complet...La SPA prétendait pourtant toujours donner des animaux sains, contrôlés, vaccinés... Et moi qui avais insisté pour qu'elle prenne un chat soigné, vacciné etc... et non un vagabond ! J'ai été trompée  par la SPA de Marseille ! La lui avaient-ils conseillé parce que ma mère était elle-même vieille ???
. Visite chez le vétérinaire. La chatte avait le SIDA des chats. Un cauchemar pour ma mère qui l'a fait soigner jusqu'au bout. Et bien sûr, c'était de ma faute !!! Ma mère en effet, m'a considérée comme un peu responsable, disant qu'elle préférait ses vagabonds et elle a même réussi à se faire rembourser la somme demandée par la SPA. Mais cette fois elle n'en veut plus de chat de la SPA. Pourtant qu'est-ce qu'elle l'a aimée cette chatte qui venait de la SPA !
La conclusion de ma mère est dure : "Je vis seule à 87 ans bien que j'aie une fille trois petits enfants et des arrières petits enfants. " Elle oublie de dire qu'elle ne veut pas aller en maison de retraite. Elle oublie de dire qu'elle ne veut pas vivre avec nous. Elle oublie certains des comportements du passé surtout de mon père qui, lorsqu'il a vu venir mon fils après son cancer a dit : " Tu es maigre et tu viens bouffer chez moi ? " Ma mère poursuit ainsi : " Je m'occupe comme je peux, je vais au club, je joue au loto, je bavarde avec des copines. Je participe à certains repas et à certains voyages. Je fais mes courses et je soigne des chats abandonnés.

 Ma mère depuis qu'elle est veuve est venue plusieurs fois chez nous passer un mois ou deux. Elle n'est pas trop trop pénible mais têtue et persuadée que sa fille a des devoirs envers elle.
 Ma maman est vieille, seule, mais en bonne santé; je dois cependant aller la voir régulièrement. La dernière fois, j'ai cru bien faire d'aller lui chercher un chat à la SPA, le sien était mort. malheureusement, alors que je lui avais dit : " il aura été vacciné, soigné etc... " Nous sommes tombés sur un chat qui avait le Sida " !!! Elle a bien assez râlé à cause de cela. mais comment pouvais-je le savoir. Je soupçonne la SPA de le lui avoir vendu parce qu'elle était vieille. Le chat lui a coûté cher !.

-Tu devrais téléphoner à Mamie, tu sais bien comment elle est, elle boude que tu ne lui ais pas téléphoné. Dis-lui quel jour tu viens, si tu auras de quoi manger etc...
 
Ma mère avec l'âge vient plus rarement et désormais il faut aller la chercher jusqu'à Montauban à plus de 100 km. Elle a peur de changer seule de train. De plus elle se débrouille pour son retour de prendre un train qui va la faire rentrer à Marseille dans la nuit !!! C'est inquiétant car alors il n'y aura ni métro, ni bus et pas facile de trouver un taxi. Si je ne peux pas changer son billet, il faut que je l'accompagne jusque chez elle. Deux jours de voyage !
Maintenant, ce n'est plus à Montauban qu'il faut aller la chercher, mais à Marseille. Parfois un seul d'entre nous y va. Nous aussi, nous avons nos activités, nos responsabilités et nous vieillissons.

 
Ce sont les vieillards qui font notre passé et notre futur aussi. Quand ils partent, il semble pendant un moment que ni ce passé ni nous, n'avons eu d'existence réelle et surtout nous avons perdu notre avenir car c'est nous qui devenons l'ancêtre.
La mort, ma mère en parle, ce n'est à la fois pas une terreur pour elle et une inquiétude réelle. On a toujours tendance à étirer vers l'infini cet avenir. Je ne suis pas certaine d'avoir vraiment connu ma mère et je sais que je vais rester avec ce regret comme je l'ai parfois pour mon père. Après la mort d'une personne les rancunes s'effacent. Je reconnais que je ne fais pas beaucoup d'efforts pour parvenir à la connaître mieux  et elle reste trop attachée aux apparences, aux gestes, aux paroles qui sont superficiels et cachent la partie profonde de chacun. Je suis et resterai très réservée. Les élans d'affection naissent dans la petite enfance et je ne l'ai pas vécue avec elle. Ce fait a tué mes propres élans d'affection envers mes propres enfants que j'adore cependant. J'arrive mieux à les manifester envers les petits lorsque je les vois souvent et que je les garde parfois.

 Chaque année pour les fêtes ou l'été, c'est le même souci...Ma mère arrive ce soir. Il faut que j'aille la chercher à Montauban et cela m'inquiète un peu car je ne connais pas bien la ville. Je sais que la gare sera bien indiquée, mais est-ce que je trouverai facilement à me garer ? Enfin on verra. Il faut que j' apprenne à me débrouiller. Les autres fois, c'était mon mari ou ma fille qui y allaient...Ma fille a son bébé maintenant, mon mari ne doit pas conduire avant demain soir à cause de son intervention  ( Il vaut mieux respecter ce délai  ) et lorsqu'il va bien il est désormais pris par l'entreprise de notre fils...

