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Symbolique du silence

Comment Bernanos traduit-il le silence dans ses œuvres ?

Extraits de mon mémoire de Maîtrise dont un double a été déposé dans les archives de l'université :

mention " B "

Le silence dans " l'imposture " et " la nouvelle histoire de Mouchette "



1- Introduction

Dans la vie de l'homme, le silence apparaît en mille formes que, bien souvent, l'on ne peut nommer : dans le matin qui se lève sans bruit, la nuit qui tombe comme à la dérobée, le printemps qui s'éveille ou le " langage des fleurs ", dont parle Baudelaire.

L'écrivain est celui dont l'imagination construit un univers où tout, du début à la fin, surgit d'un discours continu. Après chaque articulation grammaticale, le signe de ponctuation est un arrêt suivi d'un silence. Mais le silence dans les œuvres de Bernanos, n'est pas seulement un facteur d'harmonie.
Il faut noter tout d'abord la fréquence du mot dans "l'Imposture" et " La nouvelle histoire de Mouchette". Parfois même, le mot n'est pas évoqué et le silence s'impose. C'est le silence des grands tragiques, le silence qu'il y a avant la déclaration de Phèdre à Hippolyte. Le silence qui poursuit et enveloppe Mouchette avant sa mort ou celui qui semble venir apaiser les grands débats de Cénabre; et la scène reprend ensuite. Il y a aussi la nature évoquée par Bernanos, simple, mais pleine de poésie et de silence. Enfin quelques phrases susceptibles de définir provisoirement le silence Bernanosien, parsèment les deux œuvres et permettent de retrouver le silence courant comme la quiétude Antérieure.
Mouchette le plus souvent :
"est hors d'état de se défendre autrement que par l'immobilité, le silence."
Dans l'"imposture", il est question de " l'attitude du vieux prêtre, sa terreur silencieuse."
C'est dans une retraite pleine de bouderie qu'apparaît Mouchette aux gens du village avec son front buté, son visage fermé et sournois. Dans les conversations et surtout dans la deuxième partie de " l'imposture ", l'écrivain s'attache à évoquer non seulement les propos des acteurs mais la qualité expressive de leur silence :
" au silence méprisant de M. Guérou, le pauvre Pernichon répondit.... par un courageux sourire... Cette parole étonnante tomba dans un silence glacé. "
De même dans la "Nouvelle histoire de Mouchette", l'amour de la fillette complètement méconnu par Arsène, se traduit par une atmosphère lourde et pleine de sous-entendus :
"Le silence est retombé entre eux, un silence aussi louche que le reflet de l'âtre."
Dans ce sens, le silence devient solitude. On a dans la société de "l'imposture" l'image expressive, d'un cercle d'hostilité qui se referme sur la personne solitaire :
" Le cercle parut se resserrer autour de lui dans une espèce d'agitation silencieuse. "
Dans l'"imposture", le silence d'une ville qui dort: "A cette heure... la place de Rennes... y est, à force de solitude et de silence, pathétique".
Dans la " nouvelle histoire de Mouchette", l'heure du recueillement qui précède la grand-messe: " l'heure qui précède la grand-messe est comme jadis une heure de recueillement... les gens se préparent,  dit-on pour expliquer la solitude de la grand rue, son silence."
Quels vont être les moyens d'expression employés par Bernanos ? - Tout d'abord les verbes : " glisser, flotter, couler" sont très fréquents. L'auteur les emploie pour Cénabre et Chevance comme pour Mouchette. Lorsque Mouchette pénètre chez la vieille sacristine, le jour de la mort de sa mère, elle sent qu'elle entre dans une zone de silence : " le silence monte de nouveau... elle s'y laisse tout de suite glisser".
Bernanos utilise également les adjectifs, les images et les comparaisons. Ce même silence chez la vieille sacristine donne à Mouchette l'impression qu' " une nappe invisible recouvre ses épaules, son front". ou qu'" une étrange douceur...paraît tisser autour d'elle... les fils d'une trame invisible".
Dans l'imposture, la principale image est celle du " cercle enchanté " qui enferme Cénabre dans son mensonge.
Enfin et surtout ce qui semble caractériser le silence, c'est sa pesanteur : il est bien souvent lourd, dense. Dans l'imposture, le silence que l'on sentait roder dans la chambre de l'abbé Cénabre : " tomba sur lui comme une masse de plomb". Désormais ce silence va devenir : " plus compact, plus immobile, autour de son désespoir".
La première conclusion que l'on peut déduire de cette étude est donc le côté essentiellement positif du silence dans sa deuxième acception. Il semble que pour bien comprendre ce silence, on ait besoin de voir quelque chose qui se taise. Et on va retrouver dans les deux œuvres, les trois symboles de lumière, de nuit et d'eau.
 

