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Stylistique

Exemples d'étude Stylistique
L'abbé Prévost : Mémoires d'un homme de qualité


Nous disions à nos élèves par exemple de proscrire dans les rédactions les verbes " passe partout " comme les verbes " dire ", " aimer " et d'employer le plus possible des expressions comme : affirme, précise, rétorque, objecte, oppose, signale, souligne, remarque, avance, estime, juge, reconnaît, concède, propose etc...
 

Des Grieux s'éprend de Manon

Voici
ci-dessous, le texte étudié  :

... La veille même de celui ( du jour ) que je devais quitter cette ville ( Amiens ) étant à me promener avec mon ami qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver la coche d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en resta une, fort jeune, qui s'arrêta, seule, dans la cour, pendant qu'un homme d'âge avancé, qui paraissait lui servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes ni regardé une fille avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut d'être excessivement timide et facile à déconcerter; mais loin d'être arrêté par cette faiblesse, je m'avançai vers la maîtresse de mon cœur. Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans mon cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi. C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir, qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite tous ses malheurs et les miens. Je combattis la cruelle intention de ses parents par toutes les raisons que mon amour naissant et mon éloquence scolastique purent me suggérer. Elle n'affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu'elle ne prévoyait que trop qu'elle allait être malheureuse, mais que c'était apparemment la volonté du ciel. Puisqu'il ne lui laissait nul moyen de l'éviter.

Quelles remarques grammaticales vous suggèrent les mots ou expressions :
Étant à me promener..; nous vîmes; il en resta une; facile à déconcerter; elle ne prévoyait que trop.

Les caractères dominants du vocabulaire

Le style et la phrase dans son développement.

" La veille... je devais quitter cette ville, étant à me promener avec mon ami... nous vîmes. "
La non concordance est nette entre le sujet du verbe principal " nous vîmes " et la personne à laquelle se rapporte le participe présent "étant " mis en apposition en tête de phrase. Le verbe pronominal qui le suit se présente sous la forme " me promener " et concerne le seul narrateur. Ce serait aujourd'hui une incorrection. On dira qu'on a affaire ici à une anacoluthe.
L'auteur de Manon Lescaut n'a-t-il pas eu des raisons pour utiliser un tour aussi libre ? Dans la suite de la scène, l'ami n'a plus aucune place; il a disparu, il est ignoré. n'est-ce pas déjà l'escamoter que d'employer cette tournure ?

" étant à me promener ". Le participe présent marque à lui seul l'idée d'une action qui se prolonge, mais il indique surtout la simultanéité par rapport à l'action du verbe principal. La périphrase " être à + infinitif " joue le rôle d'un semi-auxiliaire et elle insiste sur la durée de l'action envisagée. Cette expression ne se retrouve plus aujourd'hui dans la langue courante. C'est devenu un archaïsme sauf lorsque des adverbes viennent s'intercaler. Par exemple : " Je suis ici à l'attendre ". La formule actuelle qui nous reste est : " être en train de ".

" Il en sortit quelques femmes...Mais il en resta une fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour... "
Le caractère impersonnel du tour ne présente pas un grand intérêt. " Une " joue le rôle d'un pronom indéfini. Structure archaïque comme pronominal indéfini. Cette nuance d'indéfini est doublée d'une nuance de numéral. " Une " se trouve à la fois dans la même tonalité que l'adjectif " quelques " et que " seule "
" En " est ici non un adverbe, mais un pronom personnel dit adverbial. La langue classique utilisait " en " plus souvent. Il représente des personnes. Il représente la notion de " femmes " dans ce texte, alors que de nos jours il ne peut représenter que des choses, des animaux ou des mots abstraits. Disons que l'ensemble des femmes lui redonne un côté neutre.

