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Les complots intimes

Les complots intimes et souterrains

Par une claire et froide journée du mois de Janvier 2015, un jeune homme, vêtu d'un conventionnel costume de chasse verdâtre avec un gilet fluo, était assis à la lisière d'un de ces agréables bois de chênes qui couvrent de leur ombre tempérée, les collines  des Causses du Sud Ouest. Un petit chien noir et blanc qui, bien que bâtard, ressemblait un peu à un épagneul, couché dans la bruyère et le lichen, fixait sur lui ses yeux humides et attentifs, semblant supplier son maître de repartir.
Le chasseur ne paraissait pas disposé à lui accorder son attention. Il avait posé son fusil au sol, sur l'herbe brûlée par le gel.. Il avait jeté sur le monticule de pierres sa gibecière vide, et , le dos tourné vers la chaleur du soleil, le bras replié sur le genou et le menton appuyé dans sa main, il laissait errer ses yeux sur le panorama familier qu'il aimait tant et qui se déroulait dans un mois comme dans un rêve.

Non loin, une route serpentait le long d'un pré où passaient tranquillement des vaches. derrière le jeune homme s'étendait l'ombre des bois, devant des îlots clairsemés de verdure, de fougères, d'arbres plus rares et d'herbes jaunies. Le terrain boisé, s'abaissait en pente douce vers la vallée et les clairières laissaient apercevoir le bourg de G., dressant au-dessus des toits gris ou marron des maisons, le clocher d'ardoises, de la vieille église Saint-Martin qui gardait des souvenirs du XIIe au XVIIIe siècle.  A droite, le stade, le cimetière et ses cyprès, les champs de noyers récemment plantés. A gauche les petites maisons souvent modestes mais bien restaurées.
Plus loin, une ferme étrange par les cultures inhabituelles et légèrement cachées dans les sous bois un peu éloignés. L'odeur aussi y est étrange lorsque le vent balaie la zone. La ferme a des murs classiques de calcaire et de joints rougeâtres et l'activité principale était cachée par une occupation apparente plus traditionnelle. On pouvait voir une carrière, des vignes mal entretenues...  La piquette qu'on pouvait en faire ne valait pas la peine qu'on en parle. Le ciel ce jour-là d'un bleu pâle, était inondé de lumière, un brouillard opaque flottait  sur la vallée. Une paix profonde s'étendait pour l'instant sur cette riante nature. Et l'air était si pur qu'à travers le coton moite, le bruit assourdi des tronçonneuses ou des différents travaux des humains, montait jusqu'à la forêt de chênes.
Engourdi par ce calme qui l'enveloppait, le jeune homme restait sans bouger. Peu à peu le paysage avait cessé de l'intéresser. Un sentiment de bien-être intense l'avait saisi. Ses pensées se perdaient comme dans un rêve délicieux. Et il suivait en souriant, cette pensée qui l'avait enveloppé, qui le poussait à vagabonder dans les entrailles du passé. Le soleil s'épuisait et annonçait le coucher. Il tournait das sa course sans que l'homme réagisse. Il dorait les cimes rougissante des arbres, du côté du château d'eau. Une douce chaleur montait des bruyères et le silence coupé d'imperceptibles bruits étouffés, devenait plus recueilli comme dans une église.
Il fut brusquement tiré de sa concentration. Un museau humide et chaud venait de se poser sur ses mains abandonnées, pendant que deux yeux au regard suppliant lui adressaient une muette supplique.

