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Ou symbolisme ?

Le symbolisme
 

Les écrivains symbolistes se ressemblent  par plusieurs traits aisément discernables. Ils ont le goût de l'expérience intérieure. Ils aiment à s'appliquer à des recherches prosodiques ou stylistiques. Ils placent l'objet de leurs œuvres au-delà de ces œuvres elles-mêmes. Ils mettent leur orgueil à respecter des règles d'éthique qu'ils précisent continuellement.

Les précurseurs :

Stéphane Mallarmé ( 1842-1898 )

Pour respecter la logique même du discours, il convient de commencer toute étude, même sommaire, de la littérature symboliste par une brève méditation des entreprises et des desseins de Mallarmé. Seul, en effet, parmi tous les écrivains qui, pourtant, le saluèrent du titre de Maître, il accepta toutes les conséquences, même les plus cruelles, de la poétique symboliste. Il en définit les lois. Il en conçut explicitement les méthodes. Il les appliqua avec une opiniâtre lucidité. Il consentit à cette continuelle rigueur, comme à la pratique d'une ascèse presque mystique. Ses tourments secrets, qu'il ne balança pas de raffiner par scrupule autant littéraire que spirituel, en font une sorte de saint laïque dont la gloire exemplaire, depuis que la mort l'a rendu à uns condition commune, ne cesse de l'accroître.
Il lui répugne d'assumer le rôle de novateur, de révolté, e cotempteur des écoles littéraires dont le renom précède sa propre influence. Certes il témoigne au Romantisme, à ses plaintes habiles, à ses complaisances un peu lâches, une défiance dont il n'arrive jamais à se départir, malgré l'indulgence naturelle de son goût. Cependant il conserve toujours pour les strictes leçons du Parnasse, pour sa ferveur de perfection limpide, un respect autoritaire et quasi jaloux. Banville, ce sylphe incandescent de la fantaisie moderne, l'initie au culte du mot, lui enseigne l'amour sans défaillance et décisivement tracé, aux timbres exquisement choisis, à la mélodie toujours modulée selon les règles d'une juste phonétique. Quant à Baudelaire, il persuade Mallarmé que la poésie sous peine d'enfreindre sa vocation, doit s'interdire les basses besognes : la déclamation politique, la prédication morale, voire même les description vulgaire.
Baudelaire, en effet, est convaincu que nul, parmi les objets modestes ou grandioses de l'univers, ne possède de réalité propre. Il n' d'existence perceptible que pour manifester ce que la mesquine parole humaine se résigne à nommer une Idée. Ainsi tout ce qui est offert à la prise de nos sens : la plus chétive créature, l'effluve le plus furtif, le trouble atmosphérique le plus léger, est un Symbole ; c'est-à-dire une figure plus ou moins abstraite, capable d'amener l'homme à comprendre une Idée, qu'elle indique, présente, déguise, dissimule à la fois. Le poète est investi du pouvoir presque magique de déduire et de préciser le sens de cette symbolique universelle. Bien mieux, il connaît la genèse de sa création. Par une intuition d'illuminé, il en voit les éléments jaillir d'une sorte de bouche d'ombre qui est peut-être l'Absolu, peut-être le Néant. Sous ses yeux attentifs, le monde chatoyant des apparences s'élève d'il ne sait quel insondable gouffre. Mais il constate que le poème, en lui, naît de la même façon de l'obscurité de son âme où il s'organise. N'y a-t-il pas correspondance, voire même conformité entre la création cosmique et la création poétique ? Celui qui s'essaie à celle-ci ne sera-t-il point parfois tenté de rivaliser avec la Maître Inconnu de celle-là ? Ne tâchera-t-il pas d'opposer à l'univers des objets prétendus réels, un Éden de réalités littéraires ? A cette tentation d'entrer en compétition avec Dieu, Mallarmé succombe dès le début de sa carrière. Il lutte avec ce qui n'a pas de nom, comme Jacob avec l'Ange sans nom.. De ce combat implacable, son œuvre ne fait que narrer, de façon détournée, les épisodes d'une grandeur Gœthéenne dont nous résumerons maintenant les scènes principales.
Avouons-le sans ambages : Mallarmé ne s'abandonne point de  gaieté de cœur à cette destinées dramatique. IL subit la contrainte d'une sorte de prédestination, de laquelle il s'efforce de se détourner avec une horreur toujours nouvelle. Qu'on lis par exemple l'un de ses premiers sonnets : Placet futila, madrigal d'une sensualité mièvre, tour à tour défaillante et brutale. On y découvre des affinités évidentes entre certains aspectes de l'art Mallarméen et les libertinages mondains d'un XVIII e siècle galant et câlin, luxurieux et énervé, badin et cruel. On sait que dans sa vie quotidienne, Mallarmé fait des mignardises d'une politesse empressée son plus cher divertissement. Il s'adonne à ces jeux gratuits où les sociétés menacées essaient d'oublier, grâce à la subtilité de leurs plaisirs, l'excès ruineux de leur frivolité. Il aime que ses vers concourent au décor de son existence. Il excelle à perpétuer dans un quatrain clinquant, dans une distique où la préciosité  le dispute au faux-goût, le souvenir d'une aventure banale, d'un contretemps risible, d'une médiocre mélancolie. Grâce à sa verve, que le moindre sourire féminin aiguillonne, les retraits intime ( les absolus lieux comme il dit ), les bocaux de pharmacie, les sacs de friandises, les enveloppes postales s'ornent de strophes tarabiscotées, savamment calligraphiées à l'encre d'or ou de Chine. S'il eût résisté au terrible appel de sa vocation, il eût donné à la France un poète de circonstance aussi délicat que fécond, un écrivain gorgé des sucreries d'une gloire passagère et de suffrages de quelques coteries où snobisme et dandysme se confondent un peu.

Mais Mallarmé, à peine s'est-il détendu à rimer quelques-unes de ces jolies menuailles, sent un remord le  poindre. Voici que la féroce Muse, qui lui a dévoilé la vraie dignité du poète, proteste contre son insouciance. Alors il renonce à ses charmants caprices, compose de savants et mystérieux poèmes, mais s'efforce aussi de discerner la nature et les usages de ce dont il noircit, non sans un frisson sacré, la blancheur d'une page. Ce résultat semi-divin de la création poétique, il le désigne par un groupe de symboles apparentés : le cristal, le miroir, la vitre. Nous ne les expliquerons pas, ce qui serait absurde, content d'en indiquer les sens étroitement coordonnés.
Mallarmé, en les opposant au lecteur ( cf surtout les fenêtres ) suggère d'une aprt que dans chacune des pièces qu'il écrit, il mire et recrée son univers intérieur, et que, d'autre part, il se sert de celui-ci, comme d'instruments magiques, pour voir ce qui se cache derrière les apparences, pour surprendre les Idées. L'univers où s'installe et pullule le commun des hommes est une sorte de chaos opaque : s'il manifeste, comme le dit Baudelaire, l'Absolu, il le dérobe surtout. En recréant dans le poème cet univers, en l'intériorisant, Mallarmé l'élucide et le rend transparent. A travers la vitre du poème qui n'est que le sommaire affiné, spiritualisé du monde, Mallarmé, grâce à son propre labeur, croit apercevoir cet inexprimable mystère que la Nature avare cache tout en le révélant. Mais hélas ! si le poème, création pure, donne à Mallarmé, la faculté de voir les secrètes instances de la création, il lui interdit en même temps de les atteindre, d'occuper entre elles une place : la fenêtre aussi élève un mince et dur obstacle entre le spectateur et le paysage qu'elle lui permet d'admirer. Le poème est donc à la fois l'instrument de la vision métaphysique du poète, et la limite de cette vision. Pour s'élancer dans l'Absolu, pour s'y réfugier, comme le mystique dans le sein de son dieu, il faudrait que le poète renonce au poème, se taise, ouvre la Fenêtre, casse le Miroir, brise la Vitre. Mais il n'ose point cet acte effrayant, car, lié malgré tout aux apparences, il n'est pas certain de trouver encore quelque chose, lorsque, pour prendre un essor peut-être chimérique, il aura supprimé toutes les créatures de son génie.