" excessivement timide et facile à déconcerter "
Un certain nombre d'adjectifs peuvent être suivis en français d'un complément déterminatif introduit par " à " qui limite la portée de la qualification à une notion particulière. Ex : agréable à voir. L'expression a le sens de " facile à être déconcerté ". Il prend un sens passif. Déconcerté est complément de l'adjectif et il prend un caractère nominal. Facile à la déconcertation;

" Elle ne prévoyait que trop "
Elle prévoyait trop, serait la façon la plus simple de présenter l'idée. l'intervention de la locution " ne ... que " complique le dessin de la phrase, elle ajoute une insistance sur " trop " qui donne à l'ensemble une valeur affective et subjective très marquée. L'expression est incluse dans une phrase assez longue qui rapporte au style indirect les propos de Manon : " Elle me dit après un moment de silence, qu'elle ne prévoyait que trop qu'elle allait être malheureuse, mais que c'était apparemment la volonté du ciel, puisqu'il ne lui laissait nul moyen de l'éviter. "
" trop " ajoute aussi l'idée d'excès et " ne ...que " supprime toute hésitation sur le sens. C'est pour elle et seulement pour elle que Manon voyait sa prévision excessive. Elle ne jette pas le moindre doute sur le fait qu'elle sera malheureuse.. Mais ce malheur, elle le refuse dans son for intérieur. Sur le plan rationnel cette structure ne pourrait être que boiteuse. La syntaxe donne un sens subjectif.



 

Caractères dominants du vocabulaire

Page classique au vocabulaire impersonnel. Beaucoup de mots concrets sans couleur, sans portée sentimentale avec intention volontaire de banalité et d'indifférence. On pourrait parler de lexique du voyage. Absence de mouvement, absence de couleur, aucun adjectif qualificatif. L'auteur n'a pas pour but de surprendre. Il ne peint pas, il esquisse. Les mots : " enflammée, transport, maîtresse de mon cœur, coup mortel, mes désirs, penchant au plaisir. " C'est le vocabulaire de la période précieuse au sens large du mot et de la tragédie classique. Les termes sont émoussés pour avoir trop servi, ils représentent le bon ton et la réserve de l'homme de qualité. Les approximations sont conformes aux convenances.
On trouve dans le texte d'autres séries dans ce style : ( je viens d'en parler ( Je me trouvai, était envoyée, ...), dans cette dernière expression, mise en évidence  de la passivité et de la fatalité. Manon et Des Grieux n'agissent pas, ils subissent.

L'Abbé Prévost veut montrer que c'est la fatalité ou le hasard qui mènent tout dans cette aventure. On retrouve l'idée de fatalité dans " tout à coup ". Enfin " malheureuse " garde son sens étymologique d'origine latine : hasard dû aux dieux.


 