La lumière, signe d'une illumination intérieure, va caractériser l'âme de Chevance. En effet, de lui semble émaner une paix, qui n'est pas assoupissement, mais lumière, fraîcheur et silence :
" le curé de Costerel-sur-Meuse... s'éclaira d'une lumière étrange et surnaturelle".

La lumière sera aussi un des moments de clarté, dans la chambre obscure de Cénabre, susceptible de l'éclairer dans ses débats intérieurs :

" la lumière l'avait offensé cruellement, tout à coup, comme le signe sensible, sur le mur et sur la croix, d'une illumination intérieure qu'il eût voulu étouffer, repousser dans la nuit, avec une énergie désespérée".
La nuit dans l'œuvre de Bernanos, comme dans l'hymne à la nuit de Péguy, va aussi être symbole de silence. En effet, les deux mots, sont souvent associés. L'abbé Chevance dans son agonie, implore : le silence et la nuit ". L'abbé Cénabre dans sa chambre nue et obscure va désirer :
" n'importe quoi qui romprait le silence ... l'aube même".
De même Mouchette, rentrée chez elle, et essayant de reconstituer les événements de sa nuit tragique, les comparera à une " rumeur confuse" qui monte des ténèbres comme du silence :
" quand cette rumeur se tait, monte tout à coup du silence, ainsi que d'une insondable nuit... Le nom de Mouchette ".
Mais la nuit de Bernanos a souvent une atmosphère lourde et tragique. Ce n'est pas la nuit étoilée de Péguy :
" silencieuse aux longs voiles... toi qui verses le baume et le silence et l'ombre"
que l'on trouvait dans le " le porche du mystère de la deuxième vertu ", mais la nuit du " mystère des saints innocents ". " Cette mer immense d'ingratitude". La mère de Mouchette sur son lit d'agonie: paraît avoir aussi peur du silence que de la nuit". La nuit apporte avec l'angoisse quelque chose de démoniaque. C'est pendant la nuit que Mouchette est violée et que Cénabre se donne à Satan. Bernanos avait d'ailleurs projeté de donner comme titre : " les ténèbres ", à son roman sur ' l'imposture ", dont la plus grande partie se déroule dans une atmosphère opaque et épuisante.
Le symbole de l'eau, également modèle de calme et de silence, est encore plus complexe. Le silence Bernanosien dans la plupart des romans est en effet palpable comme une eau. Dans "
le soleil de Satan" : "l'horizon" est " plein d'un silence liquide ". Dans la petite chambre de M. Ouine, Steeny : " croyait ... sentir ( le silence ) glisser sur son front.... ainsi que la caresse de l'eau."
Dans " l'imposture " le symbolisme plus discret apparaît quand même. Tout d'abord dans l'univers de Cénabre, la mer évoque ce monde infini du silence, dans lequel se perdent les cris désespérés : " Il était comme un homme qui crie au bord de la mer ". Plus loin la Seine semble charrier le silence et la lumière entre ses bords :
" La Seine... ruisselait d'une lumière dorée qui venait mourir aux rives dans une double frange d'écume bleue, et l'air était déchiré de cris d'hirondelles... L'évêque... ne put supporter ce silence plus longtemps."
D'autre part, l'image du bateau et du fleuve reviennent souvent pour évoquer le destin silencieux des hommes. La mère de Mouchette : " sur la sinistre galère où ils ramaient ensemble... était la figure de proue, face au vent ".
La même symbolique se trouve chez Claudel. Dès le premier chapitre de " l'otage" Georges avoue :
Je n'ai plus que la mer sous les pieds, la mer de l'eau marine et celle qui est faite d'hommes... tout a passé."
Le thème de l'eau grâce aux continuelles transformations, auxquelles l'eau se prête, est l'élément de choix pour évoquer le destin des hommes. Claudel dans " les grandes odes " découvre son dynamisme universel, son rôle de lien pour réunir le monde, l'homme et Dieu. Il y a donc à travers ces images de l'eau et du bateau, un appel de l'univers, qui est comme la vocation de chaque être. A l'eau, image de l'infini, est confiée la mission de réunir et de guider le rythme du monde. Mais cet appel muet, peut-être ambigu, et le problème va se poser en particulier au moment de la mort de Mouchette. Mais aussi, une maille peut se rompre et le personnage est alors égaré dans l'univers : Cénabre ressemble à un ""personnage à la dérive ".
La complexité du thème de l'eau s'accentue encore si on compare ces trois emplois différents : dans " l'imposture " :
" Il parut hésiter au bord du passé sordide, puis s'y laissa glisser ainsi qu'on coule à pic. L'abbé Cénabre crut voir se refermer sur la carcasse famélique ... une eau polie et sombre couleur de plomb."
Dans " la nouvelle histoire de Mouchette ", le fillette se laisse :
" glisser .... jusqu'à ce qu'elle sentît le long de sa jambe... la douce morsure de l'eau froide... l'eau insidieuse glissa le long de sa nuque... elle crut sentir la vie se dérober sous elle. "
Et dans " la joie " :
Jusqu'alors, elle n'était jamais entrée dans le monde étrange et elle avait seule accès... cette fois, elle s'y sentit couler à pic. Littéralement, elle crut entendre se refermer sur elle une eau profonde, et aussitôt... son corps défaillit.
Dans le premier cas il s'agit de l'âme sordide du mendiant que rencontre Cénabre dans " l'imposture" dans le second cas il s'agit de l'étang dans lequel se noie Mouchette, et dans le troisième, d'une des extases mystiques de Chantal de Clergerie. On retrouve dans ces cas les verbes " glisser ", " couler à pic ",
L'idée de disparition dans l'eau, précédée d'un moment de défaillance. Aucune différence notable dans les descriptions; l'eau y est silence, et même l'eau de l'étang, dans la " Nouvelle histoire de Mouchette " semble vivre, selon l'expression de Bachelard : " comme un grand silence matérialisé ". Mais il peut y avoir quelque chose en elle : " de magique, d'attirant, de mauvais ". L'eau de l'étang en effet, " insidieuse "; " en elle " semble-t-il, " dorment les mêmes puissances latentes que dans l'âme des hommes. Ces trois images peuvent d'ailleurs être mises en parallèle avec celles des eaux dormantes et pourries de l'âme " , que l'on trouve dans " l'Imposture ". Dans les trois cas, l'eau va donc symboliser, comme dans la plupart des œuvres de Bernanos, l'inconscient des acteurs. Mais cet inconscient peut subir l'emprise de Satan. Et, c'est à toutes ces eaux claires ou noires, que va se mêler le silence.
Ce silence loin d'être négatif va donc évoquer toute une vie présente et sensible, de la même façon que le souffle qui est signe de vie. Bachelard dans " l'Air et les Songes " parle du souffle comme du premier phénomène du silence :
" A écouter ce souffle silencieux, à peine parlant, on comprend combien il est différent du silence taciturne aux lèvres pincées. Dès que l'imagination aérienne s'éveille, le règne du silence fermé est fini. Alors commence le silence qui respire. Alors commence le règne infini du silence ouvert. "
Ce silence, par sa vie même, ne sera pas forcément opposé au bruit.



