C'était pourtant toute sa vie

C'était pourtant toute sa vie


Danny prenait sa première gorgée de café. Aussitôt son pouls s'accéléra. La caféine passait dans son sang et lui donnait chaque fois comme un coup de fouet. Elle en avait pas mal bu, autrefois pour ses études, ou après les repas pour partager un moment avec sa mère. Parce que c'était sa mère, qu'elles s'aimaient sans doute à leur manière et que si elles n'arrivaient pas à combler le fossé qui les séparait, il y avait ce moment intime possible, en silence... Et si rare !  Dana contrôlait ses émotions, elle n'avait jamais su pleurer. Elle avait grandi chez sa tante et plus tard, elle en avait voulu à ses parents. Elle rêvait d'être avec eux comme les autres enfants, en famille.
Nous essayons d'interpréter les signes. Jusqu'à quel point pouvons-nous ne pas nous tromper en essayant de comprendre? J'en ai tellement voulu à mes parents que maintenant au contraire, je cherche à retrouver les bons moments.

- Ah ! vulnérable Sagittaire ! lui dit un voyageur bavard. On méconnaît la sensibilité profonde de ce signe. Parce qu'il est la représentation de la droiture. il doit faire face à la haine.... On le croit indomptable, mais toujours il souffre !?
Il voulut même regarder sa ligne de vie. mais comme elle ne savait pas vraiment laquelle c'était, elle espéra sans pourtant y croire vraiment que c'était la plus longue. Après tout, sa vie était ce qu'elle était. Et finalement pas si désagréable que cela.
- Vous parlez de mon signe du zodiaque ? Mais jusqu'à ce jour, bien que je n'y crois pas, je n'avais jamais eu que des éloges sur les sagittaires...

Sincérité désarmante. Elle n'hésite pas à dire ce qu'elle pense mais ne cherche jamais à blesser...Désormais c'est en vain qu'elle demande à sa mémoire des souvenirs précis, des réminiscences de joie, des impressions. Elle n'avait plus qu'une impression globale d'avoir tout de même été heureuse. Je suis là à remémorer mes souvenirs, mes petits plaisirs, mes regrets... alors que tous vivent encore. Mais nous, nous avons changé, nous avons des rides et le temps passe. Maintenant Dana était habitée par une sorte de placidité. Elle oubliait un peu sa timidité, sa réserve. Elle prenait les choses et les événements comme une évidence.

Beaucoup de gens faisaient le point sur leur vie, pourquoi pas elle ? Depuis un certain temps, elle pensait à certains épisodes de sa jeunesse, des épisodes sans suite, des paysages qui nous poursuivent, un nom qui revient, un lieu, des visages qui avaient perdu leur nom, des noms qui n'avaient plus de visage. Tout ce qui est par instants sous nos yeux est déjà passé. Les choses sont faites pour disparaître. Ce serait sa façon à elle de retenir, transmettre des temps plus lointains ou plus insouciants. Ceux d'avant les maladies, d'avant la vieillesse...
La terre continuera d'exister après nous. Nos paysages aimés se modifieront. L'eau, le feu, les racines des arbres, le souffle des vents sont capables de venir à bout des lézardes et se chargent même de fissurer nos moindres souvenirs.
Qu'étaient devenus tous les fantômes de son passé ? Elle avait l'impression de vivre un conte impressionnant où à peine entrée dans la forêt, les branches se refermaient derrière vous et où le chemin du retour n'était plus ni praticable, ni visible. Le plus souvent, le retour en arrière n'était qu'un instant entrevu; une rue, une comparaison qui les faisaient resurgir. Elle entrevoyait des gestes simples, fugitifs, des situations banales comme chercher ses lunettes, se retrouver dans une file d'attente. Des vies parfois plutôt gâchées, d'autres beaucoup moins, des êtres qui se côtoient sans s'aimer, des êtres qui s'aiment sans se l'avouer, des situations qui révèlent le côté maladroit et ridicule de chacun, d'autres qui mettent en valeur les possibilités réalisées. Elle savait que nous interprétons tous, ces moments de vie, ces relations et que nous déformons souvent. Nous nous laissons influencer par nos propres sentiments face à ces réactions.
La puissance de la littérature, du cinéma..., la fiction met en valeur des vérités cachées. Elle est comme disait Cocteau :"
un mensonge qui dit toujours la vérité ".


Où est-il l'enfant caché en nous ? De sa plus tendre enfance, elle n'avait presque que des souvenirs remontant à son séjour jusqu'à l'âge de 10 ans chez sa marraine, la sœur de sa mère. Par exemple, ce placard qui cachait une porte de communication avec les locataires et où elle avait joué avec ses cousines, au milieu des couvertures, des édredons.
Elle ne voyait ses parents qu'en fin de semaine et encore lorsqu'elle n'était pas malade. Si ses parents l'aimaient, pourquoi la laissaient-ils chez quelqu'un d'autre ?Elle ne l'acceptait pas. Elle ne se sentait pas aimée, plutôt abandonnée seule dans une autre familleDans la famille vivaient déjà les deux fillettes de la maison. L'une des cousines était de santé fragile, l'autre était pleine de vie et d'entrain. Elle faisait le poirier, appuyait ses pieds levés contre un mur, balayait le sol de ses cheveux, sa jupe rabattue comme une corolle. Elle descendait en incurvant son dos, elle exécutait un grand écart presque parfait. Dana au milieu d'elles se sentait presque invisible, elle était comme une ombre dans la famille, elle n'existait pas. Elle sentait même très bien que sa marraine ne la gardait pas par bonté. Une pension était versée. Le plus grand cadeau qu'aimait faire la fille fragile à sa mère était de cirer les meubles aux moulures complexes et Dana l'aidait stupidement alors qu'elle n'en ressentait aucune envie. Le jeudi, elle allait au patronnage : les soeurs portaient de lourdes robes de lainage et des cornettes amidonnées.
Un mécontentement amer montait en elle, comme lorsqu'un différent l'éloignait de ses camarades parce qu'elle se sentait blessée, vexée, délaissée par ses parents. Dana repensait avec affection à cette fillette qui restait en elle, qui représentait son moi le plus vrai, le plus malheureux avec ses petits chagrins, le plus refoulé...
Quand elle se souvient aujourd'hui de ces moments, elle a du mal à pardonner à ses parents. Ils travaillaient, ils étaient obligés de trouver une solution. Mais n'y a-t-il pas toujours un moyen de se débrouiller, en allant voir son enfant le soir ? On ne doit pas abandonner les petits à la tristesse, aux interrogations sur l'amour que peuvent lui porter ses parents, sans raison. Les siens ne se sont jamais justifiés. Elle avait du mal à éprouver de l'affection pour des parents qui ne la voyaient que le week end, ne lui disaient jamais un mot tendre. Quant à sa mère, soit de l'eau glacée coulait dans ses veines, soit elle avait elle aussi perdu goût à la vie depuis longtemps, laissant son mari décider à sa place, sans amour, sans se soucier des autres, ne pensant surtout qu'à lui-même, à sa santé, à ses problèmes. Ses parents l'aimaient-ils ? Aussi loin que remontaient ses souvenirs, elle en avait toujours un peu douté. Peut-on ressentir le manque de ce qu'on n'a jamais eu ? Son père était-il déjà si égoïste ? L'homme était-il réellement fermé en lui-même, détaché du monde autour de lui ? Ou en avait-il seulement l'air ? Était-il déjà révolté, coléreux ? Elle-même était-elle déjà une fillette trop introvertie pour plaire même à ses parents ? Où bien l'était-elle devenue parce que ses parents l'avaient négligée? Ils avaient bien à l'occasion nettoyé ses petites blessures mais elle ne se souvenait pas d'avoir été bordée le soir. Ils ne l'avaient  pas souvent aidée à faire ses devoirs.
- J'ai fait une fugue une fois...
- Une fugue ?
Elle devait avoir 6, 7 ans. Son père était à la maison alors qu'il aurait dû être au travail. Avec sa cousine, la fragile, elles avaient fait un détour pour aller à l'école et elles avaient vu la voiture devant le logement de ses parents. Elle avait longtemps hésité, puis après avoir fait une bonne distance vers l'école, les deux fillettes avaient rebroussé chemin. Dan avait besoin de savoir, elle avait besoin de le voir; mais il n'était déjà plus à la maison et c'était trop tard pour l'école. Elle s'était fait sévèrement gronder.

Elle avait finalement eu une enfance au milieu de femmes. Sa mère était une fervente lectrice de " Nous deux ", avec ses romans photos qu'elle aimait regarder en cachette. Le vieil arrière grand-père était mort très vite.  Il y avait dans la maison où elle devait vivre toute la semaine, sa grand-mère, sa marraine qui était aussi sa tante, deux cousines de son âge à peu près et une voisine que la marraine gardait la journée. Garder des enfants, louer une partie de sa maison étaient son apport financier à la vie de la petite communauté. L'école n'étant pas mixte Dan ne connaissait les hommes que par son père et ce n'était pas un avantage pour eux! Une question inquiétante restait dans l'imagination de l'enfant. Pourquoi son père était-il ce jour-là à la maison ? Pourquoi son père sortait-il à cette heure-là, au lieu d'aller travailler ?

Plus tard lorsqu'elle était revenue définitivement à la maison, la vraie maison de Provence avec ses tuiles rouges, sa façade au crépi un peu jaune et aux volets verts, car elle ne supportait plus cette vie, elle découvrit pire, la vie chez ses parents. Sa mère lui offrit bien un premier excellent goûter à faire ricaner sa sœur. Mais ce fut à peu près tout. Son père menait déjà sa petite vie égoïste et étriquée. La nuit, il respirait mal, s'énervait et souvent ne dormait pas. Si sa mère restait discrète dans les moments d'insomnie, demeurant étendue, gagnant une minute après l'autre jusqu'à l'aube, afin de ne pas risquer un mouvement qui pût troubler le repos des autres, lui, ses mauvaises nuits, il les faisait partager, faisait gémir les ressorts de son sommier, bourrait son oreiller de coups de poing, marmonnait des injures...

Il était resté toute sa vie assez égoïste. C'est avec une sorte de satisfaction qu'il appelait très fort sa femme : " Marie "! alors que ce n'était même pas son prénom ! Son père et elle n'avaient qu'à de très rares moments été proches. C'est seulement à son adolescence qu'ils avaient échangé comme un court moment d'amitié, très vite effacé par le côté provocateur de l'homme car il chassait tous ses amis ou les recevait comme des intrus et avec ironie. Pas méchant, plutôt sauvage et peut-être vu après coup, malheureux. Il ne supportait pas grand chose en dehors de sa petite vie tranquille, un peu maladive depuis la guerre.
Maintenant qu'il était mort elle regrettait parfois de ne pas avoir fait davantage d'efforts dans le passé pour essayer de mieux le comprendre. Mais lui, de son vivant, avait-il fait un effort ? Était-ce un méchant bougre ? Elle ne dirait pas cela et elle ne prendrait pas comme prétexte son comportement  pour excuser tous les siens. Mais il choquait volontairement ses amis et il se servait du prétexte de ses souffrances depuis la guerre, du fait qu'il avait été orphelin, pour se permettre des insolences.

 Il l'emmenait parfois au cinéma, le dimanche; c'était pour Dana un moment merveilleux; mais ce simple geste de complicité l'ennuyait certainement car lorsqu'un jour sa grand-mère l'avait suppliée de venir voir un film avec elle, son père lui avait dit :
- Vas-y mais moi, si tu regardes un film avec elle, je ne t'y amènerai plus jamais.
Elle aimait sa grand-mère et n'avait pas voulu la blesser. Mais son père avait tenu parole !


Le rude joug de l'autorité et de l'égoïsme paternels lui avait donné dans ses manières une grande humilité et surtout une sorte de révolte.  Qu'est-ce que je leur dois à part la vie elle-même et l'argent qu'ils ont dépensé ? Il avait même osé lui dire qu'il avait moins réussi sa vie que son frère parce que celui-ci avait des garçons.  Pour lui, le garçon  seul perpétue votre nom... C'était vrai dans son temps ! Mais était-ce bien de la part d'un père d'affirmer à sa fille de tels regrets ? Et ne l'avait-il pas dit méchamment aussi pour provoquer. Depuis, elle se sentait souvent idiote, mal outillée par rapport aux autres. Il lui arrivait alors de chercher à impressionner bêtement pour avoir l'air très intelligent. Elle avait, pendant un certain temps, eu l'impression de ne jamais être prise au sérieux et c'est plus tard qu'elle avait réalisé combien c'était inutile. Il fallait être soi-même. .

Par contre, c'est sa mère qui l'avait éveillée aux émotions des enluminures sur des images pieuses et des livres qui l'avait initiée à l'arôme exotique et subtil du marchand qui tournait la manivelle de son torréfacteur tandis que des grains de café s'élevait un véritable parfum. Elle l'amenait parfois à la plage avec des amies à elle. Quand le mistral ne soufflait pas trop fort, elle se mettait entre deux rochers protecteurs, au ras de l'eau, au milieu des mouettes, des hirondelles, et elle y restait dans cette espèce de stupeur et d'accablement délicieux que donne la contemplation de la mer sous le chaud soleil : cette jolie griserie de l'âme. On ne pense pas, on ne rêve pas non plus. Tout votre être vous échappe, s'envole, s'éparpille. Un grand coup de mistral vous balaie le ciel et le ciel reluit joyeusement sur les toits même s'ils sont encore rouges et mouillés de pluie.

A cette époque-là, elle ne savait pas encore nager. C'est plus tard dans le bassin d'arrosage de sa vieille tante qu'elle avait appris, seule, grâce à un livre qui expliquait les mouvements. Bref, ce jour-là, au bord de la mer, elle s'avançait dans l'eau à côté de sa mère qui sans doute bavardait avec une amie. Elle avançait tout doucement, l'eau lui semblait froide. Quand l'eau lui arriva à la taille, elle ralentit. L'eau commençait à monter le long de son petit corps, elle avait peur, puis, elle avait eu du mal à respirer. Elle ne touchait plus le sol et ses jambes semblaient se déplacer toutes seules, comme si elles quittaient le fond et flottaient. Elle ne sentit plus rien de ferme sous ses pieds, l'eau continuait à monter. Elle lui arriva aux épaules, au cou et elle leva le menton pour l'empêcher de rentrer dans sa bouche mais la vague s'approcha bien trop vite et elle n'eut pas le temps de serrer les lèvres, sa bouche se remplit d'eau salée et froide qui s'engouffra dans sa gorge et continua à monter plus haut que ses joues, plus haut que ses yeux. Elle la sentit se refermer comme un couvercle au-dessus de sa tête jusqu'à étouffer tous les sons. Elle se débattit sauvagement, cogna mais ne put rien faire contre le mur massif d'eau. C'est alors qu'on la tira vers le haut et que son crâne fendit la surface. La première bouffée d'air fut brutale et douloureuse et elle inspira avidement encore et encore. Sa mère la tenait par le bras.

Ses principaux bons souvenirs ? Les visites à la madone, la bonne Mère comme disait sa mère. Les farandoles des jours de fête, les promenades dans les vignes pour des vendanges et le mistral avait beau souffler, il n'attristait pas le paysage, il l'illuminait ! Ils avaient un petit poste de radio qui grésillait. Ils écoutaient Lucien Jeunesse et le jeu des 1000 francs. Son second souvenir restait  le cri lugubre, parfois féroce des mouettes sur les environs, sans doute pour protéger leurs oeufs. Cependant, si elle ne revoyait pas sa mère en train de lui lire une histoire au moment du coucher, elle revoyait ses efforts pour Pâques et pour les rameaux. Sa mère adorait fabriquer et faire admirer ses rameaux, à la messe, ou encore cuisiner artisanalement de délicieux œufs en chocolat ou cacher dans le jardin, de vrais œufs teintés au tilleul, à la verveine.

Sa mère l'amenait chaque année à la grande foire parce que ses chefs y avaient un stand réservé à la construction ou la reconstruction. C'était l'occasion de manger quelques bonnes choses en se promenant dans les allées; de se pavaner avec un petit ballon gonflé à l'hélium et qui parfois s'envolait et flottait vers les nuages, lorsque maladroitement Dany lâchait le fil. Qu'est-ce qu'elle était malheureuse alors ! C'étaient bien de bons souvenirs alors... mais sans son père. Rarement avec son père.
 Un jour sa mère l'avait amenée chez des amis et pour la première fois, et certainement la dernière, elle s'était montrée odieuse avec le garçon de la famille. Pourquoi ? Elle ne saurait le dire. Besoin pour une fois de dominer ? Elle n'avait même pas eu honte. Elle avait déçu tout le monde. Ces amis devaient la haïr.

Chaque été ils allaient cependant dans les Pyrénées passer un mois dans une vieille demeure familiale. Le voyage les premières années était pénible. Dany vomissait ( surtout après avoir mangé des huitres sur le trajet ). avant d'avoir le temps d'avertir ses parents. Son père pilait d'un coup sec, sa mère hurlait, les voitures dépassaient en klaxonnant.

Une fois par an, ils allaient passer leurs vacances à Saurat dans l'Ariège. En voiture, Danny avait l'estomac retourné et ce n'était agréable pour personne.A Saurat, tous les soirs, à la tombée de la nuit, elle prenait un petit chemin de montagne qui menait à une ferme et elle ramenait le lait qui venait juste d'être trait. Ce qu'elle avait peur alors!
Les orages dans cette région étaient plus terribles encore qu'à Marseille et duraient plus. Les éclairs souvent déchiraient le ciel dans un noir encore plus noir que celui de la nuit habituelle dans la montagne. Sous le soleil de nouveau maître du ciel, l'air semblait avoir retenu l'eau déversée un peu plus tôt à torrents : arbres, champs, tout le paysage de chaque côté de la route était d'une fraîcheur intense. 
Le mistral à Marseille était aussi féroce et effrayant. Pourtant lorsqu'il criait dans les platanes et les pins, lorsque la tourmente faisait rage, cette ambiance faisait de plus en plus partie de sa vie, alors qu'à la montagne, c'était autre chose !.. C'est dans la maison vide des ancêtres qu'ils vivaient. On y trouvait des souris, de monstrueuses toiles d'araignée et de monstrueuses araignées !
Pour les manèges, c'est dans l'Ariège qu'elle y montait. Elle pouvait alors gagner les jouets qui lui paraissaient aujourd'hui affreux mais qu'à l'époque, elle enviait. On gagnait dans les stands de tir des jouets en peluche et elle s'y montrait habile depuis qu'une amie de l'école lui avait appris à se défouler ainsi. On pouvait obtenir aussi des poupées avec robes à volants, ailleurs, en visant des cibles. Elle montait dans une auto-tamponneuse. Elle prenait soudain un brusque virage pour cogner brutalement quelqu'un d'autre. Elle était si heureuse dans ces moments-là.

Mais en temps normal, c'était autre chose. La journée, ce père interdisait à son unique enfant de recevoir des amies ou alors il leur rendait la journée impossible en faisant à tous des brimades perpétuelles. Sa mère n'avait pas la force, le courage ou même le désir de s'opposer à son mari. Et surtout elle était certainement aigrie et de plus si directe qu'elle blessait Dany.
Jacqueline, par exemple, au collège était sa meilleure amie depuis au moins 3 ans. Puis elle l'avait soudain abandonnée pour une autre parce que le père de Dany avait interdit à sa fille, d'aller chez elle, pour lui dire que la rentrée était avancée. Jacqueline  n'avait même pas voulu d'explication. Dans son idée, elle avait été trahie... Était-elle vraiment une amie ? C'était une autre question !
Elle ne pouvait même pas dire que sa tante, sa mère ou son père avaient été méchants, mais certainement distants et fermés à leur façon. Sa tante n'était pas sa mère et elle avait ses propres filles. Sa mère était restée trop longtemps éloignée d'elle. Son père essayait quelques taquineries qui sonnaient faux. La chaleur familiale avait comme disparu en cours de route et l'envie de se détacher d'eux avait germé très tôt.
Dany se souvenait d'un spectacle au collège. Tous les parents étaient en admiration. Tous regardaient leurs enfants. C'était pour eux un moment de pure joie. Son père était-il seulement venu ? Elle ne s'en souvenait pas et ne le pensait pas. Par contre sa mère n'avait émis qu'une critique qui l'avait blessée. Elle trouvait Dany trop souvent devant la scène, le dos tourné, montrant son arrière-train qu'elle trouvait un peu gros, peu à son goût en tout cas. Était-ce une remarque à faire à son enfant ? Dany n'était pas grosse. Elle était à un âge où tout est imparfait. L'âge avant la fin de la croissance.
D'ailleurs plus tard, sa mère lui avait carrément dit qu'à son âge elle était plus jolie ! Peut-être... mais là encore est-ce une remarque à faire à son enfant ?
L'éternelle question avait hanté la vie de Dany. Pourquoi ? Pourquoi ses parents ne l'avaient-ils pas aimée ou du moins le pensait-elle ? Il lui arrivait d'être grondée et ces moments-là restaient pour elle une tentative de démonstration d'affection ou de non affection de la part de sa maman. A deux reprises elle était allé se réfugier dans le hangar à charbon. Elle y était restée longtemps à pleurer, gémir, se lamenter en silence. Deux fois dont elle se souvenait, au cours de son enfance !.
La première fois, sa mère avait fini par la rejoindre. Dany n'attendait que ça. Elle était seule au monde à cet instant-là, mais son amour-propre l'empêchait d'aller vers sa mère. Sa mère lui avait même offer ce jour-là, un bonbon. Mais la fois suivante, elle avait eu beau attendre dans le hangar, se rougir les yeux à force de pleurer, personne n'était venu interrompre sa solitude. Elle avait dû céder. Où étaient les multiples preuves d'affection que Dany enfant aurait pu attendre ? Dans la famille il n'était pas courant de se toucher, de se câliner.

Pourquoi les mots gentils, les caresses étaient-ils si rares ? Était-ce de l'indifférence et de la froideur ? La marraine n'avait pas pu remplir la place d'une mère, elle avait ses propres enfants, qu'elle préférait naturellement ! De tout cela, Dany avait gardé en elle un vide qu'elle n'arrivait pas à combler. Le pire, c'est qu'elle n'était pas certaine de l'indifférence de ses parents et au fond d'elle ses critiques la culpabilisaient; pourtant à 10 ans, elle n'avait  pas tellement hâte de grandir. Assise sur les marches extérieures de la cuisine, elle s'interrogeait. Avait-elle peur de l'inconnu qui l'attendait ?
Adolescente, son père l'avait frappée avec une règle en fer. Elle était revenue tard d'une réunion de scouts. Sa mère avait mollement protesté :
- Ma fille est sage comme moi !
Mais il était furieux et n'avait pas cru les explications de sa fille. Il était persuadé qu'elle était sortie avec un garçon, alors qu'elle revenait, bien tard en effet, d'une réunion des guides. Son bras lui fit mal pendant plusieurs jours.

En effet, depuis son retour à la maison à l'âge de 10 ans, elle ne faisait pas beaucoup de bruit, elle ne demandait pas grand chose, ne se plaignait que rarement et se retirait dans ses rêves. Cette facilité à se rendre transparente convenait parfaitement à ses parents qui ne trouvaient pas souvent les mots, ni même des moments pour penser à elle ou s'en inquiéter.
L'enfant, très jeune, avait d'abord réagi en se recroquevillant, mais la révolte et le besoin de vie couvaient en elle. Elle restait inexpressive, subissait pas mal de remarques en silence et avec passivité mais les tempêtes intérieures attendaient le bon moment. Il ne fallait pas trop ouvertement la manipuler !

La séparation avec ses cousines s'accentua car la guerre entre les deux branches de la famille qui avait commencé bien avant la naissance des filles s'amplifia. Les deux hommes de cette famille avaient connu la guerre et cela semblait leur donner tous les droits. Chacun d'eux menait une vie un peu déréglée ! Ils s'appliquaient  à multiplier les conquêtes féminines... Mais finalement cela permettait aux trois femmes, avec la grand-mère, de rester en paix. On ne savait pas vraiment pourquoi car les commentaires des deux familles divergeaient. C'était comme ça.  La rivalité entre elles faisait parfois pointer les petits démons de la jalousie. Dany en était consciente, jalousie stupide d'ailleurs car le quotidien de chacun,  beaucoup plus tard, sembla s'inverser. Elle avait été jalouse dans leur enfance. Il semblait que ce soit parfois leur tour aujourd'hui. Dany ne voulait pas être mesquine mais dans un monde étroit comment ne pas rêver d'un petit endroit tranquille..
La guerre entre les deux branches de la famille allait durer si longtemps que l'hostilité allait devenir comme une seconde nature, même sans raison valable, même au-delà des morts. Comment se permettre de reprocher à quelqu'un son père, comment lui refuser une place au cimetière alors qu'il a contribué à acheter ses parts ? Pourtant,  tout au fond aurait dû renaître le soutien profond, enseveli, de savoir qu'ils venaient en partie, de la même souche.

Pourquoi dès sa plus tendre enfance avait-elle pris cette habitude de rouler des papiers dans ses doigts ? Au fil des années c'était devenu un geste compulsif dans les moments difficiles ou de solitude. Elle-même avait du mal à le comprendre et même ses petits enfants se moquaient un peu de ce geste. Qu'exprimait-il ? Un manque ? Un conflit ? Un besoin de bouger ?
Elle avait eu une enfance perturbée et peu de résultats franchement positifs à l'école. Elle avait un manque certain de concentration. Pendant longtemps elle en avait eu honte. Pendant longtemps elle ne s'était pas sentie à la hauteur. Elle avait passé ses premiers examens avec comme une impression pénible de fatalité. Et c'est cette honte d'elle-même qui lui avait donné plus tard la niaque pour réussir.
Elle avait surmonté peu à peu son retard dans les études; au début avec difficulté car elle ne trouvait pas la tranquillité d'esprit nécessaire et elle papillonnait beaucoup. Puis l'aisance était venue. Un fond d'idées nouvelles la faisait réfléchir et elle comprenait mieux les lectures qu'elle faisait par la suite, de mieux en mieux. Les livres l'obligeaient à penser à des choses auxquelles elle n'avait jamais pensé jusque-là... La vie, l'avenir donnaient un sens aux passages qu'elle n'avait pas compris plus jeune.

Dany avait toute sa vie adoré les livres. De son temps il n'y avait pas d'ordinateurs, de tablettes. Elle se remémorait le parcours dans ses études et le temps passé dans les bibliothèques, à trouver les titres dans les fichiers, à remplir des formulaires de demandes de prêts. Elle aimait après son bac, circuler entre les rayons, s'instruire. Elle se souvenait que lorsqu'elle s'était cassé la jambe chez la vieille tante, elle lisait Eugénie Grandet, elle suivait les personnages dans les rues sombres de Saumur jusqu'à la maison de Grandet. Elle commençait à s'instruire. Mais plus tard ce fut de plus en plus pour le plaisir qu'elle aima lire. Lire des romans policiers, des romans d'aventure la détendait. Elle était également passionnée par la psychologie : ces livres parlaient de vengeance, de jalousie, de sentiments dignes d'intérêt. Les crimes étaient toujours élucidés, les aventures se terminaient bien. Elle trouvait cela apaisant.
Elle se voyait bien dans l'enseignement. C'était pour elle le métier idéal pour s'occuper plus tard de ses enfants plus que ne l'avaient fait ses parents, grâce aux horaires et aux vacances. De plus c'était un travail sûr. N'y avait-il pas aussi la peur de l'inconnu ? Elle ne saurait le dire. Ayant passé son enfance à l'école, elle se voyait mal quitter ce monde connu pour un autre plus aléatoire.

Lire était un peu pour son père synonyme de fainéantise. Il pouvait parler! lui qui était souvent absent à son travail, qui n'aidait pas beaucoup son épouse et qui fréquentait d'autres femmes ! Mais c'était ainsi. Il se moquait de sa fille en disant : " C'est du vent ce que tu fais " quand elle était au milieu de ses livres.
Par la lecture on croit se sentir devenir autre mais en fait la lecture nous révèle une part cachée de nous-même.

Il y avait cependant quelques bons souvenirs de son enfance. Les marchands de brandade et de glace dont les étalages sur roue faisaient une arrivée mélodique ou sonore dans la rue...

Dans la salle à manger, chez ses parents, il y avait un poêle ventru. L'hiver, il fallait régulièrement  fourrer une pelletée de charbon par l'ouverture, puis empoigner le soufflet et l'actionner.
Pour le jour de l'an on avait l'habitude d'aller de maison en maison ou plutôt de membre de la famille à membre de la famille, pour présenter les vœux. A Saurat dans l'Ariège pendant les vacances, elle mettait des bouts de fromage dans les placards pour les souris affamées.

Les guides aussi faisaient partie de l'ensemble des bons souvenirs. Le grand feu qui flambait au milieu de l'aire de sable, les flammes qui enluminaient de reflets sanglants les visages, le spectacle, le concours de poulet à faire cuire, les jeux dans les bois... Mais à cause des guides, elle s'était donné à fond aux enfants, à cette organisation et elle n'avait pas assez travaillé son bac.
Elle avait réagi, repassé l'examen et était entrée à l'université. Elle avait passé DEUG, licence et après sa maitrise elle avait espéré entrer dans l'enseignement.
 

Dans sa petite enfance ses parents pendant les vacances scolaires surtout, l'envoyaient chez une tante comme pour s'en débarrasser. ( La c'est ton égo blessé qui juge ! ) Ou peut-être plus simplement parce qu'ils travaillaient. Cette vieille tante lui avait offert une montre en or pour sa communion, montre à rendre jalouse la soeur de sa mère et ses cousines !! Chez cette tante, elle admirait la moto que son père n'utilisait plus. Il l'avait peu utilisée. Danny se souvenait d'une promenade derrière qon pèreet pour l'épater et lui faire peuril roulait en penchant énormément le véhicule. Dans le jardin de la tante, elle la montait sans mettre le moteur en route ( elle en tait incapable ) et rêvait. Comme elle aurait voulu pouvoir à son tour briquer son propre vélo, comme les garçons dans l'impasse, poser des rustines sur les pneus. Et sur sa moto immobile, elle partait en rêve ...
Dans la maison de cet oncle et de cette tante, elle faisait des découvertes, mais elle n'osait pas poser de questions. Son père un jour l'avait effrayée en mettant un masque à gaz et elle avait hurlé. Elle savait que les allemands avaient utilisé une nouvelle arme qui brûlait les poumons. Après avoir abandonné le lance-flammes, ils avaient utilisé les gaz asphyxiants. Ce masque se trouvait dans la cave de la maison. Ces gaz qui provoquaient chez les soldats des souffrances insupportables, qui attaquaient les yeux et rongeaient leur poumons avaient-ils pénétré ceux de son oncle. Elle n'osait demander... mais l'oncle avait bien un faible au niveau des poumons.
A cette même époque, alors qu'elle passait quelques jours de vacances chez cette vieille tante, un ouvrier lui avait demandé d'aller chercher celle-ci. Elle se trouvait dans le jardin. La tante était à l'étage. Comme chaque fois, depuis toute petite, elle avait monté les marches de l'escalier en courant et l'homme avait ricané. " - C'est quand un homme te demande un service que tu montes si vite ! " ? L'intonation, l'impression laissée l'avaient blessée.

Elle ne connaissait rien des hommes.
Cette expérience et une autre à l'âge de 8 ans n'avaient pas été en leur honneur. Chaque Dimanche d'été, elle était de corvée de pain car les boulangers de son quartier étaient en congé. A 8 ans donc, en allant un Dimanche chercher le pain, elle avait été agressée par un homme à moto. C'était dans un de ces ruelles étroites encadrée de hauts murs que cela s'était passé. L'homme avait bloqué sa moto contre le mur et la fillette contre lui. Il l'avait obligée à toucher son sexe disant : " d'habitude c'est quelq'un d'autre qui s'occupe de moi. N'aie pas peur, c'est du lait " !!! Une dame était soudain sortie d'une porte enfouie dans le haut mur. L'homme avait repris son véhicule en disant posément une banalité qui avait pour but de faire croire qu'il ne s'était rien passé d'anormal. Danny paralysée n'avait osé rien dire. Elle avait poursuivi sa route vers la boulangerie. Ce n'est que bien plus tard qu'elle en avait parlé à sa mère. Son père furieux avait bien pris la voiture pour la ramener sur les lieux. mais depuis longtemps, l'homme avait disparu, la dame aussi.

Elle n'avait jamais officiellement fait du sport mais à l'école, elle s'était révélée une véritable athlète par rapport à ses camarades. Plus tard, sur la plage, elle avait failli battre à la course le frère de son mari qui n'en était pas trop fier. Même au moment de sa vieillesse elle n'avait pas éprouvé le besoin d'aller dans un club de gym. Il lui arrivait  de faire seule des mouvements mais elle marchait, avec l'âge, la retraite, de plus en plus. Elle nageait parfois dans la piscine et faisait attention à ne pas prendre du poids pour entretenir sa silhouette. .

Pour les jeunes de son âge ? Elle s'arrangeait lorsqu'elle les trouvait sympathiques, pour les croiser dans la rue à l'heure où elle se dirigeait vers le lycée et un échange de regards, un sourire illuminaient sa journée. Quand elle les voyait, elle se sentait, sans véritable raison, tellement vivante, tellement plus forte. Le bonheur d'apercevoir la personne lui suffisait. Elle était trop timide, trop discrète pour oser plus.
La période de ses études supérieures n'avait pas été la plus désagréable. Après coup, elle la jugeait terne mais sur le moment, elle avait apprécié d'apprendre à disséquer et à analyser des œuvres littéraires, chapitre par chapitre, texte par texte... d'en découvrir les techniques.

A cause de sa timidité, elle se sentait parfois maladroite en société et était le plus souvent réduite au silence. Il lui arrivait  de rester longtemps sans ouvrir la bouche, et quand elle parlait, il semblait que ce fut par nécessité. Mais elle n'était pas faite pour le babillage insignifiant. Elle détestait les commérages. Que dire ? Qu'elle appréciait plutôt les échanges réfléchis.

Elle aimait malgré tout sa famille, mais dans l'entrainement quotidien elle ne savait comment manifester son amour.  Son mari était encore moins habile dans ce domaine et un peu trop dominateur peut-être. Elle faisait de son mieux pour dissimuler sa gêne en public. De toute sa vie elle n'avait presque jamais pris de décision tout en essayant se se maintenir dans un chemin qui lui donne des droits et faisait en sorte qu'on respecte tout de même son rythme de vie. Elle ne causait habilement que dans l'intimité ou dans un petit groupe. Mais la solitude faisait partie d'elle-même. Elle s'y sentait chez elle, en elle-même. Parfois elle se demandait aussi si c'était vraiment de la timidité car lorsqu'elle analysait les paroles des autres, elle les trouvait souvent vides.
Pourtant, elle avait connu son mari au cours d'un voyage avec une amie de faculté. Curieuse rencontre qui n'avait été approfondie que grâce à un long échange de courrier, un voyage dans sa région  et une aventure qui l'avait amenée jusqu'en Afrique !
Pour cela, elle avait pris le train et traversé l'Espagne.
Lorsque le train s'ébranla elle regarda avec intérêt le quai défiler de plus en plus vite. C'était son premier voyage seule et elle partait loin, vraiment à l'aventure. Elle trouvait amusant de voir les silhouettes s'amenuiser et disparaître ainsi que les arbres, les maisons, dans la paysage !
Tout le temps que dura le voyage, elle lut, elle parla avec les voyageurs, elle s'intéressa aux champs, aux villages, aux garde-barrière qui demeuraient, le temps du passage du train, immobiles près de leur barrière fermée.
Elle avait débarqué du ferry avec sa valise, tout étourdie, plongée soudain, sans préparation, dans un monde étranger dont elle ignorait les codes, comme l'appel du muezzin sur le minaret de la mosquée dès l'aube sale et grise, indécise entre le jour et la nuit.
Après avoir fait la connaissance de Robin elle avait, à son invitation, visité le Maroc. C'était un jeune homme déjà instruit et fier de l'être. Peu à peu d'ailleurs il était devenu terriblement cultivé tandis qu'elle-même ne s'était jamais sentie à la hauteur bien qu'elle eût les mêmes diplômes. Elle ne voyait pas la nécessité de s'instruire pour s'instruire. Dès le début elle avait constaté qu'après son père, ce jeune homme allait lui enlever presque tout pouvoir de décision. Lorsqu'elle se documentait c'était par curiosité sur une question du moment que la vie lui posait ou par plaisir. Lui semblait se cultiver pour être toujours à la hauteur ! 
Au moment des présentations dans la famille de son mari, elle avait soudain vu tous ces regards d'une nouvelle famille inconnue qui s'étaient tournés vers elle. Elle avait réprimé l'envie soudaine de rajuster sa robe, sa chevelure. La mère surtout l'observait alors elle lui sourit, un peu furieuse cependant d'être jugée sur un simple sourire. Comme si un sourire pouvait expliquer une personne. " Elle sera gentille avait conclu la mère ".
Puis il y avait eu les fiançailles, le mariage. Les choix à faire pour la vaisselle et plus tard la maison. Leurs goûts lui paraissaient ostentatoires dans ces domaines. Les siens étaient plus durs, plus nus, plus dépouillés.

Peu de temps après ce voyage, ils s'étaient mariés. Elle qui n'aimait pas trop les fanfreluches, qui détestait qu'on la prenne en photo ! Il lui avait fallu songer à une robe de mariée ! Elle n'aimait pas trop non plus les vendeuses hypocrites, capables de vendre n'importe quoi ! Comment allait-elle trouver une robe au milieu d'un océan de froufrous ? Entrer dans une cabine d'essayage, voir son corps de trois côtés à la fois, sous un éclairage impitoyable qui révélait tout, l'horripilait !
- Ça se passe comment ?  lança la dame de sa voix la plus enthousiaste derrière le rideau. Vous avez besoin d'aide ?

Après il y avait eu la séance chez le coiffeur. Depuis des années, elle se coiffait elle-même et ramenait simplement ses cheveux derrière les oreilles. Cela dégageait son visage et elle paraissait plus jeune. Elle avait horreur qu'on lui dise " vous avez de beaux cheveux " car elle ne le croyait pas. On vous posait une serviette autour des épaules, on vous penchait sur un lavabo, on faisait couler de l'eau tiède sur votre tête et on vous massait un peu. C'était une sensation agréable lorsqu'on fermait les yeux. Mais ensuite, les cheveux mollement tombés sur le sol, même si on avait la sensation de se sentir mieux, il fallait accepter cette nouvelle image de soi qui souvent vous vieillissait.

Plus tard, elle était devenue professeur de lettres modernes. Dans les établissements, il y avait parfois une mauvaise ambiance, parfois une bonne. Elle aimait cette ambiance des classes où le rire et les conversations se calmaient peu à peu lorsque le cours commençait. Sur le lieu de travail elle avait eu peu de relations à cause des enfants qu'elle devait rejoindre au plus vite mais elle en avait gardé quelques amies proches. Elle avait besoin en plus de sa famille de quelques relations rares mais profondes pour trouver un sens à sa vie. Elle était douée pour son métier et organisée. Elle évitait cependant de le prendre trop à coeur pour ne pas devenir anxieuse et donc maladroite et pour rester lucide pour sa famille.
 

Ils avaient vécu au Maroc et les souvenirs qu'elle en gardait n'étaient pas toujours les mêmes que ceux de son mari. Elle en avait de bons, elle en avait de moins bons comme la poignée de main d'une relation qui était aussi molle que moîte. Elle avait ressenti comme un malaise et eu l'impression de serrer un poisson mort. Mais  le thé à la menthe que l'on boit dans le Sahara sous la tente ou sous les étoiles du désert restait parmi les moments appréciés après coup. Après coup ? A cause des mouches sous les tentes qui s'agglutinaient sur les enfants boutonneux. A cause de leurs traditions; on ne refuse pas un thé même si à la maison un bébé hurlant de faim vous attend.
Le soleil africain colorait de couleurs plus vives qu'en France, les façades et les paysages. Trottoirs et terrasses regorgeaient de monde, surtout d'hommes, en fin d'après-midi : passant oisifs qui se tenaient la main, vendeurs de billets de loterie, d'eau, cireurs de chaussures. L'habillement européen se mêlait aux djellabas dans un monde attaché à ses racines et perturbé par la façon de vivre occidentale... On recevait les gens en les faisant asseoir devant un grand plateau en cuivre martelé.
En bord de mer, lorsque le soleil dépassait les collines, la mer plus bas était couleur turquoise. Elle ramassait le sable granuleux et le laissait glisser lentement dans son poing presque fermé. Les gosses attendaient les touristes  pour plonger dans l'eau dès leur arrivée et ainsi essayer de grapiller de la menue monnaie.
Elle avait commencé à apprendre à photographier. Mais Robert n'était jamais satisfait. La beauté pourtant jaillit parfois par hasard et s'il remportait des concours, elle avait eu sa gloire et même une bonne place pour un reflet dans l'eau qui rappelait presque une peinture.

Pourtant, elle avait été tellement perturbée par cette nouvelle vie que ses règles avaient disparu au point que le gynécologue l'avait déclarée enceinte. C'est ce qu'elle réalisait aujourd'hui. Elle n'était pas enceinte mais perturbée et plusieurs médecins avaient affirmé que ce n'était pas inhabituel dans les cas de stress extrême. Quelques mois après, avait-elle perdu le bébé ou le médecin s'était-il trompé ? Elle ne le saurait jamais avec certitude. Il régnait une atmosphère tranquille à l'hôpital. On l'examina, et ce fut son premier curetage.
Robert la suivit jusqu'à la porte en verre opaque, il accompagna le chariot, lui serra la main, l'embrassa. Tous ces gestes pour lui dire : " Je t'attends " avec un regard intense. Le médecin persista à dire que c'était une fausse couche, qu'elle avait eu de la chance que l'hémorragie lui avait été épargnée et qu'il pouvait l'aider à accoucher d'une dizaine d'enfants !!! Elle était jeune en effet. Elle pourrait bientôt tenter une nouvelle grossesse. Jamais il n'avouerait s'être trompé ! Elle reprit sa vie un peu réconfortée mais perturbée et partagée. Ne plus souhaiter de grossesse ? Ou au contraire avoir un enfant assez rapidement? Même si celle-ci devait perturber ses études. Elle opta pour des études moins difficiles et se consacra à la venue d'un vrai bébé. Le doute sur la viabilité de l'enfant l'obligea à des soins certainement inutiles et dangereux. Ne risquait-elle pas un cancer plus tard ? Pour le moment elle n'y songeait pas et ne pensait qu'à la venue d'un bébé.

