Connu pour être un "trublion de l'Hémicycle", le député socialiste du Nord Patrick Roy a appris, en octobre, qu'il souffrait d'un cancer du pancréas, qui a failli le tuer en moins d'un mois. L'homme politique, célèbre notamment pour ses vestes rouges et sa passion pour le rock, connaît depuis décembre un rétablissement "inespéré". Au point de prévoir son retour à Denain à la mi-février, à l'Assemblée à la mi-mars, et même sur scène, fin juin, avec le groupe Trust. "Lorsque j'aurai réussi à faire tout ça, la page sera tournée", résume Patrick Roy, qui se dit cependant "lucide" sur les risques de rechute. Il revient pour LeMonde.fr sur sa maladie.
Quels sont vos rapports encore aujourd'hui, avec ce cancer qui vous frappe ?
Il s'agit d'un ressenti mêlant à la fois, de manière extrêmement forte et rapprochée dans le temps, douleur et détermination dans l'affrontement contre la maladie. D'un côté le corps est extrêmement dégradé, épuisé par des souffrances immenses. De l'autre, on s'accroche à l'espoir de guérir, à tout ce qu'il y a de combatif en soi, au moral de fer qui se forge au fur et à mesure que les soutiens affluent.
En quatre mois, tout va très vite : je ressens les premiers symptômes en septembre [2010] ; le 21 octobre, on me confirme qu'il s'agit d'un cancer du pancréas ; un mois plus tard je ne peux plus du tout bouger ni parler, à la suite de l'échec des premières chimiothérapies et de leurs effets secondaires, terribles. Ce sont des instants très durs, bien sûr, à encaisser. Lorsque l'équipe médicale m'annonce, fin novembre, qu'il ne me reste que quelques jours à vivre, je me dis : "C'est un peu tôt, mais c'est comme ça : mon heure est arrivée." Et je suis immédiatement et immensément triste de devoir laisser seuls, derrière moi, une veuve et un orphelin.
Et puis... finalement, un miracle arrive. L'équipe médicale me propose une autre forme de chimiothérapie, une nouvelle molécule. D'un coup, je fais des progrès inespérés. Les semaines passent, et c'est un optimisme complet qui s'installe, un bonheur incroyable de toucher du doigt la guérison après avoir failli mourir. Et cet optimisme persiste, même si ne suis pas hors de danger : le cancer, les risques de rechute, sont très sournois. La fatigue, la douleur lors des déplacements me rappellent toujours que ce n'est pas fini. Il va me falloir encore des dizaines de séance de chimio pour être complètement guéri.
Qu'est-ce que cette épreuve aura transformé en vous ?
Ça va vous étonner, mais je ne me suis jamais senti aussi heureux. Si j'ai beaucoup pleuré, ces quatre derniers mois, c'est avant tout par gratitude envers les autres. La réunion que j'ai tenue le 17 décembre, en chaise roulante devant les habitants de Denain, a été l'un des moments les plus marquants de ma vie, en raison de l'émotion et de l'amitié manifestées à mon égard. Je ne pensais pas qu'un élu pouvait être autant apprécié. Tout le monde pleurait, moi compris.
Ce sont ces paroles, ces gestes de réconfort que je veux garder. J'ai reçu depuis décembre des milliers de témoignages : du petit mot envoyé par les habitants du Nord, par les groupes de musiques et les fans de la communauté métal, jusqu'aux appels et visites de personnalités politiques. Je n'ai pas peur de le dire : ces gens m'ont sauvé la vie. Tous les médecins, d'ailleurs, vous le diront. Un malade avec un moral de feu a 50 % de plus de chances de guérir que quelqu'un qui se sent, à l'avance, vaincu. J'en retire un respect et une fierté pour les Français que je ne pensais pas, un jour, pouvoir ressentir à ce point-là.
Vous avez très tôt annoncé aux médias et aux électeurs ce qu'il vous arrivait. Pourquoi un tel souci de communiquer sur votre maladie ?
Etant très présent à l'Assemblée nationale, et fréquemment en déplacement dans le Nord, je savais qu'on remarquerait vite mon absence. Soit je ne disais rien, ce qui pouvait alimenter toutes les rumeurs ; soit j'inventais une raison bidon, mais honnêtement, quel intérêt, pour moi comme pour la vie publique ? Les citoyens élisent une personne, ils sont en droit de savoir lorsqu'elle est touchée par une maladie grave. L'homme politique doit défendre ses convictions, mais aussi dire et assumer qui il est, en toute franchise – ce qui lui donne l'avantage de ne pouvoir jamais être pris en faute par la suite.
Puis, après l'avoir dit, m'est apparue une autre raison, au moins tout aussi valable : le sentiment de libération que procure l'aveu. Une libération pour moi, pour mes proches. Mais aussi pour les gens qui me connaissent plus ou moins, voire pas du tout, et qui se sont sentis la "permission" de m'apporter leur soutien. Avant, ils ne savaient pas, n'osaient pas, étaient mal à l'aise. J'appelle tout le monde aujourd'hui, concerné de près ou de loin par le cancer, à dire au plus vite la vérité : le malade en tirera une force qu'il ne trouvera pas ailleurs.
Vous avez eu des soutiens auxquels vous ne vous attendiez pas ?
Ma maladie a effacé le jeu politique, au Parti socialiste comme ailleurs. Laurent [Fabius], Martine [Aubry], Jean-Marc [Ayrault], Benoît [Hamon], tout le monde est venu me rendre visite à l'hôpital ou à la clinique, quelles que soient les rivalités qui minent le parti en ce moment avec la primaire.
Mais j'ai aussi eu des coups de fil de François Bayrou et de François Fillon, entre autres, et vu passer dans ma chambre Roselyne Bachelot, jusqu'au président de l'Assemblée, Bernard Accoyer. Lui qui n'arrête pas, à juste titre, de m'engueuler à l'Assemblée est venu un soir, tout seul, de manière anonyme. On a beaucoup parlé, il m'a fait la bise, il a été humainement exemplaire. Mais qu'on ne s'y méprenne pas. Tout le respect que je lui porte ne m'empêchera pas de revenir porter de la voix dans l'Hémicycle, malgré lui, comme avant [sourire malicieux].
A vous entendre, vos combats et votre détermination politique semblent ne pas avoir été entamés par ces quatre mois...
Je pense toujours autant de mal de Nicolas Sarkozy et de l'action de son gouvernement. Je continuerai à me battre dans l'Assemblée pour la revalorisation des retraites, pour la diversité culturelle, pour que l'éducation nationale, la justice, la santé retrouvent les moyens humains et financiers nécessaires.
Et je compte investir, l'année prochaine, toutes les forces qui me seront revenues pour que la droite ne remporte pas la présidentielle – avec le Parti socialiste, et ce quel(le) que soit sa ou son candidat(e), même si je voterai pour Martine Aubry si elle se présente à la primaire. Mes convictions ne sont pas parties, bien au contraire.
Propos recueillis par Michaël Szadkowski
Document généré en 0.01 seconde