- Désolé dit le jeune homme, tu t'ennuies, ma belle ? Allons, tu as raison, nous repartons.
Et, se levant avec plus de vivacité, avec tout de même un léger regret pour cette paix entrevue, il remit sa gibecière sur l'épaule, ramassa son fusil abandonné, puis, reprenant le chemin des bois, il escalada la vilaine côte et scruta, épia les moindres fourrés.
La petite chienne noire reniflait déjà les pistes et s'agitait. Tout à coup, elle s'arrêta, en arrêt, la patte levée, le cou baissé, agitant son trognon de queue, immobile devant des buissons. Elle semblait changée en statue de pierre. Seuls ses yeux vifs semblaient attirer son maître, le guider. Celui-ci s'avança de quelques pas. Au même moment, bondissant hors de ce précaire gîte, un lièvre déboula comme un bombe. L'homme ne vit que sa croupe jaunâtre qui hélas filait rapidement.Le jeune homme épaula son arme un peu tard et fit feu sans vraiment viser si ce n'est une impression en fuite. Le coup de feu passé il savait qu'il avait manqué le gibier. Cela ne l'étonnait pas, il n'avait pas coutume de chasser, pour sa part, il n'aimait pas tuer ces jolies petites bêtes libres. Mais il était un peu ennuyé par rapport aux autres chasseurs, aux " on dit "
- Je l'ai manqué, dit-il à sa chienne devant son air de reproche. Tu l'avais si bien arrêté, c'est dommage.
Au même moment, un coup de fusil éclata sous le couvert des bois, non loin du jeune chasseur maladroit. Puis après une minute de silence, des brindilles craquèrent sous les pas et alors sortit d'épais fourrés un vigoureux gars, vêtu du fluo des vrais chasseurs bien équipés
.
Il avait aussi de grandes bottes et un chapeau kaki. A l'orée du bois, le jeune homme eut le temps de tout remarquer et aussi qu'il tenait d'une main son fusil, de l'autre, par les pattes arrière,  le lièvre qui lui avait échappé, après avoir jailli si vivement de son gîte.
- Il paraît  que vous avez été plus chanceux ou plus habile que moi ! dit en souriant  le jeune chasseur en se dirigeant vers l'inconnu.
- Ah ! C'est vous qui avez si maladroitement tiré dit l'homme ?
Oui et vous avez raison, fort maladroitement car le lièvre est passé entre mes jambes et quand j'ai tiré, il était à vingt pas.
- En effet, ce n'est pas un exploit ! rit l'homme franchement. Mais n'êtes-vous pas hors de votre territoire ?
- Hors de mon territoire dit le jeune homme étonné. Je ne le crois pas ou alors je me suis égaré.
- - Monsieur, vous êtes dans les bois appartenant à M. E. et il aime bien y chasser seul, à loisir
- Ah, Ah ! M. E. ? Reprit un peu vexé le jeune homme. Désolé, si je suis chez lui, c'est sans le savoir.
J'ai dû m'égarer. Dîtes-lui que M C. lui envoie ses excuses.
- M C. ?
- Oui, et précisez-lui que je n'avais pas l'intention de prendre son gibier et encore moins de braconner sur ses terres
A ces mots, l'homme en face de lui rougit confus.
- Non M. C. excusez-moi. Je ne savais pas qui vous étiez. Vous pouvez chasser tant que vous voudrez ici.

Pendant que son interlocuteur parlait, le jeune homme l'observait curieusement. Pourquoi changeait-il à ce point d'attitude ? De plus, sous son modeste costume il avait plutôt l'air à l'aise d'un personnage assez considéré.. Son visage était beau et intelligent. Ses mains de travailleur étaient tout de même soignées. De plus son équipement de chasse quoique rustique semblait de bonne qualité.
- Je vous remercie reprit le jeune homme un peu désemparé. Mais je le répète, je me suis égaré sans le vouloir. Je n'ai pas l'honneur de connaître le propriétaire de ces bois et je ne veux pas commencer des rapports de voisinage sur un malentendu. Soyez certain que je ne tirerai plus sur ces terres. Je ne suis revenu dans la région de mes ancêtres que depuis hier et je connais encore mal une région que j'ai pas mal oubliée. Mon amour de la nature m'a entraîné plus loin que je ne le souhaitais.

