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Surréalisme

Surréalisme

Un critique met dans la bouche des poètes surréalistes le conseil suivant :

" Lisez Raymond Lulle et Flamel, ne lisez pas Saint Thomas d'Aquin, lisez Arnim, Rabbe, Nerval, ne lisez pas Vigny et Lamartine, lisez Rimbaud, Huysmans, Jarry, ne lisez pas Claudel, Mistral, Péguy. "

Mêlant et opposant des noms fort connus et d'autres qui le sont moins, cette phrase déroute à la première lecture, et veut effectivement dérouter et choquer, participant ainsi à la recherche systématique du scandale qui caractérise les propos et les violences des poètes surréalistes. Mais une courte réflexion sur les auteurs cités indique dans quelle double direction les recherches doivent être orientées : le critique en effet oppose à des poètes que l'on pourrait qualifier d'officiels, des alchimistes comme Lulle et Flamel, et des écrivains, qui, comme Arnim, Rabbe, Nerval et Huysmans, ont poursuivi à travers leur œuvre un monde mystérieux où leurs facultés rationnelles s'évanouissaient pour laisser s'épanouir les visions incohérentes et hallucinatoires dont l'inconscient, dans l'état de rêve, submerge l'être humain.
Il semble donc que dans ce conseil l'auteur établisse une distinction très nette entre une conception rationnelle et claire de la poésie, et une conception irrationnelle et ambitieuse, conceptions que nous appellerons, pour plus de facilité, l'une " traditionnelle " et l'autre " maudite ". Il s'agit donc maintenant, de les examiner tour à tour, à la lueur des premières indications que quelques instants de réflexion sur les noms cités ont pu nous fournir.
 

La conception traditionnelle.

On peut affirmer qu'en un sens la poésie " traditionnelle " se consacre à chanter un univers cohérent et logique, l'univers que l'homme perçoit par ses facultés intellectuelles ordinaires et dans lequel il tend  à s'installer, plus ou moins confortablement. Selon le cas, elle prend pour thème l'individu ou le monde lui-même.
Ainsi, elle fait un sort aux sentiments et aux idées de l'homme, fournit à son cœur une occasion de s'exprimer ou de s'épancher à travers une analyse lucide. Ce sont des sortes de coups de sonde rationnels que l'homme, grâce à elle, jette dans son propre cœur; il s'agit pour le poète d'y voir clair en lui, d'ordonner, de classer, et de transmettre en clair à autrui cette analyse. Le lyrisme, dans ces conditions, représente l'essence même de la poésie, s'il est vrai qu'il consiste pour le poète à exprimer ses sentiments personnels sur des thèmes réputés communs, donc universels : l'amour, la patrie, la mort, la nature, les aspirations mystiques, etc... Ainsi, la poésie lamartinienne offre un déploiement complet de ces divers chants, qui représente la prise de conscience par l'auteur des aspirations, des inquiétudes, des émotions ou des angoisses qui frémissaient en lui en lui confusément. par elle, le lecteur prend conscience à son tour de ce qui frémissait aussi en lui : tout s'éclaire désormais car un poète est venu qui lui dit ce qu'il ressent, qui lui dicte ce qu'il doit ressentir.