La pensée de cet enfant, qu'ils n'avaient pas vraiment voulu alors parcequ'elle n'avait pas encore son CAPES... et qui n'était pas arrivé à terme, l'avait bouleversée. Elle y pensait sans cesse et avait changé son principal objectif. Elle avait été réellement enceinte l'année suivante.
Sa belle-sœur disait que lorsqu'elle avait été enceinte, la respiration calme de son mari à côté d'elle lui semblait une injustice. Comment pouvait-il ronfler tranquillement alors que la grossesse la rendait nerveuse et lui montrait la solitude de la femme dans cette épreuve. N'était-ce pas aussi son bébé à lui ? pensait celle-ci? Pourtant, Dana, elle, devait admette que bien souvent c'était son mari l'angoissé qui ne dormait pas !   Son ventre s'arrondissait comme un énorme globe terrestre et elle essayait d'imaginer l'enfant, nageant dans le liquide amniotique, dans le noir absolu. Peut-être suçait-il son pouce ? Elle en était au huitième mois et elle était déchirée ente la hâte et la crainte de l'issue.
- C'est vrai qu'on en a marre quand le terme approche répétaient les clichés. Pourtant dans ces moments-là, elle avait été si heureuse, si épanouie.

Elle avait connu le côté serviable de Robert qui était peut-être aussi une petite mise en valeur personnelle... Et son côté taquin ! Tantôt il était plein de prévenances, tantôt il lui faisait de la peine sans vraiment le vouloir peut-être en se montrant supérieur en tout et en  affichant plus d'amitié que nécessaire à d'autres !
Elle constatait une chose étrange. Au début, elle avait cru, tout ce qu'on disait sur les femmes enceintes, sur l'allaitement : " si le bébé ne tête pas bien, le lait ne montera pas !! " . Elle pensait que très vite, elle éprouverait des sensations étranges. Elle s'était concentrée sur sa lutte tout au long de l'accouchement. Or, elle ne sentait rien de spécial, rien d'angoissant. Elle avait seulement la certitude du fait, une conscience physique de la vie qui commençait à se développer dans son corps et les réflexions qu'il suscitait en elle ne ressemblaient en rien à ce qui se disait.  Sa poitrine s'était un peu alourdie et un grand bonheur l'envahissait peu à peu. Après la naissance, elle approchait avec délectation le bébé de son mamelon...

Deux curetages pour fausse couche ! Ce n'était pas possible. On vénère les médecins, mais ce sont des humains avec des défauts. Réflexion faite avit-elle vraiment eu ces débuts de grossesse. C'est ce qu'affirmaient les docteurs ! Mais ce retard des règles pouvait être dû aussi au choc d'une nouvelle vie : mariée, changer de pays, vivre dans un pays surprenant, commencer à travailler...

Lors de la première échographie, je me suis retrouvée dans une petite pièce. le gel sur mon ventre me transmettait une sensation de froid.L'instrument descendait vers le bas de mon ventre. J'avais alors pour la première fois pu voir l'embryon, pu entendre ses battements cardiaques. On me tendit  un long morceau de papier pour essuyer mon ventre couvert de gel. Fier de la maman et du futur bébé, Robert avait désiré voir son enfant venir au monde. Il voulait être là pour l'accueillir. Dès la première naissance, mon mari avait su s'y prendre avec le bébé, d'instinct. Et il avait toujours beaucoup participé, bien plus que ce qu'on attendait d'un homme français à cette époque-là. C'est plus tard en France qu'il avait pris des airs plus distants, plus dans le temps, à cause de ses frères. Mais la famille c'était la famille ... !
Ce premier bébé avait les yeux vifs et sombres, un regard qui demandait des droits. C'était un petit être potelé qui passait ses journées recroquevillées contre la poitrine de sa mère.

J'avais voulu accoucher en France pour diverses raisons. Il n'y avait qu'une seule couveuse, par exemple, à Meknès. Mais aussi, je tenais à ce que l'enfant naisse sur le sol français. Mon mari était retourné au Maroc, alors je passais des heures entières avec mon premier bébé, ma première fille. J'avais alors été très présente pour ce bébé comme jamais elle ne pourrait l'être à aucun autre moment de sa vie. Et j'éprouvais le sentiment d'être à sa place, d'exister, un sentiment de plénitude peut-être.

Après la naissance de ma fille aînée, tandis que mon mari travaillait au Maroc, j'étais retournée chez ses parents. J'avais attendu ce premier enfant, tout éclairée d'un bonheur qui semblait émaner de moi pour la première fois de façon si complète.J'éprouvais un sentiment étrange à l'idée de remettre les pieds dans la maison de mes parents. On aurait dit qu'en plus de leur caractère habituel plutôt dominateur ou taciturne, ils avaient oublié qu'elle avait grandi. Ils recommencèrent à me donner des conseils, voire des ordres comme si j'étais une enfant. Quelques jours avaient suffi pour que je réalise aussi pourquoi j'avais été si pressée de quitter ma maison natale. Mon père surtout me rendait de nouveau folle. Et encore c'était un doux euphémisme. Rien de ce que je faisais n'était bien. Pas même pour le bébé ! Le bain devait durer plus longtemps, c'était un plaisir pour l'enfant. Je la couvrais trop, pas assez. Elle ne mangeait pas assez... Il n'y avait pas de fin à la liste. Quant à ma mère, elle parlait de mon mari comme s'il m'avait enlevée !

A la fin de ma première grossesse, j'avais voulu renouerer avec mes parents, revoir les lieux de mon enfance, et cela avait été un échec. Je n'avais rien retrouvé de tout ce qui dans mon enfance et mon adolescence, était encore supportable à mes yeux.

Je savais que je ne supporterai plus les ordres, les façons de vivre, les conseils... Ce n'était pas à l'époque à cause de ma mère. Seulement faire un si long voyage,  et être reçue comme des étranagers gênants, c'était difficile à supporter. Non ils n'avaient qu'à l'accepter telle qu'elle était. Je me contentais de plus en plus d'être moi-même. Peu de gens aimaient mon père. Pourtant parfois il savait se montrer gentil avec moi.  Certains disaient même qu'il leur faisait peur comme sa belle-mère autrefois. Mon mari bien sûr ne s'était pas entendu avec lui !

Les problèmes sérieux étaient venus finalement plus tard dès la seconde naissance.
Pour accoucher lors de la naissance de ce deuxième enfant, j'étais retournée en France. Après les fêtes de Noël, au Cap d'Agde, mon mari était retourné au Maroc et j'avais vécu au Cap, seule avec ma fille aînée. Un matin, je ressentis  plusieurs fois une douleur aigüe et n'ayant pas le téléphone, étant isolée dans une ville morte, je dus aller à la station service du Cap pour téléphoner au Maroc et avertir son mari. J'étais inquiète d'avoir à accoucher seule. Qu'aurais je fait de ma fille aînée? Mes charmants parents avaient refusé de venir de Marseille pour la garder.
- " Nous ne voulons pas te servir de bonniche " avait écrit sa mère !  Sous la dictée bien sûr de mon père. Mais elle était venue après la naissance de la seconde fille. Alors que ce n'était plus utile et presque gênant puisque mon mari était arrivé à temps du Maroc après mon coup de fil.
 Deux jours avant la naissance, le médecin s'était montré rassurant et m'avait même proposé de me garder en clinique car le terme approchait et j'étais seule pour conduire dans ma condition. Restait le problème de la fille aînée que le médecin aurait accepté de recevoir aussi.
 Mais finalement mon mari était arrivé à temps pour l'accouchement. il avait voyagé dès mon appel à la station service. Avait rembousé le coup de téléphone au gars un peu ronchon qui avait été retardé pour partir à la chasse. Et puis un coup de téléphone au Maroc, n'était pas pour lui plaire, ni pour le rassurer.

Mais mon mari avait dû repartir pour son lycée. C'était l'hiver, le Cap était vide. La courageuse fillette âgée seulement de 3 ans et quelques mois, me faisait quelques courses oubliées, pour m'éviter de sortir trop souvent le bébé.


Mon aînée, a été courageuse mais peu à peu jalouse. La tête appuyée sur le rebord du berceau de sa sœur elle dit un jour :
- Pourquoi l'avez-vous appelée Isabelle, elle n'est même pas belle !
Par moments notre fille aînée se montrait irréductible, comme lorsqu'elle avait refusé d'apprendre l'anglais avec moi. Mais là, face à sa soeur, cela devenait de l'hostilité muette. Pour l'instant en tout cas, la jeune Isabelle n'était encore qu'un bébé très potelé, agréable à voir et à embrasser, dont la croissance se déroulait sans encombre.

Penchée sur l'espèce de petit scarabée, le regard de Corinne était suspicieux. En grandissant, chacune voulait l'amour exclusif de ses parents. Pourtant pour moi, les regarder vivre fut encore un moment de bonheur. Et le bébé était bien mignon. Si Corinne était brune, fine de visage et vive, j'aimais tellement les  petits points dorés qui, cette fois, pailletaient les yeux de bébé, à dominante verte comme ceux de mon père, ( il était spécial mais beau !! Un souvenir enfin agréable transmis par mon père ?)  comme ceux d'un des cousins de Robert. La petite blonde avait une autre beauté, moins fine, moins vivre, elle était plus câline, plus rayonnante.
Pendant ce court séjour au Cap d'Agde, j'ai découvert la télé avec ma fille aînée. Au Maroc il ne pouvait en être question. Au Cap nous en avions acheté une que nous avons ensuite laissée à mes parents. Ils sont d'ailleurs devenus accros et lorsque nous avons voulu la récupérer, il nous a fallu leur en acheter une !

Corinne a très vite été attirée par le générique d'une émission de l'époque, "l'île aux enfants" :
" Voici venu les temps des rires et des chants... "

Par contre en athlétisme, elle s'était rouillée. Après les grossesses, elle n'avait plus de points de repère.
- Je dois faire maintenant une bonne demi-heure au cent mètres ! Je ne me suis jamais entraînée avec régularité, mais j'avais tout de même, dans beaucoup de domaines, l'impression de me mouvoir plus facilement que bien des femmes de mon âge.

 

Après avoir travaillé des années au Maroc, nous avons fini par le quitter. J'y ai vécu 8 ans, Robert12. Je me souviens surtout de la rampe du bateau, le dernier jour de traversée, du bruit de ferraille des voitures qui se trouvaient dans la cale du ferry. La porte du bateau s'était ouverte et une odeur de carburant avait assailli les passagers avant de laisser déverser en Espagne les véhicules formant d'abord une queue avant de se disperser sur les routes.
D'abord je m'étais inquiétée de mon devenir, de ma destination comme professeur, de mon transfert vers la région de son mari. Destination n'était-il pas un mot proche de destin ? Comme professuer de collège, j'avais choisi la Corrèze, peu demandée et proche du village de Robert. De plus le département n'était pas très grand, cependant j'étais inquiète et j'avais raison. Je fus nommée pas loin de la Creuse !

 Je suis allé vivre avec mon mari dans son village du Sud Ouest. Les conversations nous semblèrent un moment insipides car elles tournaient autour de préoccupations qui nous éhappaient sur le moment.

Puis vint le 3 e enfant. Je rêvais d'un garçon après 2 filles. Pourquoi ? Pour changer, pour l'inconnu que cette nouvelle éducation annonçait. Certains disaient que le garçon serait plus câlin ?  Et puis, je sentais les allusions non dites franchement : un fils ! Naturellement voilà ce que tout le monde souhaitait dans ce monde encore régi par des lois ancestrales. De jolies filles, c'est bien, mais surtout un fils transmettrait le nom, aiderait aux travaux. Bref, deux filles dans le village, cela résonnait comme une humiliation. Etait-ce dans ma tête? Pas certain. Mes deux filles étaient bien mignonnes, certes !
- Il est sorti ton bébé avait dit la plus jeune petite fille, le jour de la dernière visite chez le gynécologue ? Cela m'avait fait sourire.

A la naissance du troisième,un garçon, à son arrivée à la maison, les filles s'étaient assemblées autour du berceau, curieuses, intéressées, mais tout de même vaguement déçues. Impossible selon elles de tirer le moindre agrément de cette chose vivante qu'il était interdit de toucher!

L'aînée n'avait rien dit mais à cause de l'émotion en avait fait pipi sur le lit même de l'hôpital la première fois et cette conséquence de son émotion et de son stress avait bien duré deux mois avant de soudain disparaître.

Le minuscule être reposait sur sa poitrine, la tête inclinée contre sa mère, il dormait d'un sommeil profond et paisible après sa tétée et sa petite bouche remuait encore parfois. Tous les trois avaient rapidement fait leurs nuits paisibles au contraire de moi bébé. Mes parents m'avaient dit qu'ils ne me supportaient plus tant je pleurais, mon père surtout !! Les nuits entrecoupées de tétées sont certes fatigantes, le sommeil ne revient pas tout de suite. Mais lorsque la maman est calme et sait détecter les problèmes, tout s'arrange très vite. Il ne faut pas supprimer la tétée de la nuit. L'enfant calme la supprime très vite de lui-même.
Je saisissais mon bébé, le soulevais au-dessus de ma tête et le tenais suspendu. L'attitude avait l'air de lui plaire; il cessait de pleurer s'il s'agissait de la faim ou d'un cauchemar, ou alors il était malade. Presque tout problème a sa solution. Je le faisais voler un moment, nous jouiions à l'avion jusqu'à ce qu'un sourire éclaire son visage maussade. Dans les moments les plus terribles, je le couchais sur son ventre un moment et il s'endormait comme ses soeurs au même âge.

Devant mes petits, je pensais à mes parents. Comment avaient-ils réagi en sachant que j'avais 3 enfants, eux qui n'en avaient eu qu'un et qu'ils l'avaient confié à une tante ? Mon père reprendrait le dessus sur ma personnalité, jugerait ma façon de les élever !!! et ma mère qui avait toujours été très distante avec moi, enfant ! Je voyais mal comment, alors qu'elle avait toujours été une mère froide et inaccessible, des petits-enfants auraient éveillé en elle les sentiments affectueux d'une grand-mère. Je l'imaginais d'une raideur peu naturelle se contentant de les serrer dans ses bras lorsque la situation l'exigerait. L'amertume et l'incompréhension resurgissaient en moi régulièrement, mais je la contenais. Dans ces moments de pessimisme, j'avais peur à chaque naissance de ressembler à cette mère et de ne pas être à la hauteur. Quand on n'avait pas connu les câlins d'une mère, pouvait-on être capable d'affection visible?

A chaque naissance, je gratifiais les visiteurs du grand sourire des jeunes mamans comblées.  C'était l'usage, non ? Mais j'avais aussi durement réagi au poids que je prenais alors. Heureusement, chaque fois, les kilos s'étaient envolés avec une rapidité surprenante à mes réactions actives, énergiques et rapides; sauf lorsque j'avais pris de l'âge et surtout après mon opération de la vésicule. Mais en dehors des grossesses, je ne m'étais plus jamais autorisée à grossir surtout après des maladies. J'ai toujours gardé la hantise de prendre du poids. C'était d'ailleurs grâce à ma minceur que plus tard je découvrirai moi-même mon cancer des ovaires. Dans ce domaine j'ai fait preuve d'une grande force de caractère.  Mes cheveux aussi avaient été modifiés par les grossesses ou par l'âge. Ils avaient foncé au cours des dernières années.

Malgré le bon poids de chacun de mes bébés, ils me paraissaient si fragiles à la naissance. Je n'avais jamais crié au moment de l'accouchement... Et je les avais tous nourris au sein. Ensuite, à une époque où le biberon était devenu à la mode, j'avais surpris toutes les autres jeunes femmes par mon envie qu'elles avaient peut-être crue viscérale d'encore une fois nourrir au sein. Mais il était prouvé que c'était mieux pour le bébé, alors je le faisais,  surtout pour eux. Ensuite, je pris l'habitude de leur lire une petite histoire. Je n'ai jamais été très grande, surtout devant les nouvelles générations et mon petit corps semblait plus athlétique que gracieux. mais peu m'importait. J'aimais me sentir à l'aise dans mes vêtements. Si je n'étais pas ravissante, j'étais pleine de vie et tous s'étaient alors rendu compte à quel point c'était important pour moi. Mais la vie ordinaire m'avait déjà m'emportée dans son sillage. Les grossesses, le travail...

Dans la nuit, d'ailleurs, lorsque j'étais sur les nerfs ou épuisée, je lisais un moment. Après, je finissais par me rendormir, car j'oubliais. Tandis que mon mari lorsqu'il avait des moments d'insomnie, écoutait la radio...

J'aimais out de même l'automne dans cette région, lorsque les tempêtes ne faisaient pas rage, bien sûr.  C'était la saison la plus plaisante parce que le beau temps y durait et le soleil réchauffait encore bien. C'était la saison la plus belle aussi parce que les fleurs résistaient parfois et les feuilles prenaient des teintes rouges, marron, dorées et s'envolaient doucement aux premières brises légères du jour... C'était la belle saison des randonnées avec les amis.
Le village était magnifique en hiver aussi, lorsque les maisons de pierre et couvertes d'ardoises étaient enfouies dans toute la blancheur de la dernière neige tombée. Mais peu à peu la blancheur de la neige a disparu totalement, avec le réchauffement climatique. Mon enthouisiasme des débuts s'est anéanti par le changement de vie, par l'aridité de l'hiver, par la chaleur insupportabe l'été. Pourtant, avec la chaleur, quand tout le monde se plaignait, je sortais seule, je s'épanouissais enfin !
J'avais découvert une autre nature. Je trouvais du plaisir à me promener, mais pas seule, en famille, avec des amis ou au moins avec un chien..
. C'était le côté le plus positif de cette nouvelle vie au milieu des oiseaux, des lapins, des champignons. Je me retrouvais environnée par les bruits de la campagne : pépiements, ronronnement des machines agricoles, vibration d'une lointaine tronçonneuse, je pouvais voir contre leur clôture les vaches du beau-frère qui tout en ruminant, me regardaient tandis que moi-même, je les observais... Ma seule crainte étaient les vipères, Ces animaux me révulsaient, mais dans la région il n'y avait parait-il presque que des couleuvres, rares étaient les vipères.  Comment les distinguer quand on voyait un serpent se faufiler entre les herbes et dans l'urgence ?  Au début comme les petits plus tard, j'avais avait appris à marcher lourdement dans les bois épais afin de faire vibrer le sol, à éviter les grosses racines à fleur de terre....Puis j'avais oublié avec le temps.
Quelques moustiques me piquaient aux premières chaleurs, mais au-dessus tournoyaient les chauves-souris dont le vol haché s'inscrivait en zigzags dans le ciel du soir; c'était bien, puisqu'elles mangeaient les moustiques. 

Par contre en famille je me retrouvais de nouveau écrasée. Le retour en France, dans une région que je ne connaissais pas, a été pour moi, un changement radical. J'avais très vite réalisé que quelqu'un qui n'était pas de ce village, était un étranger ! J'avais du mal à supporter la moindre nuance de moquerie. Or, les gens de cette région, ont un humour décapant. Ce n'est pas que je n'avais pas du tout le sens de l'orientation comme le croyait mon mari, c'était plutôt que j'avais tendance à ne pas faire attention à la route quand il conduisait ce qui était très souvent le cas et puis, je n'étais pas née dans ces lieux où, tout, au début paraissait étrange ! Même le vocabulaire était différent. Les pignes de pins étaient devenues des pommes de pins et parfois même j'avais du mal à comprendre leur langage fortement teinté de la langue d'Oc locale.

Mon beau-frère avait, dès le début, joué un peu au macho. Il m'avait taquinée ou était-ce vraiment ce qu'il pensait ? Il était persuadé de courir plus vite, de mieux monter à cheval ou de me gagner au ping pong. Il n'avait pas toujours gagné ou parfois de justesse. Il avait eu peur pour moi lorsque les chevaux étaient passés au galop avait-il dit ! Moi pas. Il m'avait gagné vraiment de si peuà la course sur le sable du Cap d'Agde, au cours d'un séjour de vacances, mais il avait vraiment dû se forcer! Et avec les ans, il avait refusé de jouer contre moi.

Elle était fille de lumière, de soleil. Dans le village de son mari le froid l'avait pénétrée et s'y était peu à peu installé. Le ciel était trop souvent chargé de nuages paresseux. La pleine campagne, les oiseaux, les lapins, du début ne lui suffisaient plus. Il lui manquait le vol et le cri des mouettes. Elle avait à sa propre surprise besoin de l'air marin, du goût du sel sur ses lèvres. Malgré le chauffage central certains soirs d'hiver après le travail de la journée, les impératifs de la maison, de la famille, la seule chose qu'elle trouvait à faire était d'aller se coucher bien emmitouflée et de lire en se recroquevillant.
 L'hiver le feu brûlait dans la cheminée, la pièce à vivre était aménagée en bureau. Deux fauteuils de cuir, plus tard auraient dû attendre pour soulager leur vieillesse. Mais Robert les avait déplacés au salon, cette grande pièce froide qu'elle n'aimait pas.
Dans le bureau, une grande fenêtre donnait sur le jardin et tout au loin dans la vallée sur les toits gris du village. Un tilleul masquait la façade de la maison et Robert avait érigé un petit mur de pierre tout autour de la pelouse.

L'agencement de la maison qu'elle avait accepté pour l'instant n'avait que des fauteuils en paille, sa tourelle et ses cheminées ne réchauffaient qu'illusoirement une atmosphère globalement froide et poussiéreuse, due à l'épaisseur de la pierre nue.

Mais dans l'ensemble une vie nouvelle, c'est d'un seul coup un bouleversement, une page qui se tourne, une nouvelle lumière à suivre qui nous montre le chemin. Un petit bébé de plus dans une nouvelle maison, dans un nouveau pays et tout est chamboulé. Apparition des paquets de couches, des pleurs, plus tard des biberons. Cinq mois, la première dent, cinq mois plus tard les premiers pas, les premières bosses. Il a faim ! Il veut un biscuit, il a soif ! Et déjà c'est Noël, La maison est décorée, un bon feu crépite dans la cheminée.  et les premiers films demandés.
- Oui si tu as fait tes devoirs ??? 
Le soir, elle leur lisait à chacun une histoire.

La vie durant cette période, vous apprend encore plus que les moments de bonheur peuvent être courts, qu'ils peuvent s'arrêter d'un seul coup ! Au Maroc, Robert s'était montré souvent le plus exquis des compagnons. Il l'avait emmenée partout. A travers lui, la vie avait pris sa couleur, sa forme. Il lui avait appris beaucoup de choses... Maintenant non seulement il n'était pratiquement plus avec elle. La famille, ses pensées, l'avaient repris, les enfants même l'avaient accaparé un peu et surtout son travail, son besoin de réussir, de se faire, je dirais, admirer. Il faudrait que les femmes  se surpassent en permanence pour sortir des clichés qui les ont formatées. Si un homme est passionné, il se consacre à sa passion. si une femme est passionnée, elle doit d'abord lutter pour oublier son éducation, le regard des autres.  Si elle doit penser au ménage, aux enfants, de nos jours à son travail aussi, elle ne peut se concentrer comme un homme qui délègue facilement les options secondaires à leur objectif.                                                                                                                                                                     .
 Ensuite s'étaient ajoutés les tracas naturels dus aux enfants.
- Maman je me suis fait mal. Tu as un sparadrap ?
Elle fouille partout avec des gestes désordonnés.
- Allez, mets tes chaussures.
Et l'enfant secouait la tête violemment, désireux de se faire dorloter alors qu'elle était pressée par le départ au travail.
- Je ne sais pas le faire, tu m'aides.

- Mais si tu sais. L'autre jour tu les as mises toi-même.
- Non je ne sais pas, je suis petite.

Six ans, on perd ses premières dents. C'est avec un joli sourire édenté qu'on récite ses leçons aux parents quand ce n'est pas avec des larmes.
- La télé est interdite surtout au moment des devoirs.
La vie suivait son cours. Des animaux venaient compléter le noyau familial. On disait que la présence d'animaux de compagnie aidait à soulager le stress, à l'éducation et au bonheur des enfants. Il y avait eu la chatte, les chiens, les tortues, les oiseaux gagnés dans une foire, les cochons d'Inde, le cadeau de Noël qu'elle avait rêvé faire à sa fille aînée et qui était devenu le cadeau d'une tante, les poissons rouges et même le lapin que sa seconde fille avait souhaité pour sa chambre d'étudiante..

Dany en soupirant posait le tout petit qui se trouvait dans ses bras et qui se mettait à ramper, à partir joyeusement en exploration et à se salir ! Lorsqu'ils arrivaient à la voiture :
- Je veux être devant disait l'aînée
- Assied-toi sur ton siège finissait par rugir Robert.
 Chacun volait à sa place, bouclait sa ceinture avec un peu trop de brusquerie pour les uns et un timide et enjôleur  " maman " pour les autres. Tout dépendait du jour...
Ils étaient assez sévères tous les deux. Difficile de gérer 3 enfants et de travailler, tenir une maison. Mais Dana était fière d'eux. Sans doute qu'ils ne le savaient pas, mais entre amis il lui était difficile de ne pas vanter leurs mérites. Elle contournait les difficultés rencontrées en songeant que les petites révoltes étaient normales. C'était l'apprentissage de la vie sans les parents !

Il fallait faire l'effort, essayer d'être là pour tous, leur donner à chacun le temps et l'attention qu'ils méritaient. Les filles pensaient qu'elle se faisait moins de soucis pour elles que pour le garçon.  Elle les aimait autant, même si cet amour s'exprimait moins concrètement car le garçon était plus petit.
Pour le reste, elle aurait dû être plus stricte aussi et exiger qu'ils rangent leurs affaires. En fait, elle ne l'exigeait que le mercredi qui était son jour de ménage.

Au Maroc R. était chaque jour avec elle et presque pour elle. Il avait lui-même décoré son séjour ( C'était normal, elle était arrivée après son installation. ), s'était tout autant qu'elle occupée des aînées des enfants. C'était un hommequi allait toujours de l'avant: il avait des projets, excursions, voyages. En France il était différent, plus pessimiste comme si les  les rêves, les jeux lui paraissaient vains.
 Mais là ? C'était devenu pour elle comme toute leur nouvelle vie, la preuve de l'ascendant de R. sur tout ce qui l'entourait.  Il avait bon goût, et même un goût exquis. Il en était lui-même persuadé. et elle avait rarement participé à la décoration de leur maison. Il savait harmoniser plantes tableaux, meubles... Même l'apparent désordre parfois était soigneusement étudié.
En France son mari avait été repris par sa famille, ses amis. Son bébé à lui, était désormais son village, sa communauté, son patrimoine. Elle avait l'impression d'étouffer dans ce village. La parité était loin d'y être totale. Elle aspirait, elle aussi à une occupation personnelle. Mais c'était pour elle moralement impossible. Le travail lui prenait déjà beaucoup de temps. Et à la maison, c'est elle qui vérifiait les devoirs, qui notait quand les vêtements des enfants étaient trop petits, quand il fallait préparer le goûter, songer aux vaccinations ou aller chercher un essuie-tout pour essuyer la morve qui coulait avant qu'ils ne se frottent avec leurs manches.
 Son village, ses activités, ses loisirs ... elle ne tarderait pas à s'arracher les cheveux sinon ... Mais R. pourrait-il l'aider assez ? Les hommes de la génération avant lui, les hommes qui étaient restés au village ne changeaient pas leurs bébés. Lui avait progressé dans ce domaine, au Maroc, mais face aux autres ? Un tel virage ne se fait pas en un tour de main.  Les pères servaient de modèle, ils influençaient les fils. Il faut du temps pour que les esprits changent et que les choses avancent.
Même au volant d'une voiture, alors qu'elle conduisait depuis des années pour aller au travail, il fallait qu'elle cède la place et il fallait même laisser la place à côté du chauffeur pour un frère, pour sa mère. Pourquoi ? Pour la paix des ménages, pour sa famille et ses préjugés. L'égo des hommes de la région était tellement fragile. Par exemple, Robin ne jugeait pas vraiment comme ses frères les tâches ménagères indignes d'un homme. Cela semblait lui convenir mais pas devant sa famille ! Seulement quand il était libre de leurs regards. Alors il se montrait formidable de maintes façons. Sans se plaindre il faisait sa part de travail et une assez grande part, à la maison, et partageait naturellement avec Danny la responsabilité des enfants. Le problème c'est qu'il n'était pas souvent libre. Disons aussi que lorsqu'il décidait pas de partir en voyage avec des élèves par exemple, elle devait tout faire et à elle, il ne serait jamais venu à l'idée de laisser les enfants.  Alors qu'elle refusait les heures supplémentaires, les accompagnements pour sorties scolaires, lui les recherchait et plus tard, à l'arrivée des petits enfants il ne s'est presque plus senti concerné.
Comme beaucoup de personnes qui n'étaient pas nées dans ce village, elle était et elle se sentait considérée toujours comme une étrangère et elle n'était pas à l'aise. Elle vivait avec l'impression que dans le village, elle n'était pas considérée comme une personne à part entière, une entité séparée  avec un esprit bien à elle. Elle était, lorsqu'elle existait dans l'esprit des gens, comme un appendice de son époux !
La vie en famille ! Dana commençait à comprendre. Elle avait du mal à participer aux conversations à table, lors des repas de famille. Elle y était très mal à l'aise et gardait le silence. Comme chez elle autrefois, il n'y avait pas de grandes démonstrations d'affection dans cette famille. Cette foule de parents, comment s'y reconnaître ? Comment mettre des noms sur tous ces visages ? oncles, tantes, cousins. Comme ils étaient nombreux pour elle dont le père s'était pratiquement fâché avec toute sa famille.

Il lui était même arrivé dans sa fièvre silencieuse, dans sa rage de faire la vaisselle pendant que les messieurs bavardaient, jouaient aux cartes, de casser un verre de cristal d' Arques. Certains membres de la famille lui avaient même paru arrogants. Ce n'est que bien plus tard qu'elle avait compris leur besoin de se montrer au-dessus du niveau de leur petite ferme et d'essayer de prouver que tous étaient capables d'autre chose et même peut-être de se comparer à son mari qui lui s'était sorti de ce milieu. Sa belle-mère lui avait même reproché de ne pas se mettre en valeur. Mais elle avait réussi à continuer de se couper les cheveux elle-même.
Me mettre en valeur pensa Dana. C'est la dernière chose dont j'aie jamais eue envie. Elle avait tout chamboulé dans sa propre vie, et lui ?

Elle se trouvait cernée par la banalité typique d'une région qui ne la concernait pas.  Les discussions se résumaient à échanger des commérages et elle devinait qu'elle en était l'objet dès qu'elle tournait le dos. Elle cherchait son mari du regard dans l'espoir d'un dérivatif à ses angoisses solitaires au milieu de ce peuple, mais lui retrouvait avec aisance son milieu. Elle, elle ne savait pas comme lui se cacher derrière un appareil photo et elle ne savait pas s'adapter à des conversations qui n'en étaient pas, des conversations dépourvues de sens pour elle, qui n'étaient souvent que des clichés locaux sur la nourriture, les boissons, les voisins. Dans les fêtes, elle se sentait mal à l'aise au contact d'une foule qui au contraire exprimait sa joie sans retenue. Elle cherchait à se donner un semblant de contenance. Elle se repliait dans un profond silence. Elle se glissait discrètement dans la pièce, cherchait un lieu, une position où patienter jusqu'à la fin de ces fichus rassemblements. Y avait-il une meilleure tactique ? Elle n'avait aucune intention de détourner l'attention de quiconque à son profit.

Heureusement elle pouvait se pencher pour caresser la tête du chien quand il y en avait un, et le gratter derrière les oreilles. Un passe temps comme un autre ! Elle aimait beaucoup les chiens, tous les animaux d'ailleurs. Ils étaient plus naturels que les humains. Ils étaient animés d'une envie passionnée de plaire. Elle pouvait lire leur adoration dans leur regard et le plaisir sans mélange qu'ils éprouvaient à courir, à ce qu'on s'occupe d'eux. Devant leur regard implorant il eut fallu être de pierre pour ne pas les caresser et de plus elle avait tellement envie d'autre chose que ces conversations codées dont elle ne connaissait pas le code. Mais elle était parfaitement consciente que n'entrant pas dans le jeu, la conversation languissait autour d'elle. Plus loin au contraire fusaient les remarques spirituelles, les vantardises aussi. Une autre chose la chagrinait : cette manie des gros repas, l'étonnement lorsqu'elle refusait poliment, si possible.

Il n'y a rien à faire, on reste toujours d'où on est. Au bout du compte seuls restent les parfums de l'enfance. Sans parler du soleil.
Dans les ports, le bruit des drisses qui cognaient contre les mâts, les barres de flèches qui se tamponnaient les unes les autres... se retrouvaient au Cap, à Marseille et lui manquait. Ce cognement métallique qu'on entend quand le vent porte . On dirait un orchestre incapable de s'accorder. On se promenait sur les pontons, sur la jetée...sauf les jours où le vent trop fort rojetait des paquets de mer sur la digue. Elle aimait observer les mouvements de l'eau, des bateaux.
 

Les retours vers la Méditerranée étaient pour elle l'occasion de rester par moments à contempler la mer, les bateaux amarrés ou non. Et quand elle regardait la mer, elle ne cessait de penser à cette lumière et cette beauté perdues. Ces journées-là étaient le plus souvent magnifiques et le clapotis de l'eau avait toujours quelque chose d'apaisant. Aussi la vue de la mer et celle de la ville de Marseille la rendaient-elles  un peu triste. Elle ne regrettait pas sa vie là-bas, mais le temps passe et creuse en elle un vide douloureux celui créé par le manque de lumière. Bien sûr il y avait de belles choses dans leur village, il y avait les enfants, leur vie.
La mer qui résonnait à quelques mètres, les vagues battant les rochers, le ciel bleu intense, les mouettes qui descendaient en planant et frôlaient l'eau à la recherche d'une proie... l'air et le sable chaud, la voûte lumineuse, l'eau léchant amoureusement la plage avec son clapotis régulier lui donnaient l'occasion de faire des cures pour en garder longtemps le souvenir l'hiver, dans sa campagne. Le grand avantage de la mer était qu'elle pouvait passer des heures à la regarder, sans se lasser. Nourrie par l'arôme suave : l'odeur des pins, des jeunes bourgeons  au parfum puissant; les nuées de mouettes qui passaient...
Les néons de la grande roue installée soit sur la plage, soit au vieux port clignotent.

Les souvenirs se perdent dans le mouvement perpétuel, passant à travers vous sans laisser de traces. Simple, cruelle, égoïste, elle agit comme un analgésique. Pourtant, Dana commençait à aimer leur village, cette nature à la fois calme et sauvage.

En allant au cap d'Agde, un jour, ils eurent un accident. Le père avait porté un certain temps une minerve, la mère avait été immobilisée plus d'un mois à cause d'un sérieux tassement des vertèbres et.les enfants n'avaient eu que des contusions. Chien et enfants avaient été projetés en avant contre les portières ou même entre les deux sièges où le garçon avait heurté violemment le tableau de bord et cassé le levier de vitesse.

Elle ne pouvait pas regretter ses amis puisque son père les avait tous faits fuir. Bon, elle pouvait toujours tremper ses tartines dans le chocolat. Et lorsque l'intégration est nécessaire, elle est si lente. Après leur vie au Maroc tout devenait étrange : les films à la télé, les conversations, le vocabulaire. A la sortie des classes, dans la cour remplie de parents qu'elle avait du mal à supporter, elle fuyait la familiarité. Au début les repas avaient été un problème. Elle se revendiquait Provençale, lui Lotois. Il confondait les poivrons et les piments et avait fini par accepter les ratatouilles ou les poivrons au four sans les aimer vraiment.
Mais il y avait peu à peu de bons côté. Elle imaginait des mélanges des deux cuisines. Faire revenir les oignons, se saisir des ingrédients suivants, couper les légumes rectifier l'assaisonnement d'une sauce tout en jetant un oeil au gâteau ou à la flognarde locale dans le four était devenu un art au fil des ans... Et cette odeur sucrée qui s'élève au tout début de la cuisson des oignons, de leurs fines pelures ....
Toutes les entrées et les boissons qui circulaient et qu'on vous imposait presque. Pour les occasions, il fallait sortir les beaux verres en cristal d'Arques. Elle avait les mêms qu'elle avait eu en cadeau de mariage. Elle qui ne buvait jamais une goutte d'alcool. L'éloge des viandes cuites dans le vin ou le parfum boisé des truffes qui vous enveloppait et qu'elle ne savait pas apprécier.

Même avec des invités, elle ne buvait que de l'eau et seulement par politesse. Elle disait qu'elle n'en aimait pas le goût, elle ne buvait pas même du cidre, du vin ou de la bière.
- Je veux bien de l'eau merci.

Heureusement entre eux, la division sexuée de la maison qui s'affichait dans sa famille cessait ou semblait cesser : papa avec les hommes, maman à la vaisselle avec les autres femmes. Elle avait deux filles et un garçon.
C'est vrai que c'était lui qui prenait presque toutes les situations en main. En dehors des enfants, de l'école... il gérait tout jusque dans les moindres détails. A tel point que Dana avait démissionné en tout ce qui selon lui le concernait, et qu'elle aurait parfois été incapable de s'aviser de leur existence ! Et pourtant dans ce qui était son domaine, il fourrait son nez partout. Elle avait pris l'habitude de dire : " N'ajoute pas ton grain de sel ". Car il vérifiait même les repas, surtout quand sa famille était présente au point que tous pensaient qu'il faisait tout et alors comme il devait se sentir fier ! Et bien non, il agissait surtout ainsi lorsqu'on pouvait le voir.

Le printemps à la campagne avait été une nouveauté pour elle. Tout s'épanouissait, les bourgeons éclataient, les gens travaillaient les jardins et les terres. De minuscules fleurs pointaient entre les jeunes herbes. L'air frais apportait avec lui des parfums de pousses, de sève. Les oiseaux s'affairaient au sol. Elle réalisait l'influence de la pluie et des lieux sur l'affect.
Elle se mit à adorer les grandes baies vitrées de la maison  qui reflétaient tantôt un ciel gris sans l'attrister puisque la cheminée rougeoyait, tantôt un ciel bleu gris. Jamais pourtant le ciel lumineux de Provence. Comme elle adorait admirer la mer à Marseille, chez elle, elle admirait les flammèches et les étincelles du feu, l'hiver, lorsqu'elle avait un peu de temps. Elle se mit à adorer les promenades seule avec les chiens ou avec son fils ou les randonnées avec des amis. C'est ainsi qu'elle repoussait ses séquelles de neurasthénie hivernale. La campagne est triste en cette saison quand on n'y a jamais vécu. Elle avait besoin de se réchauffer le cœur et le corps..
Bref, tout lui semblait bizarre, même les attentions de son mari. Et puis, lui qui aimait tant faire des photos, faisait rarement des photos de famille. Elle devait s'y mettre dans ce domaine

Il cueillait chaque printemps des nèfles chez ses parents, les lavait, en ôtait lentement la queue. Il partageait chaque nèfle en deux, en tirait tout doucement le noyau luisant, divisé en deux parties comme un cœur et les premiers temps lui en offrait la moitié. Elle n'avait porté qu'une fois la pulpe orange et granuleuse à la bouche. Elle n'avait pas aimé... C'était comme un rejet du nouveau, de l'étrange, de la petitesse mesquine du fruit...

Pendant les soirées, les repas étaient parfois un supplice ! Ce n'était pas facile pour elle de se sentir sans cesse observée. Lorsqu'il arrivait à Robin de parler avec amour et envie des petits plats que lui cuisinait sa mère.... laissant entendre qu'avant c'était toujours meilleur. Il lui avait donc fallu apprendre la cuisine du Sud Ouest.

Nous habitions en haut d'une côte assez raide. Heureusement, à l'époque, les médecins faisaient encore  des visites à domicile...L'allée était bordée de buis formant une haie. Dans le bois les genévriers serviraient de sapin de noël.
Les rares jours de neige, car il y en avait encore à l'époque, les enfants remontaient la pente encore et encore, tirant péniblement des bottes de foin couvertes de plastique qui tenaient lieu de luge.  Mais le village perdait ses habitants, sa boulangerie, son épicerie, son église ne servait presque plus. Un jour ils avaient bu un chocolat chaud dans la galerie marchande et ce souvenir s'était gravé en elle.