- Comme vous voudrez monsieur dit l'habile chasseur avec amabilité cependant. M. F. aurait été cependant très heureux, je vous l'affirme. Il aurait apprécié de pouvoir vous prouver que si vous le considérez parfois et peut-être surtout, en cette circonstance, comme un voisin incommode, c'est bien malgré lui car il souhaiterait vivement qu'il en soit autrement. Il a acheté ces terrains non seulement pour les exploiter, mais surtout dans l'espoir de créer des emplois et d'être utile à la commune. Sachez cependant que s'il ne regrette pas son initiative, il regrette par contre de vous avoir été désagréable. Les limites entre voisins sont en effet franchissables sans créer de disputes ajouta-t-il en souriant. Je vous l'affirme en son nom. Ne jugez donc pas M. F.  sans le connaître. Il peut être d'un agréable soutien en tant que voisin ...
- Vous êtes sans doute un ami de ce monsieur ? ... fit le chasseur maladroit en regardant l'homme heureux mais à l'aspect si modeste. Un ami, un employé ? En tout cas dit-il à haute voix, vous mettez à le défendre beaucoup de chaleur...
- Toute naturelle, croyez-le, monsieur. Puis il reprit le fil de la conversation sur la chasse malheureuse de sa rencontre :
- Mais puisque vous avez été si peu récompensé de vos tentatives à chasser sur ces terres, dit-il en souriant, pas plus que sur vos terres d'ailleurs, il me semble ? M. D.  a bon fond. Il est généreux et il serait fâché que vous soyez sorti de chez lui sans rien emporter. C'est la tradition chez nous, n'est-ce pas, de bien recevoir ?. Prenez ce lapin, il n'a pas attrapé encore la maladie et de plus, c'est votre chien qui a fait tout le travail. Il l'a rabattu vers moi et c'est grâce à celui-ci que j'ai pu le vise et le tuer. Je vous offre aussi en son nom ces palombes.
- Je ne peux accepter, répondit le mauvais chasseur. C'est sur la propriété de M. D. Vous ne pouvez disposer de ces bêtes, pas plus que moi, d'ailleurs.
- Au risque de vous gêner, j'insiste répondit l'homme au costume élimé. Je pose ce gibier sur ce muret. Libre à vous de l'y abandonner au renard... Au revoir Monsieur.

Et entrant brusquement dans le bois, il y disparut bien vite à longues enjambées.
- Monsieur cria vainement l'autre !

Mais déjà l'excellent chasseur était hors de protée de voix.
- Voilà une étrange aventure pensa le jeune homme un peu désemparé. Que dois-je faire ?
La chienne mit fin à ses hésitations. C'était un épagneul marron. Elle se dirigea , sans complexe vers le muret où avait été déposé le gibier et délicatement une palombe dans sa gueule, elle la rapporta à son maître.
Patrick ( puisque c'était son prénom )  se mit à rire et caressa la chienne.

- Tu ne veux pas abandonner ces bêtes et tu as sans doute raison !Et ramassant le lièvre et les perdreaux, le jeune homme reprit le chemin de sa maison de campagne.

L'ancienne ferme était une vieille construction. Elle se composait du bâtiment principal et des dépendances. Il avait été construit en pierres jaunes comme beaucoup de demeures de Dordogne. Les toits étaient hérissés de cheminées avec des marques locales du passé. Une large terrasse, un jardin de fleurs et un potager étaient entourés d'une balustrade. Le perron de la maison s'élevait de quelques marches. Une glycine grimpait le long de la rampe de fer forgé.
Depuis la terrasse, exposée au midi, la vue était charmante et l'ambiance délicieuse. On apercevait de vieux vignobles en pente douce vers le village, des chênes truffiers et un parc arboré qui servait de lieu de promenade et de réserve animale que la famille protégeait. La chasse n'étant qu'un prétexte à des randonnées matinales. La venue de M. D troublait bien ce calme mais il avait l'air d'un honnête homme et il créait des emplois.
La demeure était cependant restée déserte de nombreuses années. Le père du jeune chasseur assez volontairement maladroit, était fortuné. Il avait mené cependant une vie trop dépensière. Il venait chaque année dans ce village à la saison de la chasse. C'était fête alors pour la famille comme pour tous les chasseurs. Mais la prodigalité de l'ancêtre l'avait obligé à renoncer peu à peu à ces festivités.
L'absence du propriétaire avait poussé quelques malheureux, quelques révoltés meneurs à saccager l'habitation et les caves des riches qui avaient participé à tant de bons moments. Les vins qui restaient étaient de choix, ils les apprécièrent en connaisseurs, les meubles prenaient de la valeur, ils furent cassés ou volés. Les serres furent piétinées, les vases brisés.
Seules les œuvres d'art furent épargnées sous la dictée d'un amateur.
Sur la place parce que c'était la mode on avait planté un arbre de la liberté et des arbres pour chaque conseiller élu. Ce fut un jour festif. C'était une idée nouvelle qui enthousiasmait les uns et choquait les autres.