 Il se contente donc d'amincir, autant qu'il peut, la paroi de Cristal, c'est-à-dire d'organiser avec les éléments de l'univers naturel un monde toujours plus proche de l'Absolu, ou, si l'on veut, toujours plus menacé par le Néant. Les travaux de cette création affreuse, qui bouleversent toutes les conditions d'une vie normale, causent à Mallarmé des souffrances d'autant plus douloureuses qu'elles sont indicibles. Son génie n'engendre qu'avec une difficulté mortelle, les objets trop purs d'un monde presque absolu, c'est-à-dore presque anéanti. Il est torturé sans relâche par sa stérilité pourtant volontaire. A constater la facilité avec laquelle le monde visible se transforme, se perpétue, s'entretient, à suivre le spectacle du flux opulent d'apparences qui déferle et s'étale autour de lui, sa détresse s'exaspère et se transforme en ressentiment. Il conçoit, il fomente de la haine contre cet univers aisé qu'il ne crée pas, contre le démiurge éclatant et fécond dont l'image s'y reflète. Il prend horreur de l'Azur ( cf l'Azur ). L'Azur, c'est pour lui le suprême Artiste dont les prestiges faciles produisent les magnificences de la Nature :  celle-ci, dans sa diversité, dans son foisonnement de formes plastiques, de parfums doucereux ou violents, de sensations tactiles veloutées ou râpeuses, est à son tour symbolisée par la multitude des Fleurs ( cf les Fleurs ).
Respectant le vocabulaire Mallarméen, on peut donc dire que l'Azur évoque à l'être, dans la lumière solaire les fleurs, avec une rapidité, une simplicité, un bonheur qui sont, pour le poète, consterné par les lentes transes de sa création nocturne, une raillerie, un reproche. Inspiré par un désespoir de qualité nouvelle, Mallarmé déplore la hantise de l'Azur, l'ironie de l'Azur.

Cette ironie est d'autant plus poignante qu'il n'ignore pas qu'il pourrait, par une accommodante décision, échapper à ses traits. Qu'il renonce, par décret libre, à être l'ouvrier malheureux d'un monde nouveau, qu'il se contente de jouer les bergamasques des poètes de circonstance, qu'il se satisfasse du renom sans tracas des diseurs de riens et des inventeurs de babioles mondaines, il s'affranchira aussitôt de toute gêne. Souvent l'envahit la lassitude d'un sort qui le prive de toute joie ingénue. Ah, s'il consentait à rimer de courtoises chinoiseries sans conséquence ! ( cf Las de l'amer repos... )
Or il n'y consent pas. Il veut se convaincre que, malgré tant d'angoisses, la providence le dote de la meilleure part. Il se représente lui-même, ses affres, ses secrets plaisirs par l'artifice de grands et nobles mythes. Il est tour à tour Hérodiade, la princesse vierge ( cf Hérodiade ), lorsqu'il tire du monde visible les éléments d'un monde invisible qu'il va presque aussitôt pousser jusqu'aux confins du Néant, tremblant devant cet acte pur et pourtant impudique; il est le Faune ( cf l'Après-midi d'un Faune ) lorsqu'il examine la matière ( sensations , concepts, souvenirs, vertus ) dont il se dispose à composer ce monde candide; il est le  Poète Éternel ( cf Toast Funèbre ) lorsqu'il espère ne pas mourir sans avoir réussi son entreprise, créé un univers absolu dont il ne restera plus après lui qu' " Une agitation solennelle de l'air " puisqu'il s'exprime par des mots.
Dès lors, il se consacre au grand Œuvre. Artisan divin, il fabrique un monde dont tous les objets, par la mystérieuse identité de l'Absolu et du Néant, oscillent au bord de la disparition, apparaissent un court moment pour l'abolir. Le Dieu des chrétiens a le droit d'effacer à chaque instant l'univers que soutient et que protège sa présence. Mallarmé sur son monde s'arroge le même droit : il supprime ses créatures à mesure qu'il les nomme, il les immerge dans un absolu, qu'empêtré par sa chair, il désespère de rejoindre directement. Création nocturne, sans cesse annulée par une invasion de ténèbres. On comprend .mieux maintenant l'obscurité essentielle des derniers poèmes de Mallarmé.
Précisons-en les autres caractères. Les éléments dont Mallarmé use dans ses opérations créatrices sont complexes, nous l'avons signalé. Il admet tour à tour les perceptions d'une réalité modeste, quoique distinguée : chambre ou cabinet de travail paré de beaux meubles anciens : puis les correspondances de tous ordres à cette réalité, les rêves, les records, bref : mille images qui se dissolvent presque instantanément dans le Néant. De l'origine de ses représentations, Mallarmé n'avertit jamais le lecteur. Celui-ci ne idstingue pas immédiatement s'il s'agit d'une vision directe, d'un songe, d'un rapport emblématique, d'une fantaisie volontaire ou spontanée de la mémoire. Et de tout cela, avec une virtuosité convenue, Malalrmé joue comme d'un clavier qui déchaînerait sur plusieurs registres tous les harmoniques d'un son primitif. C'est celui-ci qu'il importe de retrouver, si l'on veut goûter les sonnets dits obscurs de Mallarmé. IL faut déterminer cette note primitive, cette perception qui raccorde le poème à l'humble réalité du cabinet ou de la chambre. Enquête malaisée, car pour dominer sur un monde autonome, Mallarmé en exclut soigneusement tout ce qui peut rappeler un réel qu'il n'a pas conçu ( cf Toute l'âme résumée... ). Puis, cette perception une fois reconnue, on tâche d'imaginer par quelles associations compliquées Mallarmé passe du songe au souvenir , du réel à l'Idée; par quelles subtiles figure grammaticales il les nimbe de Néant. Ainsi s'avise-t-on que tous ses poèmes obéissent aux impératifs d'une logique intérieure, qui varie sans cesse, et qu'il n'est pas de plus sot dessein que de les traduire, comme l'ont ferme un livre avec l'impression d'une prodigieuse réussite littéraire. Réussite littéraire et non métaphysique. La création poétique mallarméenne serre toujours plus étroitement d'un réseau de paroles rythmées. L'Absolu-Néant. Mais elle ne parvient jamais à s'en emparer, car elle ne peut pas se supprimer elle-même. Mallarmé a beau atténuer le plus possible, ou tout au moins dissimuler, le lien en soi déjà presque invisible qui rattache sa création : il ne parvient pas à le trancher. Ainsi n'échappe-t-il pas au domaine du relatif. Un coup de dés poétique jamais n'abolira le hasard ( cf. Un coup de dés... ).
Tel fut le drame spirituel de Mallarmé : il voulut appeler
à l'être un monde littéraire absolu, tout en se rendant compte obscurément que c'était là un projet irréalisable, puisqu'il ne tendait à rein moins qu'à abroger les charmes obligatoires du poème. Il persista dans son dessein malgré des dégoûts, des incertitudes perpétuelles. Il recula jusqu'à des limites inconnues les possibilités d'expression du langage et du vers français. S'il connut l'amertume d'un échec intellectuel, il eut du moins le mérite d'avoir poursuivi sans défaillance durable une quête prométhéenne, sans doute unique dans l'histoire des lettres et des pensées humaines.

Autres précurseurs : Jean-Arthur Rimbaud ( 1854-1891 ), Paul Verlaine ( 1844-1896 ), Auguste Villiers-de-L'île-Adam ( 1840-1889 )

 

L'esprit décadent :