2- Silence et bruit


 

Dans les dictionnaires, le silence se définit comme une " absence de bruit ". En littérature, l'évocation du bruit ou de la parole, sont presque nécessaires, dans les moments de silence, car sans eux, le silence, privé de contrepoint, ne pourrait même pas être ressenti.
Tout d'abord le bruit permet de mettre le silence en relief. Ainsi dans Pernichon au chevet du lit de M. Guerou entend : ( " l'Imposture ")," un cri aigu... dans le silence " qui " s'éteignit aussitôt " ou encore dans la chambre de Cénabre :
" On entendit un moment l'huile de pétrole couler à petits coups. Puis ce dernier bruit s'effaça" .
Dans " la Nouvelle histoire de Mouchette " quand la fillette se rend chez la vieille sacristine, le silence n'est troublé que par le balancement régulier d'une horloge dans la pièce :
" Silence, Mouchette suit le tic-tac de l'horloge avec une sorte de plaisir assez nouveau pour elle " .
D'autre part, dès le début de ce roman, l'alternance du bruit et du silence, va créer une atmosphère insolite, comme d'ailleurs au moment de l'agonie de Chevance. Le vent qui gronde dans Mouchette, semble vouloir arracher les paroles de la bouche. Les sens étouffés disparaissent, renaissent. Au tumulte succède encore le silence :
" Mais déjà le grand vent noir ... éparpille les voix dans la nuit. Il joue avec elles un moment puis les ramasse toutes ensemble et les jette on ne sait où, en ronflant de colère. "
Puis les bruits s'atténuent avec le soir, le silence les absorbe, et les voix, qu'écoute Mouchette, tapie dans la haie, " ne sont bientôt plus qu'un murmure très doux",
annonçant la venue de la nuit et de son silence.
Cette fois encore, on quitte le domaine proprement négatif du silence pour écouter les plus infimes bruits de la nature, son souffle et ses murmures qui composent une véritable harmonie silencieuse. Les arbres, les plantes, les animaux dans la nature servent à manifester une certaine qualité de silence, le " silence ouvert" , vivant, que troublent pourtant quelques bruits espacés. Dans le bois où s'enfuit Mouchette, le craquement d'une branche d'arbre, parfois se fait entendre, ou le frôlement des feuilles... :
" Les mille bruits du dehors, les derniers sifflements du vent sur les cimes, l'égouttement de la pluie et parfois l'écroulement d'une branche morte ".
Le bruit lui-même peut donc traduire le silence, non seulement celui de la nature, mais toute manifestation positive du silence, qu'elle soit pure ou impure. Parmi les œuvres de Bernanos, c'est dans " M. Ouine" que l'on trouve la meilleure définition de ce silence dont la petite chambre du professeur est imprégnée :
" silence qui paraît n'absorber que la part plus grossière du bruit, donne l'illusion d'une espèce de transparence sonore ".
Un silence aussi suspect, dans "l'imposture", semble envahir Paris, la nuit :
"La ville, écrasée tout le jour par un brouillard impitoyable... se détendait ainsi qu'un animal fabuleux, grondait plus doucement, tâtait l'ombre avec un désir envieux ".
Et, dans l'âme de chacun, le silence se compose de voix secrètes, que personne n'entend, mais qui se manifestent intérieurement:
" Rien ne pouvait mieux exprimer la violence aveugle et le désordre de sa pensée qu'un cri sauvage et pourtant le silence est solennel."
Comme dit Bachelard, c'est de la " fécondité toute féminine du silence" que vont naître ces voix. Ces voix ressemblent à des appels muets dans le monde et dans l'âme. Pour Bernanos :
" La forêt, la colline, le feu et l'eau... parlent un langage. Nous en avons perdu le secret. La voix que nous ne comprenons plus est encore amie, fraternelle, faiseuse de paix, sereine."
Les lieux et les objets familiers du monde bernanosien parlent aussi un langage riche et intelligible : "à travers les ténèbres, les villes appellent d'une voix profonde"; et dans la cellule de Cénabre les livres, les murs, la croix, tous ces : "témoins, muets jusqu'alors, allaient sans doute poser la question à laquelle il ne voulait pas répondre... C'est pourquoi il les avait replongés dans l'ombre. "
Tandis que dans la " Nouvelle histoire de Mouchette", va se joindre à l'appel intérieur, le langage des eaux du petit étang. Bachelard dirait :