Le style et la phrase dans son développement

La phrase garde un profil très simple : on peut encore parler à son sujet de sobriété. Le mouvement en est uniforme... Parfois une seule proposition. Plus souvent la phrase s'étoffe de subordonnées relatives ou complétives. Mais l'allure générale en est toujours aisée. La principale est pratiquement toujours placée en tête. Le déroulement de la pensée est rigoureusement suivi selon une logique toute classique. Il est cependant difficile de prétendre qu'on soit ici en présence de périodes même dans le cas des développements les plus amples. Phrases du XVII e siècle, mais plus sèches et qui préparent la cadence ferme et quasi mathématique des grands écrivains du XVIII e  et surtout des contes de Voltaire.
Le verbe du groupe principal est en général un passé simple. C'est le temps du récit historique. Il rapporte le fait de façon ponctuelle sans l'auréoler de nuances secondaires temporelles ou descriptives. L'imparfait y exprime une action ou un état qui se prolongent dans le passé. Il établit aussi une corrélation avec le passé simple d'une autre phrase, une dépendance légère vis-à-vis de ce passé simple. " Nous n'avions d'autre motif " donne la cause teintée de restriction.
Les subordonnées sont généralement à l'imparfait et sont comme des présents du passé si on peut s'exprimer ainsi. Des tournures marquent le futur du passé : " devais quitter "... Elles utilisent comme éléments de formation des semi-auxiliaires. " devoir " qui marque non pas l'obligation mais une éventualité. " allais être " c'est la probabilité dans un avenir non limité.
Le présent indique une action qui se passe normalement et habituellement. Il est en dehors du temps, intemporel.
Les plus-que-parfaits " avais pensé " précisent que l'action envisagée, est antérieure à une autre action passée. " s'était déclarée " présente bien la même idée d'antériorité dans le passé; mais son jumelage avec le passé composé " a causé " lui attribue, en sens contraire, le rôle de marquer la permanence du caractère profond de la jeune fille.
" a causé " , en effet, est encore un passé; mais il n'est plus considéré par rapport à un autre fait passé. Il se réfère au présent du narrateur..
Le passé simple enfin insiste sur la rapidité. La durée de leur retraite est bien mise en évidence par le verbe " retirer "; mais elle est annulée par le temps employé. Il est ponctuel, et il réduit l'événement à une circonstance sans épaisseur.
" Je regardai " est un emploi plus curieux car le verbe principal est à l'imparfait. Il montre la soudaineté de l'émotion. Le passé simple s'imposait car l'imparfait n'aurait pas rendu l'idée de révélation brusque.
  Après le verbe, le personnel et le possessif sont les éléments les plus déterminants dans la phrase de l'Abbé Prévost. Ce récit commence par une autobiographie; bien vite le " je " se transforme en " nous ". qui lui enlève de sa force. Puis, dans une intention de neutralité, les phrases qui concernent les circonstances de la rencontre se caractérisent par la forme impersonnelle : " il en sortit ", " il en resta ". " il " n'est plus alors qu'un signe grammatical de la 3 e personne. Le tour " c'était malgré elle ", grammaticalement neutre, loin de cacher le pronom, insiste au contraire sur lui.
La première personne : " je, me, moi, mon, les miens " intervient à peu près aussi fréquemment. Quelquefois, elle se juxtapose à la troisième personne du féminin singulier et forme avec elle une sorte de couple : " elle me parut ", " je lui demandai " .
" elle me parut " se prolonge sur une antithèse soutenue par la proposition incise : " dis-je ". Le narrateur montre alors en usant du verbe actif " je m'avançai " combien il a changé par rapport au moment qui a précédé la rencontre. Les expressions : " mon amour naissant, mon éloquence scolastique, me suggérer " laissent entrevoir une légère ironie.
Le " je " reste en retrait par rapport à " elle " Il lui reste subordonné. Cette subordination se manifeste encore dans des propositions circonstancielles. Elles ont toujours pour raison de marquer vigoureusement la métamorphose qui s'est opérée chez le chevalier. Elles sont de ce fait consécutives ou  en opposition. Elles signalent une contradiction, à première vue invraisemblable, et que seule peut expliquer l'intervention d'un hasard quasi " magique " entre ce qu'on attend et ce qui arrive.
Certaines phrases, bien qu'elles soient révélatrices de ce qu'on appelle le coup de foudre, restent mesurées et équilibrées. Les groupes binaires posent nettement les faits.
Le rapport de la conversation est au style indirect. A aucun moment les paroles de Manon ni les siennes, ne sont données telles qu'elles ont été dites. L'usage du style direct donne trop de vie pour que la réserve du narrateur, homme de qualité, puisse l'adopter. Manon et Des Grieux prendraient alors l'allure de personnages de théâtre; dans un certain sens, le lecteur se les représenterait en chair et en os. Le dessein de l'Abbé Prévost  de garder à son récit sobriété et impassibilité lui interdisait d'avoir recours à une transposition romanesque trop vivante.
Le style indirect casse l'émotion, même dans le cas où le dialogue est passionné. Les subordonnées indirectes communiquent une certaine lourdeur, ou plutôt à une tonalité d'éloignement, à une impression d'horizontal qui annule toutes les pointes et toutes les dents de scie de la passion.
Elle est encore atténuée par une variété qui semble voulue dans la présentation. A côté de phrases introduites par " que ", par une particule ou un pronom interrogatif : " ce que ", " si ", on rencontre une fois le style indirect libre : " c'était malgré elle... " : la disparition de la subordination libère du cliquetis des " que ". Puis on revient à la simple phrase de narration. Un auteur romantique, lui, aurait accumulé les exclamations et les mots à effet.
De la même façon, tout ce que suggère au Chevalier la " cruelle intention " des parents de la jeune fille se trouve condensé et affaibli dans " toutes les raisons" et la nuance d'émotion de " je combattis ".
Il juge les événements d'Amiens sous l'éclairage de son expérience postérieure. Des parenthèses se glissent au milieu du rappel des faits. On passe ainsi du récit, au plan temporel de la réflexion, qui correspond au moment où Des Grieux raconte. Le décalage intervient déjà dans les remarques que contiennent certains adverbes ou certains prolongements comme : " sans paraître embarrassée ou ingénument ". L'interférence est plus visible dans " car elle était beaucoup plus expérimentée que moi ". On trouve aussi le style indirect libre: " c'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent. "
Les deux plans temporels se combinent ainsi heureusement. La tonalité générale est empreinte de sobriété, de dignité, disons de classicisme.
Le style atténue et voile les idées. Il ne s'agit jamais ici d'étaler son moi, comme le feront plus tard Rousseau ou Chateaubriand.




