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Verlaine

Verlaine

L'impair se mêle au pair :

" Les sanglots longs ( 4 )
Des violons ( 4 )
De l'automne " ( 3 )

         ( Chanson d'automne )

Le dernier vers d'un poème paraît ne plus le clore, mais laisse au contraire une impression d'infini brouillé, où le rêve du lecteur peut longuement se poursuivre, ainsi ces sortes de points d'orgue :

" Grêle, parmi l'odeur fade du réséda. "

          ( Après 3 ans )
 

" Chère, par un beau jour de septembre attiédi "

         ( A une femme )

Les grands nénuphars sur les calmes eaux. "

         ( Promenade sentimentale )

L'ambition parnassienne paraît dépassée, définitivement trahie. Verlaine devient lui-même " éperdument " !
Il saisit l'impression première dans sa complexité, dans son éblouissement, dans sa confusion.
" Pas de cou
leur, rien que la nuance. " recommande-t-il dans son Art Poétique :

" C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles. "

Tout tourne en certains vers comme dans un manège de fête foraine :

" Rien dans le ventre et mal dans la tête,

Du mal en masse et du bien en foule...
Tournez au son du piston vainqueur. "

( Romances sans paroles, Bruxelles, Chevaux de bois. )

Il recherche la sensation musicale, et tente déjà, comme l'exigera Mallarmé, de reprendre à la musique son bien ".

La rime aussi joue son rôle, riche, normale, ou simple assonance, répétée souvent dans le corps même du vers :

" Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie
O le chant de la pluie ! "

  : " C'est le chien de Jean de Nivelle... "

Dans les meilleurs poèmes, même, tout se mêle : sensations visuelles, musicales, psychologiques, et,  comme on parle en peinture de " tableau impressionniste ", on peut parler ici aussi de " poème impressionniste "; ainsi le poème célèbre :

" Le ciel est par-dessus le toit
Si bleu, si calme... "

En réponse au journaliste Huret : " Le symbolisme ?... Comprends pas... Ça doit être un mot allemand, hein ? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Moi, d'ailleurs, je m'en fiche. Quand je souffre, quand je jouis, ou quand je pleure, je sais bien que ce n'est pas du symbole. Voyez-vous, toutes ces distinctions-là, c'est de l' " allemandisme ". Ce doit être plutôt son " impressionnisme éperdu "

Quand aux mots c'est pour leur valeur de rêve et pour leur valeur musicale qu'il les choisissait, et l'on ne peut s'empêcher de voir là l'amorce de la conception symboliste du mot. Verlaine a senti que chaque mot avait une résonance à la fois musicale et psychologique, qu'il soulevait dans l'esprit et le cœur du lecteur des images oubliées, enfouies, ignorées.

Avec Apollinaire, Max Jacob, Cocteau, Cendras, la poésie devient " illumination ", c'est-à-dire vision, perception brutale d'un monde étrange, chaotique, contradictoire, incohérent. La poésie n'ordonne plus les mots et les sonorités : elle dit le désordre cosmique et se calque sur lui. L'ambition surréaliste sera de libérer l'inconscient, de le laisser s'exprimer hors des contraintes logiques, par le procédé de l'écriture automatique.
L'inconscient est absent chez Verlaine qui dit tout ce qu'il y a d'imprécis en lui, de diffus, l'éveille en nous par son art musical et suggestif.

Verlaine donc, est grand pour avoir été lui-même, mais non pour avoir fait école. Il s'est détourné du Parnasse, s'est un peu engagé dans le symbolisme, il est surtout resté éperdument " lui-même ", c'est-à-dire " impressionniste " verlainien.

Verlaine

Poèmes saturniens ( 1866 )

Comme un vol criard //  d'oiseaux en émoi,
Tous mes souvenirs s'abattent sur moi,
S'abattent // parmi le feuillage jaune
De mon cœur mirant son tronc plié d'aune
Au tain vi
/olet /de l'eau des Regrets ( allégorie )
Qui // mélancoliquement // coule  auprès, ( hiatus )
S'abattent, // et puis 
/ la rumeur mauvaise
Qu'une brise moite en montant apaise,
S'éteint // par degrés / dans l'arbre,// si bien
Qu'au bout d'un instant on n'entend plus rien,
( anaphore ) Plus rien que la voix célébrant l'Absente
( allégorie )
Plus rien que la voix - ô si languissante ! -
De l'oiseau qui fut mon Premier Amour, ( majuscule ) ( noter les temps )
Et qui chante encore comme au premier jour;
Et dans la splendeur triste d'une lune ( enjambement )
Se levant blafarde et solennelle, une ( enjambement )
Nuit mélancolique et lourde d'été,
Pleine de silence et d'obscurité,
Berce sur l'azur qu'un vent doux effleure ( douceur des sons )
( hiver ) L'arbre qui frissonne et l'oiseau qui pleure. ( symétrie + noter le présent )

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime.
Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tyout à fait une autre, et m'aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant

Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

Poèmes saturniens

Gaspard Hauser chante

Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m'ont pas trouvé malin.

A vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d'amoureuses flammes
M'a fait trouver belles les femmes :
Elles ne m'ont pas trouvé beau.

Bien que sans patrie et sans roi
Et très brave ne l'étant guère,
J'ai voulu mourir ç la guerre :
La mort n'a pas voulu de moi.

Suis-je né trop tôt ou trop tard ?
Qu'est-ce que je fais en ce monde ?
O vous tous, ma peine est profonde :
Priez pour le pauvre Gaspard !

( Sagesse )

La lune blanche

La lune blanche
Luit dans les bois;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...

Ô bien-aimée

L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure

Rêvons, c'est l'heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...

C'est l'heure exquise.

( La bonne chanson )


 


Date de création : 02/05/2014 • 20:58
Dernière modification : 04/07/2014 • 20:41
Catégorie : Poésie
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