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Romans par Lettres

Romans par lettres

Les liaisons dangereuses
Laclos

Un panorama complet de la société des nobles et des oisifs du 18 e siècle. Une intrigue entre une sorte de Don Juan tombé amoureux d'une dévote, réellement amoureux d'ailleurs... mais manipulé à son tour par Mme de Merteuil  qui en fait tire les fils de toutes les intrigues qui se nouent.

Préface d'A. Malraux :
Les liaisons sont le récit d'une intrigue. Intriguer tend toujours à " faire croire " quelque chose à quelqu'un; toute intrigue est une architecture de mensonges.

Préface du rédacteur :
Le mérite d'un ouvrage se compose de son utilité et de son agrément et même de tous les deux quand il en est susceptible : mais le succès, qui ne prouve pas toujours le mérite, tient plus souvent au choix du sujet qu'à son exécution.

Lettres diverses ( extraits ) :
"Tout le monde m'a beaucoup regardée...
conquérir est notre destin...
Dépositaire de tous les secrets de mon cœur, je vais vous confier le plus grand...séduire une jeune fille qui n'a rien vu...
Mais ce que vous ignorez, c'est combien la solitude ajoute à l'ardeur du désir... J'y pense le jour et j'y rêve la nuit...
Pour être adorable, il lui suffit d'être elle-même. Vous lui reprochez de se mettre mal; je le crois bien : toute parure lui nuit ; tout ce qui la cache la dépare : c'est dans l'abandon du négligé qu'elle est vraiment ravissante... Non sans doute, elle n'a point, comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit quelquefois et nous trompe toujours. Elle ne sait pas couvrir le vide d'une phrase par un sourire étudié... Elle offre l'image d'une gaieté naïve et franche !... Elle est prude et dévote.
Je sentis mon cœur battre plus vite. L'aimable rougeur vint colorer son visage.
Qu'elle croit à la vertu, mais qu'elle me la sacrifie.
... Elle m'a rendu les charmantes illusions de la jeunesse... Il faut qu'elle se donne.
J'étudie beaucoup mon chant et ma harpe; il me semble que je les aime mieux depuis que je n'ai plus de Maître, ou plutôt depuis que j'en ai un meilleur... c'est bien dommage qu'il soit Chevalier de Malte !
Il a une douceur charmante...
Encore plus faux et dangereux qu'il n'est aimable et séduisant, jamais, depuis sa plus grande jeunesse, il n'a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n'eut un projet qui ne fût malhonnête ou criminel.
Il y a bien quelques femmes aimables à la ronde; mais il sort peu, excepté le matin, et alors il dit qu'il va à la chasse. Il est vrai qu'il rapporte rarement du gibier.
Nous attaquerons, elle et moi, le Chevalier de B. au piquet, et en lui gagnant son argent, nous aurons pour surcroît de plaisir, celui de vous entendre chanter.
Si c'est être amoureux que de ne pouvoir vivre sans posséder ce qu'on désire, d'y sacrifier son temps ses plaisirs, sa vie,
je suis bien réellement amoureux.
Aussitôt que vous aurez eu votre belle Dévote, que vous pourrez m'en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n'ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, d'une part, je deviendrai une récompense au lieu d'être une consolation; et cette idée me plaît davantage : de l'autre votre succès en sera plus piquant, en devenant lui-même un moyen d'infidélité. Venez donc, venez au plus tôt m'apporter le gage de votre triomphe : semblable à nos preux Chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leurs dames les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de savoir ce que peut écrire une Prude après un tel moment, et quel voile elle met sur ses discours, après n'en avoir plus laissé sur sa personne.
Un rival dangereux : c'est la petite Volanges. Je raffole de cet enfant... Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus à la mode. Je vois son petit cœur se développer et c'est un spectacle ravissant. Elle aime son Danceny avec fureur; mais elle n'en sait encore
rien. Lui-même quoique très amoureux a encore la timidité de son âge, et n'ose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis à vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret.
Quant à la petite, je suis souvent tentée d'en faire mon élève... nous lui donnerons une femme toute formée, au lieu de son innocente Pensionnaire.
Vicomte...mais pour Dieu avancez donc. Songez que si vous n'avez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu.
On devait saisir dans la matinée, les meubles d'une famille entière qui ne pouvait payer la taille.
Ma belle faisait de la tapisserie... le curé lisait la gazette
Elle s'empressa de retourner à son métier..., et eut l'air pour tout le monde de recommencer sa tapisserie; mais moi, je m'aperçus bien que sa main tremblante ne lui permettait pas de continuer son ouvrage...