"C'est le chant profond... qui a attiré les hommes... Ce chant profond est la voix maternelle ".
En effet, la voix douce de l'eau a quelque chose de maternel, et Mouchette se penche sur la curieuse surface de l'étang avec abandon et confiance, comme elle l'a fait quelques instants plus tôt, sur le lit de sa mère mourante.
Le silence par ses appels muets a donc un rôle ambigu, mais actif, sur le destin des hommes. Pourtant ces appels sont rares parce que l'homme partout impose sa présence et ses idées :
" Il couvre la voix, mais il l'interroge en vain : elle continue son chant sublime ainsi qu'une corde en vibration choisit entre mille ses harmoniques et ne répond qu'à elles seules".
Les voix même du silence, ont donc été refoulées par l'homme, on ne les entendra plus que dans des lieux et des moments privilégiés.



 

 

3- Lieux privilégiés pour la manifestation du silence

On a vu que c'est dans la nature et dans l'âme que se faisaient entendre les appels du destin. C'est donc là comme dans de profonds repaires, que se retirera le silence. Il n'y aura plus un seul silence continu, comme au commencement du monde, mais des parcelles de la "quiétude Antérieure ".
Dans la nature, le silence est présent de façon durable, mais pour le goûter vraiment, il faut avoir l'âme d'un poète, ou d'un enfant, comme Mouchette. Il y a en effet parmi les plantes et les arbres, dans le soir qui tombe, toute une vie secrète et invisible :
" Toutefois s'il est dans l'homme d'imposer sa présence... à la nature, il ne s'empare pas de son rythme intérieur. "
Mais Mouchette :
"en a ... trouvé le secret par hasard, ainsi qu'elle ramasse dans les creux d'ombre, dans les ornières, mille choses précieuses que personne ne voit, qui sont là depuis des années."
Mais le silence va se réfugier avant tout, au plus profond de notre être intérieur; dans l"arrière-boutique" en laquelle Montaigne voulait que nous établissions notre principale retraite et solitude. Bernanos de son côté fait rentrer ses personnages en eux-mêmes, pour découvrir dans les profondeurs de l'âme, une vie plus authentique que toutes les opérations mentales de la pensée. Il n'y trouve pas seulement la raison, la vie psychologique, mais l'image de Dieu. Et, ainsi que dans le silence se percevait le rythme " intérieur " de la nature, l'homme dans sa retraite, va prêter l'oreille pour écouter le rythme de sa propre vie. Ce silence intérieur est une présence, refoulée, et l'homme qui se contente de ne pas parler, n'est pas forcément baigné dans cette présence, qui renvoie à un au-delà de la parole et de la création : " la Quiétude Antérieure ".
Dans une de ses œuvres, Bernanos fait presque une description géographique de ce monde intérieur, comparé à une citerne profonde en chacun de nous. M. Milner cite à la fin de son œuvre critique cette image et sa description, qui ressemblent beaucoup au petit étang de Mouchette, avec sa " vase douce " et son " eau claire ", ce petit étang qui était déjà le symbole de son inconscient :
" Elle est là en chacun de nous, la citerne profonde ouverte sous le ciel. sans doute, la surface en est encombrée de débris, de branches brisées, de feuilles mortes, d'où monte une odeur de mort. Sur elle brille une sorte de lumière froide et dure, qui est celle de l'intelligence raisonneuse. Mais au-dessous de cette couche malsaine, l'eau est tout de suite si limpide et si pure ! "
Ces eaux cachées, diverses en nature et en profondeur, se retrouvent dans "l'imposture ".
Ce qu'on rencontre tout d'abord dans ce monde intérieur, ce sont les impressions qui affleurent fugitivement, se détruisent et se succèdent en silence. Dans la première et la troisième partie de " l'imposture ", Bernanos note non seulement ce que pensent les personnages, mais aussi ce qui se profile de manière fugitive et peu cohérente dans leur conscience :
" La seule hypothèse... d'une vie sans réalité spirituelle introduite comme par effraction dans une conscience d'ordinaire si ménagée, en découvrait brutalement le désordre absolu ".
Au cours des débats de Cénabre, Bernanos par son talent réussit à cerner des nuances presque impalpables - les interventions divines ou sataniques - à suivre leur cheminement capricieux :