" A rebours " de J.K. Huysmans

Nous n'imaginons plus guère, aujourd'hui que le temps équitable a réservé à Mallarmé, à Rimbaud, à Villiers, à Verlaine, une juste portion de gloire, dans quelle solitude douloureuse ils furent contraints, jusque vers 1880, de vire retirés. Ils ne désiraient pas, sauf Rimbaud, être tenus pour bizarres ou rebelles. Mais sur leurs gestes et leurs écrits pesait une terrible malédiction : ils pensaient, ils s'exprimaient selon un système de signes et d'évidences intolérable au vulgaire. Pour que le  public daignât les écouter, ils auraient dû tout d'abord s'excuser de donner " un sens plus pur aux mots de la tribu ", puis solliciter pour leur démence la pitié condescendante es Tribulat Bonhomet: or leur gentillesse native répugnait à ces besognes publicitaires. Ils risquaient donc de ne jamais sortir de leur obscurité.
Mais vers 1880 l'allure générale de l'intelligence et de la pensée française change. De nouvelles influences spirituelles se déclarent. Bientôt, dans l'art, dans la littérature, perce un esprit nouveau. On le nomme, mi par nécessité, mi par bravade : l'esprit décadent. Il prépare les gens de bonne volonté,à accepter, sinon à admettre, le message, réputé délirant, des précurseurs du symbolisme.
Un témoin de cette menue révolution de notre conscience nationale a tâché, pour la commodité des critiques futurs, d'en peindre le tableau fidèle
" A rebours ", de JK Huysmans peut être considéré comme un document sociologique de premier ordre. Pour définir l'esprit décadent rien ne vaut une méditation sommaire de A Rebours. Nous l'entreprendrons ici.
Huysmans incarne l'esprit décadent dans un type littéraire, dont il trace le portrait avec virtuosité. Après avoir créé, peut-être à la ressemblance de Robert de Montesquiou, singulier esthète aux mémoires charmants et aux vers illisibles, le comte Jean Floressas des Esseintes, Huysmans se propose d'en faire la physiologie, comme eût dit Balzac. Des Esseintes est un décadent, Huysmans ne lui applique pas ce qualificatif, que les J d'alors empruntèrent à un célèbre Jeune-France d'alors empruntèrent à un célèbre sonnet de Verlaine ( cf dans Jadis et Naguère : Langueur ), mais il n'importe : personne à l'époque ( 1884 ) ne s'y trompa. En  bref : Des Esseintes renonce au monde, ou plutôt s'en abstrait, pour mener une vie conforme à ses théories. A Rebours relate cette expérience qui expose celui qui la tente à des périls de tous ordres.
Comme Villiers, Des Esseintes regrette le triomphe du bourgeois positiviste. Il déplore l'hypocrisie dictature qu'il exerce sur les intelligences et sur les corps. Par sa faute, tout idéal est ridicule, toue œuvre d'art gâtée par les momeries du moralisme. Tribulat Bonhomet aime, pour assaisonner ses vices, s'entourer de tableaux vertueux, prêter l'oreille à des homélies édifiantes. De plus, soumettant l'Europe à la dure loi capitaliste, il prive la société non seulement de liberté extérieure, mais lui ravit jusqu'au désir d'une franchise autonome. Par son action funeste et calculée, l'humanité ne sera bientôt plus qu'une termitière assez vaste.
De la France bourgeoise, rationaliste, capitaliste, Des Esseintes s'évade. Sa modeste aisance lui facilite cette évasion. Celle-ci n'est pas le résultat d'un caprice, d'un dépit, d'un sursaut brusque de rancœur. Une conception philosophique bien définie la détermine. Vers 1870, en effet, l'intelligence française commence à réfléchir, d'abord avec une timide méfiance, puis avec un engouement indiscret, sur les thèses de l'idéalisme allemand. Elle comprend mal l'origine, le développement, les tendances. Elle en simplifie parfois les thèses à l'excès. De Schopenhauer, par exemple, dont elle scrute les œuvres avec gêne et curiosité, elle croit apprendre que l'homme, le long d'un décor infini d'illusions, est traîné, par une finalité sans fin, par  une malicieuse volonté de vivre, de douleur en douleur : il éprouve tantôt des souffrances effectives, tantôt cette souffrance négative : l'ennui. A ces maux, nul remède. Ce que l'on nomme la charité, le dévouement, est ignoré en ce bas monde, et même les abandons radieux de l'amour sont régis par le génie de l'espèce. Il s'agit donc, non comme le proposait Villiers, de se résoudre à un suicide vulgaire, mais de parfaire sans bruit une sorte de suicide métaphysique, de diminuer en soi les énergies de la vie, d'attendre paisiblement la mort, en témoignant à toutes les créatures une bienveillance abstraite.
Lecteur un peu sot de Schopenhauer, Des Esseintes se laisse convaincre par les démonstrations de son éthique. Mais, piètre métaphysicien, il tire de son système du monde des conclusions intempestives : Si , estime-t-il, le monde est ma représentation, si les images que je perçois, horriblement enlaidies par le scientisme moderne, me sont odieuses, pourquoi ne pas les remplacer, grâce à des exercices savamment réglés, par d'autres visions qui m'agréent ? La vie de Des Esseintes, ermite décadent, est une vie de représentations volontaires.
Il les suscite et les prolonge par le jeu des associations d'idées. Il recherche des sensations violentes. Celles-ci réveillent en lui des souvenirs, des figures : matières subjective d'un rêve conscient. A force d'attention, de concentration mentale, pareil à certains mages, il façonne cette matière à sa guise. Au lieu de vivre au sein d'une société, dont l'ignominie péremptoire le choque, il se meut sans bouger parmi des paysages qu'il instaure et restaure, selon sa fantaisie.
Certaines formes d'art peuvent aussi donner à Des Esseintes l'indispensable excitation initiale. Il aime la peinture emblématique, les gravures chargées de pensées dont chaque détail inspire au délicat un motif de rêverie. Il se délecte aux œuvres des artistes qui refusent de reproduire des objets communs ( quelle vanité que la peinture ! disait Pascal ), et tentent d'éterniser  les apparitions imprécises dont la main déjà disparue soulève parfois les voiles d notre sommeil. Son esprit décadent se plaît aux allégories somptueuses de Gustave Moreau, aux planches d'Odilon Redon.
Pour  élever l'architecture de ses songes, il ne néglige pas l'aide des musiciens. Il pressent que Wagner réussit la synthèse musicale de bien des nations qui lui sont familières. Il surprend dans ses drames les principes d'une morale analogue à la sienne. Mais il supporte mal l'emphase d'un orchestre. La musique de chambre, moins funeste à sa  misanthropie, le comble. Il détaille patiemment certaines pièces d Schumann et la perfection spontanée des lieds de Schubert le ravit. D'autres décadents, meilleurs musiciens que lui,  songent déjà à mettre la poésie qu'ils souhaitent à l'école des grands compositeurs allemands.
Des Esseintes nourrit parfois ses chimères de lectures. mais le classicisme l'irrite : il trouve ridicule d'harmoniser ainsi tous les éléments du réel. il est attiré par les œuvres baroques, ce foisonnement arbitraire de réalités subjectives, à la limite du deviné et du perçu. Il accable Virgile de virulents sarcasmes, daube sur on éloquence glacée, ainsi que sur les badinages purement charnels d'Horace, mais s'enchante, comme Rimbaud, aux quintessences du latin d'église, aux épigrammes, aux anagrammes, aux acrostiches de la décadence latine. Parmi les modernes, il élit, pour réchauffer son imagination, quelques-uns des grands précurseurs du Symbolisme : outre Baudelaire, Villiers, Verlaine, Mallarmé dont l'Hérodiade lui semble mystiquement correspondre à la Salomé de Moreau. A ce groupe génial, il annexe deux écrivains qu'il surfait : Tristan Corbière, esthète de la gouaille, de la préciosité, du néologisme et de l'argot; Hello, prophète du Saint-Esprit, curieux de découvrir le chiffre des choses, vaticinateur ardent et prosateur tiède.
Ainsi préparé par la philosophie, la peinture, la musique et la littérature, Des Esseintes se calfeutre à demi dans son laboratoire d'hallucinations. Un bain  salé, parfois, lui permet, dans le zinc d'une baignoire balancée, d'épuiser le plaisir d'une partie de natation sur les côtes de la Manche. D'autres fois, il applique systématiquement cette théorie baudelairienne des correspondances qui éveilla le génie encore stupide de  Rimbaud : il créé une musique du goût se joue des quatorze cordes en impressionnant les papille de sa langue avec des gouttelettes de liqueurs diverses. Il arrive même à savourer sans fatigue le plaisir qu'un long voyage ne lui donnerait pas sans le torturer de cent réalités incommode  de Paris, ouvre passivement ses sens aux impressions simultanées qu'il y reçoit, et regagne sa retraite : il séjourne quelques heures dans une taverne anglaise de Paris, ouvre passivement ses sens aux impressions simultanées qu'il y reçoit, et regagne sa retraite, l'esprit plus satisfait que s'il se fût  rendu à Londres. En somme, il réussit à vivre la vie à rebours, au rebours de tout ce qui motive les passions de la foule, au delà du bien et du mal, enfreignant les règles les plus simples de l'hygiène.
Ses expériences, peut-il durablement les poursuivre ? Nous serions tentés de le croire. mais Huysmans, qui les raconte et les conduit, est un trop probe artiste pour duper son lecteur. Le naturalisme le pousse à respecter les faits : il se souvient que l'homme a un corps. A la date où il compose A Rebours ( 1884 ), ni les " illuminations " ( 1886 ), ni " la saison en enfer " ( 1892 ) ne sont publiés, ou rééditées. Pourtant les mêmes menaces contraignent Des Esseintes et Rimbaud à quitter le climat épuisant de leurs hallucinations volontaires. Tous deux reçoivent les avertissements de la folie. Tous deux sentent leur organisme se détraquer. Rimbaud  se précipite dans l'aventure. Des Esseintes sombre dans un désespoir que seule une conversion authentiquement religieuse pourrait calmer.
" A Rebours " analyse l'esprit décadent avec autant de loyauté, que René l'esprit romantique. mais conformément à une tradition de clarté bien française, ces deux ouvrages renferment aussi la critique de ce qu'on y observe. le contrepoison y neutralise enfin les effets du poison.
Au miroir d'" A Rebours ", on distingue les caractères de cette courte période de temps ( 1880-1885 ) qui rendit possible l'avènement de la littérature symboliste, en préparant le public à s'intéresser à ses précurseurs et à ses vrais maîtres. L'esprit décadent règne alors. Les Décadents sont possédés par Schopenhauer. Ils vantent son pessimisme, sa  méfiance de l'amour Ils adoptent sa morale ascétique. Ils cultivent d'artificiels paradis. Ils épanchent le songe dans la triviale vie réelle. ils exigent de la musique allemande le secret d'un art total qui soit comme disait Baudelaire, une parfaite musique. Ils méprisent, comme gâtées de cette éloquence dont se méfiait Verlaine, les  pleines réussites de l'art classique. ils tentent des explorations à travers les territoires inconnus ou décriés des  littératures traditionnelles. ils associent, avec une hâte dénuée de jugement, certains vrais artistes comme Mallarmé, Villiers, Verlaine, Redon, à de piètres barbouilleurs, à des fabricants de bijoux faux, comme Moreau à des hilotes, d'ailleurs plaisants, de l'écriture, comme Tristan Corbière  ou Hello. En somme, durant cinq ans, tout se brouille en France dans le monde des lettres : il devient un chaos auquel on souhaite la main d'un démiurge, une confusion qui prêterait à rire, si tout ce qui trahit l'inquiétude et l'amertume de vivre ne mériterait point notre profond respect.