A un moment donné, elle avait envisagé de venir vivre près de chez nous à la suite d'une sciatique qui l'avait inquiétée. Mais elle avait toujours peur de réaliser ces projets. Il aurait fallu le faire plus tôt, qu'elle ait le temps de se faire des amis. L'appartement était occupé par un locataire et après ma mère n'avait plus voulu. Elle ne souffrait presque plus de cette sciatique. Comment faire des projets avec une personne indécise ?
De plus, nous sommes toujours submergés d'occupations.
R. est toujours adjoint au maire, il écrit les articles locaux pour le journal la dépêche. Heureusement il a pratiquement abandonné la bibliothèque, le site du village qui ne tourne plus d'ailleurs et il n'écrit presque plus ses fascicules sur le passé et le patrimoine local.
Ma mère va bientôt donc peut-être venir vivre à B., elle ne se sent plus de rester absolument seule à 87 ans. Dans un premier temps nous allons lui aménager le petit appartement au centre et pas loin de chez G. Dans quelques mois... car nous avons un locataire. Il y a longtemps qu'on lui propose cet appartement, mais elle avait du mal à quitter son climat, son club et ses quelques amies. Elle vient seulement de se décider car elle est bloquée par cette sciatique mais le lendemain elle n'est plus aussi volontaire ! Elle croit qu'elle va pouvoir venir du jour au lendemain, mais il faut faire plein de travaux à commencer par mettre une douche au lieu d'une baignoire, séparer l'immense salon en deux pour qu'elle ait une chambre... Après il faudra sans doute la prendre chez nous et j'avoue que cela me fait un peu peur. A B., elle aura des voisins un peu de son âge, l'ascenseur, c'est en plein centre donc avec tout : bibliothèque, magasins, église...Allons-nous trouver l'équivalent de son club ? Je ne sais pas. Mais nous pourrons la voir en allant faire des courses, aller la chercher pour le WE. Sa sciatique a guéri et elle n'a plus voulu. Le locataire reste et tout est à repenser !
Nous nous sommes souvent occupé de son jardin vers la fin de sa vie. Elle ne voulait pas payer un jardinier. J'arrachais quelques herbes, nous allions à la déchetterie. Je taillais les branches envahissantes ( cela m'a déclaré une maladie de Dupuytren, grosseur dans la main ! ), mais c'est surtout mon mari qui faisait le plus gros du travail.
 
- As tu passé un bon séjour à Marseille chez ta mère ? C'est vrai que la solitude chez les personnes très âgées les rend moins sociables et facilement irritables, j'imagine aussi toutes les misères subies jour après jour et je ne te cache pas que cela me fait peur quand j'y pense, peur parce que notre tour viendra tôt ou tard mais ainsi est faite la vie et profitons à fond du bon temps qu'il nous reste !

Maintenant, elle n'accepte même plus de venir, sauf si je vais la chercher à Marseille. Et ça m'embête. Je comprends qu'elle est âgée, mais elle me faisait tout de même un peu de chantage à un certain moment car je sais que dans le même temps elle voyageait encore avec son club et elle a accepté d'aller en croisière. Ce qui lui a d'ailleurs coûté cher. C'est elle la première qui nous a reparlé d'une croisière. Nous en avions fait une ensemble il y a quelques années. Mais elle était plus jeune, plus alerte. Nous n'avons pas osé nous opposer à sa participation à cette croisière. Mon mari refusait de l'inscrire aux sorties. Têtue, elle prétendait y arriver. Or, elle ne marche plus qu'en traînant les pieds. Nous avions amené des enfants, des petits enfants. Nous étions 9. Le premier jour, il y a eu une tempête. Le roulis l'a déstabilisée et elle s'est cassé les côtes contre la table de nuit. Eh bien maintenant, elle dit qu'elle n'était venue que pour nous faire plaisir. Façon de me culpabiliser ?

- Comment s'est passée votre croisière en famille ? Les enfants ont-ils apprécié ?
Tatie R.M. s'est blessée à une jambe au retour de la croisière d'après ce que me dit Maman, et vous l'avez prise avec vous à G.. Pourrais-tu nous envoyer de ses nouvelles ? Maman s'inquiète pour sa sœur, car elle n'arrive pas à vous joindre par téléphone
.

     
- Merci de prendre des nouvelles. En fait cela s'est mal passé pour maman. Le premier soir il y avait un fort mistral de 120 km heure et donc une assez violente tempête. Au repas, elle a eu le mal de mer et S., le mari de C. l'a raccompagnée à sa cabine. Nous n'étions pas au même étage.
Dans la nuit, au lieu de rester au lit avec une protection, elle a voulu aller aux toilettes et la houle l'a fortement bousculée, elle s'est cassé les côtes contre la table de nuit, avec épanchement dans la plèvre. Elle a été conduite à une clinique de Barcelone où elle est restée jusqu'au 4. Je l'ai fait rapatrier chez nous après la croisière. Malheureusement pour elle, cela a été le seul jour mauvais. La croisière a été très agréable, il y a eu un vent assez violent le dernier jour au retour sur Marseille mais pas aussi violent et il n'y a pas eu d'autre accident. Nous sommes restés avec elle R. et moi, à la clinique, le jour de l'accident, le plus longtemps possible. Puis j'ai poursuivi le voyage. Nous avions deux des petits dans notre cabine dont celui de Guillaume en entière responsabilité.