" Déjà la pensée, l'unique, la précieuse, la dangereuse pensée jaillie de lui est descendue bien plus avant, hors de toute atteinte, glisse à travers les ténèbres ainsi que le poids d'une sonde. Elle ne s'arrêtera qu'au but, s'il existe ".
Ainsi l'écrivain atteint aux confins de l'inexprimable.
Puis au-delà des pensées et des impressions se rencontrent les péchés, les secrets hideux, les mauvaises pensées étouffées :
" Mes remords... à les refouler sans cesse craignez de leur donner une consistance et un poids charnel. Vous irez ainsi de plus en plus secrètement séparé des autres et de vous-même, l'âme et le corps désunis."
Il y a donc des péchés qui vont fermer à jamais toute communication entre l'homme de tous les jours et son être intérieur. Ceux qui ont atteint ce stade dans le mal, Bernanos les déverse dans une eau, non pas claire et limpide mais marécageuse, comme les étangs de la maison Usher d'E. Poe. Là croupissaient: " les eaux dormantes et pourries de l'âme ". C'est le lieu secret où le mal a ses racines, dans l'ombre, la boue et le silence. mais ce silence tient à la fois de la quiétude et de la mort :
" Il ne faut qu'une petite pierre, mais tombée de haut, pour révéler le lac de boue qui monte en silence au fond de nous-même."
Parfois même suffisent la lucidité et le clairvoyance d'un Cénabre ou d'un Chevance. C'est ainsi qu'après sa conversation avec le mendiant, Cénabre :
" à sa grande stupeur... vit paraître et disparaître, ainsi que dans un remous de l'eau profonde, l'âme traquée, forcée enfin."
Mais au plus profond de nous-même, si nous savons le chercher, nous découvrirons peut-être une eau pure et limpide. C'est cette eau qui est silence et pureté de l'enfance. Les héros bernanosiens dont l'enfance a été humiliée vont tenter de la refouler. Cénabre par exemple, ne serait pas un imposteur, s'il n'avait connu dans son enfance, une pauvreté qui lui fait horreur et qu'il cherche à dissimuler. Pour Mouchette, il est question également de " ses premières années" comme :
" d'un paysage de brume qui ne se révèlerait que plus tard... peut-être à l'heure de la mort ".
Mais c'est aussi là que se retrouvent les voix des ancêtres et l'hérédité. Par là l'homme est relié aux générations passées. Et c'est ce lien qui nous fait communiquer, à travers Mouchette par exemple, avec le peuple d'autrefois et l'âme de tous les misérables. C'est aussi ce qui lui permet de défendre une pureté inconsciente, par la révolte contre tout ce qui l'oppresse :
"Tout ce que des générations de misérables ont amassé en son cœur de révolte irraisonnée, animale, remonta à sa bouche".
Enfin :
" encore un peu plus profond, et l'âme se retrouve dans son élément natal, infiniment plus pur que l'eau la plus pure, cette lumière incréée qui baigne la création toute entière".
" La paix qui passe tout entendement" dit la liturgie.
Mais pour le romancier une telle description du monde intérieur de chaque héros est impossible. Quels vont être les moyens utilisés par l'auteur, pour traduire la vie intérieure et complexe de ses personnages !


 

 

4- Comment Bernanos traduit-il la vie intérieure de ses héros?