A l'égard du monde extérieur, la démarche est la même. Vigny par exemple, nous offre, avec les poèmes recueillis sous le titre de Destinées, une vision claire du monde. Vision négative dans la mesure où il fait le procès de fausses valeurs comme la société, ( La mort du berger ), la femme (  La colère de Sanson ) ou Dieu ( Le jardin des oliviers ). Valeur positive " celle de l'entreprise humaine ", comme dit Thibaudet dans son " Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours ", quand il célèbre le rôle organisateur de l'intelligence ( La bouteille à la mer, L'esprit pur ). Qu'on le loue ou qu'on le critique, le monde ainsi, est regardé bien en face, tel qu'il est et tel qu'il doit devenir.
On s'étonnera peut-être de voir l'auteur de cette citation ranger Paul Claudel dans la catégorie des poètes " traditionnels ". Mais, dans l'optique où nous nous plaçons, il n'est pas impossible de voir en Claudel un poète qui, de même que Vigny célébrait le rôle organisateur de l'intelligence, célèbre à son tour le rôle organisateur de Dieu. Claudel explique le monde, montre les rapports qui lient la terre et Dieu : " Qui a mordu à la terre, il en a conservé le goût entre ses dents ", et ses " cinq grandes odes " illustrent la nécessité où l'homme se trouve de se soumettre aux lois que la réalité impose. Sa poésie conduit l'homme à croire dans le monde, à croire dans l'ordre de Dieu, à refuser le Doute : " La clef qui délivre n'est point celle qui ouvre, mais celle-là qui ferme. " Ce même désir d'expliquer le monde à la lumière de la foi se retrouve chez Péguy, et la poésie, chez l'un comme chez l'autre, reflète ce calme et cette certitude qui sont la marque de la conception traditionnelle. Le problème ici n'est pas de savoir si leur vision est plus ou moins " thomiste ", mais, comme Saint Thomas d'Aquin, ils offrent, peut-on dire, une vision officielle de l'univers.
Les moyens mis au service de cette poésie sont, pour ce qui est de Lamartine ou de Vigny, les moyens traditionnels : le vers avec ses rimes et ses coupes, tel qu'on le pratique couramment, tel qu'il permet d'éclairer par des images, des comparaisons, des figures de style empruntées à la Rhétorique, les aspects de cette vision de l'homme et du monde. La forme est plus personnelle chez Péguy ou Claudel, mais toujours claire et construite, et l'on peut désigner par les termes de " verset claudélien " une certaine construction, aussi nette que celle des stances ou du sonnet. La poésie, ainsi conçue, apparaît, sur le plan formel, comme un art, une tecnique raffinée, un jeu, qui exige de l'auteur, un perpétuel contrôle, une perpétuelle lucidité. Les exigences artistiques sont des contraintes  librement et volontairement assumées par le créateur, et cet univers de contraintes est non moins réel et palpable que l'univers proprement dit. l'usage du symbole par Vigny ne va pas à l'encontre de cette interprétation : le loup, la bouteille à la mer, Samson, la maison du berger, sont des images qui deviennent le signe d'une idée et qui contribuent à mieux l'éclairer encore, à la faire valoir, à la rendre plus directement assimilable. Chez d'autres poètes, des mythes antiques, des références mythologiques contribuent à cette vaste entreprise d'éclaircissement, de réduction du monde à des dimensions rationnelle, donc à la portée des facultés intellectuelles de l'homme.

Ainsi, si l'on se place dans cette optique " traditionnelle ", celle de plusieurs siècles de poésie, on se représente le poète comme un être calme et apaisé, un être olympien qui célèbre les grandes  notions ou conceptions communément admises, religieuses ou non. Il règne sur le monde, sur les créatures, sur lui-même.

La conception maudite.

Tout autre est la perspective offerte par la deuxième série des noms proposés dans la citation. Elle suppose une vision du monde radicalement différente : loin d'accepter de s'en tenir à une conception cohérente et logique et de s'y nicher confortablement, elle voit dans la nature un organisme animé et non une mécanique décomposable, dans l'homme un reflet et un résumé de la nature ainsi conçue. L'homme fait partie de cet univers, inexplicable logiquement; il est lié à lui par des affinités secrètes et mystérieuses.
La vraie puissance de l'homme n'est pas dans sa raison, mais dans les facultés exceptionnellement mises en branle dans les rêves, dans son inconscient. Par la magie, la sorcellerie, les incantations, l'alchimie, l'esprit peut aller au-delà des limites qu'il s'est fixées. Peut-être le rêve est-il plus réel que la veille, l'inconscient plus vrai que la conscience. Dans ces conditions, la faculté poétique est une véritable faculté intellectuelle, de l'ordre de celles qui déploient leurs pouvoirs lorsque nous dormons, et par elle l'homme éveillé peut retrouver ces mondes bizarres et enivrants dont seuls le sommeil et les " paradis artificiels " révélaient jusque-là l'existence, mondes aussi réels, après tout, que cet unique monde auquel la raison et la tradition nous limitent. Derrière les choses apparentes, il y a un " ailleurs ", postulé par notre sensibilité dans ses aspirations vagues et restées inexplicables ( que Rousseau avait déjà décelées ) : " C'est à la fois, écrit Baudelaire, par la poésie et à travers la poésie que l'âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau. ( Notes nouvelles sur Edgard Poë, IV

Il s'agit donc par le moyen de la poésie de percer le " mystère de la vie ", de " jeter une lumière magique et surnaturelle sur l'obscurité naturelle des choses. " ( Baudelaire )

