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Vivre avec un cancer

Vivre avec un cancer

Lorsque Denise parlait avec des amis les sujets tournaient autour des élèves, des randonnées, de la politique mais la plupart du temps, c'était pour dire que Untel venait de crever d'un cancer.  Pas une famille ne semblait épargnée. Elle avait eu l'occasion de lire des articles  bien documentés  sur la question de la croissance exponentielle de cette terrible maladie.

Et puis cela avait été son tour ! On l'avait fait coucher sur une table, on l'avait glissée dans un cylindre. Elle y entendait un espèce de raisonnement. Il fallait rester immobile mais heureusement cela ne durait pas longtemps. Elle se retrouvait à l'intérieur d'une cavité. Elle fixait le plafond, le produit était froid.
De toutes les visites qu'elle avait reçues rares étaient celles qui ne lui eussent paru insupportables. Seuls certains étaient capables de comprendre sans décourager.
- Je suis passée par là, ma pauvre amie. Je sais.
Quand les gens lui semblaient pressés au volant ou dans la vie, elle se lamentait ou plutôt elle ricanait :

- Ils sont si pressés d'y arriver. Et arriver où, je vous le demande ! Là où on ira tous un jour ! Je ne peux pas m'empêcher d'y penser lorsque je les vois comme ça…

Une autre dame parlait de ceux qui avaient guéri :
- Elle a peut-être une force de l'esprit, plus forte que la technologie. La seule chose qui l'a peut-être sauvée, ce cerveau humain qui ne connait pas de limite crée ce potentiel mental.
Vous avez remarqué ? Ils sont forts reprenait-elle tout en glissant  une nouvelle cigarette dans sa bouche. Déjà.

Au début la chimio s'était assez bien passée. Maintenant les séances de chimio. Elles la mettaient vraiment à plat. Puis elle avait éprouvé de violentes nausées. Elle ne perdit pas ses cheveux comme beaucoup peut-être grâce à un casque froid qu'elle devait porter ? A l'hôpital son mari l'accompagnait un moment mais il devait rentrer pour les enfants.
Dès que ce sera fini, nous irons à Malte lui disait-il.

A la maison, c'était comme s'ils avaient fait le voeu silencieux de ne pas parler de la maladie. Pas même de la chimiothérapie qu'elle devait subir la semaine suivante. C'était suffisamment pénible pour ne pas avoir à mentionner ce traitement à longueur de temps. Elle avait tellement envie devant ses enfants de se retrouver comme une personne normale. Elle avait envie de problèmes simples  : les facéties de ses enfants, le repas à préparer, les petits ennuis et les joies qui arrivent tous les jours à n'importe qui.

Dans sa propre famille même leur fils avait été touché à 20 ans. Et lorsqu'elle s'était retrouvée entre les murs de l'hôpital,  elle avait réalisé que si les patients changeaient, les costumes blancs et l'ambiance générale qui entourait les familles restait la même. La psychologie aidant tout semblait misérable. Tous ces produits chimiques présents dans les peintures, les aliments...nous empoisonnent  lentement mais sûrement. Les plans cancers ? A quoi servent-ils si aucun politique n'ose s'attaquer au problème de la pollution environnementale. Les profits valent plus que nos vies !

Et maintenant son fils était malade à 20 ans ! A 20 ans, à l'âge où un béguin vous empêche de dormir. Il allait peut-être mourir et avait-il seulement embrassé une fille ? Le médecin lui posa un cathéter. Une poche de liquide se balançait au bout d'une tige. On allait insérer ce prosuit dans le corps de son fils athlète ! La docteresse était assez souvent présente, elle passait deux à trois fois par jour. Il avait rasé ses cheveux pour ne pas voir lorsqu'il allait les perdre.
Il devait maintenant se masturber dans une petite coupe pendant que des infirmières attendaient dans la pièce voisine ! Il contempla le fauteuil où probablement des centaines d'autres s'étaient assis dans le même but. Son imagination courait, mais pas dans le bon sens, ne générant aucune ambiance érotique ! Quand il eut terminé, il ouvrit la porte et tendit la coupe au docteur. Il se faisait l'effet d'être le dernier des imbéciles.
Il reprenait ses promenades dans les bois, au milieu des grands arbres et au lieu de cette impression d'évasion qu'il avait toujours ressentie dans la nature, il imaginait que les troncs étaient les barreaux d'une immense cage, mais d'une cage tout de même.  Et  soudain il songeait que c'était là son sort, qu'il était en réalité dans une immense cage, sans barreaux ni gardien, et qu'il ne pourrait  plus jamais en sortir.

Elle retrouvait ces halls où une télé grand écran braillait les répliques insipides d'un feuilleton américain. Dans la salle d'hôpital de jour des corps décharnés, inertes, le regard vide, assis sur des fauteuils ou allongés avec pour égayer un peu le lieu des plantes vertes poussiéreuses et assoiffées. Ces personnes de tous âges, regardaient le néant. Une puissante odeur de produits pharmaceutiques régnait.  Dans les hôpitaux, surtout lorsque vous êtes vieux, on s'adresse à vous comme si vous étiez en enfance ou déjà passé de l'autre côté.

Pourtant il a réussi à surmonter tant de choses.
- Lui avez-vous dit quoi que ce soit qui ait pu lui laisser deviner.
- Il lui était difficile de ne pas se rendre compte à la longue. De plus, la fierté, le courage font parfois des miracles.

- Combien de chances qu'elle ou il s'en sorte ?
- Médicalement, parfois 5 chances sur cent, parfois aucune.
Mais au cours d'une carrière ou d'une vie, on apprend à considérer ces chiffres pour ce qu'ils sont et avec circonspection. Il y a des patients à qui les médecins n'avaient pas donné trois mois, qui vivent  pendant 10 ans encore ou même qui guérissent.

Parfois, glacée, toute repliée sur sa détresse elle gardait le mutisme, s'y réfugiait. Le plus souvent elle essayait d'oublier, de vivre sa vie malgré tout... Elle ne se plaignait jamais, ne disait jamais rien et n'attendait rien de personne.

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Date de création : 14/03/2014 • 20:31
Dernière modification : 19/10/2014 • 20:37
Catégorie : Ecrire des romans
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