Pour faire connaître au lecteur ce monde intérieur de chacun des héros, il va y avoir des phénomènes privilégiés : les regards, les gestes, les voix, les accents qui trahissent les mouvements profonds de l'âme, ou l'expression des visages.
Les regards et les gestes permettent les communications humaines, dans le silence. Ce sont des attitudes. Dans la cabane, les regards d'Arsène et de Mouchette se sont croisés à plusieurs reprises. Mais le regard d'Arsène n'a pas le même éclat : " elle sent sur elle son regard, un regard lourd". Dans "l'Imposture", le regard de Chevance au moment de ses souffrances, est une prière muette, une :
" espèce de dialectique mystérieuse, toute entière dans l'avidité sublime du regard."
Les gestes aussi vont trahir l'âme : Mouchette : " avait découvert la prodigieuse faculté d'expression des mains humaines, mille fois plus révélatrices que les yeux, car elles ne sont guère habiles à mentir, se laissent surprendre à chaque minute " .
Il y a les mains du père, les mains de Madame... De même dans
"l'Imposture " il est question de ces gestes fugitifs qui en dépit des paroles dénoncent les âmes. Tous les personnages qui constituent la société cléricale de " l"Imposture " semblent jouer par leurs gestes fugitifs une véritable comédie : " mouvements de tête familiers ", " mouvements des mains ".
Certains accents de la voix, sont des révélations dans les moments d'émotion. La voix trahit ce qui s'éprouve dans le silence. Elle est en quelque sorte un prolongement de l'émotion initiale ou du sentiment qu'elle cherche à dissimuler. Par exemple la voix  limpide de Mouchette, symbole de sa pureté, se brise tout à coup, devient rauque ; c'est une réaction pleine de pudeur chez la fillette. Il y a aussi la voix de la mère, symbole de la voix de toutes les mères misérables :
" son bavardage qui parfois  les harassait tous, les longues bouderies, les colères bruyantes qui faisaient fuir jusqu'à l'ivrogne ébahi par ce déluge de mots, c'était leur voix et leur silence... le témoin du malheur commun."
Cette voix va se métamorphoser avec l'approche de la mort :
" c'est vrai que la voix n'est pas la même, avec cet accent de résignation exténuée... Mouchette la trouve douce presque tendre. Elle n'a pas l'air de s'accorder avec les mots, comme si d'autres mots venaient à la pensée que la mère n'ose pas dire, qu'elle ne dira qu'à son heure. "
Enfin, l'accent de la voix d'Arsène exprimant le désir : " les mots les plus simples, les plus inoffensifs, ne s'y reconnaîtraient plus, ressembleraient à ces masques de cartons entrevus dans les foires. "
Mais il y a aussi sur chaque visage un silencieux message, car la vie intérieure les modèle. Les expériences y sont plus ou moins gravées :
" Nulle ressemblance... entre ces visages et le sien, ce n'étaient plus des visages d'enfants. "
Tout ce qui traduisait jusque-là la vie intérieure de l'homme, restait du domaine des attitudes, mais le silence intérieur se manifeste aussi de façon positive. En effet, une zone de silence entoure les héros et s'exprime par des qualités particulières pour chacun d'eux.