J'y gagnai de plus de considérer à loisir cette charmante figure, embellie encore par l'attrait puissant des larmes. Ma tête s'échauffait, et j'étais si peu maître de moi, que je fus tenté de profiter de ce moment... Ah ! Qu'elle se rende, mais qu'elle combatte... J'eus l'heureuse et simple idée de tenter de voir à travers la serrure, et je vis cette femme adorable à genoux, baignée de larmes, et priant avec ferveur.
A 11 h j'entrai chez Mme de R, et, sous ses auspices, je fus introduit chez la feinte malade...Ma belle eut donc le double chagrin d'être obligée de me livrer son bras, et de sentir que son petit mensonge allait être découvert...Toute sage qu'elle est, elle a ses petites ruses comme une autre... j'étais fort empressé d'avoir cette lettre; mais soit ruse encore, ou maladresse, ou timidité, elle ne me la remit que le soir, au moment de se retirer chez elle... voyez dans quelle fausseté elle affirme qu'elle n'a point d'amour, quand je suis sûr du contraire.
Sans vous, Maman allait s'en apercevoir, et qu'est-ce que je serais devenue ?... Permettez-moi de vous faire une question : on m'a bien dit que c'était mal d'aimer quelqu'un; mais pourquoi cela ?... Elle me traite toujours comme un enfant, Maman; et elle ne me dit rien du tout... Je ne voudrais pas faire quelque chose qui fût mal... Je compte avoir le plaisir de vous voir ce soir... Maman soupe chez elle et je crois qu'elle vous proposera d'y rester.
Je reçois M de V et il est reçu partout; c'est une inconséquence de plus ajoutée à mille autres qui gouvernent la société. Vous savez comme moi qu'on passe sa vie à les remarquer, à s'en plaindre et à s'y livrer. M. de V., avec son beau nom, une grande fortune, beaucoup de qualités aimables, a reconnu de bonne heure que pour avoir l'empire dans la société, il suffisait de manier, avec une égale adresse, la louange et le ridicule. Nul ne possède comme lui ce double talent; il séduit avec l'un, et se fait craindre avec l'autre. On ne l'estime pas; mais on le flatte. Telle est son existence au milieu d'un monde qui, plus prudent que courageux, aime mieux le ménager que le combattre.
Ce qui me parait encore devoir vous rassurer sur le succès, c'est qu'elle use trop de forces à la fois; je prévois qu'elle les épuisera pour la défense du mot,  ( amour ) et qu'il ne lui en restera plus pour celle de la chose...
On va d'ici, tous les matins, chercher les lettres à la Poste, qui est à environ trois quarts de lieue : on se sert, pour cet objet, d'une boîte ouverte à peu près comme un tronc, dont le Maître de la Poste a une clef et Mme de R l'autre. Chacun y met ses lettres dans la journée, quand bon lui semble; on les porte le soir à la Poste, et le matin on va chercher celles qui sont arrivées. Tous les gens étrangers ou autres, font ce service également. Ce n'était pas le tour de mon domestique; mais il se chargea d'y aller, sous le prétexte qu'il avait affaire de ce côté.
Cependant j'écrivis ma lettre. Je déguisai mon écriture pour l'adresse, et je contrefis assez bien, sur l'enveloppe le timbre de Dijon....
Alors je connus l'amour. Mais que j'étais loin de m'en plaindre ! résolu de l'ensevelir dans un éternel silence, je me livrai sans crainte comme sans réserve à ce sentiment délicieux.

Chaque jour augmentait son empire. Bientôt le plaisir de vous voir se changea en besoin. Vous absentiez-vous un moment ? Mon cœur se serrait de tristesse; au bruit qui m'annonçait votre retour, il palpitait de joie. Je n'existais plus que par vous, et pour vous. Cependant, c'est vous-même que j'adjure : jamais dans le gaieté des folâtres jeux, ou dans l'intérêt d'une conversation sérieuse, m'échappa-t-il un mot qui pût trahir le secret de mon cœur ?
...cette sensibilité précieuse qui embellit la beauté même et ajoute du prix à la vertu... Dévoré par un amour sans espoir, j'implore votre pitié et ne trouve que votre haine; sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgré moi, et je tremble de rencontrer vos regards. Dans l'état cruel où vous m'avez réduit, je passe les jours à déguiser mes peines et les nuits à m'y livrer; tandis que vous, tranquille et paisible, vous ne connaissez ces tourments que pour les causer et vous en applaudir. Cependant, c'est vous qui vous plaignez, et c'est moi qui m'excuse.