Autres  poètes considérés comme décadents : Jules  Laforgues (1860-1887 ).  Il comprend et fait comprendre certains aspects de l'humanité éternelle. Par là il s'apparente aux esprits classiques.
Que conclure de cette œuvre sans mystère, la seule que la poésie décadente, servie, corrigée par un tempérament original, soit parvenue à léguer à la postérité ? Elle ne communique point au lecteur un frisson nouveau, mais accrédite en lui, s'il n'est pas un barbare, une nouvelle morale de l'amour. La classique, lorsqu'il aime, estime à leur vrai prix son moi amoureux, la passion qui le transporte, et l'objet aimé. le romantique aime son moi, aime l'amour, sous-estime un peu l'objet aimé. Laforgue  suretime son moi, sous-estime l'amour, et se méfie de l'objet aimé. Ainsi est-il induit à introduire dans la littérature française une nouvelle notion : celle de la noblesse de la chasteté masculine. Par un enchantement de conséquences aussi curieuses que logiques, cette inflation verbale, rhétorique, imaginative, philosophiques
, qui s'exprime par des phrases bariolées, fulgurantes, par un art qui ne se résout à renoncer à rien.

Les symbolistes ne croient point qu'il y ait des règles du Beau valables pour tous les pays et pour toutes les époques. Fervents du Devenir plutôt que du Stable, ils se félicitent que l'histoire des lettres n'ait d'autre tâche que de consigner les périodes d'un perpétuel et fécond changement. Ils n'estiment pas, au reste, que ce progrès, tantôt rapide, tantôt ralenti par des difficultés matérielles ou des catastrophes historiques, puisse être figuré, comme l'imaginait Hugo, par une simple ligne ascendante. l'évolution littéraire est cyclique. Elle offre à la méditation sans préjugés un éternel retour des mêmes  aspirations, es mêmes désirs, des mêmes problèmes. Bien loin de se targuer d'une originalité absolue, les Symbolistes se tiennent pour les derniers  chaînons d'une tradition majeure de la spiritualité européenne. Ils se réclament d'Alfred de Vigny, qui vécut d'une intuition symbolique de l'univers, et qui, artiste conscient de ses moyens, amoureux de la dignité et des fins de la poésie, sut esquisser une théorie presque acceptable du symbole. Ils citent volontiers Shakespeare, se plaisent, dans la tempête, par exemple, à découvrir une entente souveraine des correspondances : par des images et des incantations choisies, s'y révèlent, dans leur irrationnelle complexité, les relations réciproques des divers degrés du réel. Ils se vantent même de conformer leur propos à celui des grands mystiques, chrétiens ou non-chrétiens, qui se travaillent à atteindre l'objet en soi, pour la contemplation de symboles toujours plus abstraits. Enfin, n'ignorant pas les investigations de l'occultisme, rénové du XIX e siècle par les Fabre d'Olivet, les Nerval, les Eliphas Levi, les Guaita, ils se reflètent volontiers à la prétendue sagesse mystérieuse des premiers hommes.
Pour précurseurs immédiats, peu familiers encore avec les contes sarcastiques de Villiers dont l'influence ne fait que de poindre, ils reconnaissent, outre Charles Baudelaire, grand pour avoir retrouvé la loi cardinale de l' Analogie Universelle, Mallarmé, louable pour posséder le sens du mystère et de l'ineffable ( Moréas ), et Verlaine, ce métricien audacieux, qui, brisant les rythmes compassés du français, fournit au poète un instrument plus musical et plus souple.
D'ailleurs Verlaine comme Mallarmé sont les initiateurs, peut-être inconscients, d'une réaction que les Symbolistes brûlent de développer et de parfaire. Ils ne veulent pas prendre garde au respect amical que Mallarmé ne cesse de professer pour Zola, et se considèrent comme les ennemis-jurés du Naturalisme. Ils se distinguent ainsi des Décadents qui entretenaient avec l'École de Médas des rapports courtois. Le Romantisme, pensent-ils, artificiellement prolongé par le Parnasse, a dénoncé l'anémie exsangue du classicisme à la Voltaire; de même le Symbolisme, état dernier du génie français, se doit de supplanter un Naturalisme, qui s'en tenant aux pauvretés d'un scientisme mesquin, n'accepte et n'étudie, sous prétexte d'objectivité, que des phénomènes triviaux, moins vrais que les réalités cachées.
Réfléchissant ensuite sur l'essence de la poésie, les Symbolistes condamnent comme déplorablement prosaïque la simple narration : elle suppose, en effet, un emploi si vulgaire de la langue, qu'elle risque de faire oublier au poète le pouvoir magique des mots. L'un des commandements  les plus explicites auxquels ils se rallient, ils empruntent à Mallarmé : Point de reportage !; ce qui de plus, leur donne la jouissance de marquer leur dégoût pour ce journalisme, dont Marcel Schwob, linguiste moqueur, devait bientôt étudier les façons décrire.
Cette horreur du reportage leur retire la compréhension du classicisme dont ils blâment le ton oratoire et les intentions didactiques. Mais cependant, au Romantisme, ils reprochent les éclats d'un pathétique superficiel. Pour les Parnassiens, sentant que ce sont là leurs adversaires les plus proches et les plus dangereux, ils feignent de s'ennuyer à lire leurs lourds vers gourmets et dénoncent leur ridicule de vouloir créer, - ce qui les rapproche des Naturalistes - , une poétique objective.
Mais l'originalité des Symbolistes apparaît surtout dans une certaine conception du monde que leur suggère et les doctes et patientes leçons de Mallarmé, et, bientôt, les brusques illuminations e Rimbaud. A leur avis, les sensations dont la Nature sollicite sans relâche l'attention humaine ne sont que les signes, les arcanes d'un petit nombre d'idées, de Mères, pour employer un terme Gœthéen. Il appartient au poète de grouper entre elles, selon leurs affinités, ces sensations, pour en former des synthèses verbales, ou Symboles. La difficulté consiste à déterminer ces affinités. Avant d'entreprendre le Grand Œuvre Poétique, il s'agit d'établir des séries de sensations vraiment correspondantes, de les rattacher à l'Idée Primordiale qu'elles désignent toutes sans l'exprimer complètement, d'en donner enfin un sommaire spirituel et vocal, dans une suite de mots qui,  composés entre ux, non par les recettes d'une poétique oratoire, mais par le charme magique d'un rythme spécialement inventé, forment un seul Symbole ou poème, un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire ( Mallarmé ).
Il s'ensuit que les conseils vieillis de Boileau ne peuvent valoir pour les Symbolistes. Qu'importe dans un poème ou Symbole, la justesse grammaticale, la rigueur syntaxique, la propriété du vocabulaire : si par ses inflexions, sa cadence, son timbre, un mot résume le complexe de sensations dont le poète tente de faire la synthèse, son emploi s'impose, malgré toutes les criailleries des docteurs à épitoge et à rabat. Une tâche géniale prime par son urgence toutes les curiosités grammaticales, chères aux sophistes : créer une phonétique expressive.