La vieille sacristine :
" Son mince corps bizarrement secoué sur les deux canes silencieuses... se lève sans bruit, s'approche à pas menus. "
et force les regards à la fois gênés et inquiets à se détourner sur son passage. Son silence est imprégné de l'odeur de la mort.
Le silence qui entoure la petite Mouchette se métamorphose tout au long de l'histoire. Au début, son caractère farouche, sa :
" susceptibilité ombrageuse, qui lui vaut de Madame tant de reproches, éloigne d'elle ses compagnes, l'enferme dans le silence. "
Mais on sent bien que ce silence est celui que Bachelard appelle : " un silence taciturne sur lèvres pincées ". Il est bien différent du silence qui va envelopper Mouchette dans la cabane du petit bois :
" une parole de lui dans ce silence la briserait sûrement comme un verre. "
Le même silence semble faire à nouveau son apparition dans le village, chez la vieille sacristine ou près de l'étang :
" La plus insignifiante parole n'en ferait pas moins un grand choc dans sa poitrine, car elle se sent comme enveloppée de silence."
Mouchette semble retirée dans un autre monde qui l'isole de la terre et des hommes. Dans le premier cas, à cause de son amour méconnu et dans le second cas, à cause de sa misère totale. Ce silence se manifeste comme une présence extérieure.
Chevance de son côté, est comme Donissan dans " le Soleil de Satan ", un prêtre timide. Mais le silence autour de lui n'est pas seulement négatif, il est comme le rayonnement de son silence intérieur :
" La timidité extraordinaire... masquait aux yeux de tous une hardiesse dans les voies spirituelles, un sens extraordinaire de la grâce de Dieu. "
Le silence qui émane de lui est un " silence ouvert " au contraire, le silence de Cénabre, sera un silence fermé.
Le silence de Cénabre semble avant tout caractérisé par la nuit. Les scènes principales de " l'imposture " se déroulent dans l'obscurité: " Autour de la ... silhouette à peine visible dans le recueillement de la nuit, la solitude resta parfaite, le silence absolu. "
Mais il est aussi caractérisé par l'image du " cercle enchanté " :
" prières, menaces, mensonges, cris de fureur ou de désespoir, il semblait que rien ne put dépasser le cercle enchanté. "
Ce cercle symbolise l'amour même du mal qui enferme le personnage dans sa propre solitude :
" Sa déception était plus forte encore du silence qu'il ne pouvait rompre de la solitude incompréhensible où il était tombé. "
La vie antérieure des personnages, a donc été trahie par les expressions physiques, exprimée par la qualité du silence qui les enveloppe. Mais Bernanos va plus loin encore. Car, le monde sensible ne va pas servir seulement de cadre aux acteurs, mais d'instrument d'explication et de révélation du monde intérieur. Dans " l'Imposture " et la " Nouvelle histoire de Mouchette " une place importante a été faite aux paysages et aux intérieurs. Bernanos nous plonge chaque fois dans un décor qui nous accorde avec les pensées ou le drame de ses personnages :
" L'une des marques des grandes convulsions de l'âme est de se retrouver dans les choses, de sorte que telle déception capitale, par exemple, reste inséparable du lieu et de l'heure... par une sorte de compénétration".
Ainsi, l'Abbé Cénabre, après une :
" Soudaine défaillance de l'âme, se jeta hors de son lit... la chambre vivait alentour sa pâle vie lumineuse... mais il semblait que les choses... ne répondissent plus à leur nom, fussent muettes " .
Quand au décor de l'appartement, par sa nudité même et sa finesse, il traduit la sécheresse d'une âme intellectuelle.
Cette première conclusion pose un nouveau problème, car le silence intérieur chez Cénabre n'est sans doute plus seulement refoulé mais anéanti. Son âme a perdu cette présence, elle est maintenant aussi nue que son cabinet de débarras. Cénabre au cours de ses débats effrayants et atroces, ne pourra plus supporter son univers familier, où aucune distraction ne peut le détourner, et l'empêcher d'écouter les mouvements secrets de son âme. Après cette nuit horrible, les désordres de son âme l'inciteront alors, à rechercher le bruit des bas quartiers de la ville :
" Ils cherchaient parfois... le tumulte heureux des faubourgs... la vie grossière... il souhaitait par moments se perdre en elle. "
Dans la " Nouvelle histoire de Mouchette " le symbolisme du monde extérieur réside surtout dans les évocations de la nature. Il s'agit d'une recherche de correspondances entre l'agitation intérieure de Mouchette et le monde extérieur. Comme elle, la nature est exposée aux risques, sacrifiée. La pluie, le froid, le vent accompagnent la fillette et annoncent la nuit tragique dans le petit bois.
Mais à travers ces climats spirituels, ces sentiments violents, troubles ou sincères, il convient toujours de différencier la vie silencieuse du monde intérieur : des désirs, des pensées qui se profilent et le silence qui est présent au plus profond de l'âme, tant qu'il n'a pas été anéanti par l'imposture.
Maintenant, après les lieux privilégiés pour la manifestation du silence, il convient de s'interroger sur les moments favorables à son intervention.



 

 