C'est en effet l'objet que se proposait déjà Nerval qui par un continuel refus de la réalité temporelle, par un recours systématique à l'onirisme, cherchait l'accès à un au-delà mystérieux et exaltant. Rimbaud poussera plus loin encore la tentative en pratiquant l'hallucination volontaire, et en essayant de fixer les vertiges de son esprit. Il s'agit ici de faire réaliser à la conscience les richesses accumulées dans les zones obscures et infinies du véritable moi, qui est omniscient ((un des attributs divins; rien ne lui est inconnu; de ce qui fut et sera ) parce qu'il participe à l'âme universelle, d'atteindre un état de rêve. Ainsi dans le nocturne vulgaire, le poète se fait prisonnier des formes hallucinantes que prennent  les flammes dans un foyer et laisse bondir son imagination au rythme du feu. pour le poète la personnalité n'est qu'une illusion passagère, une fausse limitation : " Je est un autre. " Les vraies dimensions de l'homme sont celles de l'univers tout entier; tout se tient, les contraires sont identiques, les catégories morales du Bien et de Mal sont abolies.
Le poète, dens ces conditions, s'abandonne au tumultueux, à l'incohérent, à l'insolite. Il " se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens " ( lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 , dite lettre du voyant. ) Vers ou prose ?.. le problème n'est plus là. Tous les moyens formels sont bons, car ils ne sont véritablement que des moyens : la poésie n'est plus un jeu, un exercice raffiné, et ne saurait tenir dans l'usage plus ou moins habile des formes traditionnelles. Ce sont les mots et non les formes qui sont porteurs de poésie, et le fracas de leurs rencontres inattendues, l'incohérence même de leur succession, sont les plus sûrs garants de l'exacte traduction des visions qui occupent le poète.

Ce n'est plus un être Olympien qui célèbre un monde clos et construit, mais un être prométhéen en révolte contre le monde et qui pour le mieux dépasser le pulvérise. Il se dresse en révolté contre la condition sociale, la société faite de contraintes, d'interdictions, d'injustices, et contre la condition humaine elle-même. Il se fait voyou pour être voyant.
Au contraire de la conception traditionnelle qui célèbre et qui orne, qui est soumission au monde ou à Dieu, cette conception " maudite " voit dans la poésie un moyen de découverte, qui révèle les richesses fabuleuses de l'inconscient, et une arme, celle de la révolte sociale et métaphysique.
Le poète maudit est-il un mystique ? Non, car le vrai mystique recherche Dieu et se fond en lui; pour lui la poésie est une prière et par elle il retrouve Dieu en toutes choses, comme Claudel ou Lamartine. Le poète maudit au contraire veut surmonter l'homme, dépasser ses pouvoirs, se faire Dieu lui-même, devenir " voleur de feu ", contre Dieu s'il le faut. En ce sens, on pourrait presque dire que la conception " maudite " est une conception " satanique " de la poésie.
Tel est le sens de la distinction établie par la double énumération de la citation. Derrière l'opposition des noms se profilent deux conceptions opposées qui paraissent mettre en cause, plus que les œuvres des auteurs cités, l'essence même de la poésie.

Discussion :

Mais l'on peut s'interroger sur la valeur et les limites d'une telle distinction. Pour cela, on pourra se demander d'abord si l'une ou l'autre des deux conceptions a été plus " productive " si l'une ou l'autre, a apporté à notre XX e siècle une poésie valable. On pourra examiner ensuite si la distinction est, dans les faits, toujours aussi tranchée, et rechercher enfin si les définitions de ce genre sont vraiment et complètement des définitions de la poésie elle-même.

Il est un fait que la conception " maudite " a abouti au XX e siècle à l'apparition du surréalisme, qui a systématisé les tendances que nous venons d'examiner et qui s'est présenté d'ailleurs non seulement comme une révolution poétique, mais comme une complète philosophie. Sur le plan poétique, le surréalisme a prétendu expulser ce qui n'est pas irrationnel et atteindre, en laissant s'exprimer l'inconscient par le truchement de l'écriture automatique, le halo magique du réel : le surréel. Il a voulu découvrir ainsi à l'homme les régions obscures de sa conscience et lui permettre d'échapper à toute emprise extérieure, poussant jusqu'au bout les tentatives de Rimbaud, de Lautréamont et d'Apollinaire, en qui il reconnut des ancêtres valables. Naturellement, cette prise de position poétique entraînait le rejet de  toutes formes traditionnelles, de tout ce qui tendait à l'arrangement ou à la cosntruction, et la soumission à l'incohérence apparente des mots " dictés ", juxtaposés par les hasards de l'inconscient, mais, pensait-on, témoignages certains d'une réalité vivante.