Stylistique sur un texte de Victor Hugo dans les contemplations

Demain dès l'aube


Étude des formes verbales, et plus particulièrement des futurs dans ce texte.

A ) Le texte tout entier est orienté vers le futur : " demain " . Ces futurs, bien entendu, gardent leur valeur temporelle. Ils marquent la postériorité des actions énoncées par rapport au présent de l'auteur pris comme point de repère. Ils situent les actions dans " l'à venir ". Ils forment une chaine et indiquent ce que fera V. Hugo du matin au soir de la prochaine journée, sans préciser autre chose qu'en mettant en évidence leur rang, c'est-à-dire leur place chronologique. Ils peuvent être momentanés ou durables selon le cas. Momentanés quand ils marquent les limites du voyage décidé: " Je partirai "... durables quand ils portent sur l'intervalle de temps qui sépare les deux points extrêmes : " je marcherai ".
La présence du futur dans une temporelle introduite par quand présente les deux actions comme simultanées. Il s'agit d'exprimer ici la hâte avec laquelle, aussitôt atteinte la tombe, le père y dépose le bouquet.

Tous ces futurs correspondent à la force d'un désir. V. Hugo veut de toute sa volonté, " que demain soit aujourd'hui. "
Il pourrait avoir recours à un simple présent de transposition qui actualiserait sa marche. Le procédé est habituel. Il suffit alors que la phrase contienne par ailleurs une indication de date. Par exemple, " je pars au début de la semaine prochaine ". Mais le présent traduit trop platement cette actualisation; et donne une place insuffisante au sentiment. Son emploi ne dénote rien de plus qu'une constatation, l'acceptation ou la résignation restant au second plan. Le futur est autrement suggestif. La forme actuelle du futur ne provient-elle pas d'une périphrase comprenant le verbe à l'infinitif accompagné du présent du verbe avoir ? " J'aimerai " c'est-à-dire " j'ai à aimer " ? Le mot qu'on pourrait appeler l'auxiliaire donne la tonalité du présent; mais le tour dans son ensemble porte l'idée d'une sorte d'obligation. Les futurs qu'utilise V. Hugo semblent retrouver cette valeur étymologique. Sans les confondre avec ceux qui servent à donner un ordre - futur du commandement - ils indiquent que celui qui les emploie fait un effort de volonté pour les rendre aussi vrais que possible, malgré le temps qui le sépare encore des actions qu'ils représentent. Ils marquent l'injonction et la détermination.
On est encore dans l'éventuel, mais un éventuel dont la marge de probabilité est réduite à zéro par le locuteur. Et, sous cet angle, on peut également dire que ce sont des futurs d'anticipation. Ils font que ce qui sera, dès maintenant, apparaît réel.
" sera " prend sous la plume de V. Hugo l'allure d'une prophétie.