Nous l'avons depuis à la maison. Maintenant, elle souffre encore beaucoup; les côtes, c'est très douloureux, mais je la pousse à se débrouiller de plus en plus et à marcher, car sinon, elle ferait une phlébite. Ses jambes ont tendance à enfler.
Elle va rester à G. jusqu'aux fêtes, au moins. Peu à peu, elle commence à aller mieux...
Nous avons un autre voyage prévu. Pendant cette période, elle devait aller chez I., mais elle ne veut pas rester seule la journée et I. travaille. Nous allons donc la confier à une personne, une voisine agréée, qui a déjà 3 personnes âgées, pour la durée de notre voyage et I., mais aussi mon beau-frère et ma belle-sœur, passeront la voir.
- Je l'ai laissée en clinique à Barcelone. Je n'ai pas abandonné la croisière. J'avais mon petit fils en responsabilité. Ma fille aînée et sa famille. Le voyage était payé. Lorsqu'elle a été rapatriée, nous l'avons reçue à la maison.
-  Nous avons levé mamie. Merci pour la chaise, elle sert déjà pour son repas.  J'ai mis mamie devant la télé cela lui rendra un peu le moral. Mais elle s'ennuie chez nous. Elle a sa douche, sa chambre, la télévision à volonté ( qu'elle met à fond ). Elle pourrait vivre avec nous, elle verrait ses petits enfants, ses arrière-petits enfants. Eh bien non. Chez nous, dans une famille de 15 personnes proches... elle est seule, elle ne voit personne dit-elle. Il est vrai qu'elle est sourde, qu'elle refuse les prothèses auditives, et que chez nous, nous ne crions pas comme à Marseille, nous parlons.
Et maintenant, elle me demande quand est-ce que je viendrai à Marseille = une journée de voyage ! pour l'amener chez le dentiste !

- J'ai bien vu que garder Mamie pendant notre voyage t'angoissait...De plus, elle a peur de rester seule toute la journée... Bref, nous sommes en train de faire des démarches pour la laisser chez Mme L.. Je pense que cela va se faire pour une vingtaine de jours.
Le rendez-vous pour la radio, c'est Mercredi. Il faudra t'annoncer à Mme L. la veille, aller chercher Mamie et J.. J. est au courant. Elle rentrera avec Mamie pendant que tu iras te garer avec B.. Tu les déposes devant. Je suis désolée pour la sieste de B.. Peut-être le matin et en fin d'après-midi?  
- Ne t'inquiète pas pour Mamie, tu n'as pas à l'inviter. Papa dit n'importe quoi. Ses repas sont payés et la maison serait froide. Par contre tu peux lui téléphoner ou aller la voir quand cela t'arrange.
- Pour mamie, c'est ok, je l'ai eue hier. Tout va bien. Elle a toujours très mal mais ça va. Elle a essayé d'utiliser le téléphone portable pour appeler quelqu'un mais n'a pas réussi. J'avais essayé de l'appeler deux fois en fin de semaine, mais elle ne répondait pas. Du coup, elle a dit à P. que personne ne l'appelait. Bon, enfin, je l'ai eue hier quand même... Je n'ai pas osé utiliser le N° fixe....
- Impossible de joindre Mamie ( téléphone éteint ? elle ne veut pas décrocher ?) et quand je fais le fixe, personne... P. passe la voir régulièrement ( tous les 2 jours), il y revient demain et moi je passe mercredi. Elle exagère de dire qu'on l'a abandonnée...
-   Merci pour les nouvelles. Elle est manifestement en train de déprimer...d'autant qu'elle a encore du liquide dans les poumons.

- Elle a toujours du mal avec le portable que vous lui avez prêté. De plus, elle le laisse souvent débranché. Le froid arrive ce qui n'arrange rien !