 5- Moments privilégiés pour la manifestation du silence


Il faut songer tout d'abord aux rêves et à leurs images silencieuses, leur objets-fantômes. A la fin de l' "Imposture ", Chevance à mi-chemin du délire et du rêve, évoque des images confuses, qui reprennent à intervalles réguliers, leur glissement silencieux :
" Le panneau avant de la voiture... a tourné silencieusement sur ses gonds. " " L'immense boulevard lumineux glisse à toute vitesse devant lui, s'arrête brusquement sans aucun bruit. "
Puis il y a les rêves que l'on fait éveillés. Quand le personnage Bernanosien est plongé dans ses pensées, il est ainsi isolé du monde antérieur, et c'est sa vie même qui est silencieuse : " ton silence est plein d'un rêve qui te fait sourire à ton insu " dit M. de Clergerie à sa fille. Mouchette, très souvent plongée dans son rêve intérieur, n'entend pas ce qu'on lui dit :
" son rêve a... ce caractère vague, indistinct, qui le fait ressembler au sommeil."
Mais le rêve est aussi illusion, et le moment arrive où il se dissout. La vie du rêveur était une vie silencieuse, sans aucun bruit, et pourtant la dissolution du rêve peut entraîner la soudaine saisie par le silence et la solitude. La présence de ce nouveau silence est une mise en garde :
" Il faut que le silence enfin, se prolonge, pour venir à bout de ce rêve informe. "
Le même silence va envahir le village, à l'heure où Mouchette le traverse. Mouchette encore plongée dans son rêve de la nuit :
" commence à prendre peu à peu conscience de cette tranquillité... c'est comme si le village déjà, secrètement ennemi, s'ouvrait devant ses pas, élargissait sournoisement autour d'elle la zone de silence traîtresse. "
L'absence des commérages l'étonne. Elle pressent que tout son rêve s'effondre. Le silence par opposition au rêve est une prise de conscience du réel.
L'étude du silence permet aussi l'évocation des sentiments profonds, de l'amour et de la charité. En effet, dans l'expression d'un amour sincère ou d'un amour pour le Christ, il semble qu'il y ait plus de silence que de paroles.. Il s'agit de ces états de l'âme, où tout est intime et intérieur : " Le suprême secret du vieux prêtre était un secret d'amour. " Le silence et l'amour vont donc métamorphoser les êtres qui aiment d'une passion pure, celle qui exprime la part la plus vraie et la plus préservée du cœur. Un tel amour transforme Mouchette qui pour un instant semble s'épanouir :
" Le plaisir qu'elle trouve à le contempler ne vient pas de lui, mais d'elle, du plus profond de son être, où il était caché, en attendant de naître ainsi que le grain de blé sous la neige. "
Désormais, son amour peut se découvrir et, dans le silence s'étendre à l'infini. Il est exigence de plénitude.
Le silence fait penser également à la souffrance et à la pauvreté, à la résignation extraordinaire des hommes les plus malheureux. La mère de Mouchette, bien qu'elle ne s'en rende nullement compte, " assume le poids " de la misère commune à toute la famille. C'est une forme humble de sainteté qui reste totalement cachée. De même, les hommes qui souffrent, souffrent en silence. Il y a dans M. Ouine une très belle définition de la souffrance, exprimée par le petit infirme. Cette souffrance qui se manifeste dans un murmure permanent, oblige l'homme à prêter l'oreille dans le silence :
" Souffrir voyez-vous... c'est d'abord comme un petit murmure au fond de soi, jour et nuit... qui parle dans sa langue, une langue inconnue. "
Dans l'agonie de Chevance il est question de la " souffrance vague mais profonde... répandue à travers le corps entier. "
Enfin, il y a le silence qui semble se cristalliser autour de la maladie et de la mort, créant une atmosphère lourde qui intimide et angoisse. Autour de la mère de Mouchette, ce silence est présent. Malgré l'atmosphère bruyante créée par les cris de l'enfant, les murmures maussades des membres de la famille, on sent un silence gêné :
" La malheureuse, gênée par leur silence, finit en manière d'excuse par geindre un peu. "
Le silence semble faire partie du décor qui l'entoure et c'est pour rompre ce silence que la mère de Mouchette pense au médecin et à ses paroles de consolation ou d'encouragement. Le bavardage des commères qui la visitent semble pouvoir à peine percer le silence :
" Les rares commères sont maintenant lasses de l'entendre, se contentant de hocher la tête d'un air gêné. "
De même, dans " l'imposture ", l'agonie de Chevance a lieu dans la plus totale solitude. Mais aussi, intérieurement, dans une alternance brusque de bruit et de silence :
" A peine refermé... dans sa pauvre cervelle confuse, le silence était aussitôt brisée... par l'inexorable cadence ", le " furieux bondissement de ses artères. "
C'est la vie et la mort qui luttent entre elles. Puis,
" hélas ! c'est sa vie ", comme épuisée, sa propre vie qu'il sent couler hors de lui... Quel recueillement soudain... Quel silence ! Le cœur enragé, lui-même, hésite... va s'arrêter... s'arrête... tout se tait. "
Le silence précède la mort et l'accompagne. Un silence semblable mais beaucoup plus solennel pénètre en Mouchette avant sa mort : " ce silence qui s'était fait soudain en elle était immense. "
Puis il y a le silence du deuil. Dans " la nouvelle histoire de Mouchette ", les parents de la défunte se taisent, et tout le village pour un instant semble s'associer au malheur de la fillette :
" Les deux jeunes garçons du brasseur, qui... ne perdent jamais l'occasion de lui lancer à pleine voix, ... le sobriquet de " tête de rat " la contemplaient de loin aujourd'hui, serrés l'un contre l'autre en silence ".
Le silence accompagne donc les plus grands événements de la vie humaine. Ceux qui, dans les œuvres de Bernanos, annoncent les mystifications du Destin. Il aura lui aussi son rôle secret à jouer. Et, il sera inséparable dans certains cas, de la nature à laquelle il est lié, et de la poésie créée par l'auteur.

 


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 Symbolique - Symbolique du silence ( suite )

 


Date de création : 03/01/2008 • 21:00
Dernière modification : 03/02/2012 • 21:15
Catégorie : Symbolique
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