Depuis qu'ils vivaient en France à la campagne, elle dormait bien dans ce cadre paisible où l'on n'entendait que des bêlements de moutons, des cocoricos, des chants d'oiseaux et de temps en temps le bruit tout à fait supportable d'un tracteur. Cependant, elle avait du mal à supporter le climat et son mari n'était plus le mari qu'elle avait tant adoré, tant admiré !  Toujours repris par sa famille, par leurs idées, il révélait des pensées qu'elle ne lui connaissait pas comme de reprocher à des filles maquillées qui sortaient le Samedi et auxquelles il arrivait malheur qu'elles ne l'avaient pas volé ! Comme de discuter après un repas en famille avec ses frères pendant que les femmes faisaient la vaisselle. Ses belles sœurs n'avaient pas de métier, ok ! Mais elle, elle travaillait toute la semaine ! Heureusement il y avait parfois des consolations même au travail. Elle se faisait des amis. Une collègue  lui avait proposé les kiwis cultivés par son frère. Ces fruits d'un vert vif étaient une nouveauté pour elle. Et cette collègue lui avait affirmé que ces fruits étaient un concentré de vitamine " c "

Pour ce qui est du climat son lot de consolation était la cheminée et ses enfants. Le chat aussi qui se couchait en boule à côté d'elle ou de sa fille Istbelle. Seul l'été lui convenait lorsqu'un vent du sud séchait la terre. Elle semblait revivre sous le soleil, l'air chaud et sec. Mais très vite le temps se dégrade. Les perturbations font chuter les températures. Le ciel est bas, blanc, sale avec des trainées plus noires qui parfois filent remplies de colère. Les gens, eux, se consolaient en pensant à une belle récolte de champignons ! Le printemps n'était pas seulement  une suite de souvenirs parfumés. Il y avait bien le lilas, les forsythias... mais surtout la pluie monotone, fréquente, triste ! Le muguet ne lui rappelait que  les bouquets que sa mère vendait chaque année à Marseille sous le soleil lumineux ! Le parfum des pins qui emplissaient l'atmosphère en Provence lui manquaient, mêlé aux odeurs changeante du thym, du romarin... ici, seule la menthe sauvage réveillaient les narines et les orchidées n'avaient pas de parfum. Par contre les champignons, oui. La découverte d'un nouveau coin à champignons était à la fois un secret et un événement.

Avec son mari, elle restait de nouveau trop souvent silencieuse et introvertie. Elle le laissait gérer les finances, même s'ils avaient spontanément réparti les tâches, ils n'avaient pas partagé celles-là. Paresse de sa part, manque de confiance de son mari ? S'il mourait le premier, elle serait complètement perdue devant tout ce qui touche aux factures, aux emprunts...
Pour son mari tout devait être organisé, logique, rationnel... donc sans vie selon elle ! Parfois, pourtant il semblait qu'il y avait en lui de profonds sentiments mais il ne les laissait pas sortir. Et elle réalisait qu'elle non plus ne s'épanchait pas.
   Ils venaient vraiment de deux mondes différents. L'un de la ferme, l'autre de la ville.  Si à l'école de son mari, les coups de règle pleuvaient sur les doigts des mauvais élèves, chez elle, c'était la récréation qui était supprimée pour leur permettre d'apprendre les tables de multiplication. Elle n'était pas aidée soit ! Mais elle ne faisait pas non plus d'effort à l'époque. S'ils bavardaient à propos de leur passé respectif, Robin lui parlait de la nuit dans les dortoirs du pensionnat où il était, non chauffés, tandis qu'il se recroquevillait sous sa couverture. Le matin, pour faire sa toilette, ils devaient casser la pellicule de glace qui s'était formée sur le dessus des lavabos. A la ferme avec  ses frères, ils dormaient dans une chambre pas chauffée non plus. Ils se lavaient toujours dans la cuisine près de la cuisinière.  Elle avait l'impression qu'ils n'avaient pas vécu dans le même siècle. Elle qui se plaignait d'avoir été élevée chez sa tante, elle avait cependant une maison chauffée même si elle avait failli être asphyxiée à l'oxyde de carbone ! Ils avaient eu deux enfances différentes. Plus tard, ces différences avaient soulevé quelques petites difficultés  ! Difficile sur la nourriture, il parlait facilement des petits plats que lui cuisinait sa mère.
Il fallait découvrir la famille, voir le reproche des beaux parents ou belles sœurs, supporter  les cousins dont l'éducation semblait moins stricte que celle qu'ils donnaient aux leurs.
- Je veux une glace, je ne veux pas de chou fleur... Des enfants qui testaient les limites d'une éducation basée sur le développement personnel. On les laissait trouver la ligne de démarcation entre leurs souhaits et ceux des parents.
L'autre frère n'avait jamais pu avoir d'enfant. Ils avaient leurs animaux et surtout leurs chiens. C'étaient surtout les neveux qui profitaient de leur affection..

Son mari avait finalement beaucoup de qualités, trop même. Il avait eu cependant des faiblesses. Il avait une soif incessante de gagner: dans les jeux comme dans la vie. Par exemple aussi, il avait du mal à trouver les choses.  Les hommes se croient souvent très forts. Dana les pensait incapables de se remettre en question. Il avait toujours raison et se débrouillait d'argumenter pour avoir raison. Par conséquent elle se sentait toujours en tort. Elle seulement ? Ou les femmes en général. Elle ne s'était pas encore posé la question. Pourtant s'ils pensent en général sortir grandis des difficultés, quand les vrais ennuis se présentent, il n'est pas rare que ce soit la femme qui prenne le dessus. Plus tard, elle réagirait différemment. Elle réalisait qu'il se basait sur la logique. Ah cette logique très masculine !!! Ils oubliaient une chose : la logique dépend du jugement de départ.  Par exemple, un jour, le métro de Marseille s'était fermé après lui et Dana était restée sur le quai sans argent, sans billet, sans papier... Pour lui, la logique voulait que Dana prenne le prochain métro et que lui-même après un arrêt remonte dans le même. Pour elle, pas question de monter les mains vides. Elle avait attendu les mains vides. 8 métros étaient passés, il n'était jamais revenu alors que pour le même prix il aurait pu. Par peur des contrôles; elle n'avait pas cédé non plus. Chacun avait sa logique.

Il ne dansait jamais lors des fêtes. Même si son épouse devait rester assise maladroitement sur une chaise à digérer son mal être du moment. Lui se cachait derrière ses appareils photos. A certains souvenirs, elle eut du mal à réprimer un sourire. Il avait une de ces dégaines à la mer !  Blanc comme un cachet d'aspirine et sans tenue de bain appropriée, c'est alors qu'elle l'imaginait enfin mal à l'aise. Lui toujours apparemment si sûr de lui.  Alors, la piscine qu'il avait souhaitée chez eux ? Ce n'était pas pour lui, plutôt pour elle ! et à un certain moment, elle se lançait depuis l'échelle pour des longueurs pendant parfois plus d'une heure !
La migraine certains jours de congé encerclait son front comme un fer serré.  Il avait alors besoin d'obscurité. Plus tard il avait transmis ce problème à ses enfants. Le stress en était la plupart du temps la cause et la migraine se déclarait par contrecoup dans ses moments de repos. Le coup sur la tête qu'il avait reçu et qui l'avait presque assommé, en voulant sauter les deux dernières marches allant vers la cave, n'avait sans doute pas arrangé les choses... Il n'était pas trop grand pourtant mais il n'avait pu éviter la poutre en bas des escaliers de la cave.
Bref, tout semblait bizarre à Dana, même les attentions de son mari. Robin s'intéressait beaucoup à la photo, mais rarement aux portraits de famille. Parfois même elle avait dû photographier ses propres enfants et lorsqu'il faisait un cliché d'elle, ses agrandissements n'étaient guère flatteurs.
Et après son voyage avec des élèves en ancienne URSS ! Il avait eu là-bas des coliques néphrétiques, avait été soigné comme le peuple, dans des conditions assez déplorables, il faut le reconnaître. Mais pour lui c'était devenu énorme, il en parlait sans cesse, aux amis, au médecin. Il disait avoir peur du SIDA, à cause des seringues douteuses selon lui. Mais il avait tout naturellement souhaité faire l'amour. Une personne atteinte du SIDA et le sachant ou faisant des recherches, commettait certainement un crime lorsqu'elle avait une relation sexuelle non protégée. Et bien cela ne l'avait pas effleuré ! Comment interpréter ce geste ? Il n'y croyait pas vraiment à ses affabulations sur la maladie ? Alors pourquoi tout ce tapage, cette angoisse inutile... ? Peut-être un besoin de jouer un rôle social, une comédie plus ou moins consciente.

Ce n'est qu'avec les années qu'elle avait compris que tout cela n'était qu'un jeu de société et que ses opinions méritaient d'être réformées. Et elle imaginait parfois, depuis son entrée dans ce monde, ce que sa réserve naturelle lui avait valu en réputation ! Timidité, fierté, manque d'intelligence ??? Ce n'était qu'un bouclier forgé d'un peu de timidité et transformé en armure par l'amertume de la vie. Ce n'était pas d'une grande utilité à présent, même lorsqu'elle essayait de faire des efforts car ses habitudes s'étaient ancrées en elle depuis si longtemps. D'ailleurs comment trouver des ripostes adéquates sans échouer misérablement ou sans trahir ses véritables pensées, la tempête d'idées contradictoires qui bouillonnaient en elle ou son éternel besoin de modestie qu'elle avait d'ailleurs inculquée à ses enfants et qui était loin d'être de règle dans la société ? Les vantards d'ailleurs s'imaginaient-ils que quiconque doté d'une once de subtilité accorderait crédit à l'affirmation d'une supériorité dans certains domaines... ? Et pourtant cela marchait ! Conclusion elle restait silencieuse avec pour conséquence que ses rares paroles, souvent de simples réponses à des questions précises semblaient à l'encontre de tout. Dans les repas de fête, la musique souvent trop forte emêchait d'ailleurs de parler. Comment prendre du plaisir dans ce genre de soirée ? pensait-elle.A part en classe, elle n'avait jamais été un bon orateur. C'est en partie cela qui l'avait mise en tant de difficultés. Comment trouver la tournure appropriée, vite, sans blesser, sans s'humilier, sans être infidèle à soi-même ? En pleine déroute, elle se taisait ou répondait par des banalités. Ce milieu nouveau, sa timidité, sa réserve naturelles la privaient presque de ses facultés mentales et la colère sourde par la suite la rendait presque agressive !
Nous étions une famille finalement heureuse, mais pas particulièrement démonstrative. La pluie, deux êtres côte à côte en silence. 
Je suis d'ailleurs toujours moins bavarde en vrai que par écrit.

La mère n'aimait pas décider. Robin s'occupait des papiers, des démarches... si bien qu'elle restait incompétente en la matière et en avait honte. Cette honte la paralysait. Sauf lorsque cela touchait un point important pour elle. Pour le reste à quoi bon faire une crise remarquée ! Mais parfois, elle s'en voulait parfois de ne pas savoir maintenir mon propre cap en famille ou en face de certaines personnes. Mais cela ne conduirait-il pas à des disputes ? Se disputer pour des riens ? A quoi cela servirait-il ? Les hommes, finalement,  sont d'une fixité totale inébranlable. Il fallait qu'elle apprenne à s'adapter.
Avec son mari bricoleur, ils se retrouvaient souvent avec une boîte  à outils, Robin penché et marmonnant ses conseils ou ses ordres.  Sa seule tâche consistait à lui tendre ou à aller chercher les bons outils, à l'aider à soulever des poids parfois énormes ou à prendre un coup imprévu !
Après tout, dans le miroir, elle constatait que son ventre était encore suffisamment plat, malgré ses trois grossesses, ses seins se tenaient encore parfaitement bien malgré les allaitemenst et ses cuisses n'avaient ni vergéture, ni cellulite peut-être parce qu'elle aimait nager, marcher...


Elle aimait en particulier le tableau chaleureux de ses filles qui faisaient avec elle de l'équitation et devaient ensuite étriller les chevaux. Elles prenaient un air absorbé et heureux.

Parfois elle criait, quand elle était excédée ou trop fatiguée et elle le regrettait. Pour les enfants, on veut toujours que tout soit pour le mieux et puis la vie vient se mettre en travers de vos projets. Elle n'oubliait jamais de faire la lecture à chacun d'eux avant de les embrasser et de les border dans leur lit.

Tous les parents en ce temps-là poussaient leur progéniture à obtenir les meilleures notes dans l'espoir d'un brillant avenir pour eux. Aujourd'hui devant tant de jeunes chômeurs, qui s'en soucie ?
 

Les enfants, même en grandissant restaient timides. Leur cousine se moquait d'eux et se sentait supérieure. Elle prétendait avoir " de la personnalité " comme si chacun n'avait pas sa personnalité. Mais certains confondent " écraser les autres ", se faire remarquer et " personnalité ".
Elle prenait plaisir à donner des conseils plus ou moins modernes ou pervers ! Du genre il faut connaître plusieurs hommes avant de se fixer. " Tu ne t'affirmes pas assez "... Et pourtant dans la famille, chacun se complaisait plus avec les anciens. Avec les jeunes ils recherchaient la compagnie, avec les vieux ils aimaient discuter car ils avaient un certain culte de l'histoire locale, nationale ou familiale qui leur donnait une vision du monde basée sur plus de sagesse. Il fallait juste la nettoyer de certains préjugés.

Chaque matin, en dehors de l'été excessivement chaud, elle préparait une flambée. Elle pliait et plissait des pages du journal local pour seconder les allume-feu. Dans la pénombre elle approchait son visage des braises rougeoyantes. Et elle passait le plus clair de son temps, surtout à sa retraite, dans la bibliothèque, près du feu ! Dehors, les rafales de pluie laissaient des milliers de gouttes lumineuses qui tombaient entre les branches des arbres ou brillaient suspendues à l'extrémité des feuilles !
Elle craignait de manger dehors dès qu'il faisait un peu frais. Tandis que les 4 autres portaient un chandail léger ou un simple tee-shirt de coton, il lui fallait non seulement un pull mais une veste matelassée. Comment  cette personne à sang froid avait-elle pu engendrer des créatures si à l'aise dans la nature fraîche du printemps ? Ils fuyaient le soleil, tous. Elle trouvait la grisaille et les rideaux de pluie si peu chauds.n'appréciait l'extérieur que lorsqu'elle sentait sa chaleur sur son dos. Pourtant avec les années, elle avait appris à s'habiller en superposant les couches de vêtements.

Au printemps, elle trouvait qu'il faisait encore plus froid à l'intérieur. A cette époque de l'année alors que dehors il aurait dû commencer à faire jour plus tôt le matin ou plus tard le soir, il faisait noir, un noir accentué par la pluie, une pluie froide, humide, hivernale qui donnait envie de pleurer.
- Il pleut, songeait-elle. Mais quand ne pleuvait-il pas dans cette région, en dehors des canicules de l'été ? Il suffisait de voir les coussins de mousse dodus sur les pierres, les lichens qui montaient au tronc des arbres et couraient sur le sol... A l'automne, des feuilles s'entassaient sur les routes, les pelouses pendant que dans les jardins les gens s'affairaient, qui avec des râteaux, qui avec des aspirateurs souffleurs qui vrombissaient comme des hélicoptères. Récemment, un voisin avait même acheté une machine à broyer finement les feuilles. Cela lui rappelait ses années d'école. Elle aimait alors faire craquer les feuilles de platanes, mortes, sous ses semelles.

Surtout l'église, lorsqu'elle assistait à un concert lui paraissait froide. Il y faisait sombre et en plus, une fraicheur humide vous gagnait !  Même à travers les chaussettes elle sentait que le sol y était froid.

Leurs enfants étaient libres de suivre ou non les parents dans leur laïcité ou leurs grand-parents dans les croyances ou les obligations religieuses. Mais évidemment, ne pas les baptiser c'est tout autant les orienter que les élever dans une religion imposée... Ils étaient contre beaucoup de choses ce qui mettait leurs enfants dans une situation un peu complexe vis à vis des camarades. Le côté commercial des fêtes irritait surtout le père. Il ricanait devant les décorations du Père Noël coca-cola avec ses guirlandes mêlées aux étoiles.

Pendant les premières années, le plus difficile à supporter fut la monotonie du quotidien. L'étrangeté du quotidien aussi.  Le gâteau à bosses, la flaugnarde que les parents de Robert apportaient à table, garnie souvent de pommes apportaient un moment un sujet de discussion.  Mais on revenait toujours à parler des amis, de la famille, des voisins, d'inconnus pour Dany, nouvelles que Robert, lui écoutait sans se lasser !La plupart du temps, elle observait et se taisait. Elle ne se sentait pas obligée de remplir ses journées de paroles et elle ne savait quoi dire  à des personnes dont elle ignorait la plupart du temps les réactions. Elle aussi se sentait en quelque sorte étrangère... Comment chercher les sujets de conversation : le sport pour avoir un sujet à débattre ? Mais pour elle, le sport ne devait pas se passer à la télé... Ayant grandi en ville, elle se trouvait incompétente en matière de discussions agricoles. Mais avec le temps et les enfants, la routine était devenue une corde de sécurité rassurante, familière et tenait en échec l'ennui, la nostalgie du soleil de Provence.
Les enfants avaient eu leur père comme professeur. Ce n'était pas génial. Ils l'appelaient monsieur et un jour d'émotion la fille aînée l'avait appelé " maman " devant ses camarades. Et s'ils n'étaient pas à jour pour leurs devoirs et leurs leçons, le père le savait et les interrogeait exprès. Ils devaient montrer l'exemple.
Son mari avait souhaité une piscine. Il nageait à peine. Elle sentait bien que c'était sans doute une façon de lui faire plaisir. Mais comment comparer une piscine dans cette région assez souvent nuageuse et la mer ensoleillée de la Méditerranée ?
Un jour il avait même installé un toboggan plongeant dans celle-ci et comme personne n'osait commencer Robin avait essayé. le pauvre, cela avait conduit à des éclats de rire car les quelques cheveux rabattus au sommet de son crâne pour tenter de dissimuler sa calvitie étaient retombés sur ses oreilles.

Elle était depuis les débuts une super-prof bien notée. Mais dès son arrivée près du lieu de naissance de son mari elle s'était retrouvée à former des gosses voués à l'exclusion, dans les quartiers défavorisés. Et elle s'y était mise avec application. Le jour des courses, il fallait remplir ces chariots de supermarché qui étaient loin d'être des instruments de précision. Il fallait toute la force des poignées et une  assez bonne connaissance de l'engin, chaque fois différent ! pour le maintenir dans le droit chemin. De plus en plus il leur fallait s'y mettre à deux pour les diriger tellement il était lourd avec 3 enfants.
Pour les vacances, soit ils voyageaient, soit ils allaient au Cap d'Agde. Les enfants ont adoré cet endroit. Ils y avaient vécu tant de bons moments. Et puis le temps a passé. L'appartement a été vendu. Les enfants le regrettent encore. Pour les voyages ces mêmes enfants avaient découverts pas mal de pays pour leur âge. Ils avaient assisté à des tounages de frilms qui les avaient passionnés. Ils voyaient pour la première fois dans une sorte de désordre voulu, courir les figurants. Ils admiraient la maquillage des artistes. Le réalisateur agitait les bras. Dana elle-même n'oublierait jamais le tournage de Borsalino à Cassis et le fait de s'être trouvée nez à nez avec le regard bleu d'Alain Delon.

Et puis il y avait eu ce cancer.
Quelques jours plus tôt, elle avait appris qu'elle avait un cancer des ovaires. Elle n'avait même pas été surprise. C'était comme ça. C'était le risque de vivre et puis elle n'avait jamais cherché ni une vie aseptisée, ni des protections absolues contre les heurts de l'existence. Objectivement c'était un sale cancer : l'une des formes qui évoluaient sournoisement et très vite et qui se soignait, à l'époque, le moins bien. De nouveaux médicaments apparaissaient mais pour l'instant ils n'agissaient pas toujours et se contentaient de prolonger un peu la durée de vie des malades. La tumeur n'avait pas été détectée assez tôt et les examens avaient révélés quelques débuts de métastases.
A ce stade, il n'y avait plus grand chose à tenter; on lui avait fait tenter un traitement lourd : un cocktail de chimiothérapie intense avec cisplatine et de radiothérapie.

 

Les médecins ne lui avaient pas donné beaucoup d'espoir. Dans le couloir, le médecin avait annoncé à son mari qu'elle n'avait plus quelques mois à vivre. Mais c'était sans compter avec son obstination, son rejet de la peur, sa persévérance à vivre, à élaborer des projets. Peut-être avait-elle en elle comme certaines femmes, une résistance inébranlable. Les médicaments pour dormir, elle ne les avait  jamais pris car elle n'était pas favorable à ce genre de médication. A cette époque du moins, parce qu'elle était mère. Contrairement à ce que les médecins, les gens avaient dit et pensé, elle avait gardé l'espoir. Comment  pouvait-on laisser l'espoir s'en aller ? Toute sa vie, elle avait appris que  chaque difficulté, si inconcevable soit-elle, avait sa solution, alors pourquoi elle-ci serait - elle différente ? Depuis qu'elle avait vaincu la maladie qui l'avait si soudainement assaillie, elle luttait pour ne pas perdre le contrôle de son existence à cause de la peur, de la pitié... C'était cela surtout le calvaire. Plus personne n'ose vous regarder dans les yeux. S'il ne te restait que quelques mois à vivre, souhaiterais-tu les passer dans une ambiance pareille ?On pouvait la plier, mais jamais la briser. Elle n'avait même pas eu comme beaucoup dans son cas la tristesse de perde ses cheveux et le traitement radical avait à peine atténué un peu plus ( c'était le retour en France qui l'avait bien atténué )   le scintillement encore plein de jeunesse de ses yeux. A l'hôpital, perchée sur ses hauts talons, une psychologue s'était avancée vers elle. Elle parla peu car cette femme déformait tout. Interprétait tout en fonction d'un cliché préétabli. Elle réalisa très vite que cette femme ne pourrait jamais comprendre malgré son apparence professionnelle et qu'elle n'avait pas besoin d'elle.

L'odeur d'hôpital ne lui avait jamais fait peur. Les effluves de désinfectant  n'annonçaient rien pour elle de définitif. Dans la chambre de la clinique, accroché au plafond, un téléviseur diffusait un film qu'elle ne regardait même pas. Elle observait sa propre pensée ou les murs gris ou les œuvres d'art standards. Dans la salle de réanimation, elle avait l'impression que les gens autour d'elle bougeaient au ralenti. Le frou-frou  des vêtements semblait amplifié. Sa vie était suspendue à un fil très mince. Le médecin l'avait annoncé le matin à son mari. Les voisins, les anciens amis, elle ne se sentait pas l'âme charitable pour les appeler autrement, la saluaient poliment en évitant son regard et fuyaient de plus en plus sa compagnie comme si le cancer, le malheur pouvait être contagieux. Ce n'est pas donné à tout le monde de pleurer au milieu des autres.
La même mine de regret sur tous les visages, les mains qui s'agitent maladroitement, les distorsions. A l'hôpital sous perfusion, il lui faut encore écouter le lamentable problème de son visiteur.
- Nous allons démarrer le traitement et nous allons voir comment votre épouse y répond. mais en considérant les métastases et l'agressivité de ce cancer... Je dirais entre deux mois et 6 mois, deux ans au grand maximum.
Robin le dévisagea. Avait-il bien entendu ?  Trois enfants dont le plus jeune n'avait que 8 ans. Ils ne pouvaient pas perdre leur maman, c'était impossible. Une telle chose ne devait pas arriver. Dana le regarda calmement.
- Il existe toujours une petite chance qu'ils se trompent. J'ai l'intention de me battre dit-elle avec un sourire.
Son visage était gris cendre, mais elle montrait une détermination que Robin savait issue de son calme face à l'adversité, d'une volonté obstinée. Elle avait besoin de cette volonté, de cet oubli en dehors des traitements, de la maladie, pour livrer le combat le plus important de sa vie.

Finalement, après le traitement, elle ne s'était plus jamais considérée comme atteinte d'un cancer. Elle n'en parlait plus. Elle continuait sa vie tout simplement.. La compassion ne serait pas un des sentiments les plus nobles en réalité, c'est de la pitié que les gens ressentent.


Mais elle avait guéri et pour occuper son temps pendant cette période de longue maladie, elle avait écrit des livres. Son premier vrai roman car depuis toujours, elle aimait écrire. C'était bien la seule chose qu'elle aimait autour de l'écriture ! car aller voir les libraires pour se faire connaître, rencontrer les gens... Non, elle n'avait jamais aimé et vite arrêté ce genre de choses...
- Donc, lui disait-on, c'est votre premier roman
- Oui en effet
- Je l'ai beaucoup aimé. Mais c'est l'intonation qui donnait le véritable sens de la phrase. Si le ton était revêche, il venait contredire les propos élogieux !.
- Merci. C'est une histoire, un récit. ( Malheureusement pour elle le sujet venait de Robin ! encore une fois elle s'en rendait compte, elle avait été manipulée par lui !!! Quand serait-elle vraiment elle-même et le serait-elle un jour ?) Il faut créer pour toi se disait-elle et non se soucier de ce que pensent les autres. Elle aurait aimé que son mari accepte sa vision. Mais commercialement c'était une idée perdue d'avance ! Son inspiration  ? Elle notait les impressions de déjà vu après des lectures, des moments particuliers. Elle griffonnait sur des papiers.
Les personnes donnaient la fausse impression de vouloir lire dans ses pensées. Mais tout était faux. Ce n'était que du cinéma pour vendre, non pour s'intéresser à la personne. Et elle, elle cherchait désespérément quelque chose d'intelligent à dire !
Pourtant, la plupart des critiques avaient été bonnes. Mais elle avait reçu de nombreuses lettres de refus et même lorsque les éditeurs disaient du bien de son roman toujours y avoir manqué le coup de coeur définitif qui puisse transformer son manuscrit en un vrai livre. On lui racontait qu'elle savait faire pénétrer dans une histoire, qu'elle avait réussi certains passages... Bref quand on ne l'informait pas dans un style lapidaire que son roman n'appartenait pas à la ligne éditoriale défendue par la maison. Ses interlocuteurs signaient " comité de lecture " et semblaient accablés par des tas de manuscrits dont ils essayaianet bien plus de se débarrasser que de choisir parmi ceux-là celui qu'ils pouvaient publier.
- J'en suis heureuse vraiment, mais tout cela lui semblait sonner creux : les compliments, les réflexions autour de son livre... Comment répondre à ce qui avait simplement rempli le vide laissé par la maladie, la vie. Ce n'était pas seulement un récit mais une question de survie. Elle n'avait pu s'empêcher de mettre un point final à cette mascarade. Elle en eut vite assez d'essayer de fournir des réponses claires et réfléchies.

Danny  était une femme tranquille, réservée, plutôt timide. Elle n'avait pas l'habitude de se laisser aller. Son corps résista à la peur des autres et elle emprisonna la sienne.
Comme si la page était tournée, elle refusa d'en parler même aux enfants et fit preuve à tous moments d'un réel sens pratique. La vie continuait, les soins n'étaient qu'une parenthèse. Elle refusait surtout de voir et d'entendre les réactions des autres quand plus personne n'ose vous regarder dans les yeux, quand chacun est certain qu'il vous reste peu à vivre... Comment trouver le moral et la force dans une ambiance pareille ! Elle avait décidé que seule, elle s'en sortirait mieux. Elle s'était juré de ne pas se laisser abattre, de lutter de toutes ses forces pour faire reculer la maladie et pourquoi pas pour guérir. Et n'avait-elle pas réussi malgré les dires de tous ?
Combien de fois elle aurait pu se dire qu'il valait mieux ne plus se lever, que ce pourrait être agréable d'arrêter de lutter. Mais avec tout ce qu'il y avait à faire dans une maison avec des enfants. Tout cela nous porte, nous pousse à agir, à résister ... Et c'est quand le cauchemar s'était éloigné qu'elle avait abordé le sujet pendant les vacances à Malte.

- Et tu le sais depuis quand ? avait dit l'aînée des enfants.
- 5 ou 6 mois.
- Pourquoi tu ne nous a rien dit ?
- Pour vous protéger.
- Tu nous laisses déballer nos petits problèmes sans juger bon de nous dire que tu as un cancer !
- Tu passais les épreuves du bac de français, c'était une période stressante pour toi.
Elle avait profité de cette période pour écrire un livre. Pourtant à cause de sa pudeur maladive, comment appeler ça ??? elle refusait les publicités trop voyantes. Elle avait non seulement le trac d'avoir à signer des livbres, d'avoir à inventer des formules gentilles à écrire qu'il lui arrivait de ne plus savoir écrire certains mots. Mais en plus, elle détestait devoir faire ce cinéma pour la vente de plus de livres, pour un éditeur surtout plus que pour elle.  Pourtant elle était sensible au courrier de ceux qui aimaient ses livres. C'était sans doute plus intime. Voilà, ce n'était pas son truc et pourtant sans cela on ne peut pas réussir.

Le mari avait commencé son besoin d'évasion qui le poursuivrait longtemps. Elle avait consacré sa vie aux trois enfants et elle restait pour eux à la maison pendant que lui continuait non seulement de façon imperturbable sa vie mais ajoutait de plus en plus des occupations supplémentaires, des voyages scolaires. Tout, depuis qu'il avait  réintégré son village l'accaparait : les voisins, la famille, les amis, le travail. Même des voyages soi-disant scolaires qu'elle-même aurait refusés pour rester avec ses petits. Lui, les recherchait. Pendant ce temps tout ce qu'il y avait de plus vivant en elle était atteint. Morne, elle refaisait sans cesse une sorte de bilan : il était égoïste, toujours attiré par ce qui pouvait le mettre en valeur. Prêt à n'importe quelle trahison ! Il se laissait attirer par ses collègues comme dans une toile invisible et une angoisse furieuse montait en elle. Il avait même par un défi lancé par une prof d'histoire, accepté d'embrasser une russe devant ses enfants, pendant un voyage lié aux cours de cinéma du Lycée et auquel pour une fois il avait amené la famille. Que faisait-il alors au Mali, en Russie ( URSS ), lorsqu'il était seul ? Rien de bien grave sans doute, mais la rage brûlait Dana.

Jamais au Maroc Robin ne s'était comme ici enterré dans les occupations, l'évasion, la culture. Il laissait alors sa femme dans la maison, dans le village qu'elle ne connaissait pas et avec pour seul horizon la maison, le travail, les soucis. Au fond pourquoi entassait-il des centaines de choses dans sa tête comme dans la maison d'ailleurs ? Sans doute pour laisser peu de place  à la réflexion sur la vie, mais aussi pour attirer l'admiration même s'il donnait dans la modestie. C'était sa faiblesse. L'angoisse en était une autre. Par exemple sa peur d'avoir attrapé le sida dans un hôpital d'ancienne URSS. Était-ce vraiment de la peur ? Y croyait-il ? C'était ambigu. Il y croyait au point d'en parler même au médecin et pourtant il n'y croyait pas puisqu'il ne cherchait pas à protéger ses relations sexuelles  ?

La mère devait se débrouiller avec les enfants et le fils avait souhaité aller voir la neige. C'était la première sortie sans décision du père. Le voyage avait été long, de plus on ne pouvait pas rester longtemps sur les lieux. Mais garçon et chien avaient batifolé comme des fous dans la neige fraîche et blanche avant de repartir.

Pourquoi les filles étaient-elles jalouses entre elles ? Elles n'avaient rien à envier l'une à l'autre. Quand elles étaient petites et même après il fallait sans cesse interrompre les prises de bec et réparer les dégâts sur le moral !

Le petit garçon était souvent distrait pendant la classe. Rêvait-il à ses bois? Les enfants, dans leur petit village, parce que leurs parents étaient professeurs se trouvaient en général être les souffre-douleur de leurs camarades et même parfois des maîtres. Avec l'âge les choses s'étaient un peu améliorées.
Il se défoulait dans le sport, l'athlétisme. Avec quel plaisir il contemplait et faisait contempler ses " tablettes de chocolat "?

La devise du fils depuis l'enfance était : " pense par toi-même " et c'en était au point qu'il s'opposait à beaucoup d'idées arrêtées de son père et cela quasi systématiquement. Il s'était immédiatement braqué contre l'idée d'être modelé en version miniature de son père ! Maintenant adolescent elle voyait le corps de son fils sauter dans des détentes incroyables. C'était lui l'athlète maintenant. Qu'il en profite. L'enfant en lui se bagarrait avec l'adolescent comme pour lui dire : " Laisse-moi jouer encore un jour "! Il se passionnait pour la nature, la regarder, c'est ce qu'il aimait; il partait seul dans les bois depuis l'enfance avec une boussole ou pour courir. Il s'intéressait aux grands arbres exceptionnels depuis qu'il avait découvert les séquoias d'Amérique. A une semaine du bac, il aidait un copain qui triplait, donnait le biberon à des hérissons qui avaient perdu leur maman... tout plutôt que de penser au bac auquel il ne croyait plus; alors qu'il allait l'avoir après l'avoir travaillé seulement 15 jours, sans rattrapage et avec un résultat près de la mention. Voila leur fils ! Celui qui suppliait sa maman d'aller jusqu'à la neige, quand papa était absent. Un long voyage pour remplir un court instant ses yeux de bonheur tandis qu'il se vautrait dans la neige aussi enthousiaste que le chien. Tout petit il avait été ému de traverser les nuages en allant en Andorre; il avait admiré l'eau turquoise ou saphir des calanques à Marseille, les voiliers blancs ancrés côte à côte, dans le port de plaisance du Cap d'Agde qui rivalisaient d'éclat sur la surface miroitante des eaux; depuis l'étage de son lieu de vacances il suivait le jeu des voitures dans les parkings : un admirateur, un rêveur, un poète déjà.

Au fil des années, l'énergie de Danny s'était épuisée. Pour son fils, elle n'avait pas surveillé les devoirs avec la même fermeté au-delà de la classe de 5 e et, lorsqu'elle devait le gronder, sa voix n'avait plus la même autorité, son courage n'était plus celui qu'elle avait puisé pour les aînés et il en avait profité. Il faut dire aussi que lorsqu'il avait passé le cap de cette classe, les filles préparaient des examens et l'accaparaient aussi.

Puis, la maladie du fils, plus tard, son caractère qui en avait pris un coup, sa différence... l'avaient mise à genoux et elle n'osait plus s'affirmer face à lui. Et depuis elle n'osait presque rien exiger des petits enfants. Exiger le terme est un peu fort. Mais elle était déstabilisée face à la jeunesse. Tout laisser faire. Tout surveiller ? Etait-ce de son domaine ?

Son fils provisoirement réconcilié avec sa mère consentit à déjeuner, mais très vite il repoussa l'assiette. La mère en fut contrariée. Il n'était guère dans les habitudes de cet affamé perpétuel de ne pas finir un repas.

Il est certes difficile de perdre un parent, mais aucun parent n'a envie d'imaginer ce que ça ferait de perdre un enfant. Cette douleur-là bien qu'elle ne la quittât jamais, elle l'étouffait pour faire face avec courage.

 La maladie du fils, faisait  qu'elle avait besoin de démontrer plus fortement sa sollicitude. Son mari répertoriait scrupuleusement  les dossiers, les factures... S'occuper des enfants  prend beaucoup de temps, songeait-elle même si l'idée la fit se sentir un peu coupable..

Ce fils était passé brutalement par des expériences tellement irréelles et embarrassantes pour son âge. Il avait fallu aller dans un centre hospitalier d'une grande ville? Un docteur lui avait tendu un petit flacon en forme de coupe en lui disant de se masturber dedans.

 Puis elle avait contemplé son beau garçon complètement défait par le traitement contre son cancer. Il défaillait, il avait l'air exsangue. A chaque événement grave de la vie, elle s'était de plus en plus isolée dans son univers, un univers qui n'appartenait qu'à elle et où le besoin d'être seule laissait peu à peu place au vide. Pourtant les épreuves l'avaient renforcée, seule la mort de son fils, victime à son tour d'un de ces cancers,  aurait tué quelque chose en elle.  Et il fallait être forte, faire bonne figure, comme si de rien n'était.
On ne l'avait pas conduit à l'étage  coloré des petits. Il avait 20 ans et se retrouvait à l'étage oncologie avec les vieillards en fin de vie. Au milieu d'eux, il avait un air de bébé désemparé ! Les autres autour étaient chauves déjà, souffrants, gémissants même parfois, les veines gonflées et bleuies par les toxines. Le regard des gens de chaque famille exprimait indifférence ou terreur nue. Les malades pour la plupart n'exprimaient aucune peur. Comprenaient-ils la gravité de ce qui était en train de leur arriver ? Sans doute mais ils manquaient de force pour réagir. Le calme impressionnant était-il engendré par l'ignorance ou l'acceptation ?  Le jeune homme avait fini par se raser les cheveux, par défi, car lorsqu'il passait la main sur sa tête, les mèches se détachaient par touffes.
A son entrée en clinique, une jeune femme était venue donner ses soins. C'était la première fois qu'il regardait vraiment et longuement une femme...

Ce n'est pas cela qui faisait le plus de mal à Dana. Mais de le sentir atteint, souffrant, lui si peu fait pour souffrir; et humilié, et aigri même contre elle, du fond de son humiliation, incapable de supporter qu'elle assistât à cette souffrance, comme incapable de l'endurer seul. "Je vais étudier, je ne veux plus étudier" ... Il n'avait l'intention ni de l'un, ni de l'autre. Il se complaisait dans ce flou comme une menace contre elle qui le soulagerait. Cela ne lui apportait aucun soulagement et il le savait. Il se complaisait dans sa menace. Il en jouait méchamment non comme pour la punir, mais plutôt comme s'il se fût vengé sur lui-même.

L'école retire les enfants de leur cocon parental. Elle leur apprend à martyriser ou à être martyrisés. Elle leur apprend la cruauté. Ils découvrent que hors de la famille, ils ne sont pas des petits rois. Mais c'était un passage obligé sans doute pour se socialiser. La maladie, la fac, le mariage l'avaient mûri et elle avait l'impression de ne plus le connaître. Depuis, la gêne ou l'incompréhension présidait dans leurs rapports. Plus tard l'homme qu'il était devenu, elle avait du mal à l'identifier à l'adolescent dont elle avait gardé le souvenir. Avait-il depuis sa maladie, acquis cette tendance à détruire tout ce qui lui faisait du bien ou avait-t-il beaucoup de malchance ?

Les enfants ne sont pas le prolongement de nous. Ils ne sont pas le bras armé de nos rêves. Parfois ils mettent du temps à s'en rendre compte. D'autres fois ils se révoltent plus tôt. Le fils s'était révolté. Pas trop méchamment mais fermement...
Les mots familiers prenaient un autre sens. Il était dur de voir filer entre ses doigts, comme de l'eau, la joie de les revoir. Elle se transformait en moments déconcertants. C'était moins net avec les filles.  Pourtant, tant qu'il s'intéressait aux bêtes, à la beauté de la nature, c'est qu'il tenait encore assez bien la barre. Il avait encore tant de choses à découvrir et pour cela il fallait s'accrocher. Du moins c'est ce qu'elle pensait. Mais le mariage était devenu pour lui, très vite, la solitude. Heureusement, il y avait ses garçons. Et c'est dans cette solitude douloureuse que les mots et les pensées de ses si beaux poèmes avaient pu éclore.

Elle les avait tous aimés. Elle avait eu l'ambition de suivre leurs études, de les soutenir dans leurs efforts mais avec son travail, la maison, les animaux, chiens, chat, lapin, il lui arrivait de baisser les bras pour le 3 e enfant. Et le jeune adolescent révolté avait trouvé la brèche pour s'imposer. Les gens ne naissent pas révoltés, ils le deviennent. Gui avait des attaques de colère, il se sentait victime de la vie, de l'éducation.Chaque enfant était un don de la vie. Le souvenir des bras souples autour de son cou ou des grands yeux qui l'avaient regardée. Elle s'était fait la promesse de donner ce qui apparemment lui avait manqué : une aide pour le travail, une véritable affection faite de compréhension même si elle restait un peu réservée et peu encline aux marques bruyantes, affectées ou trop visibles. Curieusement, maintenant qu'ils étaient adultes, elle se surprenait à détester tous ceux qui les faisaient souffrir même lorsqu'elle les connaissait peu ou pas.  Cette inquiétude d'une mère pour ses enfants ne s'atténuerait  donc jamais?

Elle avait selon les jeunes, tendance à être trop présente. Mais pour les enfants, il ne suffit pas de les élever, de leur acheter des chaussures et des livres d'école; car même si l'éducation est dite gratuite, elle coûte très cher et après, il faut encore les lancer dans la vie, les aider à trouver un travail.
 Elle avait débuté à leur naissance pour se poursuivre indéfiniment. Ils en arrivaient pour cette raison à être même parfois cruels avec elle. Et elle avait du mal à comprendre sa faute. Contrairement aux psychologues elle avait tendance à penser que parfois il vaut mieux ne pas revenir sur le passé. Mais contrairement à son mari qui fuyait les conflits, elle s'était chargée de toutes les discussions orageuses qui émanaient pourtant très souvent de l'angoisse du père.

Les filles doutaient parfois que les parents se faisaient autant de souci pour elles que pour le frère et qu'ils les aimaient autant. Mais le père gardait encore en lui la fierté d'avoir un fils, transmise par les générations. Un fils qui s'était fait attendre. Et l'amour d'une mère pour ses filles pourquoi s'exprime-t-il moins concrètement ? Il y a aussi de la fierté face à la société et face à l'inconnu. Une fille c'est du connu pour une mère qui a été fillette puis adolescente avant d'être mère. Un garçon est pour elle un mystère.

La perspective de certaines journées de solitude, depuis que les enfants étaient partis s'étendait comme une route aride à parcourir pour Dana.
Le travail de bricolage en commun n'était plus guère qu'une fatigue où elle n'avait aucune initiative et qui n'était souvent qu'une occasion de discorde sans paroles; surtout depuis le jour où il lui avait écrasé l'ongle d'un pouce en lâchant trop vite un objet lourd.
L'été dans leur enfance, dans leur adolescence comme plus tard à l'âge adulte, ils aimaient tous se retrouver près de la piscine. Dans le bois, les enfants pouvaient enfin se défouler en courant partout, en sautant dans l'eau ou même en jouant à construire des cabanes. On mangeait des glaces, on faisait des grillades... comme toujours, les hommes se rassemblaient autour du barbecue. Phénomène curieux ! Des hommes qui en temps normal affirmaient ignorer totalement comment on fait cuire un morceau de viande dans une poêle devenaient des virtuoses accomplis quand il s'agissait de cuire à point une viande sur un barbecue.