L'automne ne laisse à Paris presque point d'hommes qui aient figure humaine : aussi je suis depuis un mois d'une sagesse à périr; et tout autre que mon chevalier serait fatigué de ma constance. Ne sachant m'occuper, je me distrais avec la petite V; et c'est d'elle que je veux vous parler... Cela n'a ni caractère, ni principes; jugez combien sa société sera douce et facile. Je ne crois pas qu'elle brille jamais par le sentiment; mais tout annonce en elle les sensations les plus vives. Sans esprit est sans finesse, elle a pourtant une certaine fausseté naturelle, si l'on peut parler ainsi... sa figure offre l'image de la candeur et de l'ingénuité. Elle est naturellement très caressante, et je m'en amuse quelquefois : sa petite tête se monte avec une facilité incroyable et elle est alors d'autant plus plaisante, qu'elle ne sait rien, absolument rien, de ce qu'elle désire tant de savoir. Il lui en prend des impatiences tout à fait drôles; elle rit, elle se dépite; elle pleure, et puis elle me prie de l'instruire, avec une bonne foi réellement séduisante. En vérité, je suis presque jalouse de celui à qui ce plaisir est réservé.
Je ne sais si je vous ai mandé que depuis quatre ou cinq jours j'ai l'honneur d'être sa confidente.
... son Danceny. Mais figurez-vous qu'il est si sot encore, qu'il n'en a seulement pas obtenu un baiser. Ce garçon-là fait pourtant de fort jolis vers ! Mon Dieu que ces gens d'esprit sont bêtes ! Celui-ci l'est au point qu'il m'en embarrasse; car enfin, pour lui, je ne peux pas le conduire !
C'est à présent que vous me seriez utile... Dépêchez votre Présidente...
C'est M. le comte de Gercourt que je dois épouser, ... il est riche, il est homme de qualité, il est colonel...Si je n'avais pas peur de rentrer au couvent, je dirais à Maman que je ne veux pas de ce mari-là...
Mme de Merteuil... au moins celle-là, je peux bien l'aimer tant que je voudrai, sans qu'il y ait du mal, et ça me fait bien du plaisir. Nous sommes pourtant convenues que je n'aurais pas l'air de l'aimer tant devant le monde...
Vous allez me blâmer. Cependant je n'ai pas cru devoir perdre l'occasion de me laisser donner un ordre : persuadé d'une part que qui commande s'engage; et de l'autre, que l'autorité illusoire que nous avons l'air de laisser prendre aux femmes est un des pièges quelles évitent le plus difficilement. De plus, l'adresse que celle-ci a su mettre à éviter de se trouver seule avec moi me plaçait dans une situation dangereuse, dont j'ai cru devoir sortir à quelque prix que ce fût : car étant sans cesse avec elle sans pouvoir l'occuper de mon amour, il y avait lieu de craindre qu'elle ne s'accoutumât enfin à me voir sans trouble; disposition dont vous savez assez combien il est difficile de revenir;...
... elle s'adoucit, en trouvant sous ma main les morceaux de ma fameuse lettre de Dijon, soigneusement rassemblés. Heureusement il me prit fantaisie de la parcourir. Jugez de ma joie, en y apercevant les traces, bien distinctes, des larmes de mon adorable Dévote.
C'est par ses conseils, par ses avis pernicieux, que je me suis forcé de m'éloigner; c'est à elle enfin que l'on me sacrifie. Ah! sans doute il faut séduire sa fille : mais ce n'est pas assez. Il faut la perdre; et puisque l'âge de cette maudite femme la met à l'abri de mes coups, il faut la frapper dans l'objet de ses affections.
Danceny a un fond d'honnêteté qui nous gênera...
Je lui ai pourtant offert la main qu'elle a acceptée; et augurant bien de cette douceur, qu'elle n'avait pas eue depuis longtemps, tout en recommençant mes plaintes j'ai essayé de serrer la sienne. Elle a d'abord voulu la retirer; mais sur une instance plus vive, elle s'est livrée d'assez bonne grâce, quoique sans répondre...
La présidente : " J'ai naturellement peu de gaieté...