 
- Comment ça va ? Apparemment mamie a des problèmes avec le portable, tout simplement. Elle dit que vous ne l'appelez pas, mais sans doute qu'elle ne le branche pas régulièrement ou mal ou qu'elle n'entend pas toujours la sonnerie si elle sommeille.
- Il faut expliquer de nouveau à Mamie pour le téléphone; il faut savoir aussi qu elle doit mettre du temps pour répondre ou qu elle fait la sieste ou se couche tôt. P. et J. sont sympas d'aller si souvent la voir.
- Mamie s'est plainte tout hier matin d'avoir mal. Mme L. m'a demandé d'aller voir avec elle le médecin. Après la radio, on s'est donc arrêté au cabinet : au niveau cardiaque, c'est mieux, les jambes sont moins gonflées. L'hématome du côté droit est mieux mais encore impressionnant. T. lui a enlevé le point qu'ils avaient fait en Espagne. Par contre, elle a toujours de l'eau dans les poumons. Moins, mais suffisamment pour qu'elle ait encore du mal à respirer. T. voulait l'envoyer de suite à la clinique mais le spécialiste a préféré la voir d'abord. Résultat Rendez-vous avec moi, ce matin à 10h15. J'ai donc supplié J. et P. de l'amener ( je ne pouvais pas encore manquer l'école !! ). Ils n'étaient pas très "chauds". Ils doivent m'appeler à 12h pour me dire si le traitement se poursuit " à la maison " ou s'il faut l'hospitaliser.
- Mamie est rentrée chez Mme L., elle n'a pas besoin d'être hospitalisée. Il reste très peu d'eau dans ses poumons; Des piqures comme l'autre fois devraient suffire. Mais elle est très fatiguée par les voyages et les Rendez-vous. Il faut qu'elle se repose. Tension OK. Il lui a prescrit un antidouleur ( style doliprane...).

Mamie va a l'hôpital demain se faire enlever l'eau dans les poumons suite à la radio d'aujourd'hui Pierrot et Jeannette l'emmènent demain.

-  Hier, nous sommes allés voir Mamie, elle avait mal dormi, mais elle avait l'air d'aller. Elle respire mieux. Elle compte les jours de votre retour, il lui tarde de revenir à la maison, en famille. Mme L. vous fait dire de ne pas débarquer pour dire " on part avec elle " sans l'avoir prévenue la veille, au moins...

 
- Mamie compte les jours de votre retour elle va bien.
   
- Nous irons chercher Mamie le Samedi entre 17 h et 18 h. Peux-tu le  dire  à Mme L. s'il te plaît ? Nous, nous serons dans l'avion et que cela lui plaise ou non, nous débarquerons chez elle !!! Mais essaie de lui téléphoner...Retour aléatoire bien sûr !!! Le train arrive vers 16 h, dans un autre message tu auras l'heure exacte.
- Ma mère est toujours chez nous et va un peu mieux. Nous la ramènerons sans doute à Marseille après les fêtes..
 
Ma mère est décédée et sa mort m'a marquée plus que je ne le pensais. Je me sentais sans raison coupable. On pense toujours que ce n'est pas le dernier moment. Et je me suis brusquement retrouvée à la place de l'ancêtre...
Ma tante commence à perdre ses idées.

Ainsi la vie continuait paisiblement et un an après ma naissance, un troisième enfant venait agrandir la famille et la combler de bonheur. Ce fut un garçon appelé Jean. Mais la joie fut de courte durée. Ce petit garçon tant désiré décéda quelques semaines après sa naissance des fièvres du paludisme.Je pense que ce fut un drame, surtout pour notre mère. Mais le malheur ne s'arrêta pas là.

En effet, en 1925, ce fut le tour de notre père. A l'âge de 27 ans, il mourut du tétanos. Pour notre mère, tout s'écroulait. Elle dut emballer toutes nos affaires, laissant son mari enterré aux Comores où il avait été appelé en mission. Elle partit avec ses deux enfants jeunes pour le très long retour vers la France.


 

Chapitre 2


Nous sommes venues vivre chez les grands parents. Ils étaient déjà trois dans la maison : grand-mère, grand-père et la sœur de la grand-mère appelée Marraine car elle était la marraine de M.. Quant à moi, j'aurais dû être tenue sur les fonds baptismaux par la sœur de notre père, Laurence, d'où mon deuxième prénom. Mais comme elle habitait l'île de la Réunion, elle n'a pas pu venir. J'ignore qui m'a tenue lors du baptême.

En réalité ma mère a bien été baptisée à l'île de la Réunion


Alors, faute de marraine, j'ai adopté celle de ma sœur, mais elle aussi faisait des différences entre nous deux.

Nous vivions pauvrement dans la petite maison des grands parents. Il n'y avait même pas de toilettes et nous devions aller pour nos besoins au fond du jardin où était aménagé un cabinet en planches, l'hiver, c'était dur de sortir en se levant.

J'avais un lit métallique pliant comme les enfants, installé au pied du lit des grands-parents, la marraine dormait sur un divan dans la salle à manger et M. avec notre mère dans une petite chambre.
Je dormais avec un chat abandonné sans que personne s'en aperçoive, j'ai toujours aimé les chats, c'étaient mes meilleurs amis..


Dès notre arrivée à Marseille nous sommes allées à l'école paroissiale, je n'avais que deux ans, notre mère avait pu reprendre son travail au Fort St Jean.
Le jeudi, n'ayant pas classe, nous allions au patronage, la religieuse qui était très âgée mais très gentille était aidée par une demoiselle âgée qui s'occupait de nous, ce qu'elle avait déjà fait du temps de notre mère.
Avec le patronage, nous étions allées deux fois en colonie de vacances, tout d'abord en Haute Loire où nous avions visité Notre Dame du Puy, nous étions allées jusque sur la couronne en montant par un escalier intérieur d'où nous avions une vue magnifique.
Une autre année, nous étions allées à Lourdes et nous avions dit à la religieuse que nous avions vu notre curé avec la directrice de l'école. Elle n'arrivait pas à nous faire taire.