La tentative a-t-elle réussi ? On peut se le demander et en douter, si l'on considère les oeuvres elles-mêmes. peu pour parler franc, s'imposent encore aujourd'hui. Mais il serait faux cependant de conclure à l'échec de l'expérience surréaliste. Car, dans la mesure où cette attitude poétique a impliqué une attitude philosophique, le surréalisme a réellement marqué l'esprit moderne et laissé de profondes traces. il a donné vie et force à un esprit permanent de révolte qui s'est dressé contre le monde humain et ses idéaux ' " Alfred Jarry, l'homme qui revolver ", disait André Breton ) et en a instruit le procès. Il a marché sur les pas de Freud en essayant de découvrir le fonctionnement de la pensée, en affirmant que la libération et la rédemption de l'homme pourraient s'obtenir par la liberté du rêve et du désir ( c'est-à-dire au fond par la cure psychanalytique ). Mais surtout, par sa recherche systématique du bizarre, de l'insolite, il a fait craquer les cadres traditionnels de l'académisme en art, et notre civilisation d'aujourd'hui est marquée, tant pour l'architecture que pour la décoration, la peinture, le dessin, la poésie ou la musique, par cette révolution du goût et des idées dont il porte la responsabilité. Il a modifié le regard de l'homme, qui accepte aujourd'hui, dans les lignes et les formes en particulier, des audaces qui auraient soulevé d'indignation les générations d'avant la première guerre mondiale. On ne peut donc dénier au surréalisme une efficience certaine, même s'il n'a pas atteint complètement les buts qu'il se proposait.

Mais, parallèlement, la conception traditionnelle de la poésie n'est pas restée stérile, et on pourrait opposer aux surréalistes les résultats poétiques obtenus par nombre de créateurs qui furent plus ou moins leurs contemporains, en particulier Paul Valéry. Plus que tous les autres en effet il s'est attaché à ne voir dans la poésie qu'un jeu délicieux sans objet déterminé, un art qui est à soi-même sa propre loi et son propre but. Les ressources apportées par l'imagination lui apparaissent sans valeur, parce qu'étrangères à la création du Beau; seules les contraintes, les règles du jeu, peuvent être créatrices de Beauté, parce qu'une telle création exige essentiellement une lucidité de tous les instants, un perpétuel contrôle de soi par le poète : " La véritable condition d'un véritable poète, est ce qu'il y a de plus distinct de l'état de rêve. " Une telle poésie doit donc permettre au poète de se découvrir lui-même, d'apercevoir le " fonctionnement  de son esprit ". Tourne-t-elle le dos à la vie ? Non, car la vie est caractérisée par le rythme, la régularité, et ce rythme vital est effectivement introduit dans les pensées par les contraintes de la rime, de la césure, des rythmes. Tourne-t-elle le dos à l'inspiration ? Non plus, car Valéry accepte ces chances que sont les vers suggérés spontanément à son esprit ( cf. passage, connu de Variété I, dans : au sujet d'Adonis °. Mais il ne les considère que comme des possibilités, des fruits imprévus, que la conscience et l'intelligence doivent recevoir, placer, exploiter, entourer d'un contexte, ou simplement refuser. La poésie " Valéryenne " d'ailleurs ne fait nullement figure de poésie rétrograde, et l'on sait comme elle  a su tirer parti des enrichissements poétiques apportés par le symbolisme, en particulier par Mallarmé, mais elle oppose à  la défiance surréaliste sa confiance dans les pouvoirs rationnels de l'homme et s'inscrit au crédit de la conception olympienne du poète que nous avons définie.