Le vicomte : " Je me suis arrêté chez la comtesse... Je ne fus pas plutôt entré dans ce cercle que je fus prié du souper, par acclamation. La maison où nous allions... était le prix convenu des bontés d'Émilie...L'idée sublime que nous nous étions formée d'un buveur Hollandais nous fit employer tous les moyens connus. Nous réussîmes si bien qu'au dessert il n'avait plus la force de tenir son verre : mais la secourable Émilie et moi l'entonnions  ( sens de verser comme dans un entonnoir ) à qui mieux mieux. Enfin il tomba sous la table, dans une ivresse telle, qu'elle doit au moins durer huit jours. Nous nous décidâmes alors à le renvoyer à Paris; et comme il n'avait pas gardé sa voiture, je le fis charger dans la mienne, et je restai à sa place. Je reçus ensuite les compliments de l'assemblée, qui se retira bientôt après, et me laissa maître du champ de bataille. Cette gaieté, et peut-être ma longue retraite, m'ont fait trouver Émilie si désirable, que je lui ai promis de rester avec elle jusqu'à la résurrection du Hollandais.
Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu'elle vient d'avoir, de me servir de
pupitre pour écrire à ma belle Dévote, à qui j'ai trouvé plaisant d'envoyer une lettre écrite du lit et presque d'entre les bras d'une fille, interrompue même pour une infidélité complète, et dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation et de ma conduite. Émilie qui a lu l'épitre, en a ri comme une folle, et j'espère que vous en rirez aussi.
Comme il faut que ma lettre soit timbrée de Paris, je vous l'envoie, je la laisse ouverte. Vous voudrez bien la lire, la cacheter, et la faire mettre à la Poste. Surtout n'allez pas vous servir de votre cachet, ni même d'aucun emblème amoureux, une tête seulement. Adieu ma belle amie. Ps : j'ai décidé Émilie d'aller aux Italiens.
Celui de mes sentiments pour vous, que l'état religieux dans lequel vous êtes rend plus criminel encore.
Vous croyez, Monsieur, ou vous feignez de croire que l'amour mène au bonheur; et moi, je suis si persuadée qu'il me rendrait malheureuse, que je voudrais n' entendre
jamais prononcer son nom.. Il me semble que d'en parler seulement altère la tranquillité.
Je suis arrivée indécemment tard chez Mme de V., et... toutes les vieilles femmes m'ont trouvée merveilleuse. Il m'a fallu leur faire des cajoleries toute la soirée pour les apaiser; car il ne faut pas fâcher les vieilles femmes; ce sont elles qui font la réputation des jeunes.
La petite fille a été à confesse...et depuis, elle est tourmentée à un tel point de la peur du diable, qu'elle veut rompre absolument... ce petit événement serait peut-être plus favorable que contraire, mais le jeune homme est si Céladon ( héros berger aux rubans verts de l'Astrée: roman sentimental et précieux ) que, si nous ne l'aidons pas, il lui faudra tant de temps pour vaincre les plus légers obstacles qu'il ne nous laissera pas celui d'effectuer notre projet.
Il lui explique enfin qu'il n'est pas moine comme la petite le croyait; et c'est sans contredit, ce qu'il fait de mieux : car, pour faire tant que de se livrer à l'amour monastique, assurément MM. les chevaliers de Malte ne mériteraient pas la préférence.
Mais pour Dieu, si vous en trouvez l'occasion, décidez donc ce beau Berger à être moins langoureux.
Lettre 81
La marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Ah ! Gardez vos conseils et vos craintes pour ces femmes à délire et qui se disent à sentiment dont l'imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tête : qui, , n'ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse l'amour et l'Amant : qui dans  leur folle illusion, croient que celui-là seul avec qui elles ont cherché le plaisir en est l'unique dépositaire, et vraies superstitieuses ont pour le Prêtre le respect et la foi qui n'est dû qu'à la Divinité.
Craignez encore pour celles qui, plus vaines que prudente ne savent pas au besoin consentir à se faire quitter.
Tremblez surtout pour ces femmes actives dans leur oisiveté, que vous nommez sensibles, et dont l'amour s'empare si facilement et avec tant se puissance : qui sentent le besoin de s'en occuper encore, même lorsqu'elles n'en jouissent pas : et s'abandonnant sans réserve à la fermentation de leurs idées enfantent par elles
ces lettres si douces, mais si dangereuses à écrire : et ne craignent pas de confier ces preuves de leur faiblesse à l'objet qui les cause, imprudentes, qui, dans leur amant actuel, ne savent pas voir leur ennemi futur.
Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? Quand m'avez-vous vu m'écarter des règles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes ?Je dis mes principes et je le dis à dessein : car ils ne sont pas comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude, ils sont le fruit de mes profondes réflexions : je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage.

Du VICOMTE DE VALMONT à la MARQUISE DE MERTEUIL
Dans la foule des femmes auprès desquelles j'ai rempli jusqu'à ce jour le rôle et les fonctions d'Amant, je n'en avais encore rencontré aucune qui n'eût au moins autant d'envie de se rendre que je n'en avais de l'y déterminer: je m'étais accoutumé à appeler prudes celles qui ne faisaient que la moitié du chemin, par opposition à tant d'autres dont la défense provocante ne couvre jamais qu'imparfaitement les premières avances qu'elles ont faites.