Ainsi les Symbolistes ne tarissent-ils pas d'éloges pour les efforts des Décadents et surtout de Laforgue, si prompt à remédier par tous les moyens à la pauvreté volontaire de la langue poétique française rendue plus indigente encore par le purisme des Gautier et des Leconte de Lisle. A leur estime, tout mot ne vaut que par le mystère qu'il aide à pressentir. Pas plus que le Romantisme, mais pour des raisons mystiques et non littéraires, le Symbolisme  n'admet que l'on classe les mots selon leur prétendue bassesse ou leur conventionnelle sublimité. Le mot le plus ignoble, simple accord ou note de musique, peut trouver place dans les méticuleuses recherches d'instrumentation verbale qui préludent au poème. Le rêve de l'Art, musique parfaite, visite souvent les Symbolistes, comme les Décadents, comme Verlaine, comme Baudelaire.
Bien que le terme d'instrumentation verbale appartienne en propre à René Ghil, bien qu'il soit le seul à avoir porté jusqu'à d'absurdes excès la méthode poétique qu'il pensait, un peu naïvement, avoir découvert, tous les Symbolistes plus ou moins, ont été désireux d'employer au mieux la puissance évocatoire des mots : aussi, pour la commodité du lecteur, sommes-nous amené, d'après le témoignage du même Ghil, à détailler les diverses phases de l'une de ces expériences instrumentales.
Ghil révise pédantesquement certains principes, autrefois définis par Rimbaud, avec le souverain détachement du génie. Il engage avec ce défunt de la littérature une discussion en somme sans intérêt, puisqu'il ne traite que des faits purement subjectifs. Il finit par déterminer comme suit les couleurs des sons fondamentaux ou voyelles, que Rimbaud, tout pénétré par les influx du cosmos, avait eu le dessein panique d'accorder aux nuances de l'arc-en-ciel : A noir, E blanc, I bleu, O rouge, U jaune. Cette première table de correspondances ne lui sert pas, tel l'ingénieux P. Castel que Diderot admira, à construire un simple clavecin oculaire. La grandeur de son génie requiert un orchestre complet. Poursuivant donc le cours de ses observation prétendues, Ghil décide que les harpes, à cause de leur timbre correspondent au son E et à la couleur blanche : elles ont fait naître un sentiment de souveraineté. Les violons qui traduisent les ferveurs de la passion, répondent au son I et à la couleur bleue. les cuivres générateurs de clameurs rouges, correspondent au son O pour donner à notre âme des visions triomphales; tandis que les flûtes modulent ingénument le beau son U, évocateur d'une candeur paradisiaque. Pour l'orgue, résumé de tout l'orchestre, c'est la voyelle A qu'il impose afin de communiquer à l'auditeur, par sa noirceur absolue, le sentiment des ténèbres du gouffre des mondes et de la chair.
Tenant compte des principes que nous avons exposés jusqu'ici, demandons-nous maintenant, sans nous dissimuler la drôlerie d'une pareille question, s'il est une recette pour composer un poème symboliste : Gautier et Musset, critiques du Romantisme, n'en ont-ils pas usé de même ? Imaginons qu'un poète se propose de traiter un sujet précis : la gloire d'un grand musicien, par exemple, fameux pour sa virtuosité dramatique à faire chanter les passions de l'amour. Il accumulera dans son poème tout un fatras d'objets rouges et bleus, choisissant pour les suggérer plutôt que pour les peindre des mots empruntés à tous les vocabulaires, des mots sublimes ou bas, qu'importe, des mots néologiques ou courants, mais chargés d'O et d'I, de diphtongues caractéristiques : les IO, les OI, modifiés par des consonnes savamment adaptées aux fins esthétiques où l'on tend : le P ou l'S. Et l'ouïe, le regard du lecteur, convenablement frappés, exciteront dans son âme une rumeur de renommée et d'ovation ardente. Et pour citer René Ghil, sans retoucher le jargon abstrait dont il obscurcit sa pensée plutôt qu'il ne l'éclaire, le poème composera la vison seule digne : le réel et subjectif symbole d'où, palpitante pour le rêve, en son intégrité nue, se lèvera l'idée prime et derrière, ou Vérité.
Point n'est besoin de marquer, pour le lecteur qui aura bien voulu parcourir le premier chapitre du présent essai, combien, dans tous les manifestes du Symbolisme l'influence de Mallarmé se fait sentir. Influence qui d'ailleurs détermine les principes dont on se réclame plutôt que les procédés littéraires que l'on préconise. Mallarmé, grammairien par goût, évite d'enrichir artificiellement, de boursoufler la langue si scrupuleuse du Parnasse. Il est même tenté de la décanter encore et de n'élire pour son usage que des mots anoblis par une généalogie prouvée, grecque ou latine. Malgré sa volonté tenace, il respecte trop les nonchalances de la Muse, l'art improvisé dont elle dispose des moyens qui lui sont offerts, pour se risquer à d'arbitraires instrumentations verbales, capables de transformer la poésie en une âpre expérience, de la ramener aux laboratoires de la Grande Rhétorique, et  vantée par Bauville. Il n'en reste pas moins que les Symbolistes, comme Mallarmé, mais avec une fougue indiscrète qui prête à sourire, assignent à la poésie cette tâche métaphysique ou mystique suprême : la révélation de la Vérité. Sans envisager clairement les difficultés d'un pareil idéal, les Symbolistes sont, en 1886, tout trépidants d'espoir. Ils ne se dissimulent point qu'il leur faudra sans doute surmonter bien des obstacles inattendus. Mais ils sentent les transporter une jeunesse impétueuse, une foi capable de miracles. l'esprit décadent, qui apprête pourtant l'opinion aux assauts du Symbolisme, souffre d'une indiscible lassitude. La témérité fébrile de l'adolescence donne souvent par contre aux manifestes du Symbolisme un ton de générosité bien sympathique : " Cependant, écrit Moréas, le suprême enchantement n'est pas encore consommé : un labeur opiniâtre et jaloux sollicite les nouveaux venus. "
Nulle école ne fut en somme plus littéraire que le Symbolisme. Pour lui, la  littérature, l'ensemble des poèmes qu'il combine à force de génie ou d'artifice, est plus réelle que toute réalité. Habitué par ses précurseurs et par les Décadents à toutes les témérités intellectuelles, il émet tranquillement les paradoxes les plus accablants pour la pensée commune. ces paradoxes sont d'ailleurs d'une irréprochable logique : si tout dans l'univers essaie d'accéder à un degré supérieur de réalité, tout dans l'univers, tend à se transcender, par l'art du littérateur, en poème. Avec  un orgueil qui, pour être moins emphatique, dépasse pourtant de beaucoup l'orgueil des Romantiques, les Symbolistes, littérateurs passionnés, comptent au nombre de leurs principaux mots d'ordre la proposition de Stéphane Mallarmé : que tout, au monde, existe pour aboutir à un livre.