D'ailleurs, on ne saurait affirmer que dans les deux conceptions, traditionnelle et " maudite ", sont absolument étanches l'une par rapport  à l'autre, et le distinction établie par ce critique contemporain est assez fallacieuse. Les deux courants en réalité participent l'un de l'autre. Non seulement le symbolisme a fait place au flou, au mystère, aux sensations confuses, non seulement Paul Claudel affirme hautement sa dette à l'égard de Rimbaud, mais chez des poètes considérés communément comme traditionalistes on peut trouver, préalablement même à Rimbaud, des élément irrationnels : " Il serait singulier, et peut-être vrai de dire, remarquait Hugo, que l'on est parfois étranger comme homme à ce que l'on écrit comme poète. " Hugo, comme plus tard Rimbaud, a éprouvé à de certains moments que " Je est un autre " et que le poèmes n'était pas seulement le résultat concerté de son activité consciente, mais l'expression d'une présence mystérieuse qui se manifestait en lui. La place tenue dans ses plus grandes œuvres comme les Contemplations, La légende des siècles, la fin de Satan et Dieu, par les visions d'angoisse ( gouffres, spectres, monstres ° ou par les "paradis bleus " ( cieux infinis, anges ), témoigne de la confiance qu'il a mise dans les apports des zones obscures de son être.
Inversement, des poètes que l'on tend à rattacher à la conception " maudite ", paraissent en même temps tenir fermement à l'autre lignée, comme Baudelaire, dont la technique est restée très traditionnelle. pour lui, le poète ne saurait atteindre la beauté que par une lente maturation de ses impressions premières. ( " La conception sera lente, sérieuse, consciencieuse " ) et dans ses " conseils aux jeunes libérateurs " ( Aryt romantique ) il prône un travail régulier et quotidien, ainsi qu'une sévère hygiène de l'intellect.
En réalité, ( et ce sera là le dernier point de cette discussion ) il n'y a pas, au travers de cette citation, opposition entre deux conceptions de la poésie, mais seulement entre deux ambitions différentes. L'opposition est en marge de la poésie elle-même.
Dès qu'il y a vers, il y a mystère. Aussitôt, en effet, les mots se chargent d'une valeur particulière, deviennent plus ou moins des notes de musique, et quittent leur qualité ordinaire de signes utilitaires.
Les vers, ils ont toujours une valeur propre, indépendante de l'idée qu'ils expriment, et la poésie consiste à faire jaillir des étincelles soudaines des rapports inattendus qu'on établit entre eux : " La poésie, remarque Valéry ( Variété II, Passage de Verlaine ), est l'ambition d'un discours qui soit chargé de plus de sens, et mêlé de plus de musique, que le langage ordinaire, n'en porte et n'en peut porter. Rien de plus simple à concevoir que le désir d'accoître indéfiniment cette charge de merveilles, qui se superpose ou se substitue à la charge utile du langage ". Dès qu'on lit des vers, on sort du rationnel pur pour pénétrer dans le monde de l'indéfinissable et du mystérieux. c'est à cele, bien plus qu'à l'ambition métaphysique du poète, qu'on reconnaît la poésie. En ce sens, elle est toujours expérience du mystère, et même la poésie la plus conformiste peut éveiller en nous des résonances et mettre notre inconscient en jeu, sans qu'elle se donne cependant pour tâched de l'exprimer, directement et de propos délibéré, comme les surréalistes entendent le faire. ce qu'il y a, c'est que certains poètes ont pris nettement conscience de ce pouvoir qu'exerce la poésie sur notre inconscient, et qu'ils ont pris finalement l'inconscient comme une fin, et non plus seulement comme un moyen. Mais en réalité l'appel de l'inconscient se trouve tout autant chez Racine que chez André Breton. Conventionnelle de fond, conventionnelle de forme, la poésie peut être " pure " cependant et être cette musique qui nous transporte et provoque notre émerveillement : émerveillement devant la poésie elle-même que nous découvrons à ces instants-là, dans son essence.

Conclusion :

Qu'on la considère comme un simple moyen d'art et d'embellissement, ou comme un exercice spirituel, un moyen de découverte, une méthode de conquête, la poésie ne vaut, dans les deux cas, que par elle-même, et non par  les bagages dont on la charge. essayer d'apercevoir la poésie à travers des doctrines, ou des noms qui recouvrent des conceptions différentes, c'est sans doute le plus sûr moyen de la manquer. " Il n'y a pas disait Valéry, de doctrine vraie en art, parce qu'on se lasse de tout   et que l'on finit par s'intéresser à tout " ( Rhumbs ). Prétendre limiter la poésie à telle ou telle conception doctrinale, c'est entreprendre audacieusement de la mettre en cage : peut-on concevoir une cage, quelle qu'elle soit, qui la puisse contenir ?.


Date de création : 07/08/2015 • 07:25
Dernière modification : 07/08/2015 • 07:25
Catégorie : Poésie
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