B) Le présent

Il y a concordance et simultanéité entre le temps réel et les manifestations d'un état d'âme. Mais elles sont loin d'être restreintes au point qui représente d'ordinaire ce présent sur la ligne du temps. Elles ne sont pas instantanées; elles ne sont pas dépourvues d'épaisseur. L'action existait déjà avant le moment où V. Hugo en fait mention. Mais ce qu'il désire surtout marquer avec insistance, c'est qu'elles se prolongeront au-delà de l'instant où il parle, jusqu'à la rencontre qui mettra un terme à la commune attente du père et de la fille. A ce point de vue, ces verbes se muent en verbes d'état, ils sont surtout chargés d'une valeur sentimentale. Ils sont orientés vers l'avenir, aimantés par cet avenir.
Le tour verbal sclérosé : " vois-tu " qui n'a rien d'un impératif.
Les deux présents : " blanchit " et " tombe " n'échappent pas complètement à l'emprise du futur. Ils représentent, cela va de soi, des actions qui se répètent quotidiennement depuis le commencement du monde et qui continueront à se répéter jusqu'à la fin de la vie de Hugo. Ce sont des formes intemporelles, plutôt que des formes exprimant l'habitude. Elles se placent en dehors de tout passé, de tout présent et de tout avenir.
Le parallélisme évident entre la touche picturale de l'aube et la touche picturale du soir porte à préférer la valeur intemporelle des verbes.
" demeurer vaut un présent, mais il est proche d'un futur.
" descendant " est la seule forme impersonnelle qui se libère, au moins de façon relative, de la tonalité générale.



La négation, sous tous ses aspects

La négation est portée deux fois par le petit mot " ne " employé seul. D'ordinaire étant donné sa faiblesse phonique, on se sert pour le soutenir de prolongements, de mots de soutien : " pas ", ou " point " ... Le langage populaire va même jusqu'à faire passer l'idée négative tout entière sur le deuxième élément du groupe.
" je ne puis " pourrait être remplacé par " je ne peux pas ". La forme verbale est gardée de l'ancienne langue. Cette façon de dire insiste sur l'impossibilité.
Il n'est en tous cas pas question ici d'une négation, dite partielle, comme aurait  pu le faire croire la présence de " plus " dans la phrase. Deux raisons font rejeter cette interprétation. D'abord, on vient de le voir, " ne " est l'équivalent exact de " ne ...pas ". En reprenant l'exemple donné plus haut, on ne modifierait rien du reste de la phrase.
Ensuite, la place de " plus " serait anormale, il devrait venir immédiatement après " puis " pour l'encadrer entre les deux éléments de la négation composée.

Il est évident que " plus " en définitive, est un comparatif de valeur temporelle équivalant à un renforcement de la négation " ne... plus", cela semble possible.
" ne " sert aussi à annoncer " ni ", répété, c'est une question d'usage. " ne " nie l'action de regarder; " ni " insiste encore plus sur le refus. Autre tournure : " je ne regarderai pas l'or du soir qui tombe, ni les voiles...
Un autre mot de valeur négative : " sans ". Cette préposition exclusive de la cause ou de la manière, possède le pouvoir de nier en raison de son étymologie. Elle contient une négation qui apparaît encore, mais très peu nettement, dans la lettre " n". Deux fois répété comme " ni ", elle introduit ici de façon régulière un infinitif qui joue le rôle de complément circonstanciel de manière.
A propos des termes indéfinis : " rien " et " aucun "; chacun joue auprès de " sans " le même rôle qu'auprès de " ne ". Dire que ces mots sont en eux-mêmes négatifs serait partiellement faux; ils prennent une valeur négative au contact de " ne " et de " sans "; ils ne représentent pas une deuxième négation à côté de la première.
Cependant, ils subissent moins fortement l'emprise de la négation à côté de " sans ". On en trouve la preuve dans le fait qu'on peut alors très bien les remplacer par des expressions du genre de " une seule chose " et " un seul bruit " sans modifier le sens général de la phrase. Il est impossible d'en user ainsi de façon correcte après " ne ".  C'est une tournure héritée de l'ancien français et teintée d'archaïsme qui prouve pourtant que la différence n'est pas grave et n'est pas essentielle : " je n'ai vu âme qui vive ". N'est-ce pas d'ailleurs de la sorte que se comprenait à l'origine : " je n'ai rien vu "  " je n'ai entendu personne " ?
L'adjectif " inconnu " se signale par sa composition à l'aide du préfixe "in " , il nie avec une rigueur légèrement moins forte, mais de façon aussi complète que le groupe " sans être ( re ) connu " par lequel il est impossible de le remplacer.
Mais le vers 9 est beaucoup plus original. V. Hugo y utilise une comparaison dans laquelle apparaissent les mots " jour " et " nuit " dont le contenu sémantique est en opposition, or, on en arrive, dans la tournure comparative à présenter une sorte d'équation : " jour " = " nuit ". C'est là une manière grammaticale en même temps que poétique de nier le jour et de dire que, pour le père qui va retrouver sa fille, le jour n'existera pas.