Son fils avait été une énigme pour elle dès la petite enfance. D'abord parce que c'était un garçon et qu'elle n'en avait connu que rarement. Elle n'avait que des cousines. Ensuite parce qu'il était à la fois paresseux et intelligent.
Pour une raison inconnue, l'enfant avait très tôt décidé que rester dans un landau ou une poussette lorsqu' il était réveillé, était totalement absurde et il protestait bruyamment. Pourtant c'était à son âge le meilleur moyen de prendre l'air sans risque et sans obliger les adultes à le porter ! Son mari et elle se disaient que c'était à eux de prendre le contrôle. Il aimait courir. tandis que ses pieds martelaient le sol , son esprit s'évadait. Il reporta quelques trophées tout en protégeant ses larges plages de rêverie solitaire. Il laissait vagabonder ses pensées, apprivoisait déjà les mots pour exprimer plus tard en poésie ce que lui inspirait le monde et dans de très beaux poèmes qui trahissaient la plupart du temps son immense incompréhension. Cet élève brillant à l'école qui suscitait autant l'admiration en sport qu'en études, devenu paresseux, encore plus rêveur, avait choisi un métier manuel.

Malheureusement, peut-être au contraire aurait-il, dès l'enfance, voulu s'imposer et éveiller en lui l'instinct protecteur qu'il possédait, surtout vis à vis de sa mère. Elle était batailleuse, le père un peu autoritaire et cela ne convenait pas à son tempérament....

Plus tard, il était capable d'avoir des lectures scientifiques, de faire des expériences, de se passionner même pour des thèmes ardus dès le plus jeune âge : les grands arbres du monde, les rapaces, la météo et l'évolution des climats  et en même temps d'écrire un beau poème ou de dessiner de façon très correcte. Mais son besoin de franchise, de modestie, de paresse même, le poussaient vers des métiers plus manuels.

À une certaine époque, il haussait les épaules à tout ou se mettait en colère comme méprisant ce qui venait de son passé. Fierté de se débrouiller seul ? Peur d'amollir son attitude apparemment sereine mais réprobatrice ? La mère le regardait parfois, il avait toujours sa silhouette vigoureuse. Il était presque attendrissant par la révélation de son courage face à la vie et la sévérité qu'il opposait à un monde qu'il méprisait plus ou moins. Il était tellement excessif. Elle comprenait qu'il y avait en lui quelque chose qu'elle ne pourrait jamais vaincre ou calmer. Cet enfant devenu homme était parfois devant elle comme un étranger, semblant se
souvenir beaucoup plus des douleurs qu'il devait à ses parents, à sa vie passée, que des joies.

Ce qui lui manquait, dans sa vie d'étudiant, c'était le calme des bois, le goût des fraises sauvages...

Il aimait l'affrontement verbal. Avec lui, les conversations ressemblaient davantage à une joute. C'était souvent dans ces circonstances qu'il s'épanouissait le mieux. Cela lui permettait de défendre les points forts de sa révolte intérieure.
A quoi bon essayer d'imposer sa volonté à un tel adolescent qui possédait déjà une volonté propre bien affirmée. Après tout nul n'était obligé de suivre la voie de ses parents. Sinon, le monde n'évoluerait jamais ...
Robin, lui,  ne supportait pas bien la contradiction. Dès qu'une chose échappait à ses schémas, elle était sans valeur ou mauvaise.

Plus tard, avec son métier, le jeune homme avait obtenu un buste particulièrement musclé, mais il avait un léger regret pour sa silhouette plus fine de coureur.
- Salut, disait-il. Tu n'as pas répondu à mon appel.
- Le téléphone ne marche pas ces jours-ci. C'était urgent ?
- Et les portables, ça existe.
- Il n'y a pas la moindre couverture réseau ! Les gens ne pensent jamais aux zones blanches !
Ils étaient en effet restés 51 jours sans le téléphone, au 21 e siècle... Pour le portable, ils étaient en zone blanche, les enfants auraient dû le savoir ! Et les cartes défilent vite !!!

Pour eux, il avait fallu se mettre aux forfaits, adopter de nouveaux systèmes, se moderniser.
- Je suis décidé à me refaire le dessin des tablettes de chocolat sur le ventre, avait-il dit en plaisantant.

Dans un premier temps, malgré sa volonté, il s'était blessé. Sa charpente, sa musculature,  étaient désormais trop lourdes. Il avait persisté, insisté et avait réussi à obtenir des places honorables en course. Quand il voulait, quand il aimait quelque chose il était capable de déplacer des montagnes.

Son métier contrairement à ce que l'on aurait pu penser semblait l'apaiser. La pose des voliges, des tuiles, des ardoises n'était pas qu'un ensemble de mouvements répétitifs, même si certains gestes parfois l'étaient. Il se déplaçait méthodiquement le long du toit, ajustait ses matériaux, posait des repères enfonçait ses clous, recommençait... tout en méditant, tout en vagabondant par la pensée. Par contre son épouse demandait plus d'attention qu'il ne pouvait lui en donner. Aimait-elle ses enfants ? On pouvait se le demander. Dès que possible elle se séparait d'eux ou les empêchait de grandir pour mieux les tenir : la sieste, la garderie...

Pour ses filles ? Ce qui leur manquait c'était de l'aide pour la maison.  Aussi parfois la vaisselle s'accumulait ou la poussière...

Le refrain avait changé : Ce n'étaient plus des films que demandaient les enfants mais des IMac, IPod, des baskets de marque, des parfums...

Et puis soudain, pourquoi ses enfants la rejetaient-ils ? Était-ce dans son imagination ? Était-elle trop égoïste ? La vieillesse vous rendait-elle plus sensible ?  Pourquoi les enfants grandissent-ils si vite et semblent même vous rejeter plus tard ? Pourquoi les ambiances de printemps, les journées simples et agréables deviennent-elles si rares ? N'est-ce pas plutôt nous qui changeons ? N'est-ce pas parce que les sphères de vie de chacun ont du mal à se rencontrer ?

Y aura-t-il un jour aussi un vrai plan de paix mondiale, un autre de lutte contre la pollution ? Y aura-t-il un jour une bonne politique. A un certain moment, elle avait cru honnêtement que la gauche était plus fiable. mais avec les années, elle ne savait plus.

Petits et grands ne se rendaient pas compte qu'ils vieillissaient. Les parents devenus vieux adoraient les voir tous assis à la même table en train de papoter. Ils essayaient toujours au-delà des querelles de leur faire comprendre que dans cette petite communauté familiale, ils devaient être proches les uns des autres, en tant que frère et sœurs. La vie avait changé pour eux. Ils allaient même au concert comme lorsqu'elle était étudiante. Pourtant elle ignorait beaucoup de choses en musique. L'artiste était-elle douée ou simplement bonne ? Elle n'y connaissait rien. Mais peu importait. La musique étourdit, la trompette, le clavecin s'insinuent en vous. Les mains du pianiste courent d'un bout à l'autre du clavier en entrainant son buste.

Dana n'avait jamais eu l'habitude de faire très attention à son aspect. De quoi avait-elle l'air ? Donnait-elle l'impression d'une personne sérieuse avec sa veste et ses jeans bon marché, ses baskets ? C'est après le départ des enfants qu'elle avait commencé à penser par exemple au parfum. C'est Istbelle, sa seconde fille qui lui avait expliqué qu'on vaporisait d'abord sur ses  poignets avant de passer ces derniers sur le cou. Elle finissait par trouver ce geste beau et le parfum se répandait autour d'elle.

 Ils avaient connu la difficulté d'aider un enfant à choisir un métier, de se débarrasser des prèjugés de chaque époque. Les arts plastiques ne mènent à rien. Tu es un garçon tu as la chance de pouvoir faire des études scientifiques. Étions-nous capables de les aider vraiment ? Notre fils, malheureusement mal conseillé par son beau-frère nous avait fait part de son renoncement à un projet: devenir prof de sport. Il allait s'inscrire dans une fac de sciences. Était-ce le bon choix ? Plus tard, devant la décision de ce fils de devenir artisan et de créer son entreprise, la famille laissa tomber ses idées préconçues. Le seul regret profond, c'est que c'était un métier dangereux.
Pendant l'adolescence et même après les enfants avaient assez souvent réagi en opposition avec les parents. Au début c'était surtout pour ennuyer leur père, pour s'opposer à ses idées un peu strictes. mais plus tard ils avaient essayé de se conformer à l'image qu'ils souhaitaient de leurs enfants. Combien d'années il faut aux grands et aux petits, aux vieux et aux jeunes pour qu'ils se rendent compte qu'ils ne sont ni le prolongement des parents, ni le bras armé de leurs rêves... Nos heurts sont la révélation que nous sommes autres et que nous ne nous connaissons pas vraiment.
C'est vrai qu'il lui arrivait de juger plus facilement les conjoints que ses enfants qui n'étaient pas non plus sans défaut. Mais elle les aimait tant qu'elle en voulait à ceux qui les faisaient souffrir. Depuis elle en voulait un peu aux conjoints de ses enfants qu'elle jugeait parfois égoïstes, maladroits ou indifférents. C'est vrai qu'indirectement elle avait sa part de faute, sa famille aussi, mais les conjoints soit discutaient à l'infini, soit faisaient la sourde oreille. Les parents des conjoints en rajoutaient une couche sans culpabiliser, eux. Comme si leur prog
éniture était parfaite.

Dany qui ne critiquait jamais ouvertement était blessée par tous. Cette belle-mère d'une fille était venue chez elle au plus fort des problèmes de leurs enfants. Dany s'était montrée froide. Elle l'avait même vouvoyée. Et cette dame la prenait hypocritement par les épaules : " Je vais être bien entourée chez vous " !!!  De la pure hypocrisie. Alors que notre but était seulement de permettre à notre fille de la voir en même temps que nous pour éviter un long voyage. Mais en même temps elle était capable de dire à Corinne, l'épouse de son fils carrément qu'elle était jalouse, trop exigeante pour ses filles et sûrement pas bonne " au lit " puisque son fils cherchait ailleurs. Le tout d'une voix douce, uniforme, mielleuse et tellement hypocrite !!!
Dany était révoltée. Elle n'aimait pas cette attitude qui lui semblait fausse. Elle ne lui reprochait pas de prendre un compagnon, depuis la mort de son mari, elle trouvait seulement qu'elle n'avait même pas attendu un mois de solitude et savait que ce nouveau compagnon était connu d'elle depuis longtemps. C'était son ancien patron qui l'avait promue à un poste pour lequel elle n'avait pas les diplômes et chez lequel elle les avait tous invités il y a 8 ans. Quel malaise d'ailleurs...
Puis elle se reprenait, on ne connait jamais totalement quelqu'un et cela ne ne regardait pas. Mais elle était gênée jusqu'au plus profond d'elle-même.
Parfois, Dany laissant déborder son monde intérieur avec soulagement se penchait vers la nature. Les jours brûlants d'été, les nuits opaques des jours de mauvais temps égratignées par instants de longs éclairs blancs. Toutes les bêtes des ténèbres se taisaient, comme en attente. Seuls les faucons qui habitaient en haut de la maison et les oiseaux du grand cèdre échappaient par moments un léger bruit ou jetaient un appel plaintif. Durant ces soirées oppressantes, la tendresse et la paix semblaient avoir disparu du monde à jamais.
 Comme la vie était différente de ce qu'on imaginait dans la jeunesse. L'amour, le mariage apportaient-ils le bonheur qu'ils semblaient sous-entendre ? Il fallait lutter sans cesse, en recueillir des bribes au fil du temps. Les hommes s'en tiraient mieux. Ils se consacraient à des activités non nécessaires et vous laissaient là, isolées, peut-être souffrantes, en tout cas tristes.

Mais quand elle observait, de loin, la vie de ses enfants, la sienne ne lui paraissait plus aussi insupportable.

Par exemple, le second gendre, avec son sourire chaleureux, c'était encore une autre affaire.!

- Tu n'as pas nettoyé la maison depuis plusieurs jours. Il faut un minimum d'ordre et de propreté pour les enfants !

Elle se demanda pourquoi il faisait cette remarque alors qu'il ne levait jamais le petit doigt pour ce qui concernait la maison, surtout si c'était si important pour lui  ! Après tout, il n'était pas manchot ! De plus lorsque les enfants allaient à la ferme de sa famille ils se salissaient énormément, ne prenaient pas de bain et ne se lavaient même pas les dents !

Cette fille avait grandi si vite que les gens la croyaient plus âgée et parfois la bousculaient :
- C'est toi qui décides, pas le cheval, disait, le militaire, son maître d'équitation.

Soit, pensait sa mère qui participait aux cours sur un autre cheval,  mais elle n'a que 8 ans.
- Ne regarde pas par terre, regarde devant toi, comme regarde le cheval lui-même, les pneus ne sont pas crevés !

Pour les fêtes de famille, elle sortait ses verres en cristal d'Arques qu'une tante leur avait offerts pour leur mariage.

Mais ce gendre avait d'autres occupations, d'autres projets. Il adorait travailler et travailler dur, mais à la ferme de ses parents seulement. Il ne savait rien faire d'autre et il  n'aurait pas aimé faire autre chose.
C'était un agriculteur dans tout son être et il ne connaissait que ça : le travail de la terre. Le reste n'étant qu'un complément pour lui.
Il avait reconnu ses enfants qui malheureusement portaient donc son nom.
Robert surtout aurait tellement voulu qu'ils portent le nom de leur mère. Dany pensait, quelle importance, ce n'est qu'une étiquette.
Ce gendre non seulement gardait tout son argent... ( Il apportait pourtant, depuis la naissance du petit, quelques courses : aliments, vêtements ), mais il investissait tout le reste dans la ferme de ses parents. Il avait deux métiers. Faisait-il cela par passion ? Pour subvenir aux besoins de ses parents ou pour ses enfants plus tard ? En attendant ses enfants le voyaient 5 ' par jour. En plus, il faisait travailler son épouse déjà épuisée par son emploi, ses enfants, sa maison, le Samedi et pendant les vacances pour les marchés, le ramassage des fruits et légumes, les conserves, les saucisses etc... Il la privait de vacances, de voyages, de détente, de fin de semaines agréables et en famille. Il travaillait même le Dimanche à la ferme. Une ferme ? songeait elle parfois : un petit truc sans avenir qui nourrit juste les parents, des parents qui avaient oublié de cotiser !. Le pire c'est que sa fille avait permis à son mari d'acheter une partie de son terrain avec une petite dépendance. Dans ce terrain se trouvent les évacuations de sa maison, la dépendance tombe en ruines alors que son  mari et elles auraient pu l'entretenir et au lieu de laisser de l'espace pour garer les voitures, pour une aire de jeux, il met une barrière au ras du chemin, devant la maison de sa compagne, une barrière électrique pour mettre dans le terrain, trois vaches deux mois par an !!!
Était-il si désagréable que cela ? Finalement, il avait été désolé de penser que peut-être il avait fait du mal à son épouse. Sans doute n'avait-il pas réalisé. D'un autre côté, lui-même n'en pouvait plus; pourtant il avait eu le courage de changer un tout petit peu!.

Istbelle n'avait jamais su dire " non ". !
Heureusement, ils n'attendaient plus rien de lui. Leur fille avait son salaire, pourtant elle perdait toutes les aides de l'État pour les enfants à cause de lui car officiellement il avait reconnu ses petits.
Quant à la belle-famille personne ne l'appréciait. Il suffisait d'observer la seule éducation qu'ils étaient capables de donner à la nièce. Celle-ci faisait caprices sur caprices :
- Comme elle est maligne !
Elle pinçait violemment les copains :
- Comme ma douce petite est joueuse !

Bon... Que faire ? Ils avaient élevé leurs enfants dans le respect du conjoint. De plus les deux gendres, sans envisager de changer leur comportement aimaient ( était-ce sincère ) jouer avec l'idée du suicide !
Il y avait eu ces rares mais violents jours de tempête. Le chemin, les routes en portaient tout au long des traces pendant plusieurs jours et puis on s'habituait : des arbres renversés, des déchets et des morceaux d'objets éparpillés mélangés à des feuilles colorées car c'était souvent en automne.

Dana se retrouvait à la retraite sans responsabilités. Être bénévole à G. ? Non !  Pour se retrouver assistante de son mari ? Il se considérait comme adepte de l'égalité des sexes et comme homme de progrès mais ne pouvait s'empêcher à tout moment de se présenter comme un patron. Jamais elle n'aurait pu travailler longtemps dans le même établissement que lui et elle n'aurait pas du tout apprécié de l'avoir pour chef non plus !
Le vide... Internet pouvait-il le combler ? Elle avait essayé avec passion des sites personnels, des échanges... mais son mari pris de soupçon avait violé son intimité en  mettant des espions dans son ordinateur ?
Elle avait essayé à B. mais on n'avait pas vraiment voulu d'elle. Une personne prétendait qu'un prof avait autre chose à proposer que d'empaqueter des colis. L'autre disait qu'un prof  ferait fuir les parents qui s'exprimaient mal en français ! Elle avait deviné une possible jalousie sous ces remarques diverses et elle avait abandonné ! Elle s'était alors tournée vers l'ordinateur, avait sollicité des amis pour s'apercevoir qu'elle n'avait affaire le plus souvent qu'à des hommes à la recherche d'aventures, à des paumés qui l'invitaient à jouer en ligne ou à laisser des commentaires sur leur page.

Dana avait souvent gardé ses petits enfants. C'était parfois fatiguant, mais ça valait le coup. Être grand-mère vous faisait revivre, il n'y avait pas de doute. Ces petits bouts de chou distançaient rapidement  les parents  dans la course aux câlins ou à l'admiration dans le regard des autres. Tous n'étaient pas câlins mais tous avaient besoin d'amour.
Il n'y avait pas eu de procès pour l'abus de faiblesse envers sa mère, la vieille grand-mère de Marseille. Elle ne possédait pas assez de preuves. Et l'affaire pouvait se retourner contre Dana. La justice est plus cruelle que juste finalement. On décide de se mettre en avant pour avoir gain de cause et il n'y a plus moyen de faire marche arrière. Pire, les gens habiles, les beaux parleurs peuvent retourner la police contre vous.

Maintenant, au cours des voyages, puisque son mari se cachait en permanence derrière son appareil photo, elle avait pris l'habitude de dessiner. Elle faisait de simples croquis, debout, et tout aussi bien presque que si elle était assise. Sauf bien sûr lorsqu'elle disposait de peu de temps.

Son mari ne tenait jamais en place. Très tôt elle s'en était rendu compte. Au début, elle l'admirait pour ses connaissances, sa logique... Peu à peu son attitude lui sembla presque maladive. Dana et lui s'occupaient sans cesse. Il fallait peindre les murs. Il fallait bricoler sans cesse, s'occuper du jardin. Bien sûr Robin faisait l'essentiel mais elle devait être à ses côtés pour passer les outils, tenir fermement les objets, les échelles. Son mari était intelligent, exceptionnel, soit. Mais en plus il essayait désespérément de se faire valoir au maximum jusqu'à se démener pour le montrer, jusqu'à en devenir apparemment indispensable à tous. Avec l'âge il éprouvait un besoin de tout vérifier, de tout porter au plus haut niveau. Cela mettait les autres mal à l'aise, leur enlevait toute initiative. Cette attitude empirait avec les années. Il ne se passait pas un jour sans qu'il réfléchisse pour les autres, pour la mairie, pour la famille. L'âge l'usait bien sûr, mais l'âge n'enlevait pas ce qui l'animait. Il ne cessait même de s'inventer du travail, du bricolage chez lui, chez les enfants et elle était un peu lasse de n'avoir souvent qu'une tâche, celle de lui tendre les outils, de tenir l'échelle ou de porter avec lui les objets les plus lourds.
Ils avaient encore moins de temps pour eux que lorsqu'ils travaillaient. A part au cours des voyages, jamais ils ne s'installaient pour partager un moment, rien qu'eux deux. A tout moment il était appelé. Il était même épuisé parfois mais il avait tellement besoin de moments gratifiants. Il avait surtout la satisfaction de se sentir sinon indispensable, du moins extrêmement utile. Et elle que devait-elle faire ? Participer ? Mais alors ce serait participer à la vie d'un village dans lequel elle était en quelque sorte étrangère?  Et même si elle s'intégrait ce serait pour devenir sa seconde, une fois encore, son ouvrière. Elle qui avait une âme de prof, de cheftaine comme lorsqu'elle était cheftaine des guides à Marseille.

Elle regardait maintenant les petits enfants courir sur la pelouse. Elle savait que ses enfants qui s'étaient moqués de l'éducation de  leurs parents étaient en train de pas mal les imiter pour les petits ! Mais le monde changeait vite. Pour cela il fallait un consensus éducatif dans les familles et certains petits devenaient turbulents.

Ils avaient eu deux cancers chacun et maintenant aucun des deux n'aimait veiller, sortir, aller au cinéma ou danser... Avec les vieux jours, les maladies, il n'y avait presque plus rien entre eux également. Seule une grande affection finalement, l'affection de ceux qui se connaissent bien et savent s'apprécier malgré tout. Elle seule en souffrait encore mais le soir ils étaient trop las et lui tellement à cran que l'absence d'intimité physique ne lui pesait pas. Depuis son second cancer, son corps était bourré de particules qui n'étaient plus radio actives mais qui déclenchaient parfois les portiques de détection très sensibles des aéroports.
A tour de rôle ils empilaient le bois coupé dans le panier, près de l'insert. A côté de cela, comme un gamin il regardait les matches sans en manquer un seul. Elle, elle se moquait éperdument du résultat. Juste une petite fierté peut-être lors des matches internationaux gagnés ? Quel plaisir y avait-il à regarder des hommes et des ballons, à s'énerver devant les fautes. Quant à lui, de son côté, il fuyait ses films d'aventure, ses polars qu'il trouvait ridicules. mais qu'importait.
La petite chienne noire vivait encore, mais elle se faisait vieille. Elle était née lors de l'adolescence des plus jeunes enfants. Elle avait comme tous les vieux des petits soucis de santé. Mais cette fois, elle venait d'avoir une patte cassée par un animal dans les bois. Un blaireau sans doute. La réaction avait été trop rapide pour qu'elle pût voir de quelle bête il s'agissait.  Après l'opération, le pansement enlevé révéla une longue cicatrice rouge, irrégulière sur la partie haute de la patte. Pourtant elle guérit mais garda cependant une séquelle cardiaque. Ses œdèmes empirèrent et elle vivota avec des cachets et des diurétiques.

Avec le temps, être épouse était de moins en moins facile. Elle dut apprendre à attendre les rentrées tardives à cause des nombreuses réunions. Il ne pouvait rester en place, se passionnait pour tout, y laissait sa santé. Les repas furent souvent gardés au chaud, carbonisés ou recuits. Pourtant elle ne s'ennuyait plus, elle avait bien trop d'occupations... Entre les petits, les travaux, les amis, les randos, sa mère. Elle n'avait même plus le temps d'aller chez le médecin !

Quant à Robin il en était même venu à explorer sa correspondance par jalousie. Cela la révoltait ! Elle n'avait rien à se reprocher, juste comme d'habitude de l'ennui et un besoin de bavarder de sujets divers. malheureusement, pour les hommes auxquels il lui était arrivé d'écrire, les sujets étaient peu variés... même lorsqu'elle essayait de diversifier.

Ce manque de confiance, n'est pas anodin et conduit à des interprétations. De plus, c'est une intrusion dans la vie privée. Était-il jaloux et possessif ? Bizarre. L'écriture est ma passion. Et lorsqu'on écrit, on aime bien être lu. J'écrivais donc à des personnes sans arrière pensée alors que lui en avait. Lui qui avait embrassé la Russe sur les lèvres devant ses enfants et moi !

La grand-mère avait vieilli et maigri. Des rides profondes marquaient sa figure. Ses épaules semblaient avoir pris le prix irrémédiable d'un fardeau gardé trop longtemps. Depuis la mort de son mari en réalité, depuis qu'elle se sentait si seule. Elle éprouvait moins le besoin de surveiller ses vieux souvenirs, ses vieilles poupées, qu'elle donnait au compte goutte aux petits de peur de les voir abîmés.
- Boupée disaient les petits ?
- Oui, je l'avais quand j'étais petite.
A la mort de sa mère, elle s'étonna de ne pas se sentir mal à l'aise devant le corps si menu mais paisible. Dans les tourmentes, elle était comme dédoublée et restait stupéfaite devant l'émotion des autres. Pourtant elle savait qu'après coup, pendant longtemps, le souvenir de ses parents viendrait la hanter à travers la question de savoir si elle aurait pu faire plus pour eux. Pour le moment elle ne voyait  que les yeux tristes de sa mère. Ils étaient entourés de rouge, d'un rouge qu'aucun collyre ne parviendrait à effacer, de ce rouge que seule la fatigue , le temps et parfois les larmes apportent.
A son tour elle vieillissait mais elle s'était toujours tenue très droite. Avec les années, une certaine paresse s'installait. Elle qui s'était toujours imposé un peu de sport, un peu de gym, n'avait plus qu'un souhait désormais, au milieu de l'effort : rentrer à la maison et boire un bon café. De façon curieuse, Elle aimait de plus en plus dormir. Et quand elle voulait dormir, il n'y avait guère de motivations qui pouvaient tenir le coup. La mer aussi qu'elle voyait si rarement était un calmant lorsqu'elle y pensait et surtout lorsqu'elle pouvait l'admirer. Une première vague, une deuxième vague, ça monte, ça recule et ainsi de suite...C'est très délassant, la mer, très régulier.

Elle offrait son visage à la caresse apaisante des rayons du soleil. Elle aimait son massage chaleureux tout en se préoccupant des taches sur son visage.

A l'âge de la retraite, elle ne se sentai pas prête, mais elle avait vite appris que le bénévolat ne lui apporterait rien. Sa mauvaise expérience l'avait tournée vers des occupations plus solitaires, plus personnelles.  Son fauteuil, qu'elle occupait pour lire lui faisait penser à une grande main douce dans laquelle elle se blottissait>..


W.E de fatigue et tout de même agréable. Nous allons tous les avoir... Quand la maison était pleine de monde, Dana se sentait heureuse. Elle aimait cette jeunesse autour d'elle, même si parfois, elle se sentait un peu lasse. ²Il faut toujours faire attention à ce que l'on va dire ! Le vacarme va être total. Heureusement lorsqu'ils sont tous ensemble ils se débrouillent plus ou moins entre eux. Avec les petits ce ne sont pas les mêmes soucis. Inutile de surveiller les notes... Mais tout de même !
Elle surtout aimait bien se coucher tôt avec un livre à lire...
- Mais ça m'agace que chaque fois que je vous demande de garder mon fils, vous ne soyez pas disponibles s'énerve la seconde fille ! Et que ce soit forcément à moi de déplacer les rendez-vous. ( comme si c'était facile de tenir tête à Téodore !! J'ai des échelons à gravir et c'est maintenant les chefs qui font des rapports...)
D'autant plus que papa m'a dit, je cite "on ne se plaint pas de ne pas avoir le petit " Je prends ça comment ? Ouf enfin libres ???

Comme si elle n'avait pas toujours accepté de tous les garder, comme si elle n'avait pas fait des kilomètres pendant des années pour aller les chercher... Bon, il fallait juste attendre que la crise passe.
- Moi ça m'est égal. Vous n'êtes pas libres, je vois ailleurs. " Mamie " sera très contente de l'avoir souvent ( surtout qu'arrive le temps des foires le dimanche !! )
Ce qui veut dire, il faut le comprendre que " Mamie " a du travail et que les autres parents ne sont simplement " pas disponibles " ! Il faut encore patienter !
- Je pensais te le laisser ce soir-là, le petit, mais ce n'est pas faisable. J'ai une réunion. Voilà pourquoi je suis énervée car la seule fois où je peux vous le laisser, vous me répondez non.
Pourtant combien de fois  ils l'avaient gardé ce petit tout sourire, si sympathique et si remuant !.
- Je suis désolée pour cet impair répondait-elle simplement. Papa m'a entendue ! il dit n'importe quoi et en plus il ne pense pas ce qu'il dit. ( C'était souvent le cas. Lui et son humour ! ) Moi aussi je regrette de ne pas garder Batuhan. Les débuts à l'école sont souvent difficiles, je le sais. Si tu as besoin de moi le soir, tu le dis. Je ne vois pas pourquoi, puisque je ne le garde plus le mardi, ce ne serait pas possible. Si les débuts sont trop difficiles et s'il veut que je le garde une après-midi de temps en temps, je peux le garder chez toi, pour ne pas le trimballer tout le temps. Je suis désolée que juste le jour où tu as appelé je revenais de la pharmacie et je n'avais pas vraiment suivi la joute...
Batuhan pleurait tous les matins et demandait à ne pas aller à l'école. La veille, il voulait que sa grand-mère le garde. Il n'arrivait pas à se faire des copains ( Chose qui lui passerait bien vite ! )... Heureusement il appréciait la dame de la garderie du matin... Il était perturbé au point de refaire pipi dans son pantalon et dans le lit sans arrêt, alors qu'il était devenu propre juste avant l'entrée à l'école...


- Au fait ton frère va sans doute programmer un Bébé pour bientôt... Il ne faut pas être enceinte pendant la croisière, mais avant ou après ! Lol ! Carine a demandé si on l'acceptait avec un bébé de 4 mois ???
L'hiver durait, c'est vrai. Ils étaient toujours dans les travaux. Cette fois il s'agissait du toit du garage chez leur seconde fille. Certains jours, elle hibernait un peu, à part ces visites aux travaux, les randonnées, les courses et le fait d'aller chez les petits...
Aujourd'hui cela allait bien. Ils recevaient toute la famille. Ils seraient 17 plus le chien !!


On s'investit pour les enfants, mais notre maison aurait besoin d'une remise à neuf par endroits. De plus nous sommes rattrapés par les impôts. C'est le coup de massue cette année. Il nous faut payer en plus sur les ventes faites pour les donations aux enfants ( donc de l'argent que nous n'avons pas gardé ) et sur les ventes de la banque qui gère n'importe comment l'argent de mes parents.

Les parents meurent et tout cela remet les pendules à l'heure. Elle n'avait jamais porté le moindre soupçon de noir pour les obsèques de qui que ce soit. Elle ne voyait dans le noir aucune signification symbolique. Elle ne voyait d'ailleurs dans aucune manifestation extérieure une signification symbolique.


En ce moment, nous ne travaillons pas trop. Notre fils et un copain ont fait la charpente du garage chez notre Istbelle. Notre fils se charge seul de tailler les ardoises du pays et de le couvrir. C'est la récupération des vieilles ardoises du toit de la maison qu'il utilise. Sur la maison, il les avait remplacées par des ardoises d'Espagne.
Mon problème, ce sont les mains, quand je bricole trop : arthrose, arthrite, maladie de Dupuytren et pressions qui font facilement des petites hémorragies internes...

J'ai aussi des problèmes d'arthrose surtout aux mains, mais j'hésite à prendre des médicaments. Souvent ils ne servent que pour la douleur et détraquent autre chose. Pourtant je ne me sens pas si mal dans mon corps et j'affiche avec moins de complexes qu'autrefois, ma silhouette de septuagénaire.
Chez nous aussi le soleil est revenu, mais il fait froid. Je vais faire des crêpes pour mon petit Pascal. J'en ai fait pour ceux de Carine la semaine dernière. Seul le dernier n'a pas droit aux graisses trop abondantes et aux sucreries avant 4 ans. Il parait que c'est le meilleur moyen pour lutter contre l'obésité infantile. Il est né à presque 4 kg malgré un régime strict de la maman. Le médecin dit que les réserves de graisse se forment dès cet âge et qu'au-delà, le corps s'habitue à éliminer. Le plus difficile est de convaincre la famille de Téodore et Téodore lui-même. Même à la crèche ils ont fait une leçon à Istbelle en disant qu'elle exagérait de protéger ainsi son enfant. Elle n'a pas su répondre et pourtant c'est elle qui a raison. Si on lit le détail des ingrédients de tous les petits pots de bébés, et pots de yaourts aux fruits, c'est à te faire dresser les cheveux sur la tête. Entre les colorants, les conservateurs, paraben et autre...
Peut-être que si je n'avais pas donné des farines pour bébés, alors à la mode, à Istbelle, sur les conseils de l'époque, peut-être adulte aurait-elle mieux éliminé. Peut-être ...
J'ai hâte, comme beaucoup je pense, de pouvoir ressortir un peu dans le jardin et de ressentir la chaleur du soleil. Il tarde à  Robin de commencer à tailler, désherber, comme chaque année pour réparer un peu les méfaits de l'hiver sur certaines plantes, et aider la nature à repartir du bon pied..

En fait je n'ai aucun talent très net pour deux raisons, paresse et manque de confiance... Je fais des esquisses au cours de mes voyages, des scènes de vie banales représentant un pays étranger. Juste quelques traits.
 
- Hum... tu me fais envie avec tes crêpes; j'aimerais bien les goûter ; je suis sûr qu'elles sont excellentes.
Tu dois être une bonne cuisinière, je pense, en plus de tes talents en écriture et en dessin ! Comment tu les accompagnes, avec de la confiture?


Son mari surtout et elle parfois cherchaient des objets sans avoir d'idée nette de l'endroit où il était rangé. Les quatre-quatre, les motos et les quads leur devenaient insupportables dans le silence campagnard des dimanches. Ces véhicules tout-terrain en dehors de la chasse qui devenait une course avec portables et énorme véhicule, n'avaient aucun sens sur les routes.
Elle remarquait combien sa propre main avait sur le revers les veines saillantes. La peau elle-même avait terriblement vieilli. L'aspect écaillé soulignait son âge que son visage atténuait encore un peu. Les promenades même leur devenaient pénibles. Ils s'efforçaient de ne pas trop souffler en montant la côte vers le vieux moulin en ruines.
Dana aimait de moins en moins monter les côtes d'ailleurs où que ce soit. Or la maison se trouvait un peu isolée en haut d'une côte justement.

 Pour son mari il ne faisait jamais mauvais. Pour elle c'était souvent le contraire surtout que le temps dans la région avait de brusques hésitations. Mais lui pour rien au monde n'aurait habité ailleurs. A l'étranger, oui; dans une autre région de France, il aurait été très malheureux.
Elle cependant commençait hardiment ses promenades par tous les temps, par la route ou les chemins en pente dans les bois qui pouvaient conduire jusqu'au moulin. Heureusement le chien l'encourageait ! Mais avec l'âge la grisaille l'arrêtait.
Ils étaient l'un et l'autre fatigués de jouer à être ce qu'ils n'étaient pas, même en public. Elle aimait son mari, il aimait sa femme, mais ils n'avaient jamais témoigné de chaleur l'un envers l'autre comme certains couples. Pourtant ils n'auraient su vivre l'un sans l'autre. Après tout ils avaient tenu toute leur vie dans une compréhension mutuelle. Chacun redécouvrait ce qui en eux était vraiment ce qu'il était. Il avait fallu la vieillesse pour qu'ils réalisent qu'on ne peut pas vraiment se fondre l'un dans l'autre sans blessure.
Pourtant elle avait plus confiance en elle et elle regrettait parfois d'avoir autant dépendu de son mari ou des autres.  Elle, qu'on décrivait d'ordinaire en soulignant son effacement, sa timidité, voyait tout à coup son être profond se  révéler dans la durée si éphémère de la vieillesse,  comme une vieille larve à laquelle aurait soudain  et à retardement poussé des ailes !  La vie avait blindé cette femme contre les banales douleurs, contre les peurs habituelles. Avec le temps, avec son mari, une sorte de complicité le plus souvent muette, s'était établie, faite de présent et de passé, de projets....

Son mari avait une telle personnalité qu'il était difficile de donner un avis différent. C'est avec l'âge qu'elle avait réussi à s'imposer parfois. Dans la vie, elle avait peu à peu pris confiance en elle : confiance dans son métier, confiance comme mère... C'est seulement face à son mari qu'elle perdait pied. Il était partout à la fois; Il gérait tout. Face à lui elle avait toujours un moment d'hésitation. Il pensait que tout le monde devait réagir de la même façon. Il était incapable d'imaginer plusieurs possibilités, de se projeter sur l'autre. En voyage il vivait son vaoyege sans s'occuper de ce qui pourrait intéresser son épouse. Elle aimait surement ce qu'il aimait. Un jour à Marseille, ils allaient se promener. le métro arrivait mais ils n'avaient pas fini de descendre les escaliers. Il s'était précipité dans la rame sans vérifier si elle suivait et la porte s'était fermée avant qu'elle ne puisse monter. Elle était restée sur le quai sans argent, sans ticket, sans papier ! Elle avait attendu 8 métros espérant qu'il ferait demi tour ( sans ticket ! )et avait fini par retourner à la maison. Lui était resté persuadé qu'elle prendrait le train suivant.
Était-elle capable de faire telle chose aussi bien que lui ? Et pourquoi pas ? Mais moins vite. Il lui manquait l'habitude, le temps...
De plus il était passionné et avait un tel orgueil du travail bien fait que vous ne vous sentiez jamais à la hauteur. Pourtant, elle s'inquiétait pour lui. Il paraissait solide, sûr de lui mais il résistait mal à la pression. Il restait toujours en lui comme en leurs enfants, un petit être effrayé. Alors qu'elle pouvait facilement laisser croire qu'elle se laissait manipuler, mais intérieurement, il n'en était rien. Tout cela n'était qu'une façade.
Elle pensait à eux tous. Rien n'est facile pour eux non plus. Ce n'était pas la vie dont ils avaient rêvé : sécurité, voyages, amour... Ils n'étaient pas assez forts pour se débarrasser de leur anxiété surtout lui et celle-ci couvait le plus souvent sous les cendres. Quoi de pire que la solitude au sein d'un couple ? Quoi de pire que deux vies parallèles ?

Elle avait trouvé tellement injustes les remarques fulgurantes des uns et des autres ! Que pouvait-elle faire d'autre qu'accepter et se taire ? Tout ce qu'elle avait bâti dans la vie  s'était écoulé entre ses doigts comme du sable fin.. Elle se retrouvait seule enfermée dans son propre monde. Cesse de t'apitoyer sur toi-même !
Certaines personnes étaient incroyablement douées pour distribuer des coups de griffes camouflés.
- Vous n'avez pas chaud ?
- Non, pas particulièrement. Il ne fait que 30 °
- Et ce n'est pas chaud ?
- Pour moi, c'est encore supportable. J'ai grandi dans le Sud, j'ai vécu au Maroc et mon organisme s'est habitué à la chaleur.

Pour un autre, derrière la façade contrôlée et timide, se trouvait la passion, la colère accumulée et pourtant un tel besoin d'amour. Celui-là cherchait avant tout la respectabilité, l'ordre et la justice, il avait un grand besoin, même s'il devait aller dans le mur, de se libérer  un peu de ses parents et paradoxalement il cherchait à ressembler à l'image de lui qui aurait dû leur plaire. Mais tout devait venir de lui. Il savait qu'il était un rêveur. C'était pour cela qu'il s'était noyé dans l'amour et la poésie. Carole lui reprochait ses colères, mais de son côté, elle était jeune, très sûre d'elle et un peu trop égoïste. D'ailleurs, qui criait le plus ? Le plus souvent, c'était elle. . Il lui avait promis de s'améliorer. Mais elle ? Il fallait qu'il s'en sorte seul. C'était son orgueil ou celui de Carole ?
- Avons-nous été trop durs, trop exigeants avec les enfants ? songeait-elle. Ils avaient tous été intelligents. C'était une chance. Mais le dernier qui était tout aussi doué, si ce n'est plus. Il aurait pu apprendre ce qu'il voulait avec plus de chance, plus de confiance et surtout moins de paresse.

Même si au fond d'elle-même, Dana ne se sentait pas responsable, elle avait l'impression d'avoir échoué. Les  compliments en effet n'étaient pas le point fort des parents, par réserve spontanée simplement. Les relations parents-enfants  sont par moments compliquées et même entre frères et sœur, avec l'adjonction des conjoints, des petits, elle devient problématique. Maintenant il fallait une formidable capacité pour s'abstenir de se mêler des affaires des jeunes tout en restant présents et à l'écoute. Pourtant, elle avait toujours détesté se trouver en valeur. Elle n'avait jamais cherché à se hausser, à dominer, à écraser. Elle avait même eu du mal à un certain moment à étudier. Elle était mal orientée et personne ne l'aidait.

D'une manière générale les sujets sur lesquels elle se sentait un peu calée étaient peu nombreux.
Tricoter, n'était pas utile de nos jours, mais pour elle, c'était magique. Tandis que ses mains étaient occupées, son esprit lâchait prise.

Elle avait donc été sévère pour les études. Mais son mari étalait humour, condescendance et une telle ampleur de culture...qu'ils mouraient d'envie de montrer à leur père qu'il étaient aptes à regagner son respect peut-être plus encore que son amour. Sauf le garçon. Il admirait beaucoup son père mais se refusait à suivre ses traces.
- Qu'est-ce qu'on aurait pu faire de plus, de mieux, alors ? songea-t-elle un peu lasse en passant une main usée sur son visage ridé. Je n'ai jamais su vraiment m'y prendre avec les ados. il dit quoi le manuel ? Oh le manuel, je crois qu'ils ont oublié de le fournir à la maternité songeait-elle. Il faut utiliser la parole plutôt que les colères. Mais dans le feu de l'action et quand on obtient aucune réaction... et qu'on sait que l'enfant se trompe ?
- Nous avons essayé d'être là, de leur donner le temps, l'attention qu'ils méritaient. Mais avons-nous su lire les non-dits ?