Puis ils descendirent vers le bourg et continuèrent leur saccage sans raison, cagoulés et hurlant toute la nuit. Le lendemain matin cependant, les gendarmes avaient réussi à les éparpiller et à en maîtriser certains. L'ordre était rétabli.
En apprenant ces dévastations programmées, une part de la population en rit, l'autre s'inquiéta. Le propriétaire réalisa que faire le bien  ne lui rapportait que du mal. Il l'aurait bien pris mais un événement le fit sortir de son calme. On s'en était pris à ses enfants, on les avait ridiculisés.
La plaisanterie si on peut l'appeler ainsi lui parut passer les bornes. Il porta plainte, fit un cadeau à celui qui avait sauvé les œuvres d'art et abandonna toute participation à une association locale.
Le bourg, pour qui cette quarantaine équivalait à une perte d'un assez important client fit faire des tentatives  de rapprochement par son maire. Mais il ne réussit pas à faire revenir cette famille et une maison de plus resta close.
A la vérité, les séductions de la vie et de l'existence parisienne étaient bien aussi pour quelque chose dans la résolution prise par cette famille. Le théâtre, le sport et la mode les retinrent encore plus sûrement loin du village que leur rancune contre les habitants. Cependant au bout de quelques années de cette vie d'agitation et de plaisirs, la famille se trouva fort lasse et aspira au calme de la campagne.
Sa jeune femme, fille d'un notable devenu pauvre, avait un cœur tendre et un caractère calme. Elle adora son mari et sut fermer les yeux sur ses faiblesses. Il était de ces hommes charmants mais dépensier. Pour lui le plaisir, les loisirs, les week ends étaient l'essentiel de la vie.

Tout le monde connaissait son penchant et même lorsque pour son épouse  il se montrait plus réservé,  les audacieuses osaientIl savait aussi être généreux et donner ou dépenser l'argent qu'il ne possédait plus. : ne sachant pas résister à un désir de sa famille ou de lui-même. Et pourtant il était parallèlement incapable de détecter un vrai chagrin parmi les siens, bien qu'il les aimât. Quand sa femme finalement lui faisait quelques reproches, bien légers à vrai dire, il la serrait dans ses bras avec tendresse et même avec des larmes dans les yeux. Il lui disait : " Tu as raison " ! Et, le jour suivant, il recommençait.
La lune de miel des jeunes époux avait duré longtemps. Trop longtemps pour leurs revenus. De leur mariage étaient nés plus tard, deux enfants : un fils et une fille. Olivier et Clara grandirent, élevés le plus souvent par leur mère. Elle préférait intervenir le plus souvent elle-même, pour en faire des jeunes gens raisonnables et utiles à la société. Elle ne les privait cependant pas totalement d'agréments. Comme la génétique crée toujours des surprises, la fille avait le caractère impétueux, ardent, frivole, et dépensier, parfois hautain de son père. Le fils était la vivante copie du caractère de sa mère : il se montrait doux, tendre et gai.  L'éducation peut assouplir la nature, elle ne la change pas. En avançant en âge, Olivier devint l'aimable garçon qu'il promettait d'être. Clara fut la superbe et distante jeune fille que son enfance annonçait.

Cependant un compagnon leur arriva bientôt, amené par le malheur et le deuil. Le notable devenu pauvre, resté en plus veuf fort jeune avec un petit enfant, mourut misérablement d'une chute de cheval. Il eut les reins brisés et fut trainé et piétiné.. Il ne laissait pratiquement rien à son fils Gaspar. Celui-ci fut recueilli par la tante et élevé avec Olivier et Clara.
Traité comme un troisième enfant, il grandit auprès d'Olivier et de Clara. Plus âgé qu'eux, il se montrait déjà élégant et charmeur. Il avait été laissé à l'abandon par sa propre famille et cela avait accentué en lui le besoin de ne pas se laisser aller. Quand il fut amené dans sa famille d'accueil, il était malingre, triste et déjà révolté. Dans l'atmosphère familiale il retrouva un certain équilibre grâce à la présence de Clara.  Bien vite il s'aperçut d'ailleurs qu'elle ne serait bientôt plus une petite fille bien qu'elle fût plus jeune que lui. Il attendait avec impatience que le papillon sorte de sa  chrisalide. Il sentit venir le coup de foudre lorsqu'il remarqua la brillance de ses yeux noirs, la souplesse de ses cheveux, l'élégance de sa tenue de nantie.
Elle, elle rêvait de le rencontrer au détour d'un chemin. Elle essaie de faire coïncider ses sorties avec les siennes poursimplement le voir de loin.Elle voulait sentir dans ses veines une flamme subtile. Comment en étaient-ils venus à se sentir dépendants ?
.


Date de création : 21/01/2015 • 13:42
Dernière modification : 13/04/2015 • 13:14
Catégorie : Ecrire des romans
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