Un soir, nous sommes allées taper à la porte de sa chambre pour lui dire qu'une copine était malade, nous voulions simplement la voir tête nue sans sa cornette, mais elle avait un bonnet, elle n'était pas contente du tout.

Plus tard à Marseille, nous étions allées rendre visite au patronage des Chartreux, quartier près de chez nous, devant la porte de l'hôtel était marqué sur le tapis " caressez le paillasson "? Nous nous sommes penchées pour le caresser avec la main. Soeur Henriette ne savait plus où donner de la tête: Mesdemoiselles, voyons, un peu de tenue ! "

Nous avions fait la connaissance d'une fillette miraculée.

Un photographe, choisi par les autorités a fait installer tous les patronages de Marseille sur les marches de la basilique pour faire une photo d'ensemble, à un moment, il a crié : " il y a un drapeau tenu trop haut qui gêne".
C'était le nôtre qui avait pour devise inscrite : " toujours plus haut "; nous en avions un autre : " Un cœur d'or dans une âme blanche " représenté par une marguerite, quant à la première devise, elle était symbolisée par  une étoile dorée au bord d'un béret rose.

Notre tenue comprenait une jupe marron avec quelques plis sur le côté, un chemisier rose et une cravate rose.
Mais pour les processions à Lourdes nous étions habillées en blanc avec le voile de la première communion soutenu sur la tête par le béret rose.
Les pèlerins qui nous croisaient nous demandaient d'où nous venions et nous félicitaient en disant, quand vous défilez, on dirait un parterre de roses. Les anglaises avaient un voile bleu en toile, aucun n'avait le même ton, ce n'était pas très joli.

Nous avons grandi normalement, avec pour consigne de faire du rangement le jeudi, une dame venait laver le linge au lavoir, pas de machine en ce temps-là.

Le Samedi, notre mère ne travaillant pas, on faisait toutes les trois les tâches ménagères que la grand-mère ne pouvait faire, elle se contentait d'aller faire les courses et de préparer le repas 
C'était déjà bien pour son état de santé. Je l'ai toujours connue vieille avec le do voûté.

Un jour, en revenant des courses, elle ne reconnaissait pas son chemin et elle parlait à haute voix dans la rue : " Mais mount et sian " ( Mais où suis-je ? "? C'est un voisin aveugle qui lui a dit : " Mémé vous êtes sur le bon chemin".

Par contre, le grand-père qui avait 4 ans de moins qu'elle, ne voulait pas qu'on l'appelle grand-père, ce qu'on ne manquait pas de faire quand en allant à l'école on l'apercevait sur un chantier. De sa main il nous faisait signe que nous allions recevoir une fessée. Fessée qu'il ne donnait jamais. Il était si gentil. Il voulait qu'on l'appelle parrain car il avait tenu ma sœur sur les fonds baptismaux. Mais quand on est jeune, on est si taquin !

La vie se déroulait simplement. Quand M. a eu 6 ans, nous sommes allées à l'école communale. J'y ai eu droit moi aussi à condition que ma soeur s'occupe de moi. Elle a tellement pris son rôle au sérieux que cela a continué tout au long de ma vie.

Un jour que nous étions allées en excursion avec la patronage et que nous avions chacune un sac à dos elle a ainsi voulu commander.

Dans son sac se trouvaient  les aliments qui étaient toujours : pigeons et petits pois du jardins, dans le mien la gourde pleine d'eau avec les gobelets. Nous étions assises à terre, ma sœur avec ses copines de classe et moi avec les miennes. Quand je suis allée vers elle pour obtenir ma ration, elle m'a répondu : " Tu n'as qu'à rester avec moi. " Comme je n'étais pas contente du tout, je lui ai répondu : " Et bien, tu ne boiras pas " !

On se chamaillait souvent, notre mère n'avait d'yeux que pour elle, soi disant qu'elle travaillait bien à l'école. Il est vrai que je ne faisais pas beaucoup d'efforts. Mais ma famille, au de m'encourager ne faisait que me répéter : " Tu vendras des citrons ".

Enfin, notre mère avait décidé de me faire donner des leçons par la fille d'un couple ami de la marraine qui habitait en ville. Donc le jeudi j'allais chez Denise T.i. Ce qui me faisait le plus plaisir, c'était le petit déjeuner qu'elle me servait avant de me mettre au travail. C'étaient toujours de gros sandwiches, avec de la confiture ou de la charcuterie.