Il fallait se faire une raison. En ce qui concerne les enfants de toutes générations,  les relations parents-enfants étaient à sens unique. Vous leur donniez tout votre amour et ils n'avaient aucune obligation de vous rendre quoi que ce soit ! D'ailleurs elle ne les reconnaissait plus vraiment, les conjoints les avaient métamorphosés. Jusqu'à son fils le champion du " pensez par vous-mêmes "  partait avec son épouse,  une fois par an, pour des vacances coûteuses où il devait s'ennuyer à mort, dans des centres avec piscine ou plages privées, situés dans des endroits merveilleux et où les enfants,  luisants de produits solaires ou brunis de soleil pataugeaient joyeusement tandis que son épouse, dans une chaise longue lisait un roman ou regardait un film sur sa tablette ! Et lorsqu'ils mangeaient en famille, elle préférait se renfermer en elle-même pour jouer avec son téléphone. Qu'est-ce qu'elle pouvait bien avoir tant à dire à des clients ou à des amis !

Même adulte, et peut-être plus encore, il restait perdu dans ses pensées ! Il n'était jamais là lorsqu'on lui adressait la parole et encore moins embourbé dans ses soucis. Quand bien même, on était en face de lui, il semblait écouter votre parole mais en réalité, il continuait le fil de ses préoccupations.
 Son fils avait l'air d'aimer son travail de charpentier couvreur, mais il était souvent stressé. C'était un métier usant.
 - Comment va ton dos ?
 Comme un dos de couvreur ou de tout ouvrier travaillant dur !. Il n'aime pas le froid humide, ni certaines positions...
D'année en année, les efforts, la poussière, les produits pouvaient abîmer sa santé. En hiver il avait froid, en été il transpirait abondamment, au plus fort de la chaleur. A 30 ans il souffrait déjà de douleurs mais il se concentrait sur sa tâche en oubliant les misères pour ne plus sentir que la fierté d'avoir construit un bel ouvrage avec ses mains
Sa première épouse avait une arme opposée, sa langue. Elle avait assez de bagou pour trouver du travail à son époux. En d'autres termes, elle pouvait faire croire n'importe quoi. Mais... Pourtant elle apparaissait si sincère. Tout était dans les mots. On aurait presque dit qu'elle faisait tout, même monter sur les toits. En réalité, elle recevait deux appels dans la matinée, entraînait 2 ou 3 clients et s'occupait surtout de sa petite personne !

Pour la seconde fille c'était une autre histoire : un conjoint tellement entêté dans l'accomplissement de ses propres désirs qu'il en devenait obstiné. Il restait paysan dans l'âme. La terre qui avait nourri ses ancêtres ne le nourrissait plus. Mais il tenait à rester paysan. Il avait deux vies, deux personnalités. Il aimait la charcuterie faite maison. Il ramassait et vendait des pommes. Après 8 h de travail au garage où il était mécanicien et vendeur, sa plus grande satisfaction était de redevenir paysa, même si le travail de la terre rognait sur ses heures de sommeil. En fait elle savait très bien ce qui n'allait pas; elle n'arrêtait pas de repenser à sa dernière discussion avec théo. A la réaction qu'il avait eue lorsqu'elle lui avait parlé d'avoir un enfant. Un refus mêlé de colère. C'était comme ça chaque fois et elle ne comprenait pas sa réticence qu'elle interprétait comme un refus d'engagement. Avec lui, il y avait toujours une bonne excuse : ce n'était jamais le moment, il avait trop de travail, n'importe quoi. Il lui arrivait de compter le nombre d'années qu'ils avaient passées ensemble - et toujours pas de bébé ! Et souvent ils ne risquaient guère d'en concevoir un vu qu'ils ne trouvaient jamais de temps pour rien ... De voir son jeune frère papa lui avait collé une peur bleue. Cela lui rappelait que les années passaient. L'amour suffisait-il ? Pouvait-il résister à l'usure du temps ? Elle avait plus de 30 ans et en apparence, elle rayonnait. Mais pour combien d'années encore ? Sa jeunesse s'en allait doucement. Elle se doutait que le désir d'avoir un enfant était intimement lié à la trajectoire personnelle de chacun et à sa propre histoire familiale. Elle, elle avait eu la chance d'être élevée dans une famill pe soudée, aimante et elle savait qu'elle s'épanouirait dans la maternité. Elle avit eu la chance de voyager alors que pour Théo c'était une horreur doublée d'une perte de temps. Pour lui on ne pouvait que s'ennuyer sur un bateau. On y tournait en rond.  Autour il y avait de l'eau rien que de l'eau, des kilomètres d'eau ! Pour un terrien enraciné, il ne voyait sans les voyages que des gens riches qui s'enfermaient eux-mêmes dans des prisons. Pour Théo, d'où venait son blocage ? N'y a-t-il pas toujours un détail qui nous échappe chez celui avec lequel on accepte de vivre ?  Il était sans doute immature, peut-être égoïste. A force de travailler pour ses parents, il ne serait jamais le père affectueux et à l'écoute de ses enfants. Elle avait malgré tout songé à arrêter la pilule sans le lui dire pour simuler un " accident " et le mettre devant le fait accompli, mais en faisant cela elle rompait la confiance nécessaire à la bonne entente dans un couple.
Au bout de 16 ans de mariage, une crise s'était déclenchée. Istbelle n'avait pas su faire preuve de cran et exiger qu'elle-même et les enfants soient traités correctement et non passer après la ferme, les grand-parents et même les vaches ! De plus Istbelle restait terrorisée à l'idée qu'il était capable d'une apparence agréable et en même temps d'un travail de sape qui la démolissait. Elle ne pouvait pas le quitter... non seulement à cause de ses promesses,  à cause des enfants et surtout par peur de les perdre. Qu'était-il capable d'inventer pour avoir la garde ?

Quant à son aînée, elle avait focalisé son attention sur les études. Elle portait aux nues celle qui ramenait de bons résultats sans réaliser  qu'elle risquait de dévaloriser les autres et de  déranger l'équilibre familial. Mais comment empêcher cela ? Et les belle-mères ?  Elles donnaient sans cesse leur point de vue sur tout, quand elles venaient et surtout sur la meilleure façon de faire selon elles et Dana en avait parfois marre de faire la sourde oreille.
 

Il faut laisser les enfants vivre leur vie... Elle les revoyait tous, grands et petits. Chacun à son tour avait tendu les mains vers les miniatures et les lumières des sapins, à Noël.

A sept heures du matin la température était fraîche, bien que le soleil commençât à se lever, mais il était si pâle encore ! De rares voitures passaient sur la route et le seul bruit proche qu'on entendait était le gazouillis des premiers oiseaux à chercher leur pitance.

Elle s'assit sur le fauteuil en cuir devant le porte fenêtre et posa les pieds sur l'avancée qui faisait partie du siège. Les enfants avaient aimé ce fauteuil. C'était celui qu'ils choisissaient pour regarder leurs petits  films, écouter les histoires.
Maintenant, elle se sentait seule, vieille  et menue avec en plus le poids des soucis des enfants sans pouvoir faire grand chose pour les aider. De moins en moins...Personne dans la famille n'avait été enclin aux marques évidentes d'affection. Les compliments n'étaient le fort de personne pas même d'elle ! Mais quand on a suffisamment de preuves d'amour, on peut se passer des aveux.!
Pourtant elle avait eu de la chance. Aujourd'hui, elle en avait tant d'autres à aimer. Leurs enfants avaient à leur tour eu des enfants qu'ils aimaient de tout leur cœur. Ses 7 petits enfants étaient adorables et elle se rendait compte que ceux qui n'avaient pas de petits enfants  ne pouvaient s'empêcher de ressentir une jalousie dévorante.
Elle se demandait aussi si elle vivait réellement sa vie dans ce monde mais ils avaient été heureux et reconnaissants de la place qu'on leur donnait, de l'aide qu'ils pouvaient encore apporter.
Devant son éternel chocolat chaud du matin, habitude qu'elle avait conservée de l'enfance, elle songeait justement que si l'enfance avait été le monde de son père, sa jeunesse et même sa vie entière, le monde de son mari. Était-ce sa vie ? Ou une vie dans laquelle elle avait accepté de s'installer ? Avait-elle bien fait d'attendre des heures entières ce mari toujours occupé ailleurs en regardant par défi des séries télévisées ou aurait-elle dû participer à ses activités ? Si elle avait participé, elle n'aurait été qu'une marionnette... Il avait toujours émané de lui une certaine autorité grâce sans doute à sa culture surtout locale.
Depuis sa retraite il fuyait la maison, l'ennui, le risque de maladie... Il se noyait dans les associations, dans le travail manuel...
Elle se retrouvait seule à la maison, dans un cadre de vie artificiel pour elle.  Elle ne disait rien la plupart du temps. Il était occupé ( à des choses sérieuses ! ) tandis qu'elle se chargeait des petits enfants, des repas ( quand il venait du monde, par contre, il donnait l'impression d'être partout, de tout faire à la maison )... Les petits, il fallait les faire manger, ranger derrière eux, leur brosser les dents, leur raconter ou leur lire une histoire, les mettre au lit. Rien de ce qu'elle faisait n'avait de retentissement  social. En vieillissant elle en avait un peu marre de son besoin insatiable de tout contrôler qui lui donnait la sensation qu'on ne pouvait pas lui faire confiance. Son foutu engagement, son besoin de succès local. Au Maroc pourtant ils partageaient tout. Dans sa région il avait de nouveau été englouti par les préjugés.
D'une part cela lui faisait plaisir. Il lui arrivait de participer. Mais n'être que l'ombre de son éclat ? Non.
Mais elle, où était sa place dans tout cela ? Comment expliquer ? Elle adorait s'occuper des enfants, elle aimait moins faire le ménage... mais ne jamais décider ? Ne jamais choisir? trimer dans l'ombre pendant que lui, dans la lumière  agissait comme si tout ce qu'il faisait était une obligation... La chose avec l'âge lui devenait pesante et elle ne rêvait que de tout mettre en ordre pour ne laisser aucun soucis à ses enfants.

A une certaine époque, son fils venait de guérir de sa longue maladie, elle avait ressenti un grand vide et elle avait pris goût à internet, aux messages d'autres désœuvrés comme elle. Elle ne cherchait pas l'aventure, juste une drogue à sa mesure : écrire et lire des messages. Elle avait besoin d'une petite décharge d'adrénaline. Mais Robin l'avait espionnée et dans sa tête c'était devenu comme une tromperie. Il mettait des espions dans l'ordinateur, fouillait ses mails. Elle ne pouvait s'empêcher d'y repenser encore et encore. Il avait brisé la porte de son jardin secret pour rien car elle ne faisait que bavarder par l'intermédiaire des mails. Elle avait dû s'expliquer, s'humilier en révélant son malaise passager qui n'avait rien de tellement mauvais.  N'était-elle pour lui qu'un objet alors qu'il voyageait  sans cesse avec soi disant des élèves mais aussi des russes, des maliens, des collègues.
Mais était-il vraiment le plus fort dans le couple ? Il se pouvait bien que le désir de laisser sa marque dans ce monde, les projets, les nombreux projets, au lieu de donner des forces, vous les ôtent parce qu'ils vous rendent vulnérables, paralysé par la possibilité d'une défaite et donc d'une souffrance. Elle, elle avait toujours manqué de confiance et le manque d'espoir inutile rendait la vie plus facile à condition d'agir selon ses moyens. Mais lui ? Ses paumes le démangeaient à intervalles réguliers....
Maintenant c'était leur fille Istbelle qui était malade. Les anxiolytiques l'enveloppaient d'une couverture moite d'indifférence et cela lui faisait peur. Elle les avait jetés. Aujourd'hui, elle se rappelait à peine comment c'était de dormir une nuit complète. .

Lorsque le feu rougeoyait dans la cheminée, l'hiver, elle avait tout le temps de repenser aux enfants, aux amis... à sa vie. Son mari était toujours pris par ses occupations, même pendant sa retraite. Les maris sont toujours pris par leurs occupations !

Le monde changeait tellement ! De plus en plus souvent, elle avait l'impression de ne pas être en phase avec la vie qui l'enveloppait...La fête locale était remplacée par des sortes de rêves parties avec musiques modernes. Les jeunes gens y hurlaient, gesticulaient, se bousculaient. Que se passait-il dans le crâne des jeunes d'aujourd'hui ? Ces L personnes lui semblaient volontairement débraillés. Et l'hystérie se déclenchait facilement.
Le téléphone était devenu indispensable mais il avait ses mauvais côtés. On vous baladait  parmi les différents services des entreprises avant que vous ne puissiez obtenir ce que vous souhaitiez ! On vous met en attente tandis qu'une musique se déverse dans vos oreilles. Et elle se demandait, elle qui était devenue si réaliste, pourquoi tant d'amis suivaient les conseils d'illuminés et de charlatans. Plus la science avançait, plus la religion s'effaçait, plus les gens se tournaient vers des moyens discutables de soigner leur aura ! A propos des lectures, elle se demandait parfois aussi pourquoi elle n'osait pas parler de ce qu'elle aimait lire. Y avait-il là aussi des modes, des moyens de se faire remarquer ? Elle aimait relire des passages aimés, elle aimait les héros qui deviennent des amis. Il y avait un aspect réconfortant dans cette familiarité et dans le fait de savoir avec certitude que tout allait bien se terminer.
Aurait-elle mieux vécu en ville ?  Aurait-elle moins souvent sombré dans la désillusion ?
Pourquoi tous autour d'elle avaient-ils de ces migraines dont la douleur reste pendant des heures et les laisse épuisés ?

Les uns évitaient d'envoyer leurs enfants chez  leur autre grand-mère parce que pour se faire aimer elle les gâtait trop. Parfois elle leur donnait tant de friandises qu'ils revenaient de chez elle écœurés ! Les hommes quoiqu'il arrive se distrayaient et laissaient aux mères les soins des enfants les moins attrayants ! Seul peut-être son fils semblait s'intéresser beaucoup à leur éducation.
La vieille chienne noire arthritique faisait des efforts pour se lever et la saluer chaque matin. Elle se soulevait avec raideur le matin et ses griffes cliquetaient sur le carrelage, le soir. . .
Un ordinateur qui n'est plus alimenté ? Tant qu'ils pouvaient, ils avaient répondu aux appels au secours.
- Le réparateur dit que c'est au niveau du voisin. Lorsque le voisin a taillé son arbre, il a volontairement ou involontairement taillé le fil...
Le grand père était mort au cours d'une forte canicule. Il avait appelé sa fille au secours lorsque la grand mère avait dû se faire opérer d'une hanche. Mais il avait été si désagréable qu'elle était prête parfois à l'abandonner ! Il lui faisait sans cesse des reproches.
- Ce ne sont pas des façons de se conduire avec tes parents. Tu es une garce de vivre loin de nous, de ne pas t'occuper de nous !  Dans quelle société primitive, les hommes avaient-ils décrété pour la première fois que les enfants devaient se sacrifier  pour leurs parents ? L'échange était-il équitable ? Je t'aide pendant ta petite enfance, donc tu dois me soutenir pendant ma vieillesse ?  Avait-il oublié que jusqu'à l'âge de 10 ans elle avait vécu chez une tante ? Que croyait-il qu'elle allait laisser sa famille, ses enfants, ses petits enfants pour le soigner ?

Nous ne sommes pas parfaits, les parents parfaits n'existent pas, les enfants parfaits non plus. C'est quand elle avait été mère que Dana avait commencé à assimiler cette idée. Elle avait commencé pau à peu à voir son enfance sous un autre jour et le regard qu'elle portait sur sa mère chngeait mais elle n'arrivait pas à changer son attitude. Une si vieille attitude... C'était effrayant de voir sa mère rétrécir, se réduire, d'être témoin d'une déchéance qu'elle refusait. À 90 ans, sa mère avait lâché prise. Tout ce qui semblait au-dessus de ses forces, elle l'accomplissait encore et elle l'accomplit jusqu'au dernier jour quand elle fit sa promenade quotidienne en passant devant la fenêtre de la cuisine. Elle était appuyée sur sa canne et nos regards se sont croisés. Elle rassemblait ses dernières forces pour accomplir cette dernière promenade sur ses jambes tremblantes. Petite ombre d'une époque disparue, dans sa maison ou sa chambre avec son odeur de passé. Cette abdication, c'était le pire ennemi ! Dana se sentait paralysée d'une horreur animale devant la souffrance et la maladie. Remonter des oreillers, tendre une tasse d'infusion ou une cuillerée de sirop, lui réclamaient un effort sur elle-même. Mais sa mère n'avait pas résisté longtemps après la pose de sa pile. Elle s'était éteinte. A Marseille ils avaient commencé à ranger ses affaires. Pourquoi ne pleure - tu pas se disait-elle ?  Es-tu une mauvaise fille ? N'aimais-tu pas ta mère ? Est-ce que tu ne devrais pas te sentir plus mal ?

Dana avait un jour trouvé un carnet bleu dissimulé dans les affaires de sa mère. Elle avait reconnu, penchée à droite, avec des entrelacs, mais d'une main plus jeune et mieux assurée. Il portait l'inscription " journal intime " . Ces mots éveillèrent des sentiments contradictoires en elle : de la curiosité, de l'excitation, de l'empressement, de la crainte, de l'hésitation. Sa mère l'avait écrit. Elle se doutait bien qu'il risquait d'être lu.

Mais c'est dur aussi d'emballer une vie. Et maintenant qu'elle était décédée, il lui arrivait de regretter toutes les rancunes qu'elle avait gardées au fond du cœur ! Peut-être avait-elle répondu parfois, de façon un peu blessante à sa mère?  Sa mère elle-même lui avait-elle pardonné ? Si on n'a pas de compassion à la fin d'une vie, qu'est-ce qu'il nous reste ? La rancœur... Si on se focalise trop dessus, on finit par perdre le sens de ce qui est juste. Malgré ses efforts, elle flottait dans le vide, elle essayait de se recueillir comme à l'église quand enfant elle recevait l'hostie. Elle éprouvait cependant une sorte de désarroi, celui qui s'empare de vous quand vous avez la sensation d'oublier quelque chose. Sa rancœur ne devait-elle pas mourir aussi ? C'est maintenant seulement qu'elle regrettait de ne pas avoir essayé de comprendre ses parents, maintenant qu'il s étaient partis.
Sa mère et sa tante s'en étaient allées après son père. Elle revoyait le grand tas de terre  qui grandissait chaque fois, la sueur qui brillait sur le front de ceux qui creusaient... De retour au centre ville, elle put observer la grande roue qui poursuivait ses tours lentement, dans le crépuscule, bien que ses sièges fussent presque tous vides.

Au fil du temps, parents et enfants finissaient par échanger leurs rôles. Ce serait bientôt son tour avec les enfants.

Dana, elle-même, se sentait différente. Par timidité elle était longtemps restée distante avec ceux du village. Sans véritable intimité, elle se rapprochait peu à peu des autres. Depuis qu'ils avaient quitté le Maroc, son mari était un autre homme. Depuis que les enfants vivaient leur vie il était encore différent.  Il proposait bien des voyages qu'il choisissait lui-même, mais à la maison qu'entreprenait-il en dehors de travaux aussi divers et variés que possible ?
Dana se remit au travail, peinture blanche, meubles à déplacer, mains sales... Elle ne rechignait pas à travailler dur mais c'était son mari qui avait l'expérience de ce genre de travaux et elle ne se sentait que comme un outil même si l'adrénaline montait en elle en une agréable brûlure. Tant que son corps était sollicité, elle ne réfléchissait pas. A un moment, elle avait adoré bricoler, mais elle ne se reconnaissait plus dans cette maison froide, vide. Dans son cœur aussi il commençait à y avoir des courants d'air...C'est à Marseille qu'elle se sentait bien. Et pourtant  ce n'était pas le calme qu'elle y trouvait. Lorsque son père vivait encore, on l'entendait déambuler toutes les nuits et me^me tirer des chaises, des tables... provoquant sans doute volontairement des craquements et des gémissements des meubles et des sols.
Elle s'essuya, la sueur si rare chez elle, coulait. Elle revoyait les paysages aimés, tellement beaux... Elle entendait les mouettes qui tournoyaient et s'interpellaient bruyamment. Leurs cris ne faisaient partie que de son rêve, loin d'elle-même. Et elle était chaque fois sauvée de la dépression par les sons et les odeurs de la ville...
Elle avait aussi des souvenirs moins agréables. Un jour, alors qu'elle courait avec sa fille dans une allée non loin de la maison de sa mère, fatiguée sans doute, après avoir fait pas mal de foulées, elle ralentit. Ses pieds eurent du mal à continuer sur ce rythme et, au désarroi de sa fille, elle tomba. Elle tomba, non pas dans la poussière de l'allée, mais au pied d'un chien de race indéterminée, tenu en laisse par une mamie et qui était occupé à soulager sa vessie, autant que ses instincts de propriétaire, là où exactement devait s'écraser son visage. Pas même un mot d'excuses de la dame. L'humiliation totale !
Désormais je sors en titubant de la voiture, je me réveille la bouche pâteuse, mes doigts sont un peu plus raides qu'avant,ma main ridée a de plus en plus de tavelures; je crains, à cause de l'arthrose, les brutales poignées de mains des armoires à glace ou de ceux qui prétendent montrer leur vivacité et je pense déjà que je ressemble à ma mère dans ses vieux jours avec ma chevelure aux nuances argentées. Mais je ne crois pas avoir son caractère.
Avec mon mari, l'envie de faire l'amour s'épuisait surtout pour lui après son cancer... Au lit, elle lisait, lui écoutait la radio. Il semblait s'enfoncer avant elle dans le sommeil. Pour s'écarter d'elle ? Non, certainement à cause de cette honte si masculine qui l'éloignait d'elle, mais les preuves de son affection demeuraient réelles.
Son mari avec l'âge fuyait. Quoi ? la vieillesse, l'amour, le regret du passé...Il avait besoin de responsabilités, d'occupations diverses et il se multipliait pour elles. Tandis que son épouse parfois enrageait de ne plus le voir, de ne plus le côtoyer. Et avec cette rage, elle avait l'impression d'être en vie.

Son pas s'allongeait à mesure que le soleil dissipait les restes de raideur hivernale qu'elle avait toujours en elle et ressentait en dehors également. Dana étira ses jambes. Leurs articulations avaient tendance à émettre des craquements. D'hiver en hiver, ils se sentaient de plus en plus raides. Ils montaient désormais la côte lentement ou en soufflant péniblement ! Elle serrait maintenant la rampe que Robin venait d'installer pour leur vieux jours, pour descendre à la cave !. A leur âge s'ils glissaient, ils n'étaient pas certains de pouvoir se relever et encore moins sûr de pouvoir encore marcher après. Elle aimait  un peu plus qu'avant s'isoler des enfants pour se confiner dans sa solitude. Pourtant, pour lui, elle constatait qu'il avait toujours plus d'énergie, plus de volonté. Il est poussé par le " qu'en dira-t-on ". Mais aussi depuis sa maladie auto-immune, il  est dopé à la cortisone. La cortisone à haute dose puis à dose moindre lui donnait un tonus extraordinaire. Durant les voyages, quand il entreprenait des travaux, il retrouvait quelque chose de son exubérance d'autrefois. Elle semblait jaillir de lui comme une source de vie et d'énergie. Dana n'arrivait plus à suivre. Il n'arrête pas au point d'en être fatiguant. Tandis que comme sa mère elle sentait rapidement le sommeil l'envelopper. A une certaine époque, ils avaient été pour la famille le roc sur lequel ils avaient pu se reposer. Maintenant les fondations même de leur existence vacillaient.

Les photos de famille ne faisaient que jalonner le temps qui passe. On voyait l'évolution de la famille pas seulement par l'âge mais aussi à travers les modes ! Les trois enfants dès 15 ans l'avaient dépassée en taille... Il lui fallait désormais s'étirer et se mettre sur la pointe des pieds pour embrasser les plus grands parmi ses petits. Quand elle regardait son visage dans une glace, elle réalisait combien l'âge commençait à faire son œuvre.  Des poches légères apparaissaient sous les yeux, la peau de son visage se relâchait. Sur ses mains, son corps, il y avait des taches. la peau était aussi fine que du papier à cigarettes. Et pourtant elle avait de la chance, elle ne faisait pas vraiment son âge. Son corps était encore présentable.
Et, de plus en plus, quand je suis reçue chez des gens à peine connus de moi, je ne souhaite que rester dans mon coin. Depuis que mes parents étaient morts elle se rapprochait d'eux de leur souvenir et il lui arrivait même de leur parler.

Un monde nouveau se dessine autour d'elle, celui des portables, des jeunes hommes avec un anneau à l'oreille. Alors, pour mieux s'intégrer, elle s'était informée sur l'utilisation des ordinateurs. Elle passait beaucoup de temps sur la toile et pas pour communiquer avec des inconnus mais pour chercher, pour écrire, pour résumer sa vie. Elle tapait ses mémoires.  Les lettres se faisaient rares et elle ne le regrettait pas vraiment. Les e-mails étaient plus pratiques et les coups de fil plus rapides. mais désormais, la poste n'apportait presque que des prospectus, des catalogues, des factures...

Elle réalisait qu'ils avaient totalement perdu le fil qui leur permettait de comprendre leurs enfants.  C'est alors qu'elle avait compris que ses parents l'aimaient sans doute à leur façon et elle regrettait parfois son attitude passée. Elle  avait toujours pensé que ses parents ne l'aimaient pas très bien. Était-ce vrai ? L'avaient-ils aimée à leur façon ? Leurs reproches laissaient-ils entendre qu'ils n'avaient eu un enfant que pour s'occuper d'eux au cours de leur vieillesse. Et à son tour, elle redoutait  de n'avoir pas été capable d'aimer assez ses propres enfants, ses petits enfants. Et pourtant elle les aimait... Les mentalités évoluaient. Tout changeait. maintenant on accrochait dedans comme dehors, à la mode américaine, les décorations de Noël, Elles étaient de plus en plus voyantes, de plus en plus clinquantes. on fêtait Halloween. Les conjoints avaient transformés leurs jeunes, la vie avait orienté leurs pensées vers d'autres horizons que les leurs. C'était normal mais leur propos contenaient du mépris, des leçons...Les uns s'inscrivaient dans des AMAP et recevaient des paniers de légumes mais n'avaient pas le choix des repas. Comme autrefois, il n'y avait que des produits de saison.  Les choses auraient-elles pu être différentes? . En même temps elle ignorait totalement comment elle aurait dû s'y prendre. Elle les aimait mais elle avait été bousculée par la vie, par la personnalité de son mari, par l'ignorance peut-être du futur... Elle n'avait pas pu être la mère dont ils rêvaient sans doute. Tous deux d'ailleurs étaient d'une nature pudique et les mots d'amour n'étaient pas leur fort. Elle ne pouvait être que la mère  que la vie de l'époque, le passé lui avaient appris à être. Elle les aimait à sa manière. Pourtant, il arrivait qu'avec un sourire elle reconnaisse un peu de leur éducation première, un tout petit peu même vis à vis des petits.
Parfois ils avaient du mal à réaliser que ces  quadragénaires, déjà un peu souffrants avec quelques filets de cheveux blancs étaient le petit garçon, les petites filles qui  avaient gambadé chez eux, avaient voyagé avec eux  et s'étaient parfois révoltés contre eux...
Face à ses enfants même révoltés, Dana sentait la fragilité surtout chez son fils qui ne le montrerait jamais.  Ils aspiraient au bonheur tout simplement comme tout le monde. Comment Dana pourrait-elle sans les vexer apporter une aide que son fils d'ailleurs refusera. Toutes ses interventions même discrètes font emprunter aux relations mère enfant et surtout mère fils de dangeureux chemins.

Chaque été et pour les grandes fêtes, nous nous retrouvons tous ou presque dans la grande maison de notre enfance. Nous aimerions nous retrouver ainsi plus souvent. Mais le temps manque à chacun et les années passent. Les toutes petites mains neuves de leurs enfants n'étaient pas comme les siennes : tordues comme celles de sa mère au même âge. Elle avait même du mal à plier ses doigts..

Assise devant le feu qu'elle tisonnait, elle avait de plus en plus de mal à comprendre cette nouvelle société.  Celle où des jeunes s'attaquaient entre eux dans des trains pour racketter celui qui avait un peu de monnaie pour rentrer chez lui. Et où les contrôleurs sans distinction entre les bons et les mauvais mettaient tout le monde dehors, dans la nuit, et abandonnaient sans argent un jeune loin de sa famille, loin de son appartement ! Le tour de France devenait le tour des drogués et était un show truqué.  Les déchets laissés, les mégots sur le sol qui laissaient une trace noire trahissaient-ils une petite vengeance contre certaines humiliations de la vie ? Les chaussures des petits s'allumaient. Des petites lumières apparaissaient dans la semelle de caoutchouc transparent. Il sombrait dans le ridicule car les coureurs grimpaient les cols aussi vite qu'avec des mobylettes. Qu'avaient-ils inventé cette année ? Après les hormones, les corticoïdes, l'insuline... il leur fallait un petit moteur caché dans le cadre ! Même les paysages changeaient. Lorsque les foins étaient coupés d'énormes boules de foin remplaçaient les gerbes et les javelles et donnaient ce nouvel aspect digne d'un tableau moderne ! Et la politique, n'en parlons pas ! Le clan du président précédent s'était retrouvé dans le New  Hampshire au milieu des gens très chics et essayaient d'imiter John et Jackie Kennedy à leur tour ! Les autoroutes semblaient s'améliorer mais les petites routes  n'étaient que rafistolées et les secousses faisaient mal à Robin après son opération d'une hernie discale. Décadence de la société ? Ou bien son temps à elle était-il révolu ?

Les saisons mêmes n'étaient plus les mêmes. Où étaient passées les neiges d'antan ? Les saisons aujourd'hui donnaient parfois l'impression que le temps s' était arrêté. Les trains devenaient rares. La gare demeura le plus souvent vide...
Cette société où des jeunes allumaient des cigarettes dans les trains pour attirer les remontrances et attaquer les simples voyageurs en les accusant de racisme ! Ce monde où des terrorists agissaient.
Elle enleva le chouchou qu'elle gardait autour du poignet et noua ses cheveux châtains en une sorte de chignon.  Il fallait qu'elle songe à couper ses cheveux et à les garder naturellement blancs et gris comme ses cousines. Finalement il ne faut pas trop penser mais vivre l'instant présent. Qu'y a-t-il à regretter ? Ce qui est fait est fait. Nous faisons tous nos choix. Mais certains lient, d'autres non. Cela faisait longtemps maintenant  qu'elle vivait dans ce village, on s'y était habitué aux personnes venant d'ailleurs et elle se sentait moins jugée. Elle ne cherchait plus à s'instruire mais à trouver du plaisir. Elle ne regardait pas à la télé les mêmes foutaises que sa mère !!! mais d'autres plus tournées vers l'angoisse, l'aventure, la psychologie.
Désormais, elle regardait autour d'elle. La maison était claire et agréable mais elle avait besoin d'une aide-ménagère. Les murs de la maison étaient couverts soit de tableaux, soit de photos. Le désordre de ces souvenirs de voyages n'était qu'apparent. Sur les murs on pouvait voir en plus des tableaux venus du monde entier, des photos de famille, des photos d'enfants et petits enfants. Le jardin est le plus souvent désormais envahi par les mauvaises herbes. Que sont devenus tous les êtres vivants qui y grouillaient. Les sauterelles n'avaient pas supporté la pollution environnante, les coquelicots non plus. Des générations d'oiseaux avaient perdu l'habitude de recevoir des graines et seules les roses trémières près de la piscine captaient encore la douce lumière et fleurissaient avec plus de grâce que lorsqu'ils avaient ramené les graines de Grèce. Elle gardait l'image d'un corbeau qu'elle avait sauvé et aimé. Elle le revoyait perché sur le bord de la fenêtre quémandant son repas et se laisser caresser. Ses yeux bleus devenaient sombres mais bienveillants, il se couvrait d'un plumage bleuté avec parfois des reflets roux. Quelqu'un l'avait tué.

Les oiseaux perchés dans les arbres piaillaient à l'envi. Elle entendit sonner l'horloge du clocher du village. Une tondeuse pétaradait au loin. Un tracteur passait bruyamment. Une belle journée de printemps. Une de plus dans une assez longue vie. Ce n'est déjà pas si mal.

Ils avaient eu pas mal de chiens.
Le petit chien Capi était un coquin, une foutue boule de poils, couleur de soleil. Les enfants étaient heureux, un petit de 3 mois. Il aimait jouer avec les chaussures
.

La vieille Roxy s'était mise à courir beaucoup moins. Elle n'était plus toute jeune et avait sans doute de l'arthrose. Et bien vite, elle avait vécu ses derniers moments, après un brutal cancer des os.
- Ne peux-t-on pas la sauver encore ?
- Elle était très vieille. C'est déjà beau qu'elle ait vécu aussi longtemps. Plus de 16 ans comme sa mère. Elle ne fait plus beaucoup de bruit. Elle n'entend pas et son regard nous suit pour essayer de comprendre nos gestes. On perçoit parfois le cliquetis de ses longues griffes vieillies sur le sol.
Comme pour Fly sa mère qui a vécu aussi longtemps, il va bientôt falloir creuser un trou pour y mettre son petit corps qui fut pourtant si plein de vie, si dynamique.

C'est un peu le drame pour Danna. Robin lui, entrevoit la galère de devoir dresser un nouveau chien : l'urine dans ses chaussures, les " assis, non, au pied, va chercher... " . Puis il pense au soulagement de ne plus avoir de chien : les vacances en toute tranquillité, plus de poils sur le canapé, sur le sol, dans l'air même, plus de promenades forcées, plus de conversations avec les amis des animaux sur le parcourt qui s'extasient sur la beauté de la bête... Et Maya arrive, et Maya est adorable, et Maya se révêle aveugle. Et il s'attache à Maya.

Elle ne tricotait pratiquement plus. Pourquoi faire ? Elle avait aimé le cliquetis des aiguilles, l'occupation donnée à ses doigts... mais plus personne ne portait les vêtements faits main. C'était la mode des marques.
Elle secoua la tête avec regrets. Je suis devenue de plus en plus paresseuse et je me rends compte  que les jeunes n'ont plus besoin de moi... Quoique ?
A quoi ça sert d'être mariés si on ne fait rien ensemble. Pourtant à de rares moments, elle avait eu l'impression d'avoir influé sur son mari, sur ses façons de penser.  Autrefois, elle le suspectait à ses réactions qu'une femme ayant subi une agressions sexuelle, par exemple, l'avait bien cherché en s'habillant comme elle le faisait. C'était à la limite comme si elle l'avait bien cherché !
Je lis encore, mais pour passer un bon moment... Je reste un peu une solitaire...
Je sens de plus en plus les piques des autres et j'ai toujours du mal à y répondre dans l'immédiat. Désormais, alors que ma mère m'avait élevée dans la croyance, je me sens mal à l'aise dans une église. Cela m'importune. J'ai l'impression d'être une voleuse parce que j'y rentre sans foi. Ma mère n'a jamais compris mon détachement, mais j'ai fait des études...

La vieillesse, elle n'y songeait pas souvent. Les années avaient passé sur elle sans trop la marquer, malgré son travail, ses enfants, ses maladies car, comme son mari, elle avait eu deux cancers. Pourtant, une sensation de dénuement l'étreint parfois. Le froid du carrelage semble remonter le long des jambes pour l'envelopper... Elle grimace de douleur lorsque des mains trop vigoureuses la serrent comme un étau pour dire " bonjour ". L'arthrose sans doute. Elle continuait à mettre sa crème de nuit.
Elle baissa ses yeux sur ses mains ridées et gercées, avec des taches de vieillesse, les mains d'une femme âgée, les mêmes mains que sa propre mère, il n'y a pas si longtemps.... C'était sa génération maintenant qui faisait partie des vieux. Ses bras maigres n'avaient plus de muscles. Sa peau devenait molle sous son menton, en bas des joues. Ses cheveux étaient presque entièrement gris maintenant et ceux de son mari encore plus. Pendant de nombreuses années, elle les avait teints en châtain clair avec une légère nuance de reflets roux presque comme sa véritable couleur
dans sa jeunesse. Elle avait récemment cessé de le faire et c'était aussi bien.
Mes cheveux sont gris et même blancs.

- Les cheveux courts vous vont à merveille
- Merci.
Ses cheveux blancs s'accordaient en effet avec son teint un peu mat et ses taches.
Elle ne portait plus de lentilles mais des verres de lunettes qui s'assombrissaient à la lumière.S'il fallait écouter les médecins, elle boirait sans arrêt ! Mais ils ne savent pas, eux que comme sa mère, elle a une petite vessie, elle est limitée par ce fait. Ils verront quand ils auront son âge et ils riront moins. Combien de temps faudrait-il pour que les nôtres nous oublient même dans leur cœur ? C'est cette sensation qui m'a poussée à avoir une petite chienne Maya. Maya était bébé, elle serait portée dans les bras, un certain temps, comme l'avaient été Capi et Roxy. Elle serait promenée, bien nourrie, caressée. Elle les accompagnerait partout comme une peluche vivante.
Elle retrouvait parfois des dessins faits par les enfants, des petits objets qu'ils avaient fabriqués en travaux pratiques à l'école qui avaient été gardés.
Robin, lui, aimait le passé. Mais lire sur l'histoire ne nous montrait qu'une chose, que les hommes n'ont pas beaucoup changé au cours des siècles. Cela m'ennuie l'histoire ou plutôt je ne suis pas passionnée, l'histoire a été écrite par des hommes qui ont souvent menti ou arrangé les événements, et lui adore. Incompréhension entre passions différentes.
Au cours des voyages il savait toujours se débrouiller, quelle rampe d'aéroport emprunter... Mais avec l'âge, en classe économique, les espaces dans les avions semblaient se réduire et les sièges étaient trop étroits. On ne peut pas étendre les jambes. L'hotesse nous verse à boire avec un certain charme tendant gracieusement ses verres pleins. Ils se disent que si ce jour-là un pirate faisait exploser leur avion, ils plongeraient tous dans le blanc farineux des nuages, dans le froid de l'altitude. Elle, elle n'avait pas particulièrement peur. Elle y pensait rarement, juste une simple idée qui lui traversait l'esprit.
Elle, elle adorait lire des romans. Elle lisait toujours dans son lit avant d'éteindre la lumière. Cela l'em^pêchait de penser à d'autres choses.  Pour d'autres c'était un gaspillage de temps. Elle se souvenait de son père qui disait que ses études c'était " du vent ".  Il vaut mieux vivre les choses soi-même que lire ce que les autres ont vécu. Mais elle avait vécu aussi et beaucoup voyagé...

Quand on on n'est pas passionné, on n'est pas intéressé.  Son insouciance et sa faculté de vivre dans le présent finalement la rendaient moins angoissée, plus détendue. Son mari prenait 20 ans à chacun de ses gigantesques projets de restauration du patrimoine.
Les rayons de soleil effleuraient la plante de ses pieds, elle les étendit. Elle aimait cette sensation de chaleur. Cela faisait un bien physique et moral. la chaise dormait près d'elle, dans la chaleur de l'abri de piscine tandis que la machine à café électrique  préparait le breuvage qui la sortirait de sa somnolence. Elle irait faire un tour avec Maya..
Dans le jardin, le vieux cèdre de l'Atlas, fidèle au poste, déployait son impressionnante ramure. Entre temps, le crépuscule était tombé; cette obscurité soudaine du début de l'hiver venait s'ajouter à la chape morose de la vie. Combien y aurait-il encore de printemps pour l'en libérer ?

Ils avaient une nouvelle petite chienne : une bonne raison  pour sortir marcher. Dana et son mari faisaient régulièrement leur promenade accompagnés de Maya, un chien noir avec des taches blanches sur le ventre, le museau et au bout des pattes. Elle prenait la laisse et l'attachait au collier de la chienne. Celle-ci se mettait à sauter de joie, ses oreilles se dressaient un peu et chaque muscle de son corps se tendait. Pourtant la chienne était souvent libre sauf sur les routes. Ils faisaient toujours à peu près le même trajet et une fois par semaine ils marchaient avec leurs amis lorsqu'il faisait à peu près beau même si la pluie rendait les chemins boueux et bien qu'il faille assez souvent traverser des petites mares d'eau. Le chien découvrait avec eux une joie gourmande les plus grandes  et magnifiques haies de mûres sauvages de la région. Parfois même Robin se mettait aux infusions car il dormait mal. C'était soit une poignée de feuilles de tilleul ( venues de leur arbre sur la pelouse ) soit un sachet de verveine qu'il jetait dans l'eau brûlante. Il se versait le tout sur un peu de miel et faisait tourner sa cuillère. Cette chienne était presque sage désormais. mais elle avait été un bébé agité. Elle grignotait les chaussures. Quand le chien s'en prend aux pantoufles c'est que son maître lui manque sans doute. Il aime son maître, mais il ne sait pas aimer sagement. Et s'il s'ennuie, il se sent abandonné.
Robin avait eu une grande émotion : la vision de son petit fils  avec son manteau et son cartable lui avait tellement rappelé sa propre silhouette lorsqu'il partait pour l'école. Il a eu plusieurs maladies qui au lieu de le calmer l'ont complètement déboussolé à mon avis. Il se jette dans des occupations monstrueuses pour lui : la pierre des trois évêques, le moulin à rénover.... A la maison il avait fallu rationner surtout le sel mais aussi graisse et sucreries..

Dans les maisons les objets s'amoncellent et ne servent plus à rien. Et nous ? .
- Cela ne me gênerait pas d'être incinérée.

- Sûrement pas... Robin refuse. Il est parfois curieux : un faux matérialiste. Il y a de plus en plus de personnes qui se font incinérer. Mais pour les incinérés il ne reste même pas d'os tout part dans l'eau la terre ou le vent.
Elle se dit qu'en fait, c'était sans importance. Les morts, une fois morts, se moquent bien de ce genre de détail. Comme de la manière  dont ils sont traités par les vivants ou ce que ceux-ci pensent d'eux.

