Les enfants regardaient par la fenêtre. Leurs yeux un peu tristes fixaient au milieu du jardin l'arbre mort qu'on ne s'était pas encore décidé à couper.
L'arbre aujourd'hui abandonné avait été le témoin de leurs confidences et de leurs jeux, et maintenant papa et tonton allaient le couper. Les oiseaux eux-mêmes ne se percheraient plus sur ses branches désormais sèches.
L'arbre aujourd'hui abandonné avait pourtant été soigné avec amour par la famille. Pour G leur tonton, toute blessure d'un arbre était comme une blessure personnelle et morale. Ils regardèrent tonton. Leurs regards se croisèrent. Ils s'étaient compris.
- Dis tonton ? Tu vas le couper l'arbre mort ?
- Votre arbre ? Mais non il n'est pas mort... Les arbres ne meurent jamais et je vous le prouverai en le transformant et puis un jour en faisant chanter votre vieil arbre. Il chantera mieux encore que lorsqu'il vivait les pieds dans la terre et la tête au soleil. Mieux que les jours où il était tout chargé d'oiseaux et tout habité de vent.
Les enfants incrédules se sont tus.
- Pourtant vous allez le couper !
Le temps passa. Le peu de neige se mit à fondre et les pluies de printemps lavèrent sur le flanc de la colline les dernières traces de l'hiver.
Par contre, par amour des arbres, une vocation était née. Le visage décidé G. murmura un jour :
Je consacrerai ma vie à sauver la nature. La nature ne peut pas mourir. Elle se renouvelle et nous devons l'aider. Je planterai des arbres que l'humidité fera grandir et frémir même sur le Causse. Ils auront seulement besoin de ma volonté et de mes soins. Je construirai avec le bois de beaux objets grands et petits...
Par un matin d'hiver de l'année suivante. Un de ces matins glacés, blancs et secs où le givre, les rares plantes pétrifiées, pétillent, étincellent sous le soleil, les enfants se précipitèrent aux fenêtres. Il avait neigé toute la nuit et les flocons moins serrés voltigeaient encore comme de rares et légers papillons blancs. Tout semblait endormi et la terre environnante éclatait de lumière, de pureté et de blancheur dans le grand silence pétrifié. Le soleil froid et lumineux jouait avec le paysage. La paix environnante enveloppait la maison de mystère et de réconfort.
La mère songea avec tristesse à la nudité des oiseaux et des arbres, à la solitude de certains hommes symbolisée par l'arbre mort du jardin que les hommes s'étaient décidés à couper et qui avait été remplacé par un arbuste encore frêle.
Par contre, dans la maison une douce chaleur émanait du feu de bois qui crépitait de bien-être.
Le front appuyé contre la vitre, les enfants eux songeaient aux joies nouvelles que leur apportait l'hiver, à l'approche des jeux avec leurs nouveaux jouets reçus aux fêtes de Noël et du nouvel an. Leur regard malicieux, perdu dans la buée dont ils couvraient la vitre pétillaient comme le givre au soleil.
Soudain les yeux des enfants s'assombrirent.
Ils s'aperçurent qu'il manquait quelque chose au paysage. C'était le vieil arbre mort qui restait gravé avec les souvenirs si variés de jeux au milieu de ses branches. A sa place il n'y avait plus à côté de la large souche assez haute cependant et quelques grosses branches dénudées dont on se demandait à quoi elle pourraient servir ! Et un arbuste qui mettrait des années avant de grandir ... L'ancien vieux géant, n'était plus. Comme il en faudra du temps avant qu'il ne soit grand comme leur ancien compagnon de jeux ! L'écroulement de leur rêve les rendait tristes malgré tout. Papa et tonton les avaient bel et bien trompés.
Dans le salon, la chaleur soudain leur parut moins douce et l'odeur du feu moins réconfortante.
Au fil des jours pourtant, les enfants finirent par oublier leur vieil ami disparu et alors que les beaux jours et les oiseaux avaient entouré de soins le nouvel arbre planté par G, les enfants avaient fini par hausser les épaules.
- Je sais ce que vous pensez sourit G, mais celui-ci sera géant, et il poussera très vite; c'est un séquoia !
L'année suivante amena un nouveau matin de noël. Le séquoia dressait déjà avec vigueur ses jeunes pousses, mais... appuyé sur ses branches toujours vertes, agitées par le vent et, à cheval sur la vieille souche, une grande cabane attendait les ébats et la joie des jeunes. L'arbre était bien mort, il ne chantait plus, mais il servirait encore. Aussi lorsque les enfants rentraient de l'école, ils abandonnaient au plus vite les sacs de classe et se précipitaient chaque soir, chaque jour de vacances dans les branches offertes.
Un paysage d'hiver dans sa nudité hostile les environnait encore. Le front appuyé contre la vitre malgré le feu craquant dans son dos, la mère, un peu plus âgée, songeait " tout ce qui arrive ", le mal, l'angoisse, la mort, c'est toujours l'hiver qui l'apporte.
Mais non se disait G. tout bas avec un sourire malicieux...Le front appuyé contre la vitre, lui aussi songeait, mais il songeait à la joie de ses enfants en ce matin de Noël, à leurs regards plus brillants encore que le givre au soleil.
Dans le salon, la chaleur était douce et l'odeur du feu de bois réconfortait toujours, répandait un certain bien-être.
Ce jour-là, malgré la froid, ils se levèrent tous très vite. Ils ne savaient pas exactement ce que leur réservait ce jour de fête mais les adultes leur avait promis une surprise et leur cœur battait d'impatience.
Ils coururent ouvrir la porte du salon. Le feu attisé par l'air grogna plus fort. Puis ce fut le silence... Il y avait près du sapin un très gros paquet qui laissa les jeunes adolescents provisoirement muets.
Le papier fut vite enlevé et une longue boîte de bois luisant apparut. Elle était plus large d'un côté que de l'autre.
A l'intérieur, dans un lit de velours vert, dormait... une guitare.
Et de cette guitare, les grands et les petits allaient en jouer, faire vivre et chanter le bois de l'arbre ancien qu'il avait fallu faire sécher et vieillir pour mieux le faire vibrer.
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