Le Dimanche nous allions souvent au théâtre. Ma première comédie fut Faust. Quand le diable a fait son apparition sur scène, il paraît que j'ai crié.
Plus tard lorsqu'on a joué pour la première fois Rose-Marie nous y étions allées et j'avais eu droit à une entrée gratuite, d'après le journal local, à cause de mon prénom.
J'avais environ 9 ans, quand le grand-père de la Réunion mourut, quelques temps avant, il nous avait envoyé des pochettes brodées pour notre première communion et une somme importante à notre mère pour subvenir à notre éducation, mais elle en a profité pour acheter une maison plus grande. J'(avais
désormais une chambre, ce fut un bonheur. Bien qu'on ne le connaissait pas notre mère a tenu à nous faire porter le deuil.
Au patronage, on devait fêter les cinquante années de service de M
elle Vinclair, la personne qui aidait la religieuse. Colmme elle avait gardé avant nous notre mère lorsqu'elle était enfant et qu'elle allait au patronage, j'ai été choisie pour lui faire un discours . Toutes les filles qui avaient participé à la fête avaient droit à une brioche qui pourtant m'avait été refusée.Je suis allée voir ma mère en pleurant, celle-ci est à son tour allé voir Melle Vinclair. Cette personne m'avait accompagnée au bureau de la religieuse, avait demandé aux grandes laquelle avait refusé la brioche à Rosette ( c'est ainsi qu'on m'appelait lorsque j'étais jeune ). Elle avait même ajouté " alors que c'est elle qui m'a fait un si beau discours ! ".

- On croyait que c'était Rosette Costa
C'était la sœur de la pianiste ! Comme quoi la popularité avait son importance !
- Mais non, pas du tout.

Enfin j'ai eu ma brioche. C'est qu'à la maison, on n'en mangeait jamais !

La grand-mère cultivait le jardin, il n'y avait pas un centimètre libre
sur le terrain, ce qui nous permettait de vivre des produits récoltés. Nous profitions aussi du poulailler. A Noël on mangeait l'oie que je nourrissais. mais quand la grand-mère lui coupait le cou et qu'elle partait en courant sans tête, j'étais dans tous mes états.
Notre mère avait fini par faire la connaissance d'un homme marié. Quand par hasard il écrivait, la grand- mère subtilisait les lettres et si elle s'apercevait que nous lui écrivions, elle nous prenait les lettres et les déchirait.
Une seule fois nous étions allées dans le Var en vacances et nous avions retrouvé à l'hôtel de monsieur. Un jour, j'avais arraché des mains de ma sœur un petit matelot en carton pour l'envoyer dans la rivière qui passait sous nos fenêtres. J'ai reçu une gifle de Paul. Tel était son prénom.
J'avais une telle colère que je lui ai crié " Vous n'avez pas le droit de me frapper, vous n'êtes pas mon père. Je crois que j'avais jeté un froid qui s'est terminé par une séparation. Je n'ai jamais su ce qu'en pensait ma sœur.

Pendant ce temps nous poursuivions nos études. Je ne me plaisais pas à l'école communale où j'ai usé mes culottes de la maternelle au certificat d'études que je n'ai pas obtenu la première fois. A mon grand regret il a fallu que je redouble.

Aussi quand je venais me faire inscrire à chaque rentrée, la maîtresse ne manquait pas de me dire " Oh, toi, je te connais ".
J'avais pris en horreur cette école. Chaque fis que je toussais (
et j'étais sujette à la toux ! ), la maîtresse me donnait un mot pour que les parents me gardent à la maison. Ce qui n'arrangeait rien. Il y avait aussi la fille de la maîtresse dans notre classe qui était une vraie chipie. Dans la cour, si on jouait à Colin Maillard ( jeu qui consiste à déposer un mouchoir derrière une élève, laquelle doit le changer de place ), elle n'a jamais voulu se mettre à côté de moi.
Pensez, une élève qui portait des chaussures accordées par la mairie, en tant qu'orpheline ! En classe, j'étais en train d'écrire, pendant que sa mère nous faisait faire une dictée, mademoiselle se promenait.Elle m'avait donné un coup de coude et j'avais dérapé sur mon cahier...

Par contre la directrice qui vivait avec sa nièce, laquelle avait deux filles, était très généreuse. Elle me faisait essayer les vêtements qui n'allaient plus à ses nièces, dans le hall en toute discrétion.
Un jour, en revenant de l'école nous avions trouvé la grand-mère en pleurs. Elle avait ramassé notre chien qui venait de se faire écraser par une voiture. Nous étions tous désolés. Rip était si gentil.
Comme j'avais  enfin obtenu mon CEP, notre mère avait décidé de m'envoyer faire une année de cours supérieur dans un quartier proche de celui où nous habitions. Pensez un peu, je n'étais pas capable d'aller en ville, moi, la simplette !

Après le certificat d'études je suis donc allée dans cette école de Beaumont, banlieue proche de la nôtre pour poursuivre une année de cours supérieur. Le jour de la rentrée, alors que la directrice faisait l'appel, elle s'arrêta à mon nom et leva la tête :
- " Ah, c'est votre mère qui s'était mariée avec un noir ( elle avait connu notre grand-mère ).
- Non, madame, mon père n'était pas noir. Sa famille était issue de la Réunion, un département français !
- Peu importe, cela saute parfois plusieurs générations et vous risquez d'avoir des enfants noirs... "

Quelle tête de mule cette directrice ! Quand on débute une année scolaire, dans une nouvelle école, de cette façon, cela vous refroidit.