Le vers libre

On a remarqué combien, dans les manifestes du Symbolisme, les questions prosodiques sont traitées avec prudence : on n'y trouve guère en effet que de vagues allusions à des libérations métriques mal définies. Ghil conseille aux disciples qu'il racole d'user du vieux vers alexandrin dompté et déroulé, ce qui ne signifie pas grand chose. Tout le monde,  en 1886, souhaite qu'une forme nouvelle se substitue au vers parnassien, trop rigide. On espère qu'une sorte de mélodie subjective remplacera bientôt les anciens nombres oratoires de la tradition classique. certes, on s'aperçoit bien que quelques réfractaires ont chanté sur des rythmes nouveaux : quels en sont les mérites et les règles ? On hésite à le dire. Comme elles sont curieuses ces longues laisses inégales où Laforgue, poitrinaire, soulage ses souffrances ! Et ces premières pièces des illuminations, vraiment ce n'est plus de la prose, mais comment oser y reconnaître des vers ? Un Art  Poétique, pour l'amour de Dieu ! Mais pourquoi ne pas se reporter à celui de Verlaine ? malgré sa fureur, on pousse à leurs dernières conséquences formelles les doctrines, les propositions si modestes de ton qu'il soutenait dans son Art Poétique : de la sorte nait ce que l'on est convenu, avec une fâcheuse inexactitude, de nommer le vers libre.
Un poème en vers libres comprend une série de groupes rythmiques inégaux. Le vers n'en constitue point l'unité primaire, mais la strophe. La strophe n'est pas une sorte de cadre structurel préexistant à l'inspiration, de moule, où l'on puisse à loisir couler la matière poétique : ce qui la rend homogène, c'est que l'on y trouve exprimée qu'une seule pensée, enrichie et parfois brouillée de tous les harmoniques, de toutes les associations qu'elle suggère. Si ces derniers éléments spirituels sont nombreux, la strophe est longue; si le poète, par stérilité ou dessein préconçu, n'a point su en évoquer beaucoup, la strophe est brève. A l'intérieur de celle-ci, chacun de ces éléments spirituels garde une autonomie relative, forme ce que, d'un meilleur terme, on aimerait appeler : un mètre, groupe verbal étendu ou court, que l'on s'attache à définir, à situer, en se gardant de le ponctuer par une rime trop riche, par une assonance trop particulière, ce qui interromprait la continuité de la strophe. On n'impose pas, d'ailleurs, à chacun de ces mètres, ne cadence arbitraire : tels qu'ils montent du subconscient à la connaissance, tels essaie-t-on de les transcrire. Ainsi le vers libre, conformément à l'idéal prosodique que Verlaine entrevit sans pouvoir le réaliser totalement, ne traduit au fond, suite de complexes subjectifs, que les tendances d'une mentalité qui pense  selon certaines modalités originales. Il s'ensuit que la critique n'a pas le droit d'en juger la texture. " Comment, dit le poète symboliste, taxerez-vous de maladresse la forme où j'écris ? Elle n'est que l'enregistrement parfaitement fidèle des moments successifs de ma durée intime durant les quels le poème-Symbole naît en moi. " Il exagère un peu, d'ailleurs l'originalité, la singularité de sa métrique.
En fait, les mieux doués des vers-libristes donnent souvent à leur lecteur la sensation parfois  émouvante qu'il entend poindre, grandir, se développer, s'éteindre leur monologue intérieur; mais pour la plupart, ils ont la mémoire trop chargée par les souvenirs d'une pratique assidue de la poétique traditionnelle: ils se récitent malgré eux, des fragments des meilleurs poètes  romantiques ou  parnassiens; aussi, lorsque décroît leur tension spirituelle, sont-ils amenés à composer des strophes faussement affranchies où des vers blancs classiques s'accordent maladroitement à d'autres vers classiques faiblement assonancés. de plus entre les vers libres proprement dits, et les vers libérés des Rimbaud, des Verlaine, des Laforgue, il n'y a qu'une différence de degré, souvent peu perceptible.
Mais il n'en reste pas moins que ces nouveautés métriques eurent  les conséquences littéraire les plus graves. Pour être saisies dans leur mélodie d'autant plus personnelle qu'elle est plus réussie, elles exigent du public une volonté de sympathie souvent très pénible, une abnégation qui supprime de la lecture d'un poème jusqu'à la pensée d'un divertissement. Le Symbolisme a le tort de ne plus offrir à l'amateur le mieux intentionné cette fine distraction immédiate que les meilleurs esprits attendent à bon droit de la poésie. Le divorce de l'écrivain et de ses contemporains risque de devenir absolu. Bientôt ceux-ci, puisqu'on leur refuse un plasir naguère aussi aisé que noble, sont enclins à  réserver aux journalistes leur faveur, à se contenter, non sans un malaise de conscience, des fantaisies bâclées, des astuces douteuses, du très-bas pathétique de l'universel reportage.

Difficultés de la doctrine symboliste

Cette rupture, au moins partielle, des communications nécessaires entre les littérateurs et le public, est l'un des principaux périls auxquels la doctrine symboliste expose ses fidèles. mais à combien de difficultés intérieures ne s'achoppent-ils pas ! Ils exigent d'eux-mêmes une compétence encyclopédique dont l'acquisition eût effrayé Pic de la Mirandole. Ils doivent être métaphysiciens retors, mystiques habiles, musiciens experts, métriciens consommés, psychologues rompus aux méthodes de l'analyse introspective. Ils s'engagent à créer des poèmes-Symboles originaux, supports d'Idées-Mères originales, traductions d'une originalité individuelle. S'ils se montraient en tous temps respectueux de leur idéal, ils se refuseraient à admettre dans leurs œuvres une image symbolique qu'ils n'auraient ps inventée dans ses moindres détails.
Or l'esprit finit par se lasser de tant de purs enfantements. Toute vigueur, même intellectuelle, s'épuise. Pour surmonter la double tentation du désespoir et du harassement, il faut avoir l'ascétique patience de Mallarmé. Mais tous les Symbolistes ne reçoivent pas la vocation du sacrifice. les Décadents, nous l'avons vu, tirent des mots de tous les langages, des images de toutes les techniques. Les Symbolistes, de même, ennuyés bientôt

" De creuser chaque jour une fosse nouvelle
Dans le terrain avare et froid de leur cervelle ".

suppléent de leur mieux aux carences de l'inspiration.  Ils fouillent toutes  les littératures, dépouillent à la hâte tous les rituels, dressent des répertoires de pseudo-symboles, afin de les utiliser au besoin.
Trois grandes curiosités du XIX e siècle les aident dans cette tâche d'érudits honteux. Ils profitent tour à tour des recherches de l'histoire des religions, des publications des  médiévistes, des conclusions récentes de l'occultisme. Ils sont les disciples inavoués de Creuzer, d'Eliphas Lévi, de Brnouf, de Guaita, de Pâris. Rien de plus composite que leurs collections d'allégories, d'emblêmes, de métaphores. Ils s'enthousiasment, avec des airs de mystes, pour le profondeur des mythologies classiques, ce qui devrait les réconcilier avec les Parnassiens. Les Chimères de Moreau les transportent d'aise, aussi bien que la Faune ou les Nymphes ou les Nixes ou les Amazones mallarméennes. L'hélène de Goethe hanete le sommeil. L'Ariane de Catulle leur fournit de bons prétextes à dithyrambes dionysiaques. Le tristan, 'Isolde, le parsifal de Wagner, passent sous leurs yeux déhabitués de la nature. Ils secouent les vieux parchemins. Ils sont moins poètes que virtuoses. Ils n'imaginent plus des Symboles qui les engagent, mais se livrent à des jeux plus ou moins brillants. Ils choisissent dans leurs registres une figure  dont ils ne se donnent même pas la peine d'étudier la valeur primitive, et les commentent de façon arbitraire. Ainsi le Symbolisme qui, par sa philosophie, par son esthétique, pensait contraindre le poète à une sincérité totale, exquise, risque de l'induire, au contraire, aux fantaisies gratuites de la pire insincérité.

Les Symbolistes fidèles

En fait la plupart des Symbolistes étouffent bientôt dans l'atmosphère saturée d'artifices qu'ils ont créée. Certes de l'idéal très pur dans son essence qu'ils ont défendu, ils retiennent beaucoup de bienfaits intérieurs. Ils se plaisent aux démarches les plus hautes de l'esprit, respectent jalousement la littérature, honorent la valeur, le pouvoir des mots. Mais par une conversion insensible, ils regagent à petites étapes ce monde visible qu'ils ont cru devoir quitter et rétablissent peu à peu cette communication avec le public que leurs propos hautains, la singularité de leur versification, l'étrangeté de leurs concepts, menaçaient d'abolir totalement. L'évolution des plans marquants parmi les écrivains symbolistes, la raison de leur infidélité, n'implique jamais, d'ailleurs, chez les meilleurs d'entre eux, d'ingratitude grossière envers leurs premiers maîtres.  Trois Symbolistes sont cependant restés fidèles : Khan, Viélé-Griffin et Stuart-Merrill.
Le recul du temps les pare même d'un charme piquant, un peu désuet. Les trois Symbolistes fidèles écrivent presque exclusivement en vers libres. Ils sont de bons artisans du vers libre et écrivent dans une prosodie originale.
Pour le reste , il faut malheureusement reconnaître qu'aucun d'eux trois n'a le talent de créer un Symbole. leur sensibilité, leur intelligence est gâtée par l'habitude d'une érudition souvent maladroite. Ils se livrent à ce ramassage indiscret d'images et de thèmes. Leurs poésies sont des caléidoscopes où ils font défiler avec une vitesse plus ou moins accélérée, selon la lenteur ou la rapidité provisoire de leurs esprit, une procession de figures venues de partout. Mallarmé lui, avait la volonté tenace de fixer un instant tel objet au bord du néant, avant de l'y dissoudre.