Ici, au contraire, j'ai trouvé une première prévention défavorable et fondée depuis sur les conseils et les rapports d'une femme haineuse, mais clairvoyante; une timidité naturelle et extrême  que fortifiait une pudeur éclairée, un attachement à la vertu que la religion dirigeait, et qui comptait déjà deux années de triomphe, enfin des démarches éclatantes, inspirées par ces différents motifs et qui toutes n'avaient pour but que de se soustraire à mes poursuites.
Ce n'est pas comme dans mes autres aventures, une simple capitulation plus ou moins avantageuse et dont il est plus facile de profiter que de s'enorgueillir; c'est une victoire complète, achetée par une campagne pénible et décidée par de savantes manœuvres. Il n'est donc pas surprenant que ce succès dû à moi seul, m'en devienne plus précieux; et le surcroît de plaisir que j'ai éprouvé dans mon triomphe et que je ressens encore, n'est que la douce impression du sentiment de gloire. Je chéris cette façon de voir, qui me sauve l'humiliation de penser que je puisse dépendre en quelque manière de l'esclave même que je me serais asservie; que je n'aie pas en moi seul la plénitude de mon bonheur; et que la faculté de m'en faire jouir dans toute son énergie soit réservée à telle ou telle femme, exclusivement à toute autre...
Montesquieu ( Lettres persanes ) : Un persan à Paris
Dans ses " lettres persanes ", le philosphe Montesqieu imagine que deux Persans, nommés Usbeck et Rica, venus visiter la France entre 1712 et 1720, écrivent à leurs amis restés au Moyen Orient pour leur confier leurs impressions de voyage. En adoptant ainsi le point de vue de deux étrangers, Montesquieu pouvait se permettre de dénoncer tout ce qui lui paraissait critique dans les moeurs de notre pays et dans la société de l'Ancien Régime. On le voit bien  par exemple dans la lettre que Rica, peu après son arrivée à Paris, adresse à un ami de  Smyrne ( en Turquie ).
Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires avant qu'on soit logé, qu'on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu'on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.
Paris est aussi grand qu'Ispahan. Les maisons y sont si hautes qu'on jugerait qu'elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu'une ville bâtie en l'air, qui a 6 ou 7 maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée, et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s'y fait un bel embarras.
Tu ne le croirais pas peut-être: depuis un mois que je suis ici, je n'y ai encore vu marcher personne. Il n'y a point de gens au monde qui tirent mieux parti de leur machine que les français; ils courent; ils volent. Les voitures lentes d'Asie, le pas réglé de nos chameaux , les feraient entrer en syncope. Pour moi qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d'allure, j'enrage quelquefois comme un chrétien; car encore passe qu'on m'éclabousse depuis les pieds jusqu'à la tête, mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. Un homme qui vient après moi, et qui me passe, me fait faire un demi-tour, et un autre, qui me croise de l'autre côté, me remet soudain où le premier m'avait pris; et je n'ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j'avais fait dix lieues.
Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des moeurs et des coutumes européennes: je n'en ai moi-même qu'une légère idée, et je n'ai eu à peine que le temps de m'étonner.
Le roi de France est le plus puissant prince de l'Europe. Il n'a point de mines d'or comme le roi d'Espagne, son voisin, mais il a plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des titres d'honneur à vendre, et, par un prodige de l'orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies et ses flottes équipées.
D'ailleurs ce roi est un grand magicien :  il exerce son empire sur l'esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor et qu'il en a besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et ils le croient. S'il a une guerre difficile à soutenir, et qu'il n'ait point d'argent, il n'a qu'à leur mettre dans la tête qu'un morceau de papier est de l'argent, et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu'à leur faire croire qu'il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant; tant est grande la force et la puissance qu'il a sur les esprits...
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Le tablier neuf
Dans son journal intime, Aline nous raconte comment une élève de sa classe, Marie Collinet, est arrivée un matin, ridicule dans un tablier jaune trop petit pour elle : sa belle-mère l'avait forcée à le mettre pour la punir d'avoir brûlé l'autre par mégarde. La classe lui en achète un neuf; mais pour ne pas vexer Marie, Aline propose que ce tablier soit le gros lot d'une loterie.
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Date de création : 22/02/2008 • 18:38
Dernière modification : 10/11/2013 • 11:31
Catégorie : Oeuvres connues
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