Enfin, en ce qui concerne mes études, je ne suis pas allée jusqu'au BAC comme ma soeur qui finalement ne l'a pas réussi. Ce qui ne lui a servi à rien. Moi, j'ai toujours été reçue dans tous les examens que j'ai présentés dans l'enseignement supérieur. ( hormis le certificat d'études primaires que j'ai dû repasser...) que ce soitau cours supérieur, au cours complémentaire et pratique. Ce qui m'a bien servi dans la vie.

Aussi quand je venais me faire inscrire à chaque rentrée, la maîtresse ne manquait pas de me dire " Oh, toi, je te connais ".
J'avais pris en horreur cette école. Chaque fis que je toussais (
et j'étais sujette à la toux ! ), la maîtresse me donnait un mot pour que les parents me gardent à la maison. Ce qui n'arrangeait rien. Il y avait aussi la fille de la maîtresse dans notre classe qui était une vraie chipie. Dans la cour, si on jouait à Colin Maillard ( jeu qui consiste à déposer un mouchoir derrière une élève, laquelle doit le changer de place ), elle n'a jamais voulu se mettre à côté de moi.
Pensez, une élève qui portait des chaussures accordées par la mairie, en tant qu'orpheline ! En classe, j'étais en train d'écrire, pendant que sa mère nous faisait faire une dictée, mademoiselle se promenait.Elle m'avait donné un coup de coude et j'avais dérapé sur mon cahier.
Par contre la directrice qui vivait avec sa nièce, laquelle avait deux filles, était très généreuse. Elle me faisait essayer les vêtements qui n'allaient plus à ses nièces, dans le hall en toute discrétion.
Un jour, en revenant de l'école nous avions trouvé la grand-mère en pleurs. Elle avait ramassé notre chien qui venait de se faire écraser par une voiture. Nous étions tous désolés. Rip était si gentil.
Comme j'avais  enfin obtenu mon CEP, notre mère avait décidé de m'envoyer faire une année de cours supérieur dans un quartier proche de celui où nous habitions. Pensez un peu, je n'étais pas capable d'aller en ville, moi, la simplette !

Après le certificat d'études je suis donc allée dans cette école de Beaumont, banlieue proche de la nôtre pour poursuivre une année de cours supérieur. Le jour de la rentrée, alors que la directrice faisait l'appel, elle s'arrêta à mon nom et leva la tête :
- " Ah, c'est votre mère qui s'était mariée avec un noir ( elle avait connu notre grand-mère ).
- Non, madame, mon père n'était pas noir. Sa famille était issue de la Réunion, un département français !
- Peu importe, cela saute parfois plusieurs générations et vous risquez d'avoir des enfants noirs... "

Quelle tête de mule cette directrice ! Quand on débute une année scolaire, dans une nouvelle école, de cette façon, cela vous refroidit.

Enfin, en ce qui concerne mes études, je ne suis pas allée jusqu'au BAC comme ma soeur qui finalement ne l'a pas réussi. Ce qui ne lui a servi à rien. Moi, j'ai toujours été reçue dans tous les examens que j'ai présentés dans l'enseignement supérieur. ( hormis le certificat d'études primaires que j'ai dû repasser...) que ce soit au cours supérieur, au cours complémentaire et pratique. Ce qui m'a bien servi dans la vie.
Après cette année ayant réussi l'examen, j'ai fini par aller en ville pour passer un concours dans une école où suivant le classement par note on était réparties dans des classes : commerce, couture, corsets, j'avais réussi dans la catrégorie des corsets et comme la mode s'atténuait peu à peu, notre mère avait choisi les cours complémentaires où tout était au programme : études générales, sténo, dactylo, couture et pendant le récréation,
au lieu de nous reposer, celles qui savaient tricoter faisaient des cache-nez, des gants, des bonnets, des cagoules pour les soldats qui étaient au front. Quand on pouvait, avec les moyens de bord, on leur faisait un colis avec quelques friandises. C'était une période très dure.
Ma mère qui était très gourmande et souffrait de la faim allait derrière la gare où stationnaient des gitans et achetait des friandises faites avec n'importe quoi, ce qui lui a valu un urticaire géant, dans la nuit.
Le grand-père avait dû descendre à la cave pour prendre une scie à métaux pour lui couper son alliance, tant les doigts gonflaient. Son visage gonflait également.
Elle était méconnaissable et cela a duré plusieurs années.
Quant aux excursions faites en famille, c'était toujours avec une amie d'enfance de notre mère, dont la fille était aussi notre amie.
Mais je n'ai pas toujours participé à ces sorties, soi-disant que j'étais trop grosse. Il aurait pourtant fallu que je marche pour perdre du poids.
Alors quand on n'était pas décidé de s'encombrer d'une " boule de gomme " , tel était le surnom que les gars du quartier m'avaient donné, on me confiait à la fille de Mme Père, la dame qui nous lavait le linge et nous allions goûter à Bois Luzy tout près de chez nous, où il n'y avait que des bois, pas encore d'habitations. Un grand portail évitait la circulation des voitures mais permettait aux habitants d'alentour de pouvoir se promener.