Stephen Georg dédie aux précurseurs du Symbolisme un superbe mémorial :

Là protégeaient héros et chantre le mystère :
Villiers à son estime assez haut pour un trône;
Verlaine en chute et pénitence pieux et candide,

Et pour l'œuvre conçue saignant : Mallarmé,

et conclut par le fameux vers :

Retournent Francs en France dulce terre.

 

Les Symbolistes infidèles

 

Jean Moréas et René Ghil, Henri de Régnier, Émile Verharen (855-1915), André Gide ( 1869-1951 )

La liquidation des valeurs symbolistes

Tout d'abord, l'intérêt pour la littérature symboliste a persisté un certain temps.
Les disciples les moins fidèles de la foi symboliste, conservent, on l'a vu, à son égard, même lorsqu'ils n'observent plus ses articles, une vénération attentive et parfois religieuse. Malgré ses imprécisions, ses outrances, elle les a éveillés à une vie poétique d'une indéniable candeur. De plus, le Symbolisme, suite de sa curiosité universelle, introduit dans l'oeuvre littéraire bien des éléments qu'il emprunte aux autres arts, aux philosophies, aux mystiques, aux techniques. Les poètes symbolistes font volontiers figure d'encyclopédistes, mais ils dédaignent d'analyser et de classer les connaissances humaines, souhaitant plutôt en donner l'essence au moyen de quelques  Symboles patiemment médités. Le savant, le peintre, le musicien, l'historien des religions, l'occultiste, le logicien, le psychologue trouvent dans les œuvres littéraires françaises de la fin du XIXe siècle de quoi retenir leur génie, de quoi l'orienter vers des domaines encore mal délimités. Le Symbolisme, enfin, satisfait les esprits les plus divers. Les intuitifs en reçoivent des leçons de méthode qui les accoutument à une vision savante des choses. Les intellectuels, grâce à ses explorations, saisissent et définissent mieux les lois de l'esprit, ainsi que les éléments qu'il informe. Les imaginatifs, conduits par ses audaces, se penchent sur leur subconscient, fiers d'y contempler des merveilles. Les raisonnables le louent d'avoir mieux expliqué que le classicisme, malgré sa clarté superbe, la façon dont le poète est l'artisan du poème.
Il s'ensuit que l'intérêt que l'on porte à la littérature symboliste demeure aussi aigu aujourd'hui que jamais.
Mais il y a mieux encore : toutes les manifestations poétiques, apparues depuis le début du XX e siècle dans le courant de notre culture, sont soit des réactions modestes ou acharnées contre la doctrine symboliste, soit des développements, parfois inconsidérés, des thèmes esthétiques ou spirituels.

Francis Jammes ( 1868-1941 ) fournit un bon exemple de résistance discrète.
Charles Péguy ( 1873-1914 ) entraîne à des remarques analogues.

Guillaume Apollinaire ( 1880-1912 ) : si Jammes et Péguy se détournent tout doucement du Symbolisme, Apollinaire, lui, ne le délaisse jamais complètement.
Paul Valéry, Jean Cocteau se tournent plutôt vers le dadaïsme et le Surréalisme.

Au moment où Paul Valéry se décide à jouer un rôle public, le Dadaïsme répète les protestations d'Arthur Rimbaud : il proclame la faillite des gouvernements, des élites, de la science, de la philosophie, de l'art. Il retrouve les fureurs anarchistes, l'âcre volupté de se détruire, qui transportaient certains symbolistes exaspérés. M. Jean Cocteau essaie d'imposer à tant de désordre certaines lois fondamentales. Il exhorte les poètes à retenir solidement les objets qu'une fois de plus ils risquent de perdre. Il condamne l'influence, toujours active, du Symbolisme. En vain : les Surréalistes, puissamment armés par les méthodes nouvelles de la psychanalyse, explorent, avec un enthousiasme et une minutie ignorée jusqu'alors, la forêt de leur inconscient. Ils cherchent à libérer totalement l'homme en provoquant l'irruption des vérités indicibles de la vie intérieure dans un monde pervers qui meurt des impostures d'une civilisation. Leur révolte permanente atteint une grandeur épique. Elle se déchaîne, avec des fortunes diverses, jusqu'en 1939. Elle honnit la littérature. Mais tout à coup, prenant conscience qu'elle rencontre, pour la nouveauté de ses manifestations, auprès du public, qu'elle enivre et dépayse adorablement, une faveur croissante, elle comprend que, complétant les découvertes des Symbolistes, elle a créé un art d'écrire original, enseigné aux artistes une nouvelle esthétique baroque, appris à tous les ressources émouvantes des formes inattendues que l'on extrait de l'inconscient individuel ou collectif. Le surréalisme après avoir été pure destruction, accepte de devenir littérature. dernier héritier du Symbolisme, il a exercé même dans l'art du roman.

Conclusions générales : Le dernier grand fait de l'histoire de la poésie française est l'apparition de la doctrine symboliste. Après Baudelaire, quatre notables précurseurs la préparent. Mallarmé assigne au poète la fonction de créer un monde littéraire absolu. Rimbaud s'arrache au monde des apparences après avoir tenté de la détruire par les incantations de son verbe. Verlaine donne le premier l'exemple d'une expression à la recherche de la perfection comme de la spontanéité des élans du cœur. Villiers démasque l'adversaire que la nouvelle école devra combattre.

L'état d'esprit décadent  hâte l'avènement de la littérature symboliste. Huysmans en définit les principaux caractères : pessimisme, artifice, recherche d'hallucinations provoquées. Laforgue l'incarne, crée une langue  nouvelle et mêlée et, faisant de nécessité vertu, tire de ses échecs, de ses contradictions de timide une riche substance poétique.
En 1886,  la littérature symboliste prend corps, essaie de formuler ses thèses principales, publie sa conception de l'histoire littéraire, se donne pour objet la création de poèmes-symboles, définit leur utilité, fixe les règles requises pour leur création, préconise une forme nouvelle : le vers libre.
Peu d'écrivains restent absolument fidèles à la doctrine symboliste : sa pureté, son abstraction les décourage. Elle les achemine vers le surréel, ils reviennent bientôt au réel. Moréas, après une arrière assez mouvementée, s'accommode de varier quelques grands thèmes classiques.
Régnier, pensant avoir entrevu le divin, chante et accepte tous les dieux du monde et de la vie. Verharen, un instant guetté par la démence, se résigne, avec mauvaise conscience, à devenir l'orateur de la révolution. A. Gide reproche au Symbolisme de n'avoir pas consenti à une abnégation totale du moi, risque de se dissoudre dans la féérie des apparences, aspire à une sorte d'humanisme ascétique.
Désespéré par la réussite de Wagner le Symbolisme ne crée un théâtre qu'avec difficulté. Il se plaît aux évocations nombreuses de la danse. M. Maeterlinck conçoit une nouvelle esthétique dramatique, écrit des pièces statiques dont les héros ne sont que les supports de réalités invisibles.
Claudel conclut le Symbolisme en convertissant en mystique chrétienne, sa vision athée.

L'influence du Symbolisme s'exerce jusqu'à nos jours. Jammes réagit contre lui, ne célèbre que les choses naturelles, mais lui emprunte sa métrique. Péguy transforme le Symbolisme métaphysique en symbolique de l'histoire. Appolinaire découvre que le  Symbolisme est un surréalisme, se plaît à enregistrer les inventions spontanées de notre verbe. Paul Valéry organise en un système parfait et pur tous les éléments disparates, toutes les découvertes intellectuelles du Symbolisme. Malgré les avertissements de M. Cocteau, les surréalistes renouvellent les expériences de Rimbaud, jusqu'au point de périr. Mais ils se reprennent à temps.
 