Au moment de la retraite son mari a été encore plus occupé, encore plus absent. Il était tout le temps à droite et à gauche. C'était lassant pour elle de se retrouver seule à la maison et en plus dans une région qui n'était pas la sienne. Elle aurait pu participer à la vie du village, s'intégrer; non merci pour se retrouver sous ses ordres ?
Toute ta vie tu te bats pour être regardé, admiré et tu finis dans une plus ou moins grande boîte ! Que de fois, sans rien dire, j'ai trouvé enfin le moment de respirer dans un lieu agréable. Que le paysage aurait été beau ! Et tu n'étais pas là. Toujours dans tes projets... Quand je pense à ton attitude, je sais que tu fais au mieux selon ton tempérament, mais je pense au  " Petit Prince de St Exupéry et à vol de nuit ". A ces phrases qui ont hanté ma vie par leur profondeur : " Nous agissons toujours comme si quelque chose dépassait en valeur, la vie humaine... L'essentiel est invisible pour les yeux... On n'est jamais content là où l'on est. " ou à ces rois rencontrés par le petit prince qui pensent: " Je m'occupe, moi, de choses sérieuses ! "  C'était un trait de sa personnalité ctte extraordinaire capacité à s'absorber dans le sujet qui le passionnait.
Pour beaucoup, elle n'était que la femme de... Quand on n'ignorait pas jusqu'à son existence ! L'ultime humiliation ? Peut-être pas. Mais tout de même...Elle ne souhaitait pas le voir échouer, mais elle aurait voulu plus de compréhension à son égard, sur son choix de vie. Mais tous admiraient ce mari parce qu'il s'investissait alors que peut-être c'était plus fort que lui, ce besoin de se mettre volontairement en avant. Disons que ce besoin était accompagné de son amour pour l'histoire et surtout pour l'histoire locale. Pourtant désormais, elle ne s'inquiétait plus de ce qu'on penserait d'elle. Elle se contentait de mener le plus possible la vie qui lui convenait

Je m'occupe aussi de choses sérieuses !!! Mais je n'ai pas que le boulot dans ma vie. Elle, elle était capable de s'asseoir toute seule et de ne pas s'ennuyer en sa propre compagnie. Pour cela il faut se trouver soi-même, ne pas se perdre, s'approcher le plus possible de ce que nous sommes vraiment. Nous sommes ce que nous sommes. Quand ils allaient à Marseille, elle appréciait le nouveau salon fait à l'emplacement du garage. les baies vitrées inondées de lumière suffisaient à son enchantement.
Son mari était toujours content de recevoir une visite, toujours prêt à  agir pour son village, pour quelqu'un, à en perdre son énergie... Au début, cette attitude la déconcertait. Elle n'avait pas grandi au milieu des mêmes principes, ni avec l'idée qu'il fallait qu'elle se mette en avant. Elle avait au contraire grandi dans un foyer fermé, silencieux sur ses problèmes, malgré les disputes, un foyer plutôt hostile dont le père n'aimait guère les visiteurs, les quémandeurs, la famille même. Son caractère, ses réactions étaient formées à vie. Même un mort n'est jamais réellement dans sa tombe, il est en nous.
Pourtant, elle essayait de sauver des animaux en détresse, des lapins qui avaient perdu leur mère, des oiseaux tombés du nid... Elle nourrissait les oiseaux  sur sa fenêtre, sur son balcon, dans les arbres. Elle protégeait et élevait les bébés perdus.

Un jour Maya avait trouvé un bébé corneille. Elle avait aboyé, elle ne l'avait pas tué. Impossible de trouver le nid. Ce bébé était à la merci des chiens et des renards. Dana l'avait nourri et cinq jours avant un voyage, elle l'avait posé sur un chêne, dans le bois en espérant le surveiller pendant ces cinq jours tout en l'observant pour voir s'il allait se débrouiller. Mais il ne savait ni voler, ni manger seul après presque deux mois de soins. Ce jour-là, il avait sauté de branche en branche dans l'arbre sur lequel Dana l'avait posé. Il s'était mis à picorer la mousse sur le tronc. Elle l'avait abandonné pendant plusieurs heures. Quand elle était revenue Dana ne l'avait plus vu. Il n'était plus dans l'arbre et selon la chienne Maya, pas au sol non plus ! Dana était revenue régulièrement le chercher dans le bois et elle l'avait enfin revu. Il sautait maintenant d'arbre en arbre et lui parlait. Le sauvetage était en partie réussi. Comment allait-il trouver seul sa nourriture ? Le lendemain, il la suppliait, il avait faim. Il avait fini par comprendre qu'il devait descendre à la portée de Dana pour avoir sa ration. Pendant deux jours encore, elle l'avait ainsi nourri, mais une seule fois par jour. Et elle le remettait très haut pour qu'il apprenne à voler. Il avait cependant un air désespéré, il la suivait du bois à la maison comme pour être certain de la retrouver. Pour le vol, maladroit encore, pas de problème, il allait s'en sortir. Dana avait donc cédé, devant son air malheureux et elle lui avait installé, sur le grill en pierre du barbecue, des gamelles attachées, remplies de divers ingrédients : de l'eau, des graines, des croquettes pour chat, des boules avec graisse. Sa fille et des amies devaient venir vérifier, de temps en temps, qu'il ne manquait de rien. Cependant les chats abandonnés auraient pu se servir avant lui. Il avait fallu que Dana lui apprenne, au moyen d'une grosse souche posée au sol, à monter sur le grill. Après répétitions, il avait bien compris. Il se baignait dans la gamelle d'eau. Grâce aux personnes impliquées, Dana avait eu des nouvelles jusqu'au Canada. Puis un jour, elle avait appris qu'il avait disparu. En réalité, il s'ennuyait et avait été trouver les voisins du quartier. Dana s'était sentie un peu inquiète, mais fière et satisfaite. Elle pensait avoir réussi son sauvetage.
Au retour de son voyage avec Robin, l'oiseau les avait reconnus. Mais les voisins qui s'étaient bien amusés à ses dépends commençaient à s'en plaindre. L'oiseau devenait adulte et jalousait enfants et chiens. Et sans en parler à Dana quelqu'un avait agi. En tout cas l'oiseau, disparut brusquement deux mois après, en plein jour. Quelqu'un parla de mesure d'éloignement... Dana furieuse ne comprit jamais qu'on ait agi ainsi sans son avis.

La vie passait et les anciens avec... Ils n'étaient pas vieux, ils étaient comme on disait du 3 e âge ! Ce serait plutôt une phrase de son mari !  Mais il fallait reconnaître qu'ils ne voyaient plus grand monde. La vieillesse c'est quoi exactement en dehors du corps qui s'affaisse ? Tout simplement elle était lasse, n'avait envie de rien, de presque rien, d'être traznquille ! Ils s'adaptaient mal à une époque où régnait l'égoïsme. Autrefois être médecin était une vocation. les gens sont devenus plus cyniques maintenant. Beaucoup de médecins font ce métier pour l'argent gagné. Chez Dana et Robin, on prononçait peu  de paroles, chacun restait pétrifié dans ? Dans quoi ? Dans son orgueil ?  Le père surtout ne voulait pas que quelqu'un soit mieux que lui, c'était inconscient mais bien ancré en lui !!! Ancré dans son patrimoine génétique mais cela le rendait travailleur et acharné.
Dana, elle au contraire, était d'un naturel assez paresseux, peu confiant en elle-même. Elle ne voulait pas passer son temps au ménage. Elle écrivait pour son site, lisait, se promenait avec la chienne.

Elle réalisait aussi que nous ne nous rendons pas compte de ce que nous possédons et nous manquons de reconnaissance à l'égard de la vie. L'image d'elle qu'elle observait dans la glace la stupéfiait. C'en était fini de la jeunesse. Ses yeux s'étaient rétrécis, sa peau tombait et les rides aux commissures de ses lèvres conféraient de la dureté à sa bouche, comme si elle était sculptée dans le bois. Elle avait bien pris 3 ou 4 kilos par rapport à sa jeunesse et deux semaines après son shampooing colorant, le blanc réapparaissait à la racine. Elle avait fini par renoncer à cette coloration. Elle qui n'avait jamais beaucoup aimé son image regrettait la tout de même charmante figure qu'elle avait autrefois. Etre jeune c'est être beau et on ne le réalise pas assez. L'existance lui avait tout de même offert un homme qui au milieu de ses défauts, que nous avons tous, était foncièrement bon. Ses enfants, surtout son fils avaient donné l'impression d'avoir abandonné provisoirement  les valeurs que les parents avaient essayé de leur inculquer. Mais on les retrouvait dans l'éducation qu'il transmettaient à leurs propres enfants. Ses souvenirs étaient riches et colorés de ruelles de souks et de masques africains.
Pour le moment, elle réinvente son avenir chaque jour. L'important est de ne pas se laisser aller. Elle a découvert internet. Elle y passe parfois beaucoup de temps.
Le moindre renseignement ? Elle y trouve une réponse.
Mais après ? Et si elle se retrouvait seule ? On ne veut plus rien savoir de la mort aujourd'hui. On cherche à gommer le temps qui la précède. On voudrait pour cela soustraire les vieux vivants, dans des maisons de retraite, de peur qu'ils n'encombrent le regard de ceux qui veulent oublier que toute destinée a une fin. Elle-même ne gommait-elle pas les pensées de la mort à tout moment ? Elle n'avait pas peur de mourir, elle avait peur de souffrir ou de se retrouver seule et abandonnée.

Marseille, qu'elle revoyait encore assez régulièrement avait toujours sa lumière, ses paysages éclaircis par le mistral et son agréable animation cosmopolite s'était amplifiée. On pouvait même y voir des djellabas, des voiles, des tchadors, des boubous, des saris, des kippas côtoyant des cravates, des casquettes, des poussettes, des minishorts .... A un moment donné, ils y allaient par le train. Mais les correspondances se faisaient de plus en plus attendre. Elle se souvenait des voyages d'autrefois sur les routes nationales. Son père conduisait. Ils traversaient des bourgs, des vilalages... Aujourd'hui seuls les panneaux remplaçaient le paysage et indiquaient où on se trouvait. Ils avalaient des kilomètres et des kilomètres sur une autoroute morne ou encombrée de camions plluants et les seuls relais étaient les cases des péages, les arrêts techniques ou le pique-nique.
Le soleil rougeoyait derrière le clocher de l'église et à sa droite en ragardant depuis la maison. Elle s'attarda et regarda longuement le paysage. L'un d'eux allait mourir le premier. L'autre serait-il capable  d'aborder la vie avec le même détachement qu'avant ? Il s'angoisserait plus facilement, à propos de choses auxquelles il n'aurait même pas prêté attention autrefois. Dans le passé Robin s'était toujours chargé de s'inquiéter à sa place, et elle surtout, serait alors seule face à la réalité.

Souvenirs, souvenirs

Lorsque les médecins de Cressensac sont partis à la retraite, les villages alentour se sont trouvés sans médecin. Puis deux femmes sont arrivées. Elles paraissent compétentes, sérieuses, mais la population a dû s'adapter au fait qu'elles régulent le flux de patients, les horaires...
Je faisais des patins à roulettes dans l'allée dallée de notre jardin. J'étais devenue assez experte pour virer sur place ou tourner. Un jour, j'avais voulu descendre le boulevard de la Mazarade en patins. Je voulais profiter d'un moment où il y avait peu de voitures. Mais ce que j'ai pu stresser ! Le boulevard était rempli de nids de poule qu'il fallait contourner, la légère pente m'emportait et je n'ai plus jamais recommencé.
Plus tard, la nièce de mon mari avait voulu que je lui montre ce que je savais faire. Mais à cette époque là j'avais pas mal oublié les gestes. De plus, on s'habitue aux défauts des lieux parcoururs. Dans la ferme du Chazal, je m'étais retrouvée sur les fesses.
Pendant longtemps, j'avais rêvé d'un vélo. J'avais économisé sur ma tirelire mais toute la somme avait disparu dans un achat soudain plus immédiat. Alors lorsque mon équipe de guide et moi, avions organisé une tombolat, je m'étais débrouillée pour gagner le vélo offert. Hélas il était déjà trop petit pour moi. Il ne m'a offert qu'un tour dans le quartier et j'a dû l'abandonner.
D'où viennent les instincts méchants des enfants ? Jalousie ? Pourquoi après avoir fait rougir mon petit bras de fillette, ai-je accusé la garçon qui m'avait prêté ses jouets, de m'avoir fait mal ? Pourtant il m'avait prêté une vraie voiture à pédales.
Nous passions nos vacances à Saurat. C'était le lieu de naissance de ma grand -mère paternelle. Nous y vivions dans une très vieille maison avec une souillarde, des cages à lapin. Dès que nous arrivions, il fallait couper l'herbe à la faux dans le jardin, s'occuper des lapins car c'était avec un lapin parfois malade que nous payaient les paysans qui louaient les terres des ancêtres. Nous nous promenions dans le village, vers les collines de châteaux en ruine : Montorgueil et Calamès. Nous faisions la lessive au lavoir de Fontanes et allions chercher l'eau à la Fontaine sur la place la plus proche.
Vagues souvenirs de vendanges. Chez qui ? Chez mon oncle ? A Enco de Botte chez une tante? Peut-être, la soeur de la tante Jauze y avait une ferme.
Tous les chats que j'ai aimés enfant. Le premier était une chatte qui avait fait ses petits dans notre réserve à charbon. Mon père la chassait à coups de bâtons. Je l'ai supplié et finalement j'ai fini par avoir la chatte et un petit. Nous les amenions même à Saurat. Le petit était magnifique. Il est mort adulte, empoisonné sans doute par un voisin.Nous avons gardé longtemps sa mère. Une année à Saurat nous avons changé de maison. Au lieu d'aller dans la vieille maison de ma grand mère, nous avons habité chez une tante qui venait de mourir. Et nous avons perdu la chatte. Par hasard, nous sommes allés voir dans l'ancienne maison, elle nous y attendait.
J'ai commencé à bien étudier en 4 e. Je me suis rendu compte que j'apprenais bien en marchant. Depuis je marchais avec un livre ou un cahier, je marchais dans la maison, dans le jardin, dans ma chambre à la fac.

J'avais quelques amies de fac: Régine, et d'autres. L'une d'elles avait un été voyager en faisant du stop jusqu'au sud de l'Espagne. Régine est longtemps restée mon amie. Nous nous invitions. Sa mère faisait les haricots verts de façon excellente. Toutes deux peignaient. Les tableaux de sa mère étaient plus réalistes. J'en ai plusieurs qui décorent notre maison ou la maison de ma mère à Marseille. Pourquoi n'ai-je plus de nouvelles ? J'étais la seule à appeler. J'ai attendu un appel en retour. En vain.

J'avais un magnifique chat blanc aux yeux bleus. Il m'avait été donné par une cousine. Il fut écrasé par le bus et j'en avais été très triste. La même cousine m'avait proposé un autre chat blanc, beaucoup moins beau. Il avait un oeil vairon. En même temps, ma grand-mère voulant me faire plaisir m'avait acheté un beau chat gris angora. Elle avait été malheureuse car elle pensait que j'allais refuser son chat. Mais mes parents n'ayant pas dit non, j'avais donc eu deux jeunes chats. De peur d'un nouveau malheur ( un autre chat avait été empoisonné !), je les avais attachés dans le jardin au moyen d'une longue laisse coulissant le long du fil à linge. Le reste du temps, ils avaient leur place dans la maison. Je me soubiens que le chat blanc entrait dans un petit trou de mon bureau, fait pour recevoir des stylos. Un jour, ayant grandi, il s'était aperçu qu'il ne rentrait plus et avait pris un air très étonné.

Mon adaptation au Maroc n'a pas été si facile que cela. Il faisait beau et chaud souvent, bien sûr. Mais aller à pied au marché, acheter dans des boutiques où l'hygiène n'était pas encore au point. Savoir qu'il n'y avait à Meknès qu'une seule couveuse. Avoir été considérée enceinte alors que j'étais juste perturbée par le changement de vie !

Mon caractère ?

 
Ce qui vous arrive vous marque à jamais. Si quelque chose a été tué en vous quelque chose d’autre doit surgir également de l’expérience...
Je n'étais pas à l'origine une enfant solitaire puisque j'ai vécu avec des cousines et des voisines que ma tante gardait. Je me souviens de nos jeux, de nos bêtises... Mais je suis devenue timide et solitaire en arrivant chez mes parents. Mon père était plutôt sauvage, ma mère trop occupée et déjà un peu aigrie. Lorsque j'invitais, mon père était bougon et asocial. Lorsqu'on m'invitait je me sentais de plus en plus maladroite. J'aimais lire, étudier sans que ce soit pour l'école, me perdre dans la nature et seul le scoutisme m'a vraiment épanouie..

Nous sommes au cours des ans toujours les mêmes et pourtant toujours différents.
Nous connaissons tous l'assertion de Nietzsche : " Deviens ce que tu es ". C'est ce que j'ai toujours souhaité, en toute simplicité. Notre être est orienté sur une sorte d'aiguillage universel, mais sans aiguilleur. Nous sommes nos propres aiguilleurs.

J'ai du mal à me cerner moi-même. Qui peut vraiment se connaître ? Qui peut vraiment me connaître ? Je ne me soucie pas trop du monde autour de moi et pourtant je ne rejette personne, je ne méprise personneJe ne sais pas m'apitoyer ou pleurer ou trop me soucier sauf peut-être de mes enfants. Je suis lucide face à la vie et elle ne me surprend pas trop. Ma seule tâche est d'exister au mieux. Pourtant j'aurais aimé un mari qui me dise au moins une fois ( pas trop, je ne l'aurais pet-être pas cru ! ) que pour lui j'étais unique, que sa vie était agréable grâce à moi, qu'une fois de temps en temps il me dise qu'il restait avec moi, pour moi. Mais je dois avouer que moi-même, je ne le fais pas envers lui. J'ai du mal à communiquer mes sentiments, mes réactions. La vie nous emporte et nous poursuivons un rêve.

Adolescente, je rêvais d'amour pur et infini. Cet amour, je l'ai inventé au moins deux fois à propos de deux jeunes gens. En leur présence, ce furent de beaux jours où tout était différent, tout paraissait merveilleux ou doré ou lumière...  et pourtant tout était certainement dans ma tête. Lorsque ces garçons passaient en souriant ou me parlaient ou dansaient avec moi... l'émotion emplissait mes journées.

Je ne suis pas d'humeur positive pour les rencontres, surtout depuis l'âge adulte. J'ai du mal à m'habituer aux nouvelles personnes qui pourraient entrer dans ma vie ? Je n'ai pas le caractère nécessaire pour me rendre agréable auprès d'elles. J'ai toujours une phase de réserve un peu gênante pour moi et les autres. Une certaine timidité m'empêche de m'affirmer, de m'ouvrir spontanément aux autres.
Je sens le désagrément de ma présence réservée dans un groupe ou un repas de famille, par exemple, je suis gênée et cette gêne me paralyse. Ce désagrément m’est plus désagréable qu’à personne. D’où vient-il ? De plusieurs causes premières : orgueil peut-être ??? Mais je ne le pense pas vraiment; manque de confiance et timidité dans des situations nouvelles ??? Certainement, et aussi refus de certaines idées trop approximatives, préconçues ou trop égoïstes. Je me sens intérieurement révoltée et bloquée face à certaines conversations qui n'obtiendraient de moi qu'une bonne réplique à l'écrit !!! Je me suis regardée et je me suis demandé si sous cet extérieur distant, réservé, peu sympathique sans doute, il n’y avait pas quelque chose de passionné à la manière de Rousseau. Tout être humain est-il sans le savoir un comédien, un masque?

Ce n'est que lorsque je connais mieux les gens, que les gens me connaissent mieux, montrent qu'ils apprécient certains de mes côtés que j''arrive à me détendre... Cette gêne peut donner de moi diverses impressions. Je n'ai ni la capacité, ni le goût pour braver publiquement la critique : je suis ce que je suis, personnellement je préfère le silence à l'accusation alors d'autres face à moi se croient plus forts. Ils ne sont pas gênés par la peur d'avoir mal interprété...
. " L'image un peu falote " que certains ont de moi, je l'ai un peu créée, pour avoir la paix. J'ai été prof dans une ZEP et les élèves me respectaient plus que pas mal d'autres. Mais je n'ai pas envie de m'investir dans le village de mon mari car il y domine trop. Je suis sa femme, je ne serai jamais son employée; et je n'intègre pas toujours les idées de sa famille. Je n'entre pas dans les discussions avec certains, surtout avec la famille du plus jeune frère. Nous n'avons ni les mêmes valeurs, ni les mêmes rapports avec l'argent, les idées. Je trouve que ce n'est pas la peine de discuter. Mais j'ai toujours gardé des amis parmi les collègues et je suis bien dans ma famille proche. Les enfants m'aiment, de cela j'en suis persuadée, ils me font confiance. Par bonheur, je parais gauche, peu élégante et peu bavarde. C'est mon refuge.

 Lorsque je me confronte à d'autres, à des personnes nouvelles, je préfère donc rester sur la défensive. L'estime comme le mépris m'encombrent. J'aime être souveraine dans mon petit univers, j'y ai confiance en moi tout en étant consciente de mes manques en société, et je me sens perdue dans cet univers plus vaste où gravitent ceux qui savent manipuler les autres, je me protège, dans ce monde où chacun met en avant, haut et fort, la partie pleine de son verre, moi je préfère constater le vide qu'il reste... Je " doute " de moi mais je doute aussi des autres... Ce doute recèle des vertus, mais il surprend certains. Les gens qu'on rencont re ont tendance à se mettre en valeur, à s'afficher, à étaler leur culture... Si je n'aime pas trop me mettre en avant, je déteste être rabaissée ou écrasée volontairement en public, je déteste les conseils soi-disant donnés pour t'aider, dont tu n'as pas vraiment besoin et qui ne servent qu'à dire " moi je sais". C'est curieux comme certains ont tendance à m'utiliser comme un palier qui va leur permettre de dominer !  A mon âge, je ne me laisse plus démonter durablement par l'opinion des autres. D'ailleurs ce besoin de dominer n'est-il pas parfois une conscience de ses limites, un besoin de les faire reculer ? C'est sans doute ce que croient les orgueilleux, les narcissiques. Les intelligents modestes sont plus discrets. Je ne me juge ni intelligente, ni sotte, je préfère le plaisir de vivre dans l'instant, à la course constante vers un plus comme la " culture " à tout prix ou l'argent à tout prix. J'estime que la vie et ses problèmes se chargent d'apporter à chacun le fond culturel qui tapisse son aura. Je suis discrète mais pas effacée, j'aime le silence, la rêverie, une certaine modestie sans pour cela éliminer ma fierté d'être ce que je suis; avec l'âge, l'opinion des autres, si elle ne me laisse pas vraiment indifférente ( elle aurait plutôt tendance lorsqu'elle est moqueuse ou agressive à m'agacer ! ) ferait plutôt partie pour moi du domaine de " laisse dire et fait de ton mieux !!".
 Le meilleur exemple de cette définition étant : " Le Meunier, son Fils, et l'Âne "


Je suis Âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue ;
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue ;
Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien ;
J'en veux faire à ma tête. Il le fit, et fit bien.



C'est vrai que je suis indépendante. Le village est celui de mon mari et je ne suis pas beaucoup connue parce que discrète justement. Lui est né ici, sa famille est ancienne et il s'occupe de beaucoup de choses. Moi j'ai plutôt mes amitiés parmi les anciens de mon collège ou dans les rencontres faites en  randonnées... Je me sens libre aussi à cause de cela. Mais c'est vrai, parfois je ressens un petit pincement, dû quand même à ce manque de reconnaissance que j'ai volontairement provoqué, lorsqu'on me vante mon mari qui pourtant me fait parfois relire ses écrits et lorsqu'on me ramène au tricotage par exemple comme si c'était ma seule activité. Mais ça passe. Sur ce site, je peux me diversifier et beaucoup écrire sur tous les domaines.

Le doute est une interrogation. Il peut être le pressentiment d'une réalité différente. Il s'oppose à la certitude... Le doute après tout, peut être une démarche raisonnée, c'est le doute méthodique. Je chemine dans un état de conscience qui est celui du témoin impartial. Ce doute suspend la crédulité de l’opinion, il contrarie la propension du mental à croire enfermée toute vérité dans une formule définitive. Il empêche de croire aveuglément le dernier qui a parlé avec assurance et incite à la vérification. Si en effet ce qu’un autre me dit est juste, je n’ai pas besoin de la persuasion. Il ne s’agit pas de croire, mais de comprendre.

J'ai vu le jour à Marseille dans une famille sans plus de problèmes que les autres et surtout à l'horizon très limité ( quoique moins que d'autres! mon père était Suisse, ma mère née à Madagascar )... J'ai  beaucoup voyagé depuis, beaucoup lu, j'ai souvent été confrontée à des opinions diverses, j'ai vécu au Maroc, dans le Sud Ouest
... Je ne serai plus jamais celle que j'étais autrefois. Ma mère me semble souvent étrangère depuis que j'ai appris d'autres leçons, d'autres façons de voir... J'ai parfois besoin de retrouver le passé ( à quoi se raccrocher ? Aux livres aimés ? à tout ce qui rappelle l'autre partie de nous depuis longtemps enfouie ) et ce passé ne m'appartient plus et pourtant il m'aide à ne pas tout accepter du présent.

Je ne suis pas généreuse, je suis mère et épouse, à ce titre je donne beaucoup, et il y a aussi des moments où je reçois des autres.


- Tu n'as pas mauvais caractère.
- Tu es impulsive par nature et paisible de caractère, tu te poses trop de questions, tu as besoin d'être rassurée régulièrement car tu manques de confiance en toi, tu te sens parfois inutile quand les autres essayent d'alléger tes contributions... Cela te fait du bien de te confier à un(e) ami(e) qui peut te donner en retour un avis modéré, alors, tu n'es plus seule et ça t'encourage à " trouver la force de continuer ".
- Tu ne te corrigeras pas " it's just like that "; t'améliorer, ??? " may be " en faisant plus confiance à ta raison qu'à ton instinct.


Mon mari est un époux honnête, mais il est très sûr de lui et oublie totalement certaines de mes réactions plus hésitantes. Je lui ai peu à peu enraciné la confiance en soi qu'il possédait de façon latente et à une certaine époque, il m'a ôté la mienne, car à côté de lui, j'ai toujours eu l'impression d'être une novice. C'est seulement à mon âge que je réalise qu'il n'a pas toujours raison et que mon opinion moins basée sur la culture à tout prix, plutôt sur mon expérience humaine a autant de valeur.

Par exemple, il disparaît parfois soudain, sans me dire où il va. La plupart du temps, je sais qu'il se rend à la ferme de ses parents ou au village ou à la ville pour ses activités... Mon intention n'est pas de le surveiller. Cependant cela me gêne, quand je reçois un coup de téléphone pour lui, alors que j’ignore où il est, et surtout sans qu'il ait annoncé l'heure approximative de son retour... Je me sens surtout ridicule de répondre que je vais l'appeler, pour réaliser qu'il est en réalité absent et que je ne sais pas exactement où il se trouve: - «Excusez-moi, en réalité, je ne sais pas où il est... » Alors que je venais de dire : « Je vais l’appeler » !!! Il faut dire que notre maison est grande...et que les gens ne souhaitent jamais me parler, c'est toujours pour Monsieur... où le chercher? A-t-il eu un accident? Que répondre à ceux qui le demandent? ( Ce n'est pas qu'il me trompe, mais, bref, il est toujours à droite et à gauche ).

Il parait qu'il m'annonce à l'avance où il doit se rendre. A l'avance, cela veut dire plusieurs jours avant, comme si je tenais un agenda de ses multiples activités ! Bien sûr, c'est moi qui suis dans la lune !!! Mais au moment du départ, il ne dit rien, il poursuit ses préoccupations, fonce et, selon moi, il vit comme s'il était connecté à moi, comme si j'avais un disque dur pour tout garder, même ses pensées. Quant à ses opinions et ses raisonnements... ils lui paraissent uniques et immuables. Difficile pour lui d'imaginer qu'on puisse avoir un autre point de vue ! Je n'essaie même plus mais je pense ce que je veux. Son raisonnement est logique, ses arguments fusent. Malgré cela, c'est le roi des anxieux car justement il est persuadé de pouvoir tout résoudre. Et moi ??? Je ne passe pas ma vie à calculer; comme je lui dis souvent , " je vis " et je reste persuadée que la vie, comme tout l'humain n'est pas nécessairement logique.

Mon mari me taquine toujours ! Mes enfants aussi parfois et j'essaie de ne pas en être vexée car c'est de bonne guerre et pas méchant.

- Je t'enverrai un coucher de soleil, cela te réchauffera un peu le cœur, tu en as besoin en ce moment.

- Je sais qu'au fond tu as un caractère fort et que tu as appris à digérer pas mal de coups durs...

- L'épreuve de la maladie doit façonner un esprit.

- Je suis agréablement surpris par tes connaissances boursières; tu es parfois d'une aide précieuse, et tes exposés sont d'une clarté géniale. La prof jusqu'au bout des ongles ! Tu m'épates lol, je suis néophyte en la matière même si par intuition ou par esprit logique, je savais déjà la table des commandements que tu cites, le premier c'est : ne jamais faire confiance à son banquier car il sert d'abord ses propres intérêts !!!

- J'ai appris à te connaître, tu digères mal certaines remarques trop libres, sur le moment car alors tu es en conflit avec toi ( le ça et le surmoi ) puis tu t'apaises, tu souris et parfois tu regrettes de t'être durcie, ton équilibre reprend le dessus. En plus, you are a very busy woman et cela contribue à ton équilibre.

- Quelques remarques positives me redonnent facilement le moral.

- Tu es complexée par ton nez dis-tu ? Connais- tu quelqu'un qui s'aime, sans se trouver de défaut, comment appelle-t-on ces gens-là ? Ton mari t'a trouvé belle et tu as plein d'atouts, c'est l'harmonie de l'ensemble qui compte.

- Ton moral semble vaciller par moments, difficile d'entrer dans la tranche des sexa !!!, tu t'y feras t'inquiète, ça ira mieux demain, de plus tu as de sacrés problèmes, avec ton époux malade, les enfants,..ta force morale te redonnera le goût des bonnes choses de la vie, bien vite.

- Je vois que vous êtes très bien nantis et pas prêts de fréquenter les restaus du cœur lol; j'ai appris à te connaître, on est pareil, on s'en fou de tout ça, on veut juste laisser quelque chose à notre descendance, on ne court pas pour avoir plus, on a appris qu'il y avait d'autres richesses plus précieuses encore, il est vrai que pour les apprécier, il vaut mieux ne pas avoir l'estomac vide... !!!

- Toujours heureux de pouvoir dialoguer avec toi, tu as toujours l'air en pleine forme, cela se devine vite... malgré les soucis de la vie courante avec plein de problèmes à régler, tu es toujours disponible et prête à combattre, voilà des signes de bonne santé.

- Je n'aime ni le vulgaire, ni le B.C.B.G., ni la très très grosse chaleur, ni la pluie froide et triste.

Selon moi, une des belle-mères des enfants incarne tout ce que je n'ai pas aimé dans la vie : l'élégance outrancière, tous les jours, à toute heure, la pointe précieuse !!! Contre le confort un peu sportif qui me caractérise et le côté naturel, spontané de ma tenue. L'élégance pour moi, c'est le classique, et non chercher à être " poupée Barbie ", être ultra-féminisée, pour plaire aux hommes, jusqu'au mensonge social... et j'ai horreur du mensonge, de l'hypocrisie, de la méchanceté, de l'orgueil qui se permet de donner des conseils ou d'insulter en se croyant supérieur.
Lorsque cela m'arrive, si cela m'arrive, soit je le regrette, soit je ne le fais pas exprès. Coup de colère, révolte, il faudrait pouvoir se voir avec le regard des autres parfois ??? Mais ce n'est certainement pas dans mon caractère, alors que c'est permanent chez certains.

- En fait je ne suis pas contre l'élégance discrète, je suis contre le m'as-tu vue ? Je me souviens lorsqu'elle me poussait à acheter un chapeau pour le mariage de nos enfants ? Je n'ai jamais accepté. Cela n'était pas dans mon caractère. Dépenser pour un jour et une photo, devenir poupée, cela jamais!

Mes goûts changent avec le temps, je me lasse de tout ce qui correspondrait en fait à un rôle joué en société.
Je me dis parfois, je n'aime pas te savoir épiée jusque dans tes pensées. Je n'aime pas qu'on ne me fasse pas confiance, j'ai comme tout le monde un jardin secret ( qui n'est rempli que de rêveries sans conséquences, ) qui n'appartient qu'à moi, qui ne doit appartenir qu'à moi ou si je le révèle, ce sera, comme ici sur ce site, volontairement. Par écrit cela me gêne moins. J'ai le temps de m'expliquer. J’aime même me confier dans mes écrits, à des amis plus ou moins anonymes. L'écrit transforme et embellit, il ne juge pas. Dans mes romans, par mes personnages, il m'arrive aussi de me révéler, de mêler réalité, rêves...
J'ai du mal à partager mon jardin secret avec ceux que j'aime, bien sûr,  avec ceux qui vivent avec moi, avec ceux qui me connaissent bien. N'est-ce-pas jouer un rôle alors ? Oui peut-être, mais ce n'est que pour mon jardin secret. Puisqu'il est secret, il ne concerne que moi. Je me dis: quand tu es seule, tu vibres au diapason de ton imagination, comme de ton raisonnement, tu es libre et c'est à toi seule de mettre des barrières. Tu confrontes ton " çà ", ton " moi " et ton " surmoi ".... A ton être complet de suivre la voie qui te convient !
De même j'aime lire certains romans, j'aime écrire mes réactions dans le quotidien, c'est comme une évasion, une mise au point... Pourtant dans la vie, je n'ai rien à cacher, rien dont je puisse avoir honte, rien à montrer non plus.
La lecture d'un roman, le bavardage avec un héros de mes romans, me rendent plus ouverte au monde du " ça " qui s'étouffe en nous. J'apprends à travers mes personnages, à deviner les faces cachées de mon être, de nos êtres !!! et je deviens plus vraie. Mais c’est seulement pour moi un peu d’oxygène, un côté narcissique qui me donne plus goût à la vie, dans les moments difficiles.
Cela me permet aussi de m'affirmer un peu plus chaque jour, avec l'âge, enfin !!

- Je comprends tout à fait le sentiment que tu exprimes; cette impression d'être cataloguée, et d' être réduite dans tes capacités que je sais être multiples et grandes. Mais, je me pose une question : n'es-tu pas trop discrète ou trop modeste ? Et si tu leur montrais aussi que, outre le tricot, tu dessines bien ? tu écris très bien aussi ? et tu t'intéresses à de nombreuses questions, tu diriges, et animes un site très riche... Tu voyages, tu as fait autrefois des photos etc...

Les photos sont en général de mon mari sauf les photos de nos enfants. Il n'aime pas réaliser des photos de famille. Autrefois j'en ai fait, j'ai même gagné un concours. Mais là encore par son désir de perfection, mon mari m'a découragée. Qu'à cela ne tienne j'ai remplacé la photo par le croquis.
Les voyages, c'est aussi mon mari qui les choisit. Mais c'est vrai que nous sommes tous réduits, dans l'opinion des autres à ce que nous révélons de nous-mêmes devant eux.

L’être humain est si complexe que dans les moments de stress, il a besoin d'évasion et de reconnaissance. Je suis alors flattée par l’intérêt. mais je ne le recherche pas. D'ailleurs tout intérêt est-il sincère ? La magie de l'écriture me rendent plus attentive envers les miens, me redonne aussi un peu de jeunesse et plus de compréhension.


J'adore ma petite famille.

J'ai encore une âme d'enfant et j'apprécie toujours certains films d'aventure, historiques, policiers... de vieux souvenirs d'enfance. Pour ceux qui ont du mal à me comprendre, cela m’est dans la plupart des cas, égal, j’aime la simplicité, la spontanéité, et surtout partager ces moments que j'ai connus avec nos jeunes. J'ai assez lu de livres sérieux pour mes études. Et pour le sérieux, je préfère la philosophie. J'avoue aussi  que pour les livres aussi, les films, je n'aime pas trop m'aventurer en terrain inconnu. J'aime relire de vieux livres, connaître les suites, approfondir plutôt que découvrir, revoir avec un autre regard, faire renaître une émotion. D'ailleurs ( pointe pour mon mari et  d'autres ) qu'y a-t-il d'intellectuel dans un match ?

Comme notre fils j’aime la rêverie, la nature, le charme de l’exotisme, des séjours riants et champêtres, des lieux pittoresques. Même les mousses flétries du Causse derrière la maison ont un charme que notre fils adolescent a su me faire apprécier. Le petit oiseau né sous le pilier de la terrasse qui sortait pour la première fois de son nid, osant déjà contempler le vaste ciel, la cime ondoyante du pin, du cèdre et des autres arbres tout comme les abîmes de verdure au-delà du tilleul familial... restent en moi comme un souvenir chaleureux.
Je suis tour à tour douce, humaine, fière ou agressive. Mais plus je vieillis, plus je me sens humaine et tolérante dans certains cas, plus agressive dans d'autres, plus aussi je réalise que nous avons du mal à sortir de certaines idées fixes et parfois préconçues. C'est vrai que je commence à me sentir mieux dans ma peau, il était temps !!! et à m'accepter telle que je suis.
Il m'arrive de donner à l'instant " t " une image négative de mon mari, de moi, de quelqu'un d'autre... C'est fugitif. Mais pour mon mari, je suis persuadée qu'il m'aime beaucoup et que sa domination est en grande partie due à un besoin d'aider et aussi à mon comportement...il y a plus de 50 ans que nous sommes mariés et plus encore que nous nous connaissons. Et je sais qu'il a une très très forte personnalité... à déstabiliser beaucoup de gens, par sa culture et sa vivacité, dans bien des domaines. Mon problème face à lui est que je ne cherche pas sans arrêt à prouver...Je vis dans ma bulle et je me trouve piégée dans ses raisonnements déjà bien élaborés lorsqu'il m'en fait part car je n'ai pas réfléchi et qu'il me saisit à brûle pourpoint en plein rêve... Alors, je cède et peu après, je réalise que rien autour de moi ne me représente, ne vient de moi !

Pourtant, je sais aujourd'hui que les malheurs, les fléaux ne sont pas à la mesure de tout homme. Certains s’étonnent, paraissent abattus, d’autres assument le problème et réagissent. Ce n’est pas parce qu’ils oublient. Comme dans la peste de Sartre, les hommes touchés par le destin doivent continuer à vivre, à préparer des voyages, à avoir des opinions. Ceux que je déteste, ce sont ceux qui malgré tout pensent à faire des affaires. Mais le fait de me considérer comme un fétu qui traverse la vie et doit en saisir tous les aspects, me rend plus forte, selon mon expérience que tous les raisonnements froids. Ceux-ci craquent et se brisent dans le chaos incompréhensible de la vie. Les malheurs rendent mon mari plus humain, les malheurs me rendent plus logique. Dans le fond, nous nous complétons bien.
         Il ne faut pas trop vivre replié sur soi-même. ll ne faut pas non plus rêver dans le seul culte du souvenir.  Mon mari n'est pas rêveur, et pourtant  il m'agace un peu par son culte du souvenir, de l'histoire et de la connaissance... Une rêverie, un souvenir fugace, n'ont rien à voir avec le côté culturel, rationnel du passé vu sous un jour historique, scientifique, passionné...
Si parfois le bonheur remémoré et embelli du souvenir peut se confondre avec l’instant présent, il enrichit alors l’émotion ressentie. Le bonheur d’un rêve ou d’une évasion peut aussi nourrir la banalité de la vie. Un instant d'évasion égaie le quotidien.
 Toutes les plantes des bois environnants, toutes les silhouettes rencontrées dans la vie, les images moins nettes de mon enfance et de nos voyages peuvent ressurgir dans ma mémoire vive. Les moments bienheureux ne sont pas dans les objets, ni dans les êtres, mais dans moi, dans l’importance que j’accorde aux choses au moment où les souvenirs renaissent en jugements.
     
 Je reste une femme du présent. Il faut  vivre  chaque instant, car très vite le présent vous échappe. Un instant de bonheur court, même lié à de la fatigue, comme la garde d'un enfant, est un instant merveilleux qui vous échappera très vite. Alors quand on le vit, il faut le vivre à fond...

Quand je communique parfaitement avec quelqu’un, si une troisième personne intervient, la communication, l’osmose, semble rompue.
  
J’ai parfois perdu ma confiance en la vie, mais j’ai appris à lutter,  à fermer les yeux sur certains défauts, à mieux connaître les miens, à pardonner.

Quand je souffre moralement, mes propres états d’âme se dérobent à moi, dans ce qu’ils ont d’intime, de vécu. Je me sens dans l’immédiat comme vide et sèche. La douleur vient après, mais je n'en connais jamais la raison  exacte. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage vulgarise mais qui ne communique jamais ce que nous avons vraiment éprouvé.

Finalement j'ai toujours peur d'entreprendre une activité nouvelle et jusqu'à ce jour j'ai su pourtant peu à peu me débrouiller. D'où me vient cette peur de mal faire ?

- Je me demande ce que vous avez tous avec " le marbre rose ", pour votre enterrement !!! Mon mari me dit aussi qu'il veut du marbre ou du grès rose !!! Bien que je le connaisse, je ne sais jamais si c'est de la moquerie, de l'humour noir ou un souhait. Moi je n'y pense pas à mon enterrement. Un trou dans la terre me suffirait. Ou quelques cendres dans la nature. Qu'importe la suite  puisqu'on ne la vit pas ? 