Il y avait un château qui existe toujours transformé par la suite en auberge de jeunesse. Un pont menait au château. On disait que sur les côtés se cachait un groupe de bandits. On avait peur d'y aller seule.
Après mes deux années d'études au cours complémentaire, j'ai fait une année dans une école privée : " la Ruche " pour parfaire mes études
commerciales : études générales, sténo, dactylo, calligraphie et le samedi il y avait un échange de cours entre celle qui avaient choisi couture et celles qui avaient choisi commerce.

Après sa mort, j'ai trouvé des livres où elle exprimait ses désirs pour son enterrement. J'ai pu rajouter son chapelet et son missel à l'extérieur du cercueil.
Mais les prières, bien que je ne sois plus croyante, je les lis écris :

Lecture du livre de Job

Job prit la parole et dit :
 " Je voudrais qu'on écrive ce que je vais dire, que mes paroles soient gravées sur le bronze avec le ciseau de fer et le poinçon, qu'elles soient sculptées dans le roc pour toujpours : Je sais, moi,  que mon libérateur est vivant, et qu'à la fin il se dressera sur la poussière des morts, avec mon corps, je me teindrai debout et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. Moi-même, je le verrai, et, quand mes yeux le regarderont, il ne se détournera pas.

Lecture du livre d'Isaïe

Le jour viendra où le seigneur Dieu de l'univers, préparera pour tous les peuples un festin sur sa montagne. il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples et le linceul qui couvrait toutes les nations. il détruira la mort pour toujours. Le seigneur essuiera les larmes de tous les visages,  et par toute la terre il effacera l'humiliation de son peuple; c'est lui qui l'a promis.
Et ce jour-là on dira: " Voici notre Dieu,  en lui nous espérions, et il nous a sauvés, c'est lui le seigneur, en lui nous espérions; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! "

Lecture du livre du livre de la sagesse ( son préféré apparemment )

Dieu a créé l'homme pour une exitence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu'il est en lui-même. la vie des justes est dans la minn de Dieu, aucun tourment n'as de prise sur eux. Celui qui ne réfléchit pas s'est imaginé qu'ils étaient morts; leur départ de ce monde a passé pour un malheur; quand ils nous ont quittés, on les croyait anéantis, alos qu'ils sont dans la paix. Aux yeux des hommes ils subissaient un châtiment, mais par leur espérance ils avaient déjà l'immortalité. ce qu'ils ont eu à souffrir était peu de chose auprès du bonheur dont ils seront comblés, car Dieu les a mis à l'épreuve et les a reconnus dignes de lui. Comme on passe l'or au feu du creuset, il a éprouvé leur valeur; comme un sacrfgice offert sans réserve, il les a accueillis. Ceux qui mettent leur confiance dans la seigneur apprendront la vérité; ceux qui sont fidèles resteront avec lui dans son amour, car il accorde à ses élus grâce et miséricorde.

Lecture de la première lettre de St Jean

Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l'amour vient de Dieu. Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu, et ils connaissent Dieu, Celui qui n'aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour. Voici comment Dieu a manifesté son amour parmi nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde pour que nous vivions par lui. Voici à quoi se reconnaît l'amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son fils qui est la victime offerte pour nos péchés.

Èvangile de Jésus Christ selon St Jean


Lazare, l'ami de Jésus, était mort depuis 4 jours. Dès que Marie, sa soeur, vit Jésus, elle se jeta à ses pieds et lui dit : " Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort. " Quand il vit qu'elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus fut bouleversé d'une émotion profonde. Il demanda : " Où l'avez-vous déposé ? " Ils lui répondirent: " Viens voir Seigneur. " Alors Jésus pleura. les Juifs se dirent : " Voyez comme il l'aimait ! " Mais certains d'entre eux disaient : " Lui qui a ouverty les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? "

Jésus, repris par l'émotion, arriva au tombeau. C'était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : " Enlevez la pierre. "
Marthe la soeur du mort, lui dit : " Ne te l'ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ". On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : " Père, je te rends grâce parce que tu m'as exaucé. Je savais bien, moi, que tu m'exauces toujours, mais si j'ai parlé, c'est pour cette foule qui est eutour de moi, afin qu'ils croient que tu m'as envoyé. " Après cela, il cria d'une voix forte : " Lazare, viens dehors ! ". Et le mort sortit, les pieds et les mains attachés, le visage enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : " Déliez-le, et laissez-le aller. " Les nombreux Juifs qui étaient venus entourer Marie et avaient donc vu ce que faisait Jésus, crurent en lui.

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Les croyances auxquelles ma mère tenait


Date de création : 29/12/2010 • 14:46
Dernière modification : 19/10/2014 • 09:59
Catégorie : Ma vie
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