Suivant les leçons encore malhabiles des Laforgue, Maeterlinck, Appollinaire, Raymond Queneau, Jacques Prévert composent des modèles de poésie orale. Ils offrent des jeux d'écriture et redonnent à la poésie son côté populaire, sincère, esthétique, philosophique... Ils ouvrent un avenir nouveau. 

D'après AM Schmidt.
 

Le symbolisme : Intention commune à plusieurs familles de poètes ( d'ailleurs ennemies entre elles !) de reprendre à la musique leur bien... selon Paul Valéry.
La musique a-t-elle des analogies avec la poésie ? S'agit-il d'un conflit de l'époque où chacun des deux arts aurait voulu empiéter sur le domaine de l'autre ? Ou bien la musique se considère-t-elle comme la poésie par excellence ?  La musique comme la poésie  trouve-t-elle des échos dans le monde intérieur de l'inconscient ? Et  la reconstitution de ce monde passe-t-elle par la symphonie et les correspondances ?

Musique et poésie ont été rapprochées bien avant les symbolistes. La lyrique dans l'antiquité grecque désignait poésie et chant alors que l'art des Muses était la musique. En latin, Carmen, c'est à la fois le chant envoûtant et le poème. Au Moyen Âge, " ballade, rondeau. ".. sont des poèmes avec accompagnement musical..
Mais certains poèmes sont plus descriptifs que musicaux...Ceux de Th. Gautier et de Leconte de Lisle...
D'autres traduisent les idées de façon harmonieuse, cadencée... bref musicale, et le musicien d'opéra de l'époque classique fait de la poésie.
La poésie romantique était plus personnelle, plus passionnée et la musique suit le mouvement, elle prend donc son inspiration dans la littérature.. La musique se charge de violence, de passion, d'amour, de désespoir dans les opéras de Verdi, Berlioz qui recherchent les effets de la littérature. C'est une sorte de confusion entre les deux domaines.
La littérature a donc influencé les musiciens.
Quelle que soit la définition que l'on propose du Symbolisme, il est incontestable que cette tendance cherche à retrouver la notion de poésie dans toute sa pureté et aussi dans toute son extension. Dans cette quête, pour toute une série de raisons, le Symbolisme rencontre la musique.
Baudelaire, Mallarmé, Valéry sont en accord parfait sur cette question : tout ce qu'on pourrait dire, expliquer, exprimer en prose n'est pas poétique. La poésie, c'est ce qui reste quand on a éliminé tout ce qu'on peut traduire en prose. Bien entendu, cette poésie pure n'est qu'une limite inaccessible tant qu'on se sert des mots. Mais cette limite, beaucoup de symbolistes inclinent à croire que c'est précisément la musique. Le but par excellence du poète symboliste, c'est d'atteindre avec des mots de plus en plus légers, de plus en plus réduits à leur pure puissance incantatoire : le degré de pureté de l'art musical : on pense naturellement à Verlaine, à cette musique qu'il réclame " avant toute chose ", à cet Impair  " sans rien en lui qui pèse ou qui pose."
Mais alors où est le rapport avec la vie, si on vise la pureté, la non incarnation? A moins que l'art, à ce degré de pureté quasi musical suggère la vie inconsciente. D'une façon plus générale musique et poésie sont des arts de la vie intérieure de celui qui les compose, mais aussi de celui qui écoute, qui aime  et entend en fonction de sa vie intérieure. C'est l'idéal symboliste de la suggestion... Baudelaire écoutant " Lohengrin ", prétend trouver bien des traits communs dans les analyses du théâtre Italien, du musicien Liszt et lui-même... Les impressions ne sont pas les mêmes, mais elles émanent d'un registre commun dont le point de départ est l'isolement. La musique, comme la poésie, donne accès par delà le monde intérieur vers une révélation du monde lui-même.


 

La musique et les " correspondances ".
 
Comment s'expliquer ce mystérieux pouvoir des mots, des sons, indépendamment de leur valeur signifiante ? Dans le monde des " correspondances " tout se tient : " les parfums, les couleurs et les sons se répondent. " Très souvent, c'est une mélodie qui crée l'unité d'un poème Baudelairien, tel l'air de violon qui domine dans Harmonie du soir :
" Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir...
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige. "

Les mots ont trop souvent tendance à accorder la primauté à leur sens, mais certains procédés tels que les suggère le sonnet des voyelles de Rimbaud, permettent de les utiliser pour évoquer un univers à déchiffrer. Sans aller si loin, parler des grands bois amènera à évoquer l'orgue. Mais la correspondance la plus fréquente dans les fleurs du mal est celle de la musique et de la mer, dans le poème par exemple " la musique "; parfois par l'intermédiaire des grottes marines et des orgues basaltiques dans le sonnet de la vie antérieure entre autre.
Bref les symbolistes sont hantés par la musique. Elle est l'art de la suggestion. Elle stimule l'esprit, l'imagination, elle est une merveilleuse source de symboles. Les poètes symbolistes tireront des effets des voix :
" Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues. " Verlaine ( Mon rêve familier )

Cette musique vise à suggérer les mouvements de l'inconscient et plus particulièrement la nostalgie de tout ce qui revient du passé. Très souvent elle est liée au mythe symboliste de la vie antérieure selon Baudelaire ou Nerval :

" Un air très vieux, languissant et funèbre...
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :

C'est sous Louis XIII... "

et à celui, du " vert paradis des amours enfantines ". Baudelaire entend " les violons vibrants derrière les collines . "

 
Chanson d'automne de Verlaine
 
 
Les sanglots  longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure;

Et je m'en vais au vent mauvais.
Qui m'emporte
Deça, delà
Pareil à la
Feuille morte.


 
Chanson d'automne est le poème le plus célèbre de Verlaine. La tristesse de l'automne est représentée par la feuille morte. Le rythme est léger et monotone et donne une impression de mélancolie.

 
Clair de lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques,
Jouant du luth, et dansant, et quasi...

Gracieux petit tableau

Il pleut doucement sur la ville ( titre attribué à Rimbaud )

Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?

O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un
cœur qui s'ennuie
O le chant de la pluie

Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure,
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine.

Un de ses plus beaux poèmes et en même temps l'un des plus célèbres. L'image du début est surtout célèbre par la hardiesse du raccourci et de la construction impersonnelle. Le vocabulaire est simple, l'impression est mélancolique. Poème aussi léger et monotone qu'une pluie fine. Poème très musical avec fréquence des rimes intérieures, la recherche subtile des sonorités, des répétitions.


C'est le chien de Jean de Nivelle
Qui  mord sous l'œil même du guet
Le chat de la mère Michel...
.
Les personnages de la littérature populaire sur un rythme allègre de chanson.

Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !

Chanson gracieuse adressée à une femme, Mathilde, pour une tentative de réconciliation...

Gaspar Hauser chante


Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes:
Ils ne m'ont pas trouvé malin.

A vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d'amoureuses flammes
M'a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m'ont pas trouvé beau


Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l'étant guère,
J'ai voulu mourir à la guerre :
La mort n'a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu'est-ce que je fais en ce monde ?
O vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspar


Comme Verlaine se sent lui-même, Gaspar ( enfant trouvé ) se sent déplacé dans le monde qui l'entoure.


Le ciel est par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre par-dessus le toit,
Berce sa palme.

La cloche dans le ciel qu'on voit
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.

Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.

- Qu'as-tu fait, o toi que voilà
Pleurant sans cesse.
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse !


Poème encore très connu sur un rythme de chanson très mélancolique. . Verlaine alors en prison, suite à sa vie orageuse avec Rimbaud sur lequel il a tiré, y évoque son mortel ennui et le haut peuplier dont par la fenêtre, il aperçoit la cime. En bruit de fond les rumeurs lointaines de la ville.


Art poétique

En conclusion l'Art poétique de Verlaine en définit parfaitement l'esthétique.
En rouge les expressions  qui mettent en évidence l'esthétique du symbolisme.


De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair,
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir   tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.

C'est des beaux yeux derrière des voiles
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Puis du plus loin la Pointe assassine,
L'Esprit cruel et le rire Impur,
Qui font pleurer les yeux de l'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'éloquence et tors-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie..
Si l'on n'y veille, elle ira jsusqu'où !

Oh ! qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'utres cieux à d'autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.

 

 


Date de création : 23/11/2009 • 08:00
Dernière modification : 21/04/2014 • 20:48
Catégorie : Symbolique
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