Au cours des années, je suis devenue ( ou je crois être devenue  ) plus douée pour écrire que pour vivre. Sur le papier je suis plus à l'aise. Je me sens capable de répondre, d'argumenter sans panique, sans peur de la réponse qui fuse et me désarme. Est-ce une astuce pour me protéger ? Est-ce vraiment moi? Notre " moi " est tellement complexe qu'il n'est jamais révélé totalement, ni à l'oral, ni à l'écrit ... Pas même à nous-même...

-   Je n'aime pas qu'on me sollicite comme pour me secouer et me faire participer à la vie du village. Un jour j'ai accepté de m'occuper de la bibliothèque car j'avais été sollicitée justement, et alors que j'allais accepter, J'ai demandé à mon mari de m'aider ! J'avais oublié qu'en l'impliquant, c'est plutôt lui qui prendrait les affaires en main et moi qui l'aiderait ! Dans ce cas, je préfère ne rien faire.  De plus, peu de temps après, une personne a demandé à haute voix que ce soit mon mari qui intervienne plutôt ! C'est souvent ainsi. Il y a des personnalités qui arrivent à s'imposer et à étouffer les autres.  Je ne peux pas travailler même bénévolement avec lui car alors je deviens son employée... Si j'ai envie un jour de faire du tricot et expliquer mes méthodes aux gens du village, je le ferai, au moins il ne sait pas faire. Mais sans être sollicitée. Si j'ai envie de lancer un club, je le ferai. Libre aux autres de venir ou non. L'obstacle n'est-ce pas ce village où je ne suis rien ? A Marseille quand j'étais jeune, j'ai bien fondée seule une équipe de guides dans mon quartier. J'avais pris seule la décision. J'avais tout organisé.
- Je n'aime pas les leçons de morale. Mon mari s'implique bien assez pour que personnellement je freine. Ensuite, on m'a dit : " il faut transmettre votre savoir ( encore une fois le tricot ! J'ai fait cela toute ma vie active, comme prof ! ) " !!! Je l'ai déjà transmis mon savoir sur le tricot en famille et cela n'intéresse pas nécessairement, ni le pull fait main, ni la fabrication du pull. Mais j'aime simplement, quand il y a du monde ou devant la télé, occuper mes mains. Je tricote, oui, en sachant que le but ne servira à rien.
- Je me suis cachée derrière le fait que j'étais très occupée. On m'a répondu : " Vous vous occupez seule alors ? "
Voilà, je suis toujours autant indépendante, libre, soupe au lait et femme " assez complète " qui n'aime pas être placée dans des catégories !!!


Ce que je n'accepte pas  c'est d'être traitée comme une enfant débile, inférieure... Ce qui me gêne,  ce sont les interrogatoires même inoffensifs qui donnent l'impression d'une intimité violée, du genre " qu'est-ce que tu fais, qu'est-ce que tu lis ? Ce qui me blesse le plus, c'est l'humiliation intentionnelle dont le but est de me mettre en état d'infériorité. Ce genre d'injustice me reste sur le cœur. Ces douches glaciales m'empêchent de riposter calmement. Cela va du genre : " Il ne faut pas dire " piquant " ( à propos d'une sauce ), mais  " hot " lorsqu'elle est pimentée. Quelle leçon ! alors que j'ai à une certaine époque enseigné l'anglais. Ou bien " vous qui m'avez dit que vous ne saviez pas compter ", en plein repas, devant tout le monde. Je n'ai jamais dit une chose pareille. C'est cette personne qui ne cessait de le répéter à propos d'un trajet par avion que j'aurais réduit... Toutes ces petites phrases me blessent inutilement, je sais.


- Quant à ta crainte de devenir égoïste, il me semble que nous en sommes tous plus ou moins affectés d'une dose qu'il faut essayer de maîtriser... Mais je pense que tu es bien loin de pouvoir être considérée comme étant égoïste! tu t'occupes de beaucoup de monde... ton mari, tes enfants, tes petits enfants, ta maman... et tes ami(e)s dont je dois bien faire un peu partie puisque tu me donnes de tes nouvelles, tu corresponds avec moi depuis ....combien d'années ? Alors, alors, Dan., tu n'es pas égoïste du tout ! Bien au contraire.
 

Réflexions aléatoires au fil des jours

J'ai très tôt comme ma mère, pris l'habitude de consigner, dans un journal les choses plus ou moins importantes pour sauver la mémoire du passé. J'espère seulement rester plus proche de la vérité que ma mère bien que je sois consciente que tout écrit est une interprétation personnelle d'événements.
Mes réflexions arrivent comme les pensées, et les souvenirs, en désordre. Ce n'est pas seulement comme un album de photos : ma grand-mère m'apportant un livre de Victor Hugo ou un petit chat, ma mère si amoureuse de mon père dans ses 22 ou 23 ans, les enfants s'amusant au milieu des bêtes à la ferme de mon mari, , mon oncle quand il était jeune et se passionnait pour on jardin...Non, c'est le journal des idées et des souvenirs qui m'assaillent et qui évoluent.
Quand je songe à mon passé, je me rends compte que si l'enfance paraît durer, la vie adulte passe vite. Pourtant, dans l'ensemble je ne regrette rien et je ne souhaiterais surtout pas recommencer.
Lorsque j'étais enfant le jeûne existait encore. Il fallait bien se garder de toucher aux viandes les vendredis ou de manger les jours de messe avant d'aller communier. Les prêtres étaient pourvus d'un long doigt dénonciateur et d'une langue bien entraînée à susciter les remords. A l'école privée catholique, au moins une fois par semaine, en plus du Dimanche, il fallait assister à la messe. Ce n'était pas obligatoire, mais lorsque vous refusiez, on vous le reprochait, on vous punissait même ( séjour en 6 e pour les grands ). Les genoux, sur le banc, l'intense odeur d'ensens, de fleurs, les tourments nauséeux du jeûne, du mal être parce qu'on vous culpabilisait dès l'enfance et de l'ennui...
Notre maison qui a hébergé une assez nombreuse famille se retrouve presque vide après le départ des enfants. Cette année encore j'ai les plus petits certains jours, mais ce sera bientôt fini. Ils vont grandir, il y aura l'école et nous, nous vieillissons et sommes parfois fatigués. Tout a une fin...
R. a une très grande intelligence, liée à une très grande culture,  il est avide de tout connaître, de participer à tout... Bref il est fatiguant...mais c'est vrai aussi qu'il n'est pas bon pédagogue pour les nuls ou les moins avides que lui, et encore moins bon psychologue; enfin, il fonce toujours vers l'idée qu'il croit unique et indéfectible. Cela a marché au collège, cela impressionne beaucoup... Mais de plus en plus il lui arrive de heurter les gens, de recevoir  quelques revers.

Dans la famille de mon mari est resté une coutume qui a disparu dans les villes et qui tarde un peu ici. Ils ont gardé l'habitude longtemps du prénom pour le premier garçon de la famille. Les dénominations à répétition ont semé la confusion parfois à cause des homonymes pour la poste ou dans l'arbre généalogique..

Je suis entraînée par l'ouragan " papa " qui règle ses problèmes dans l'action et la super-activité !!! Nous aussi, nous sommes inquiets parfois de nos propres réactions à votre égard, nous avons mal aussi de vos retours d'interprétation. Je crois que la loi est de comprendre que nous sommes tous humains, qu'en croyant aider on peut faire mal, que nous avons nos susceptibilités passagères... mais qu'il n'y a jamais de mauvaises intentions entre nous. Tout cela fait partie du quotidien, la vie passe et le temps emporte tout. Ce qu'il reste c'est que vous êtes nos enfants et qu'il y a toujours cette lueur de vouloir votre bonheur qui nous pousse à essayer de faire mieux, à regretter d'avoir fait une bourde... Son sourire ironique a souvent été interprété de bien des façons ! Et son attrait pour la photo a suscité soit l'admiration soit l'agacement. Il sait photographier avec art. Il sait se faire admirer, mais il néglige les photos de famille, il se cache au cours des réceptions derrière son appareil et abandonne toujours sa famille. Enfin, il fait de si gros plans que ses portraits font peur à celui qui se regarde !

. Nous aimons à travers nos défauts, nos projets, notre désir de bien faire, nos irritations passagères, notre fatigue... Mais tout cela fait aussi partie du bonheur et j'y ai consacré ma vie et je continue. Sachez que jamais je ne serai fâchée.
Lorsque nos enfants étaient petits, nous avons toujours fait attention de leur parler sans user de mots pour bébés, sans charabia comme si nous avions dialogué avec un adulte, de façon raisonnable et pondérée. Nous ne mentions pas même pour les vérités prosaïques ou inquiétantes de l'existence. Nous préférions les éviter.
Un jour nous avions fait cadeau à nos enfants d'un grand contreplaqué pour qu'ils y mettent leurs dessins. Nous leur avions aussi procuré des boîtes de peinture, des pinceaux, des escabeaux et l'autorisation d'utiliser à leur guise ( en partie, il fallait que ce ne soient pas des gribouillages tout de même ! ), les murs de la grande pièce de l'étage, devenue salle de jeux.
- Tous nos enfants sont des sensibles. Il leur a fallu à plusieurs reprises prendre du recul avec nous. Je pense que c'était surtout dû à de l'incompréhension réciproque et momentanée. J'ai eu droit à des reproches, à des haines passagères, à des élans de reconnaissance et d'affection...Ce sont des doutes qui font tout de même souffrir tout le monde.... Mais bien sûr qu'on vous aime. Dans la famille, on n'est pas très forts pour les mots d'affection... mais on a toujours été présents selon nos moyens. Vous avez des enfants, vous savez très bien qu'on ne peut pas ne pas les aimer.
- Je suis fière de mes enfants et je vous préfère réservés à délurés, même adultes, sensibles plutôt que froids. Je vous ai vus souffrir, au bord des larmes, être heureux et vous ne savez pas à quel point mon tempérament  suivait dans le silence vos " haut et bas ! ", tour à tour heureuse, découragée, blessée, désespérée de ne pouvoir rien faire ou prête à vous aider selon mes moyens.
Je suis de plus en plus sensible à l'affection tout en étant incapable de le montrer. En famille on passe à côté des mots gentils et c'est dommage. Moi non plus je n'arrive pas à les prononcer.

J'ai eu mal face à la révolte de mon fils, face à l’incompréhension, à la soudaineté de cette révolte. Le château de cartes s’est écroulé. Suis-je exclusive ? J'ai eu mal car on ne m'a pas laissé m’expliquer. J’ai eu mal, à cause du ton sur lequel on m’a parlé. Suis-je jalouse ?. J'ai eu la force du pardon et aujourd'hui j'en suis heureuse. J'ai retrouvé leur affection et tout était mélange de jalousie et d'incompréhension. On ne peut jamais vraiment sonder le cœur de quelqu’un. Chacun voudrait être considéré. Chacun voudrait être aimé.

- Mon mari et moi, n'avons aucun contrat. J'ai travaillé autant que mon mari, j'ai gagné pratiquement autant, ( moins les allocations  et les heures supplémentaires ) nous nous sommes fait donation mutuelle de tout. Normalement il ne peut rien vendre, rien donner, rien investir sans mon accord.  Mon accord, je suis loin de le refuser, je l'accorde avec plaisir, surtout pour aider ou soutenir nos jeunes. Mais je suis blessée d'être rejetée par eux comme quantité négligeable. Mais je pardonne tout à ce fils dont je connais les colères et leur évanescence, dont je connais la vie et par ailleurs la générosité. Tout est dû à des malentendus.
Lorsque je me retrouve seule, je déprime un peu et je me défoule sur le site ou le tricot, mais ça ne dure jamais longtemps. C'est le ménage que je néglige le plus. Je le fais, mais moins souvent, moins à fond. Il faut dire qu'en principe on utilise moins de pièces.
Je suis en effet un peu plus équilibrée au milieu des miens et des personnes connues, moins réservée... quoique.
Mon fils reste une énigme. Hier encore il m'a un peu engueulée car il souhaiterait que j'intervienne dans ses débats avec son père. Mais c'est impossible. Ce serait autant avec l'un qu'avec l'autre, me heurter à des murs. De plus, je ne suis pas toujours certaine de penser comme eux ! Le pire, si je suis attentive, c'est que je constate qu'ils ont tous les deux raison, selon les arguments. Comme d'habitude !!! Je ne veux pas me faire une opinion sur un coup de colère.

Gui veut du tri-iso. Robert veut de la laine de verre. Le tri est plus cher, la laine de verre se tasse. Le tri est un réflecteur non un isolant vrai, la laine de verre se délite crée des espaces non isolés, sur le tri on peut marcher, sur la laine non. L'un veut ouvrir une porte dans son futur espace isolé pour rejoindre les combles entre eux et en faire une salle, l'autre veut attendre d'avoir de l'argent. Casser un mur ne coûtera rien, ... mais il faudra chauffer, mettre une porte. Et puis c'est pas toi qui paieras le chauffage... C'est à te rendre fou!!! Je croyais m'en sortir en les laissant se débrouiller et hier Gui m'a engueulée, que je me défile toujours, que je fais celle qui ignore tout, qu'en fait nous les aidons Isa et lui pour tout diriger!!!

Mon fils préfèrerait que je m'impose plus face à mon mari, pour être moins falote dans la famille et pour intervenir lorsqu'il prend le dessus sur tous. !!! Mais j'avoue que honnêtement je ne me sens pas vraiment les capacités pour trancher. R m'a comme coupé les ailes par son dynamisme et sa suractivité.

 Je m'évade aussi par les films, les romans que je lis... J'ai moins de besoins sentimentaux car les petits me donnent en ce moment beaucoup d'affection. Je les aime aussi et pourtant parfois je suis si fatiguée par eux. Je crois que mes enfants m'aiment et R. sans doute aussi. Mais comment être sure ?  Nous sommes tellement avares de mots gentils et de câlins. Mais les conflits ne sont-ils pas normaux ? Tout finit par s'arranger.


Un jour, le monde s'est inversé. Nos enfants nous ont  réclamé le respect. Nous ont fait une sorte de chantage à l'affection des petits... " Regarde-moi dans les yeux quand je te parle "...a-t-elle même ajouté. J'ai compris seulement après coup qu'en fait ils désiraient être considérés non plus comme nos enfants, mais comme des personnes responsables. Sur le moment je l'ai mal pris. J'avais l'impression d'être leur subalterne ou d'être considérée moi-même comme une enfant. Que de mauvaise humeur due à de mauvaises interprétations ou à de la jalousie ! Ils m'ont eux-mêmes jugée sur des interprétations, ils m'ont crue fausse, manipulatrice...

Ce que je n'accepte pas, c'est le chantage à l'affection d'un petit enfant, le formatage de sa petite famille à notre égard. J'ai réalisé après coup que c'était sans doute la jalousie d'une maman envers sa belle-mère.
Peut-être que j'aide pour mieux dominer ? Et bien non, j'aide parce tant que je vis, je me sens encore concernée, parce que j'aime ma famille,  parce que j'anticipe les difficultés : question d'ancienneté, d'expérience. D'ailleurs au premier problème on fait appel à nous, sur un ton assez impérieux, d'ailleurs
. Mais notre rôle de parents n'est-il pas d'aider tout simplement ?

Que faire pour les aider ? Je n'ai jamais agi qu'avec ces mots-là en tête.

Mon mari m'a menti pour m'amener en Iran. Bref, il m'a manipulée en disant qu'on ne faisait qu'y passer trois jours avant d'aller en Ousbékistan ... en fait nous y sommes restés 11 jours. Je lui ai naïvement fait confiance. Pour moi, aller en Iran, c'est aller dans un pays où la femme est considérée comme inférieure, c'est cautionner des idées qui ne sont pas les nôtres. Maintenant il regrette de ne pas avoir acheté une burka en souvenir. Il y a parfois quelques frottements dans la famille !!!  Je ne le changerai pas  !!!
GRRRRRRRRR !!!

On change d'heure. Il fera nuit plus tôt, à moins que ce ne soit le contraire. Je n'ai pas envie de perdre mon temps à réfléchir à la question...

Depuis ma retraite surtout, je n'ai pas su aimer ma vie. Je me replie, j'ai froid...Plus mon mari s'agite, plus je déprime. Je ne suis pas malade, j'éprouve juste un peu plus de paresse. Je n'ai plus du tout envie de faire le ménage à fond, plus envie de quitter le coin du feu bien chaud... Il faudrait que je me secoue, mais je n'en ai même pas envie. Bientôt, il ne me restera que le regret d'une vie que je n'ai pas su assez aimer...Comme beaucoup d'entre nous, j'ai eu plusieurs visages. Ce n'était pas de la fausseté, plutôt des révélations spontanées de mon moi caché. J'ai été blessée parfois par les remarques concernant mon insignifiance mais en contrepartie j'ai fui les louanges. Complexité humaine, faiblesse de la vanité de tout ce qui passe, c'est certain. J'aime la discrétion sans pour autant vouloir être effacée. J'ai eu besoin d'être aimée par les miens et je les ai aimés sans toujours être capable de le leur montrer.
  R. a eu ses derniers contrôles médicaux et il n'a pas pour l'instant de récidive. Nous sommes toujours assez occupés surtout lui avec les articles de journal, la mairie et l'entreprise du fils. Les petits enfants grandissent, tous viennent assez souvent et c'est à la fois un plaisir et un travail...
La semaine dernière, j'étais en sortie de fin d'année avec la " crèche " du plus petit, le 5 e pour l'instant : Visite d'un parc animalier !!! Pas de tout repos avec un amoureux des découvertes !!! Le 6 e et le 7 e sont prévus pour l'an prochain. Une des petites filles a été hospitalisée pour une bactérie grave. On pensait même à un moment, à une méningite. Elle va mieux.
Hier nous avons fait les brocantes pour trouver des vélos pour les deux plus petits. Les parents auraient préféré des neufs, mais c'est juste pour la maison ici. Et ils feront l'affaire.


13/12/2012 : Je n'ai jamais nié mes défauts, mais je suis souvent la seule à m'excuser. Qui n'a pas de défaut ? Je n'ai jamais nié mon angoisse démesurée concernant mes descendants et mon désir, mon besoin exagéré parfois, d'aider ?

Ils deviennent adultes et découvrent que la vie est pourrie.  J'ai servi de psy, de mère, de coordinateur parfois pour les enfants...J'ai toujours pansé les bobos. Je n'y suis pas toujours arrivé.
 

J'ai toujours  respecté les couples de nos enfants, leurs opinions, leur intimité. Souvent je garde le silence, même lorsque je ne suis pas d'accord. de très rares fois mon opinion m'échappe. ... La vie est déjà si difficile pour tous, inutile de se mettre des bâtons dans les pattes, avec cependant... le besoin d'un minimum de respect. Je comprends les difficultés du moment, pour presque tous  nos jeunes, les difficultés d'une vie active, surchargée et parfois nerveusement insupportable, je comprends leur besoin de mener leur barque  aussi, mais nous vivons dans des temps très difficiles, le temps presse, les occasions sont à saisir. La vie est courte, la nôtre surtout, désormais, il ne faudrait pas  mépriser ce qu'on peut encore faire ... de tout cœur.

 Ma mère est un peu seule à Marseille.
La famille évolue. Les uns vieillissent, les autres grandissent.


- Je trouve que vous êtes courageux, toi et ton mari. Vous continuez à vous
occuper utilement malgré les malheurs qui vous frappent. Vous continuez à vivre pleinement. Vous avez de la chance je pense d'avoir des enfants, même s'ils vous donnent du travail et un peu de souci.
Pour ma part, moi qui n'en ai pas, j'éprouve de plus en plus un sentiment de solitude, surtout depuis que mon épouse est malade et qu'elle devient de plus en plus dépendante... Le moral n'est donc pas au beau fixe en ce moment. Parfois je me dis que sa place serait davantage dans une maison médicalisée ; elle y serait mieux entourée et soignée. Mais alors je serais seul
...

- La pluie arrive et à part un peu de fraîcheur le matin, il fait encore doux. Nous avons repris les randonnées.
Chaque jour n'est pas aussi rose qu'on pourrait le croire. D'habitude le Dimanche, nous avons la famille du fils. Ils sont arrivés hier vers midi. Mais nous avions aussi le bébé de 8 mois de la seconde fille qui dormait. On nous l'avait confié la veille pour le WE, car en Octobre, T. s'occupe de ses pommiers et le Dimanche il participe à  de grands marchés.
Notre fils a cette semaine son BP et il voulait faire un peu d'anglais avec moi. Le petit de deux ans a été un peu grognon, la maman a crié... J'ai eu la malheur de dire que le bébé dormait. Coup de colère, semonces sur l'éducation, reproches car fils en plein examen...ils sont repartis au milieu du repas. Jalousie ?? Inquiétude pour l'examen ? Fatigue et surmenage ?. Bref j'en prends souvent plein les épaules aussi et je ne sais pas toujours pourquoi.

Tant que tu peux rester avec ton épouse fais-le. Ces maisons médicalisées sont confortables pour l'hygiène, le physique, mais le moral en prend un coup et les sourires condescendants du personnel doivent être à vous glacer !

Décembre 2012 : Comment fait mon mari pour donner l'impression qu'il est partout, qu'il fait tout ? L'autre jour en randonnée, il n'était pas là... et pourtant il était là ! Une de mes amies parlait des recettes du Maroc
- Celle que R. fait de temps en temps !!
R. c'est mon mari. Je suis restée stupéfaite. Il a fait cette recette une fois, il y a plus de 20 ans ! Et le reste du temps c'est moi qui cuisine...C'est comme lorsqu'une autre amie avait dit qu'il faisait du vélo avec nos enfants. Une fois il a fait 50 km avec notre fils. Moi j'en faisais 12 km chaque semaine avec les trois enfants. Bon la distance est moins impressionnante, mais tout de même !


Janvier 2013 : Est-ce que je souhaite être lue ? Par certaines personnes ? Non, par ceux qui veulent, qui s'intéressent à ce que j'écris, qui m'aiment un peu...? Je crains l'humiliation, les désapprobations. Mon refus de coopérer avec les éditeurs est révélateur de mon propre caractère. Il n'est pas logique de souhaiter être lu, sans souci d'être publié ou acheté. Mais j'ai trouvé désagréable les manifestations les plus publiques  de l'édition : l'éditeur qui veut bien de vous à la foire du livre mais qui encaisse le prix du livre et qui vous ignore et refuse toute publicité si vous ne coopérez pas selon ses conditions.Ce n'est pas que j'ignore totalement la vanité mais soit je la maîtrise mieux, soit, et c'est certainement le cas, je la nuance de réticences. Aurais-je été connue, célèbre ? Pour un autre cela aurait peut-être été un moyen de toujours faire mieux...Mais après tout, j'ai eu une situation, une retraite assurée... J'ai écrit pour le plaisir.
Je n'ai jamais pu appeler ma belle-mère " maman ". C'est un non-sens qui m'aurait écorché la bouche. Je ne dois pas être la seule à être ainsi gênée car dans la région, les jeunes mariées ont l'habitude de dire non  " maman " ou " mère ", mais " la maman ", ce qui donne un aspect plus neutre.

J'ai plus de mal à supporter.les petits. Je les aime, mais j'ai du mal à supporter les caprices, les exigences. Aimer c’est aussi s’effacer. 

Toute maman devient un jour belle-mère. Comment être équitable, comment comprendre sans juger ? Comment s’expliquer face au caractère d'un écorché vif ?

Bien que je sois à la retraite, je suis plus occupée que jamais. Il est vrai que je fais tout plus lentement et qu'au lieu de trois enfants je me retrouve avec 7 petits enfants que j'aimerais pouvoir aider et aimer plus souvent.

 Je suis montée  sur un toit un été. La vue est belle de là-haut comme dit mon fils...
Toujours un rythme d'enfer dans la vie. Maintenant, c'est mon mari qui m'entraîne. Par tempérament j'aurais ralenti le rythme car
je commence à ressentir la fatigue, le désir de me laisser aller. Mais j'en ai besoin pour ne pas m'ennuyer ou déprimer un peu. 

Je suppose que j'ai oublié pas mal de fêtes ou d'anniversaires. Je n'arrive pas à me conformer à la société... Pas grave pour les anciens, à nos âges il vaut mieux ne pas le souhaiter
. J'ai souvent un temps de retard pour les jeunes mais qu'il sachent que cela ne m'empêche pas de les aimer.

Nos enfants sont sensibles mais ils ne le montrent pas. Pourquoi n'arrivons-nous pas à partager notre affection ? Pourquoi ne se révèle-t-elle qu'au moment d'événements qui bouleversent et se traduisent parfois en des écrits profonds qui transpercent et fouillent jusqu'aux larmes ?

Battez-vous car vous êtes capables d'aller au-delà de ce que vous pouvez imaginer. N'oubliez-pas votre fragilité et avancez sur ce chemin qui vous mènera là-bas.
Tu as raison, il faut toujours avancer dans la force et la simplicité...Mais le "là-bas " dont tu parles, n'est-ce pas plutôt le retour à l'épanouissement de soi et de son entourage ?


Chacun de nous a une conception différente de ce qui compte dans la vie.

Des souvenirs me reviennent... Lorsque le mistral souffle des bribes de souvenirs me reviennent. Je me souviens du froid glacial l'hiver lorsque j'attendais le bus pour aller à l'école ou au lycée. J'avais toujours une robe ou une jupe, jamais de pantalon et de simples bas. j'étais glacée. Pour ma mère, mettre un pantalon, ce n'était pas correct. Lorsque j'étais petite, elle me faisait mettre par jour de grand froid, la robe sur le pantalon !

Notre maison n'a plus ses tapis. Les enfants avaient trop d'allergies. Nos murs sont couverts de peintures encadrées. Nos fauteuils moelleux attirent beaucoup les petits qui aiment s'y vautrer. L'un d'eux a décidé d'y faire sa sieste et refuse d'aller dans une chambre.

Je n'apprécie pas trop d'être mise en évidence, exposée à tous les regards. J'aime bien me fondre dans la foule.

Quand un homme perd le désir, pense-t-il à son épouse ?
Quand un homme s'engage dans de nombreuses activités pour s'occuper, pense-t-il à son épouse ?
Une vague confuse de détresse me submerge depuis que mon époux s'est présenté aux élections : 6 ans de réunions sans fin, d'aide aux autres....6 ans d'éloges ou de revers, 6 ans à se pavaner et selon moi, ce n'est pas fini.

Moi, mon principal défaut, c'est la paresse. Je souhaite vivre à fond mes dernières années.

Quand je regarde ma vie, il me semble que le temps a passé très vite. Où est passée l'enfant solitaire et rêveuse ? Pourtant d'autres fois il me semble que peu de choses ont changé en moi. Tout est-il dit dès le premier âge. On ne change que si l'on se renie. Ai-je renié beaucoup de choses ? La religion ? Je n'y croyais déjà plus trop dès le lycée. Mes parents ? Pas dans mont fort intérieur !

Nos enfants ont grandi au milieu de meubles anciens, de volumes en latin,  avec l'odeur des sous bois de chênes ou de châtaigniers ! Cela aurai pu être merveilleux et pourtant ils semblent avoir souffert de la personnalité dominante de parents professeurs ( surtout celle du père ). J'ai appris que parfois elle rongeait de l'intérieur les plus fragiles.

L'huile de foie de morue était pour mon père, de même que la viande rouge, la viande de cheval...la pierre philosophale de la médecine reconstituante.

Nous avons beaucoup aimé nos enfants, même si nous n'avons pas toujours su le leur montrer. Mon mari surtout a voulu les élever dans une certaine rigueur... Personnellement, je me souviens les avoir bordés le soir, de leur avoir lu à chacun un livre et de les avoir embrassés pour la nuit avant d'éteindre la lumière pour la nuit. Puis, peu à peu la pudeur, leur caractère d'adultes.

Nous n'avons jamais eu que des chiens qu'on appelle bâtards. Pourtant, à mon avis, ce sont des chiens très éveillés, vifs et dégourdis, peut-être même plus résistants que les autres. Un chien flaire les préparatifs de voyage. L'oreille basse ils lèvent sur vous un insupportable regard de supplication. Et ils sont les premiers à capter vos joies et vos tristesses, toutes vos vibrations.

Je sais que les douches sont plus rapides, moins couteuses et plus efficaces que les bains. Pourtant, j'aime me glisser dans les bains chauds, dans la mousse odorante. Il m'arrive d'y lire ou même de m'y assoupir.

C'est étrange comme nous sommes capables de mettre en évidence soit le bon côté, soit le côté que nous réprouvons, des gens. Lorsqu'ils sont morts, nous nous croyons toujours obligés d'en faire des héros. Nous fabriquons d'eux des images acceptables, nous gommons les mauvais souvenirs pour les doter d'un passé de bonne composition. J'ai regretté à la mort de ma mère, mes quelques rancunes et elle-même avait fait de mon père un saint. Or il en était loin....

Les années employées à bachoter qui paraissent indispensables, ne servent pas toujours. Elles développent cependant l'esprit et permettent une pensée plus libre. Les écrivains n'ont pas à se lever tôt. Ils écrivent en fonction de l'inspiration... Encore faut-il trouver un éditeur et là nous sommes bien obligés de nous replonger dans le monde du rendement ! Et pour gagner sa croûte, l'écriture est un terrain friable.

Je pense que ceux qui sont nés dans un milieu qui a eu des difficultés ne reconnaissent pas la valeur de l'argent économisé. Dès qu'ils en ont un peu, il leur file entre les doigts et ils se croient riches sans songer au lendemain.

La plus grande colère que j'ai eue contre mon mari est lorsqu'il a essayé de percer mon jardin secret en mettant un espion dans l'ordinateur. Il était presque un ennemi alors. J'ai trouvé ce piège machiavélique pour seulement quelques mails que j'avais envoyés par curiosité et sans mauvaise intention...et l'horreur de ce piège a un moment détruit son image à mes yeux.

Quand les gens se plaignent de la chaleur qui ne dure même pas un mois chez nous, je me souviens mois des longs mois où la maison a du mal à se chauffer. Je revois la bruine fréquente, la boue des chemins, la chape fréquente de nuages et de brouillard masquant le soleil des journées entières, des semaines, des mois. Je me remémore mes doigts gelés, les rhumes des petits, la tristesse déprimante des ciels bas.

Ma région ? C'est celle où le soleil apparaît le plus souvent. La lumière, la chaleur me mettent à l'aise. Je m'y sens bien, mes soucis s'estompent, une énergie nouvelle m'anime. Je me sens alors capable de vaincre la fatigue comme si la lumière du soleil nourrissait mon corps et mon esprit.

Je ne suis pas quelqu'un de très sociable. Je veux dire que je ne cherche pas la société, je me sens assez bien seule. J'aime mes amis, mais je n'en ai pas beaucoup. Je n'apprécie guère les fêtes, le bruit. Mes réactions face aux hommes ont toujours été contraires à leurs intérêts. Je n'ai fait que rêver : affection, sentimentalité... hors de mon couple et si rarement d'ailleurs.

Autrefois, les jalousies entre enfants, je les voyais à peine. J'avais l'impression de les gérer. L'arrivée des conjoints a tout bouleversé. On ne peut plus argumenter, se défendre. On sent les tentatives de disqualification, la rivalité...

J'aimais marcher, savourer les belles journées, cueillir les tiges tendres pour en sucer la sève. J'aimais humer les odeurs des bois...

J'aurais bien aimé avoir des rapports amicaux avec tous mes enfants avant qu'il ne soit trop tard. Mais soit ils se vexent sans que j'aie voulu les offenser, soit ils sont trop occupés, soit c'est moi qui suis fatiguée et dans ces moments-là je manque de patience...

Quand j'étais jeune, j'ai  appris à me décontracter, à ne pas opposer de résistance à la douleur et j'ai eu mes trois gros enfants sans pousser un cri. Aujourd'hui, avec l'âge, je ne sais plus éviter que la douleur ne se dépose en moi lorsqu'elle me traverse. Et il  m'arrive lorsque je suis seule de crier, comme mon père, rien que pour me soulager ou soulager ma rage.

Tout ce que je n'arrive pas à dire oralement j'ai tenté de l'écrire. Le temps passe, les souffrances morales sont personnelles et difficiles à expliquer, les joies aussi. C'est seulement aujourd'hui que je comprends que chaque cicatrice dépend de nous, de nos réactions face aux blessures.

J'espère qu'un jour mes diverses notes serviront à mon fils par exemple, lui qui aime écrire et qui écrit bien. J'y ai consigné presque plusieurs siècles ( notes de ma mère reprises ) de vie... et il mettra en ordre...

De tous temps j'ai souhaité ralentir le temps. A 10 ans, j'aurais voulu que le temps s'arrête comme si j'avais peur des responsabilités des adultes, déjà. Au moment où mon corps se transformait j'étais en retard au milieu de mes camarades et je prenais plaisir à le constater. Ce n'est qu'assez tard que j'ai pensé à l'amour.

Près de la cheminée  où flamboient les bûches de chêne Roxy notre chienne noire se chauffe tantôt d'un côté, tantôt de l'autre.

Deux heures de mémoire gommée dans ma vie avec juste l'instinct de rentrer à la maison !. Le visage le plus proche, le premier qui s'est présenté à moi est celui de ma fille. Plus exactement son numéro de téléphone.

J'ai toujours paru plus jeune que  mon âge. Lorsque j'étais enfant, tantôt j'en jouais, tantôt j'étais vexée. Plus tard j'en ai été fière.  Seules mes mains tavelées et fripées à la peau si fine dénoncent le passage des ans. J'étais contente de mon corps. C'était à la fois grâce à la nature mais aussi un peu mon œuvre.Sans vraiment faire de régime, j'ai toujours fait attention de ne pas grossir, de me muscler... Je suis un peu désolée à la pensée qu'on va peut-être m'enlever un sein, mais qu'y faire ? Il y a une fin à tout dans la vie.

A G., parfois j'ai l'impression de végéter comme une vieille croûte ! Mais il y a les plus petits des enfants que je vois grandir. Nous les aimons tous beaucoup. Ils sont à la fois coquins et adorables. Les retours sur Marseille sont tellement longs mais ils me manquent. Le climat est trop rude pour moi ici....

Je constate comme ma mère qu'on reste toute sa vie attaché aux lieux indéracinables de sa naissance, même lorsque de nouvelles attaches se créent. C'est le point avec lequel je suis d'accord avec ma mère. Nous sommes déchirés par cette double appartenance comme des émigrés. On ne peut pas se sentir d'ailleurs, on ne peut pas retourner vers le passé.

Mon mari ? Il commence dix choses et il en finit 20...Rien que de le voir faire, c'est fatiguant ! Ce doit être une remarque de marseillaise.

Notre chien, pendant que tu fais 100 m, il fait 10 km. Il perçoit le moindre gibier, le frou-frou des perdreaux qui décollent, comme la fuite des lapins ou des chevreuils. Rien ne lui fait peur, pas même la taille de l'animal. Ce n'est pourtant pas un chien de chasse. Dans la famille, nous ne chassons pas, nous préférons rêver ou prendre des photos dans la nature, écrire des textes poétiques.... Notre chien chasse aussi le chat. Bien sûr, il ne l'attrape jamais. Le chat hurle, griffe et se sauve. Il se glisse dans les ronces ou grimpe aux arbres. Le chien vexé aboie longtemps, puis abandonne, lassé.

Merci ma grande pour ton message de soutien à propos de la plainte. Je résume : ma mère a été arnaquée par ses voisines ( travaux au rez de chaussée faits par leur ouvrier, travaux mal faits, travaux non finis... elles se sont fait payer de la main à la main en allant avec ma mère de 90  ans à la poste... A la poste personne n'a rien vu. Ma mère a  porté plainte sur les conseils de mon mari... Et dans tout ça c'est moi qui suis accusée en diffamation et de mauvais soins ! Aucune preuve bien sûr contre les voisines et j'habite à plus de 6 h de route. Impossible pour moi d'habiter à Marseille. Toute ma vie est maintenant dans le Lot. Ma mère refuse de venir chez moi...
Avec tout ça mon mari se désintéresse de l'affaire. Pour lui il n'y a pas de problème ! Il change d'avis sans me tenir au courant du cheminement de sa pensée. Une fois il parle d'arrêter la plainte comme si c'était possible ! Une autre fois il a tout pour se défendre, le dossier est prêt... sans me dire quoi et sans chercher ! Sauf que c'est moi qui suis attaquée, c'est lui qui a commis les erreurs, malgré moi et que avec son " tout est prêt " je suis finalement obligée de chercher ma propre défense...Il arrive que je panique, je risque de faire des bêtises. Mais pour son train train, je parle de mon mari,  toujours G., G. et toutes ces bonnes femmes qui l'admirent et le veulent pour 36 choses ! Il a des qualités mais là, c'est le comble. Je ne sais pas si c'est l'âge, la maladie...
Ne t'affole pas. Moi, je n'ai pas vraiment craqué, mais je sens que je n'ai plus envie de rien... Je frôle parfois la déprime puis je remonte, alors, c'est la colère !  Je dors mal ce qui ne me ressemble pas !

Je suis contente que nous ayons renoué mes cousines et moi, bavardé et effacé en partie le passé. Ce sont pour moi des moments agréables qui me changent un peu de G. où tout est pour mon mari...!!! Sauf les enfants bien sûr.

Les retraités ont tout le temps qu'ils veulent. Ce n'est pas toujours vrai...

Notre séjour à Marseille, malheureusement, ce sera surtout un séjour de travail : des tonnes de gravier à porter dans les allées, après avoir nettoyé et mis du géotextile...
L'après-midi, nous prendrons un peu de repos avant de sortir avec Co. Il y a longtemps qu'elle n'est pas venue à Marseille.
Nous avons aussi des rendez-vous avec des artisans. Bref, séjour assez occupé avec des imprévus... Je me demande parfois si R. en dehors des voyages ne pense pas qu'au travail. C'est peut-être son " divertissement " à la mode de Pascal.

     
 Tout semble stupide après coup. Chacun interprète et modifie en fonction de ses soucis. Mon mari a tellement peur que tout se passe mal après notre mort qu'il en est angoissé et déforme souvent en fonction de ses angoisses. Moi, avec ma nouvelle maladie, je déforme sans doute plus et j'enrage devant ses remarques fréquentes qui font allusion à notre mort !!! Il ne s'agit pas de nier, mais de ne pas être obsédés.
   
Le plaisir que j'ai, comme chaque fois, à rassembler la famille est parfois attristé par des reproches sur notre éducation ou des interrogations sur la succession.
Les questions d'héritage reviennent régulièrement...Chacun défend son droit, gentiment, mais fermement. Mon mari est toujours un angoissé permanent. Il a toujours peur des disputes après notre mort. Il lui arrive aussi de déformer comme presque tout le monde, les dires. Ses angoisses me font monter la pression et souvent à tort. Je le réalise après coup !!!


Chacun de nos enfants, chacun de nos petits rencontre ou rencontrera des problèmes. J'en suis désolée pour eux. Pourtant d'habitude mes filles ont de bons rapports avec les collègues... Les femmes qui dirigent sont dangereuses car complexées. Moi non plus je ne m'entendais pas avec ma principale adjointe. Il faut avant tout se ressaisir devant la principale, devant les collègues, comme devant les élèves, se poser les bonnes questions. Quelle est la véritable raison du différent ? Quant au comportement devant une principale ? ... le mieux est de rester neutre, ni agressive, ni soumise et de lui demander franchement, un jour, d'où vient le problème. 
Cela finira par s'arranger. Mais il est bon de montrer aussi que nous ne sommes pas des marionnettes. Les principaux testent aux aussi...


 Ici, c'est toujours pareil : un peu trop surchargés physiquement et moralement. Robert a toujours le poids de la mairie et le plus souvent il est absent, de plus, dans les municipalités, plus tu en fais, plus tu as des revers.
Co. a un procès pour " dol ", l'adversaire a été débouté en première instance mais il fait appel. Elle  risque d'avoir 60 000€ et plus à payer, et elle ne les a pas dans l'immédiat.
Nous sommes en train de terminer nos donations, avant la fin de l'année, il ne nous restera plus que l'usufruit. Rien n'est facile. Le partage à trois n'est pas évident.
Les travaux chez Isa sont presque finis mais notre maison est un peu à l'abandon !!!

Heureusement il y a aussi des bons moments. Mais ces temps-ci, c'est la lassitude qui domine. Je comprends aussi que G et sa femme sont angoissés et épuisés, presque déprimés parfois, ce qui les rend agressifs. Mais, j'ai encore sur le cœur le ton sur lequel Caro m'a parlé et les mots qu'elle a prononcés. Ce qui me déprime c'est que je n'avais chaque fois que l'intention de les aider, même si j'ai été maladroite... Il faut continuer à sourire, à accepter, à oublier pour ne pas déstabiliser les couples. Parfois ils s'excusent aussi. Disons que c'est la guerre connue, belle-mère, belle fille et que cette guerre influence notre fils. Cette guerre et ses colères qui jaillissent toujours si spontanément nous écorchent au passage. mais c'est notre fils, je l'ai toujours aimé tel qu'il est et je sais qu'au fond il lui arrive de regretter.

- Excusez-moi, tous les amis, de ne pas vous donner plus souvent des nouvelles, mais entre les petits à garder, les travaux chez les uns et les autres, la mairie, les activités diverses et au début, l'entreprise de G., nous avons été pas mal occupés.

- Dès notre arrivée en France, mon mari a repris une vie familiale que je ne connaissais pas et qui m'a déroutée. Il n'était plus le même. Avec l'âge en plus, je me suis sentie soit abandonnée, soit laissée au second plan, soit envahie  d'amis et surtout d'amies trop présents à mon goût. Soit c'était pour lui un besoin, comme voyager avec les élèves pendant que je gardais les enfants et que volontairement je refusais ce genre de prolongement du travail...comme donner des cours aux enfants de son frère pendant que je me morfondais dans un village perdu de Corrèze, dans l'attente de son retour, comme se lancer à corps perdu dans de multiples associations.
 N'est-il pas possible de trouver un consensus ? de trouver un équilibre entre trop et plus du tout ?
Même si vivre en famille ne signifie pas étouffer, il est important de garder une vie mesurée et équilibrée hors du foyer comme dans le foyer me semble-t-il.