Le " dialogue "

Le mot dialogue est placé entre guillemets. Dans quelle mesure peut-on justifier l'emploi de ce mot ? Tel est le sens de ces guillemets.
Le dialogue, en principe, se caractérise par la présence de deux interlocuteurs. Or le poète a une place prépondérante. Mais tout ce qu'il dit est aimanté par un interlocuteur privilégié.

La forme du pronom ne révèle pas s'il s'agit d'un homme ou d'une femme. Aucun nom n'est mis en apostrophe et ne vient lever le doute. Toutefois le ton sentimental de l'ensemble des phrases où intervient le " tu " implique un sentiment d'amour. Par téléphone, la distance par exemple ne constitue pas une impossibilité de dialogue. Nous avons l'exemple aussi de Mme de Sévigné. Ici, tout est implicitement présenté comme une explication qui est donnée à cette personne aimée.

 

Procédés stylistiques généraux et moyens prosodiques utilisés pour exprimer l'absence

Le choix des verbes frappe d'abord : ils sont en majorité intransitifs; ils supposent une action qui porte en elle-même sa signification : " partir ", " aller", " marcher ", " arriver ". Ils expriment le mouvement mais ils laissent dans l'ombre le terme de voyage; ils l'entourent de mystère. Ils marquent une séparation, une fuite vers l'inconnu.
Quand le verbe est suivi d'un complément d'objet, ce complément est nié, il marque le refus; " pouvoir ", " voir ", " entendre ", " regarder ";  indiquent non plus l'activité du sujet, mais sa passivité.
" Par la forêt " et " par la montagne " annoncent déjà l'indifférence au paysage; au vague de la préposition s'ajoute le vague de l'article défini; " forêt " et " montagne " deviennent des termes généraux, sans couleur et sans attrait, des expressions topographiques. Seule subsiste dans ces deux mots, l'idée de difficulté.
L'inversion permet de frapper l'esprit du lecteur.
Le parallélisme de deux propositions ou de deux compléments de même nature accroît leur portée. Ces groupes binaires, loin d'être redondants insistent sur la décision prise.
 
 
En poésie : le nombre de syllabes et la prosodie
 

Le rythme des syllabes me direz-vous ne fait pas un poème…


Voyons la prosodie :

Il est plus dur d’attirer les lecteurs ( 4.3.3)
Avec ces mots, ceux qui viennent du cœur. ( 4.3.3)
Qu’avec ces gros mots, ceux qui sont un leurre ( 5. 5)
Et tous nous cliquons, le front en sueur ( 2. 3. 2.3. )

En sachant que la technique seule ne crée pas la poésie, bien sûr. Mais la technique et l’ « horreur » ne donnent pas non plus des ailes.

 

 


Date de création : 07/06/2008 • 21:16
Dernière modification : 09/08/2013 • 11:10
Catégorie : Oeuvres commentées
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