- Les soucis pour la maison,  pour la famille sont embêtants, mais ils font partie des aléas de la vie et vus après coup, de ce qu'on appelle le bonheur.

- Je n'affirme jamais rien avec conviction, je ne suis jamais sure de moi !!! Je sais bien que toute analyse peut passer à côté, que tout discours ne traduit jamais exactement la pensée. L'effet papillon et le fait d'avoir parlé a déclenché la tempête.  Je regrette. J'ai voulu réagir mais trop tard et mal...  Attention aux différentes interprétations !!!

- Dans la famille, contrairement à beaucoup d'autres familles, nous avons appris la discrétion. Nous aurions plutôt tendance à nous dénigrer. Est-ce mieux que de se vanter et de se mettre au premier plan de façon à écraser les autres ? Il faudrait une juste mesure.

- La justice en famille existe-t-elle ? Une succession, une donation sans heurt est-elle possible ? Comment faire comprendre que les lois ne sont pas nécessairement justes, que le choix des parents est lié aussi aux problèmes rencontrés dans la vie, qu'ils se réservent une marge pour les aléas sans pour autant aimer moins.

 Nous avons ramené des tenues en soie pour les filles. J'espère que cela leur plaira. Il me semble que cela peut servir de vêtement élégant comme de déguisement ??? Les filles là-bas sont tellement petites et menues que j'ai, au hasard, pris des tailles bien au-dessus de leur âge. Il sera toujours possible de remonter le pantalon.

- Le temps passe et chacun a ses occupations. La santé va bien...  Ici nous sommes submergés d'occupations.
R. est toujours adjoint au maire, il écrit les articles locaux pour le journal la dépêche. Heureusement il a pratiquement abandonné la bibliothèque, le site du village qui ne tourne plus d'ailleurs et il n'écrit presque plus ses fascicules sur le passé et le patrimoine local.

 

- Pourquoi les gens qui voyagent confondent-ils modestie, réserve et ignorance ? Vous apprendrez peut-être qu'entre autre... il m'est arrivé d'enseigner l'anglais bien que ce ne soit pas ma discipline principale de base et que si en anglais je n'ai pas une excellente oreille, je crois être bonne à l'écrit et en grammaire. Ceci pour notre petit désaccord sur " What did you like most ? " Most " ne veut pas dire " plus ", mais " le plus " c'est un superlatif. Voilà pourquoi je le traduisais par qu'avez-vous préféré ?

Je suis têtue, je sais... Comme beaucoup d'entre nous. Mais je le dis avec le sourire et en gardant un bon souvenir de notre séjour commun.
-  Nous sommes dans l'attente des contrôles pour R., dans les travaux pour I., dans les surprises pour les impôts ( car toutes nos donations sont en fait taxées ), de la bourse pour G. car il y a mis l'argent de la donation qui devait lui permettre de lancer son entreprise, en bourse, juste avant la crise !!!, du procès pour C.... Bref,  La totale.

- Nous venons d'avoir un gros problème la petite de 5 ans et demie est hospitalisée avec une méningite, une ponction lombaire qui s'est mal passée...Nous espérons tout de même qu'elle va s'en sortir sans trop de dommages. ce n'est pas la méningite foudroyante, mais une assez grave tout de même.
- J'ai aussi des problèmes d'arthrose surtout aux mains, mais j'hésite à prendre des médicaments. Souvent ils ne servent que pour la douleur et détraquent autre chose.
Chez nous aussi le soleil est revenu, mais il fait froid. Je vais faire des crêpes pour mon petit P. J'en ai fait pour ceux de C. la semaine dernière. Seul le dernier n'a pas droit aux graisses trop abondantes et aux sucreries avant 4 ans. Il parait que c'est le meilleur moyen pour lutter contre l'obésité infantile. Il est né à presque 4 kg malgré un régime strict de la maman. JM me dit que les réserves de graisse se forment dès cet âge et qu'ensuite si on n'a pas trop accumulé, le corps s'habitue lui-même à éliminer. Le plus difficile est de convaincre la famille de T. 
Si tu lis le détail des ingrédients de tous les petits pots de bébés, et pots de yaourts aux fruits, etc...surtout chez Blédina...c'est à te faire dresser les cheveux sur la tête. Entre les colorants, les " E" ,conservateurs, paraben et autre...
Peut-être que si je n'avais pas donné des farines comme on le conseillait à l'époque, à mon second bébé, peut-être adulte aurait-elle mieux éliminé. Peut-être !!! ? car il faut voir ce que T. lui demande pour les repas !!! Mais lui travaille beaucoup physiquement et elle n'a pas un tempérament à rester mince. Elle était mince chez nous parce que nous avons toujours fait attention.


- Les enfants grandissent, hier j'étais en sortie de fin d'année avec la " crèche " du plus petit, le 5 e pour l'instant : Visite d'un parc animalier !!! Pas de tout repos avec un amoureux des découvertes !!! Le 6 e  et le 7 e  sont prévus pour l'an prochain.

- Nous ça va, c'est toujours le train train, et comme c'est l'été, nous avons assez souvent les enfants et les petits.

- Nous ferons en Octobre une croisière avec ma mère, certains enfants et certains petits. Puis notre prochain voyage, peu de temps après sera pour l'Argentine.

- Je n'ouvre plus qu'une "bal" régulièrement !... En fait je laisse un peu tomber tout le monde, non parce que je ne m'intéresse pas aux gens, mais, je perds un peu de mon entrain. Je me suis fait une déchirure...J'ai dû aller à Marseille 8 jours pour ma mère. J'ai dû faire la rentrée du garçon dont la maman faisait aussi sa rentrée ailleurs. J'ai été prise deux jours. Il est possible que sous j'ai à garder les deux autres petits !!! Hier c'est le fils qui est venu pour des devis difficiles : des toits immenses avec des décrochements... : calculer les surfaces, demander les prix, utiliser le logiciel. Le fils est bon en math, mais il était fatigué après des heures sur les toits en pleine chaleur et il n'aime pas téléphoner. Sa femme aime téléphoner, mais elle a son boulot aussi et n'est pas bonne en math. Nous, nous  étions bons, mais nous avons un peu oublié, par contre nous savons bien utiliser le logiciel. A tous nous y sommes arrivés. Le fils a fait appel à nous car il avait sous estimé, il y a un mois, un lourd chantier et il était un peu déprimé. Il est seul encore, il a passé deux mois et demi sur un chantier pour des prunes !


- Je vois que tu es toujours bien occupée avec tes enfants qui te donnent un peu de souci, sans doute, mais aussi tellement de joie je présume.

- Nous avons enfin une journée de repos. Pas même un petit à garder car Isa est en vacances. Hier nous avons classé les ardoises du vieux toit de chez notre fille en fonction des tailles pour permettre à G. de gagner du temps. Il va nous falloir aller à Marseille pour régler un problème d'impôts.

- J'espère que R surmonte ses problèmes, vous avez besoin de repos tous les deux et laisser les enfants se débrouiller parfois.

- Quand nous nous absentons, notre chien déprime ! C est bizarre qu'elle ne veuille pas sortir ! Sa peau va-t-elle mieux ?
- Les enseignants n'aiment pas qu'on apprenne à lire aux enfants. Leur raison, il vaut mieux que l'enfant commence à lire avec un esprit neuf et ils se persuadent qu'ils auront à réparer les dégâts. Et pourtant comme je suis contente d'avoir appris aux miens. Ils ont été tellement à l'aise et si longtemps !
Il ne faut jamais perdre le moral pour des soucis matériels !
Mes enfants passent tous par des périodes de découragement. Sont-ils particulièrement sensibles ? Est-ce le lot de tous les jeunes ? Les avons-nous trop protégés ?

Vont-ils bien ? Je ne veux pas remuer les plaies.  Mais je suis toujours là pour vous tous...

Des questions sur l'amitié... ?  Dans la période de la vie où chacun court à son travail, élève ses enfants, il n'y a pas d'amis. Chacun est rivé à son travail, sa famille, ses problèmes... Je veux dire d'amis intimes. Apprenez à vous faire des relations superficielles sans engagement et évitez de vous confier. Vous révélez votre fragilité, vous donnez à l'autre, l'impression d'être plus grand, plus fort. Cherchez en vous la force...Des relations plus superficielles vous révèleront une partie des caractères, vous permettront de mieux comparer et vous laisseront plus libres, moins blessés.

Ne vous laissez pas donner de leçons par ceux qui n'en valent pas la peine. Faites ce que vous avez à faire du mieux que vous pouvez et souvenez-vous de l'histoire de l'âne : un, trouvait qu'on le chargeait trop, l'autre trouvait qu'on ne s'en servait pas assez, le suivant trouvait odieux que le fils le monte et laisse son père âgé marcher, le suivant s'indignait de l'inverse !

L'humain reste l'humain et pourtant les temps changent...

 Je me demande si le meilleur moyen de connaître, de bavarder, sans entrer trop intimement dans les familles, n'est pas la randonnée. C'est un sport simple, valable en famille, qui permet des rencontres et pour lequel on se trouve assez libre si l'on n'est pas assidu.
Ceux qui donnent des leçons ne sont pas toujours des exemples... Je sais, comme moi, vous ne savez pas répondre vite et méchamment. Peu importe, restez indifférents et montrez aux autres que vos convictions font votre force. Vous êtes assez intelligents pour savoir par vous-mêmes ce que vous avez à faire.
Tu n'avez jamais voulu croire que vous étiez beaux, n'attendez pas d'être vieux pour vous rendre compte que vous l'étiez.
Ne culpabilisez plus pour la faute des autres... Ce qui ne veut pas dire que vous n'avez jamais de torts, mais c'est à vous de les corriger, s'ils en valent la peine, non aux autres de faire la leçon. Vous êtes ce que vous êtes... et soyez fiers de ce que vous êtes.
Vous n'êtes plus des ados, vous avez déjà été un peu écorchés par la vie. Il faut savoir tourner la page. Et même si les autres sont plus vifs dans leurs réparties, c'est à vous de savoir vous blinder et de ne pas chercher à interpréter à tort.

-  Mamie et sa sœur se sont réconciliées à 80 ans !!! Tout juste parfois. Et pourtant elles sont toujours inquiètes pour l'autre.

- C'est vrai que je suis occupée. Il m'arrive de me perdre dans la rêverie pour oublier un peu le train train...Pourtant j'aime ce rythme. Sans lui je m'ennuierai et ce n'est pas bon.

- Demain mon fils a trente ans et je fais le gâteau aujourd'hui. Même sa belle-mère vient.

- J'ai vu que tu avais téléphoné. J'espère qu'il n'y a aucun problème de ton côté. Ici, c'est P. qui a été mordu par son chien blanc. La main était vilaine. Il a fallu l'opérer. J. seule est perdue. Sait plus conduire, devait faire des courses, aller voir son mari...Bises
- Ah mince, il est trop hargneux ! Que de soucis ils ont avec leurs chiens!!!!

- Nous nous essayons de remonter le moral de G. Ch. a l'air très bien. mais C. lui fait des choses que j'estime horribles
Aujourd'hui nous allons tous voir les montgolfières à Rocamadour

- Je viens de voir qu'il y a 13 min. C. a accepté mon invitation d'ami sur FB qui date du début du mois alors qu'elle me l'avait retirée et que je l'avais redemandée sans comprendre.
- Elle fait des choses horribles à qui ?
- Trop long par écrit. Méfie-toi de ce que tu lui dis. Elle retourne tout contre G.
- Je n'ai rien écrit : j'ai juste vu la notification qui a bipé.
- OK. En fait elle était voleuse, menteuse, dépensière compulsive, arrogante et elle trompait ( sans preuve = difficile !!! mais aveux de sa part ) mais elle était avec au moins un autre homme depuis 2014... Sous couverture de politique pour un parti qui fait du 1% au grand max. Gui payait ses voyages à Paris avec lui !
J'ai un dossier complet
Elle veut un enfant avec cet homme. G. lui a dit : " si tu respectes un peu tes enfants ne vis pas avec celui qui a détruit notre couple. Et elle a répondu : " j'hésite entre 3 hommes " en fait.
Et elle prétend que G. est en tort. Il connaît Ch. depuis 3 mois. et n'a couché avec elle qu'après avoir vu les avocats. Pour elle ça fait au moins 3 ans, voire plus...

 Méfie-toi d'elle. C'est une manipulatrice ( comme tu les aimes !!) et elle nous a tous eus.
- Oui je comprends, je sais que je me fais avoir sans cesse. De toute façon j'ai bien compris qu'elle vient d'accepter avec tant de retard cette invitation, non pour moi, mais pour consulter le journal ou autre !!!!

- J'espère que nous sympathiserons la nouvelle compagne de mon fils et moi. J'en serais heureuse. Nous sommes tous prêts à vous accueillir avec grand plaisir . . Bonjour à K. de la part de sa nouvelle grand-mère.
-  Guillaume m'a beaucoup parlé de
vous et je suis curieuse de vous connaître. Vous avez l'air d'être très généreuse et vraiment sincère. Ça me fait du bien de lire vos mots. Vous avez trouvé le bouquet ?
- Oui grand merci
- De rien c'était pour votre retour et pour vous remercier
de votre accueil et de nous avoir permis de dormir quelques jours chez vous
- C'était tout naturel.

J'avais peur d'essayer d'aider ce nouveau couple. J'avais peur de mal m'y prendre, de m'ingérer dans leurs problèmes

- Mais jusqu’à présent vos conseils m’ont été précieux
- Je sais seulement que le bonheur n'arrive pas d'un coup. Il se construit à deux. Parlez-vous. Faites ensemble ce que vous aimez. Il me semble que vous avez pas mal de points communs ce qui n'était pas le cas avantavec l'ancienne compagne de notre fils.
- Vous avez raison
. Je suis là pour votre fils et je ferai tout ce qui est possible pour lui et ses enfants. Je suis là également pour toute votre famille.
Je vous apprécie beaucoup. Vous êtes formidable.
Comme ces mots font plaisir après avoir été dénigrée.

Depuis 2019, il n'y a pratiquement plus qu'une info, toujours et partout : COVID 19. C'est lassant. Tout le monde me révolte : les médias qui insistent au-delà du raisonnable, les insoumis ou autres révoltés qui en font une affaire politique.

"Il est important de faire la différence entre les questions qui sont de l'ordre du politique et les questions qui sont de l'ordre du scientifique. Je pense qu'il est important de ne pas mélanger les deux " William Dab
Je ne comprends pas les soignants qui refusent de se faire vacciner et qui en même temps se sentent submergés par le nombre croissant des malades.
Hier, une dame m'a dit:
- Je suis contre le vaccin... Est-ce que vous savez ce qu'il y a dans ces vaccins ?
- Non, je ne sais pas ce qu'il y a dedans, ni dans ce vaccin, ni dans ceux que j'ai eus dans mon enfance, ni dans le Big Mac, ni dans les hot-dogs, ni dans les autres traitements. Je ne sais pas ce que contient l'encre des tatouages, le vapotage, Je ne connais pas l'effet à long terme de l'utilisation du téléphone portable ou si dans le restaurant où je viens de manger on utilise vraiment des aliments propres.
Je suis vaccinée, non pas pour faire plaisir au gouvernement mais :
* Parce que je fais confiance aux soignants: leur métier est noble, la plupart ont fait des études spécifiques... Pourquoi mêler politique et santé ? Pourquoi douter systématiquement des scientifiques ? On n'est pas dans un film américain, ils ne sont pas tous corrompus ...
* Je suis vaccinée aussi pour éviter de mourir du Covid-19.
* Pour éviter d'encombrer un lit d'hôpital si je tombe malade.
* Pour ne pas avoir à faire sans cesse des tests PCR ou antigéniques
* Pour vivre ma vie et protéger ma famille et mes amis le plus possible.

Quelques anecdotes pleines de souvenirs, de tendresse, de nostalgie ou de surprises
 
gignacchine.jpg
Calligraphie, Gignac faite en Chine

 

La première fois que mon mari m'a amenée dans son village, en voiture, j’ai eu l’impression de prendre une route perdue en rase campagne. Les routes du département sont parmi les plus tortueuses. Le village et son clocher au loin n’avaient pas pour moi la même beauté que pour lui. Il y voyait de nombreux souvenirs et ceux-ci embellissent toujours; cette beauté il la puisait jusqu'au profond et lointain ancrage des racines de ses ancêtres et du souvenir. Beauté difficile à saisir par des mots, des images ou des métaphores. C'était beau, oui, mais pas comme il me l'avait décrit. D'ailleurs le village est encore pour lui comme pour deux au moins de nos enfants, le nombril du monde. Le clocher éclairé par la lumière du couchant dominait le village comme s’il veillait sur lui. Après le village, les lacets reprennent en direction de la ferme familiale... Puis, peu à peu, les arbres, les toits de la ferme se rapprochaient tandis que le clocher ne semblait plus alors pour moi qu’une forme grisâtre qui ponctuait le temps. Après y avoir vécu des années, j’en apprécie d’avantage le cachet.

Une anecdote qui date des débuts de notre mariage, vers les années 70, me fait encore sourire aujourd'hui. Nous avions découvert, à la Grande Motte, une maison neuve à vendre, pas chère. La grande station faisait ses premiers pas. Je me souviens très bien de la maison dans les pins, de sa terrasse avec barbecue, de ses salles de bain et de ses nombreuses chambres !!! Pas tellement chère compte tenu de l'espace... Cela nous avait paru immense pour deux. Nous étions loin de penser à l'avenir, à l'époque, de penser aux naissances éventuelles... !!! Nous n'avions pas acheté bien sûr, alors que maintenant nous avons ce qu'on peut déjà appeler une famille nombreuse.

Notre séjour au Maroc de 1970 à 1979 nous a laissé de nombreux souvenirs.

 Les meilleurs souvenirs datent de quand nous y travaillions. Nous avons gardé pas mal d'objets qui nous rappellent le pays : vases de Safi et autres...
J'ai plusieurs anecdotes curieuses ou amusantes concernant le Maroc.

Nous étions assis dans les grands et confortables halls de tous les hôtels dans lesquels nous avons séjourné au cours de nos voyages. Mais l’hôtel le plus horrible qui m’ait marquée est celui dans lequel nous avons passé une nuit, à Algéciras, en attendant le bateau. Il y avait un monde inimaginable ce soir-là, et aucune place. J’étais enceinte. Nous avons eu le choix entre dormir dans la voiture ou prendre cette chambre humide, moisie… Les gouttes d’eau se voyaient sur la tapisserie délavée et l’odeur était insupportable…

Mon mari commençait à bien se diriger, dans le pays comme dans le désert. ( Il y a passé 12 ans ). Un jour pourtant, nous roulions sur une piste au milieu du désert. Cette piste nous l'avions faite plusieurs fois, mais comme le seul repère était une vague ligne électrique dans le lointain, mon mari a eu brusquement des doutes et m'a dit : " la première voiture que j'aperçois, je demande confirmation sur la direction pour Merzouga... " Le temps passe, nous poursuivons notre chemin vers l'infini... et finalement une voiture très poussiéreuse arrive en tanguant sur la piste... Nous nous arrêtons, eux aussi. A notre grande surprise, comme à la leur, nous reconnaissons un couple venant de notre petit village perdu de France. Ils étaient en vacances. Mais ils avaient un petit guide marocain prêt à nous aider. Le monde est petit !!!


Nous étions à bord du Massalia. Mon aînée était toute petite. Elle a glissé dans sa douche et s’est ouvert le crâne. Je me souviens de mon affolement, du médecin du bateau qui tremblait pour mettre les points. C'était un médecin militaire et il me semblait vieux à l'époque. Une autre fois, elle est tombée en faisant du vélo près de la piscine du lycée à Meknès où mon mari enseignait. La blessure cette fois était sur le front et saignait abondamment. Le médecin qui a cousu le point, sur son visage lisse d’enfant, a tellement serré qu'au lieu d'une seule cicatrice avec un simple trait, elle a eu une croix sur le font. La peau avait éclaté.

Autre souvenir ? La tempête qui nous a empêchés de prendre le bateau en direction de  Sète ou  de Marseille …Il s'agissait, je crois du Massalia ??? Existe-t-il encore des voyageurs capables d’offrir un voyage à un jeune couple avec enfant, comme nous à l'époque ?… C’est pourtant ce qui nous est arrivé. Nous étions loin de Meknès, notre ville, la petite était fatiguée et comme le voyage en bateau était payé, nous avions peu de liquide. Des gens de Meknès, que nous ne connaissions pas et qui se trouvaient témoins de notre désarroi, nous ont prêté l’argent nécessaire à un voyage vers la France, par la route, en tenant compte des hôtels. Eux non plus ne nous connaissaient pas...Nous avions seulement des lieux, de vagues amis communs et un certain goût pour l'aventure et l'entraide que partagent tous les français qui vivent à l'étranger.

Les films que nous faisions pour les enfants :

Télécharger Les quatre saisons MP4

- Tes filles sont nées biterroises ? :

- As-tu aussi habité cette ville ou alors c'était quand vous étiez au Cap?

- C'est quand nous étions au Cap. Vers les années 70.

Je ne voulais pas, pour plusieurs raisons, qu'elles naissent au Maroc.  De plus il y avait à Meknès une seule couveuse, pour combien d'enfants ? Enfin j'avais un rhésus négatif et je savais qu'il serait difficile dans ce pays de se procurer des anticorps. J'ai donc vécu au Cap pendant une partie de mes deux premières grossesses. Pour la naissance de ma seconde fille, j'étais avec mon aînée de 3 ans à l'époque, et mon mari travaillait au Maroc. Lorsque les contractions m'ont annoncé la naissance, j'ai téléphoné à mon mari au Maroc. Il a fallu que j'aille pour cela à la station service du Cap, je n'habitais que provisoirement en France, je n'avais donc pas le téléphone. Les portables n'étaient pas d'actualité !!! L'hiver, au Cap, tous les immeubles ou presque étaient vides !!! De plus c'était un Dimanche. Le gars de la station partait à la chasse. Il a un peu protesté, car je le retardais, et surtout quand il a su que je voulais téléphoner au Maroc !!! Mais il a fini par accepter avec promesse de paiement. Le soir, mon mari me menait lui-même à la clinique. Il a quitté immédiatement Meknès pour se rendre à Rabat et il a pris le premier avion.

Un premier Avril, nous étions au Cap d'Agde, nos filles se réveillaient et mon mari ouvrait grand les persiennes. Soudain ma fille aînée s'écria : " Ma sœur est pleine de boutons. Nous n'avons même pas regardé. Nous étions persuadés qu'il s'agissait d'un poisson d'Avril. Et bien non... Elle avait la rougeole alors que nous l'avions fait vacciner !!! De plus, quelques jours après, la maladie s'est aussi déclarée sur les deux autres pourtant également vaccinés...

Ma seconde fille, mon fils et moi aimons les animaux. Nous les aimons différemment, est-ce vraiment différemment ? mais, ils font partie de notre vie. Nous ne les aimons pas comme les gens de notre village pour lesquels ce fut longtemps des domestiques relégués dans les granges ou condamnés à mort lorsqu'ils étaient des " gueules " inutiles... J’ai acheté à ma fille un jeune lapin coquin qui gambade dans sa chambre d’étudiante. Elle s’y sentait seule.


La femme de notre médecin a été mon amie. Ce qui nous rapprochait ? Nos garçons allaient à la même école. Peu de familles dans le coin aimaient lire et partager certaines idées. Ce qui nous a éloignés ? Lorsqu'elle a trouvé du travail.

Pourquoi mes enfants se sont-ils toujours mieux entendus avec les personnes plus âgées qu'avec les jeunes de leur âge ? Problème d'éducation ? Problème de culture ? Besoin certainement de vrais conversations approfondies, loin d'un côté un peu superficiel, un peu joueur de certains ??

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Mes enfants pour carnaval

 

  Il y a de bons et de mauvais souvenirs :

    Pour la première fois, en regardant les photos du repas  pour ses 90 ans, la mère de mon mari a ri et a dit qu’elle recommencerait pour ses 100 ans.!! D’habitude au contraire elle parle de sa mort prochaine et cela depuis ses 40 ans !!, Chaque année, elle annonce que c’est certainement sa dernière année !!!

Nous avions deux chiens quand les enfants étaient petits. Le premier, un chien d'un âge déjà assez avancé nous avait été donné par un chasseur. En réalité le frère de mon mari. Ce chien, un chien de chasse beagle ( croisé ) qui avait manifestement besoin d'espace avait pour son malheur commencé sa vie dans un appartement et avait été abandonné. Il manquait d'espace et ses maîtres ne pouvaient plus le supporter. Mon beau-frère croyait que ce serait un bon chasseur, mais il était un peu tard pour le dresser. Il courait bien après les animaux, mais pour lui seul, pour le plaisir de la course !!! Mon beau-frère en colère avait menacé de le tuer d'une balle et j'avais promis de l'adopter dès notre retour en France. C'était l'époque, la fin de l'époque en réalité, où nous vivions au Maroc. Quand nous revenions pour les vacances, ce chien semblait savoir que nous étions ses nouveaux maîtres, il manifestait une joie incroyable. Pendant la construction de la maison on aurait dit qu'il en surveillait les travaux. Et lorsque nous nous sommes installés à la maison il n'a pratiquement plus jamais remis les pieds à la ferme du beau-frère, située à quelques mètres. Il nous avait vraiment adoptés. Il était très gai, très gentil. Ses seuls défauts : il aimait courir après les chiennes et les lapins. Il est mort d'une crise cardiaque. Il a juste eu la force de revenir à la maison après une course infernale.
Le second chien était croisé pincher nain et cocker. Un petit coquin marron que nous avions pris bébé, bien que l'autre chien ne fût pas encore mort. Je pensais que ce serait bon pour les enfants de voir un bébé chien se développer. L'autre chien l'avait très bien accepté. Lui aussi était un peu chasseur. Les gens de chez nous n'aiment pas cela. Un matin il est parti dans les bois et il n'est jamais revenu. Il est mort noyé dans un trou d'eau, dans les bois. Un trou dangereux pour les animaux. Accident ou animosité ? On ne saura jamais. Nous avons une piscine, il en connaissait les dangers. Je suis surprise qu'il soit tombé à la course dans un trou d'eau...
Fly notre chienne attend sa promenade. Elle surveille tous mes gestes. Ma seconde fille tour à tour corrige des copies, sommeille sous le plaqueminier ou lit Tintin. C’est à propos d’une plaisanterie de son frère qu’elle a eu envie de lire Tintin. Tintin a presque toujours été une référence pour notre troisième enfant.
 
Bien plus tard à Toulouse : pour les études de notre fils vers 98

Mon mari avait acheté à notre fils une superbe bicyclette V.T.C. qui venait du magasin "décathelon". Notre fils était très fier depuis trois jours, quand il passait devant ses camarades, au guidon de son vélo, dont la souplesse le surprenait lui-même, et dont les rayons accrochaient des éclairs de soleil. Trois jours après l'achat, à la sortie d'un cours, il voulut montrer son vélo à ses camarades, mais il ne le trouva plus. Son vélo lui avait été volé, et cela, 3 jours après l’achat !!! Pauvre fierté d'un jeune homme si heureux, quelques instants auparavant. Il a été tellement humilié, déçu, malheureux, qu’il n’a pas osé nous avouer tout de suite le vol. Il a préféré se priver de sortie tout le WE. A la police on lui a ri au nez ! Un vol de vélo à Toulouse, ce n'était pas une priorité...Et dans les locaux de la police, un jeune homme lui a dit. C'est normal de prendre un vélo s'il nous tente !!!

Un jour, alors qu'il était étudiant à Toulouse et qu'il prenait le train pour revenir à la maison, notre fils est rentré dans un wagon plein de jeunes voyous, mais il ne le savait pas. En réalité il avait au contraire pris l'habitude d'éviter les wagons vides!!!... Un des jeunes lui a réclamé son argent. Il a donné un billet et a réussi à fuir, poursuivi par les jeunes. Il est parvenu à trouver le contrôleur et à raconter son aventure. Mais au lieu de le défendre, le contrôleur a fait descendre toutes les personnes en question et notre fils s'est retrouvé sur les quais, de nuit, au milieu du groupe de voyous, sans argent, sans nouveau train avant le lendemain, alors que nous l'attendions. Il a dû retourner à pied vers sa lointaine chambre d'étudiant. Pour ce jour-là, je dis bravo la SNCF !!!

 
La grotte
 

Il explore une grotte sous sa maison

Sur la Dépêche  ( Jérôme Poupon ) article pas toujours intégralement exact d'ailleurs,  p 20  du Mardi 21 Décembre 1999.

A G. Gui Vay... 19  ans a creusé sous la maison de ses parents, à flanc de coteau,  pour atteindre une grotte qui avait à l'origine été détectée par les maçons lors de la construction de la maison, mais que personne n'avait explorée au-delà de quelques mètres. " Lors de la construction de la maison, il y a 22 ans, les ouvriers ont effondré une voûte avec le bulldozer. Ils ont installé des poutres en béton. Mais c'est comme si la maison reposait au-dessus du vide."
Pendant les vacances de Pâques Gui a donc entamé ses explorations pour retrouver cette cavité dont la famille gardait le souvenir. Cet étudiant en géologie, à Limoges ( deuxième année de DEUG Sciences de la vie et de la terre ) a trouvé un passage au mois de Juin : un boyau au bout du vide-sanitaire.

" Je sentais l'air frais qui arrivait. Il y avait un puits de la largeur du corps : je me suis laissé glisser, et j'ai trouvé une première salle. Il fallait ramper, marcher à quatre pattes pour progresser. "

Cinq salles explorées : Il a ainsi découvert 5 salles, dont une grande cavité de 23 m de long. Depuis un parcours a été aménagé entre trois de ces salles. De la cave jusqu'à la troisième salle, Gui a creusé un passage sur 50 m pour qu'un homme puisse tenir debout. Un vrai travail de mineur. Il a creusé la roche au marteau-piqueur, et sorti, avec seulement un peu d'aide parfois, dans les 2000 brouettées de déblais en à peine six mois. Il utilisait une brouette modifiée pour lui permettre de se faufiler dans l'étroit couloir." J'y passe tout mon temps libre."

Pour les amis c'est devenu un lieu de visite. On peut y admirer des concrétions calcaires : stalactites, stalagmites, une cascade pétrifiée aux allures de tête de lion...
Il a fallu aménager, cimenter des allées, installer l'électricité. Le 1 er Janvier tous ses amis et sa famille devaient y boire le champagne.

 


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La grotte, une vraie grotte sous la maison !!! découverte par notre fils. Il avait 19 ans, un spéléologue lui a offert une plaque gravée en 2000.
 
Dans la grotte, Il a installé l'électricité avec l'aide de mon mari, tracé des allées bétonnées. Il l'a ouverte au marteau-piqueur et a sorti des tonnes d'argile et de pierres petit à petit.
 
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La grotte un jour de pluie

 
Avec les pierres extraites de la grotte, mon mari travaille à la construction du mur qui entoure la maison.
 
- Je trouve que c'est une chance inouïe d'avoir fait ce genre de découverte. Est-ce sur un terrain vous appartenant ? A quelle profondeur se trouvent ces salles ? Bénéficient-elles d'une température stable ? J'imagine tout ce que je pourrais en faire si un tel cadeau me tombait dessus.
 

- Elle se trouve sous la maison et on y accède par la cave. Notre fils a énormément travaillé pour l'aménager. Mon mari l'a aidé surtout pour l'éclairage, je l'ai aidé aussi pour sortir des brouettées pleines de déblais et d'argile. Deux ans de dur labeur en famille mais c'est tout de même notre fils qui a fait le plus gros travail. Je pense que la partie la plus haute de la grotte se trouve au moins à 6 m sous terre... La température y est de 14 ° hiver comme été. C'est un cadeau, oui, mais il ne rapporte rien !!! Du travail, de la fatigue, des fissures dans la maison. Mais cela a été un grand moment d'heureuse surprise pour tous et surtout pour notre fils.
Nous faisons parfois visiter à des amis. Il s'y trouve deux puits de 15 m de profondeur, plusieurs ( 5 ) salles dont une de 25 m avec coulées de calcite et beaux stalactites et stalagmites. La grotte pourrait se poursuivre, la galerie traverse toute la colline derrière chez nous, mais un éboulement empêche de nouveaux accès. Notre fils a arrêté les travaux à la suite d'un léger accident. Un éboulement l'avait blessé au genou.
Creuser devient dangereux. Ensuite, il a été malade.
Quelques spéléologues ont visité la grotte...



Grâce à ces pierres nous avons aussi de beaux souvenirs à montrer. Avec les déblais nous avons pu combler un trou assez profond et en faire un parking. Peut-être un jour cette grotte pourra-telle être utilisée aussi pour des moyens écologiques de climatisation ou de chauffage... à condition de ne pas modifier l'ambiance de la grotte.

 

Grotte 2000 Auguinou. (salle numéro 1) récit de notre fils

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Depuis des semaines, je creuse dans le vide sanitaire, sous la maison de mes parents. J’entasse les cailloux dans un espace de trente centimètres entre le sol et le plafond.
Alors que j’arrive sous l’énorme poutre de béton des fondations de la maison, je sens dans la chaleur de l’été :

Comme un souffle d’air froid,
Comme une caresse inattendue…

J’agrandis le trou et me faufile vers le bas, vers le noir…

Avec ma petite lampe de poche, je découvre la salle numéro un, la récompense de mes semaines d’efforts : des rochers aux multiples formes, une place de quatre mètres sur trois mètres, un seul endroit où je peux me tenir debout sous la chambre de ma sœur, sous le jardin de mes parents, je rampe…

C’est ma naissance dans ce monde parallèle. Je circule sous l’espace habituel, sous ma vie, je suis comme un enfant qui découvre cette autre dimension et pourtant j’ai dix-neuf ans mais le temps, ici, n’a plus d’importance…

 

Grotte 2000  ( salle numéro 2 )

   Nous sommes au mois de juin 1999, en début d’été, et pourtant la température est proche de 12 °C. J’avance à plat ventre dans une galerie de 50 cm de haut et de 1 mètre de large qui mène dans la deuxième salle. L’obscurité est presque totale.

Ma petite lampe projette des ombres inquiétantes devant moi. Je vois la vapeur de mon souffle qui se condense rapidement tant l’humidité de l’air est forte.

Le sol est rugueux en surface avec des dépôts de calcite. Dessous, mes doigts sentent un dépôt d’argile alternant avec des strates de sable.

Le plafond s’élève brusquement. Il est assez haut pour que je puisse m’asseoir. Le volume de cette deuxième salle est beaucoup plus grand mais je vois un immense tas de cailloux qui encombre l’espace central. Il est sans doute la conséquence successive de l’effondrement de la galerie et du comblement par le bulldozer lors du terrassement du terrain à bâtir.

Selon mes impressions du moment, je me situe en-dessous de la chambre de mes parents. Mais trois mètres de roche empêcheraient toute communication.

Je suis si près de cette pièce calme et chaude et pourtant si loin car c’est un monde à part.

Quand j’éteins ma lampe, l’obscurité est totale et si j’écoute, je n’entends que mon cœur et mon souffle.

Je suis toujours comme un enfant qui circule dans une autre vie. J'ai l'envie d'explorer qui est plus forte que les frissons de peur qui parcourent mon corps.

J’aperçois un passage sur le côté qui contourne, en descendant, la cascade de pierres…


Bien décrit, étape après étape

Grotte 2000  (salle numéro 3)

 

  Ce couloir tourne autour de l’éboulis, il est suffisamment haut pour que je puisse marcher debout en baissant la tête. J’aperçois au plafond d’inquiétantes failles dans le rocher larges de 15 cm et remontant sur plusieurs mètres.

A gauche, une sorte de puits étroit descend verticalement mais à droite une large ouverture donne accès à la troisième salle. Pour la première fois, les couleurs changent. Jusqu’à présent, elles étaient proches du marron et de la couleur de l’argile mais là, le sol et les parois sont grises. Mes pieds s’enfoncent dans cette marne.

Je l’appelle « la salle sphérique » car elle a la forme d’un bol avec un sol qui descend en se rapprochant du milieu. Le plafond est horizontal et les parois tendres forment un cercle parfait de 4 mètres de diamètre.

Je suis descendu de quelques mètres en tournant, donc je suis toujours au voisinage de la maison. Des racines d’arbres pendent dans cette pièce comme des touffes de cheveux noirs. Au bout de chaque radicelle, une goutte d’eau perle. Ces racines m’indiquent que je suis à l’arrière de la maison sous un groupe de trois chênes centenaires qui viennent puiser l’humidité souterraine pour résister à la sécheresse de surface bien présente sur le causse de Martel.

Peut-être suis-je arrivé au bout de mon exploration ? Cette salle est une impasse. Je remonte donc dans la deuxième salle le pas décidé. Avec la lampe, j’inspecte la moindre fissure, le moindre trou sous les rochers avec le maigre espoir de trouver une issue suffisamment large pour avancer encore dans ce monde souterrain.

C’est alors que, de retour dans la deuxième salle, j’aperçois un passage étroit là où le plafond redescend : 35cm de haut sur 60 cm de large. Il me semble que mon corps a la place de passer mais « pas d’imprudence ! » Je dois remonter pour être sûr d’avoir deux lampes de poche avec des piles neuves. En effet, je dois prendre mes précautions pour un trajet plus long car, si ma lampe s’éteint, il me sera impossible de retrouver mon chemin dans ce labyrinthe.

Je reviens donc en rampant, je retrouve la corde qui me permet de me hisser dans le vide sanitaire. J’ai hâte de faire part à mon père de mes découvertes !

Je lui raconte, je griffonne un plan pour lui indiquer où je décide d’aller maintenant ( pour que l’on puisse me retrouver en cas de problème ) sous son regard vaguement inquiet… Je crois qu’il a tenté de me dissuader, je ne sais plus, je n’entends rien car une seule chose compte pour moi : redescendre pour aller plus loin…

(suite salle numéro 4)

Grotte 2000 guillaume ( salle numéro 4 )

Je redescends donc à la cave rassuré d’avoir maintenant deux lampes de poche. Je repasse par les petites ouvertures du vide sanitaire, je rampe à nouveau dans le mince espace entre le plafond et le sol. Il me faut parcourir 12 m pour atteindre l’entrée de la grotte à l’extrémité de la maison. J’ai chaud mais je sais que bientôt je vais replonger dans la fraîcheur et l’humidité.

Je me laisse descendre les pieds en premier, je redécouvre le cœur battant cette atmosphère incroyable qui me fait croire que je suis très loin de chez moi. Je repasse dans la deuxième salle pour retrouver cet étroit passage haut de 35 cm. Je m’allonge complètement, incline ma tête sous les aspérités du plafond. Ma respiration se fait difficile. Je m’arrête sentant que mes poumons n’ont plus la place de se remplir. J’espère tant aller plus loin…

Puis j’avance encore. Un petit stalagmite vient freiner ma progression. La galerie tourne légèrement à gauche, j’arrive à tendre le bras. Je braque ma lampe droit devant mais elle ne semble pas trouver d’obstacle. La lumière est absorbée par les parois sombres. Puis le sol descend.

J’ai mon cœur qui bat soudainement plus fort. Je sais qu’une immense cavité se tient devant moi. Après tant d’efforts, sans savoir ce que je découvrirais, l’émotion se déverse par mes yeux. Je n’avais pas espéré ni même imaginé cette grande salle avec un plafond où des centaines de stalactites indiquent les siècles écoulés.

Le sol est décoré de dépôt de calcites aux couleurs claires et aux formes excentriques.

Ma lampe n’est qu’un rayon dans ce vide de 23 mètres de long et de six mètres de hauteur au niveau du gouffre central.

Tout au fond j’aperçois des stalagmites d’un mètre de hauteur et de 10 cm de diamètre.

Mais c’est au milieu de la salle que je découvre le plus beau trésor naturel : une cascade pétrifiée qui a la forme d’un lion endormi. Sa blancheur est frappante dans cette ambiance sombre. Mes doigts appuyés découvrent une surface lisse où s’écoulent les gouttes d'eau tombant du plafond.

C’est devant ce lion que je vous ai contée cette histoire vraie presque 14 ans après.

Une dernière goutte s'écrase sur le papier comme un point final de cette aventure…


De belles images de calcite, de coulées pétrifiées, du lion figé par les années...

 

Grotte, salle numéro 5, aménagement, inauguration 1er janvier 2000.

C’est étrange
Une grotte sous une maison
Et un projet fou
À réaliser tout seul :
Aménager 70 mètres de galeries
Percer le rocher
Creuser l’argile
1500 brouettées

Partir de la cave
Et amorcer une descente progressive
Jusqu’au « lion pétrifié »
Au milieu de la grande salle
Pour que tout soit prêt
Le premier janvier 2000
Hasard du calendrier
Il faut qu’un homme
Puisse tenir debout
Dans l’étroit couloir
Où passe la brouette
Modifiée pour l’occasion

23 personnes descendent
Dans l’espace ainsi créé
Avec le confort
De l’éclairage électrique
Ils ont le verre de champagne à la main
Et je leur raconte
La découverte de la cinquième salle
Seulement accessible aux sportifs

Ils me regardent étrangement
Quand je leur dis
Qu’elle est sous leurs pieds
Cette dernière cavité
Sous le gouffre de la plus grande salle
Une pièce haute et blanche
Avec des stalactites oranges et translucides
Indique le passage de l’eau
Vers les profondeurs de la Terre.

Auguinou ( jepoeme )
 

Énumération d'infinitifs qui scandent bien l'effort fourni.

 

Des abeilles se sont invitées à la maison printemps 2007

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Les abeilles qui ont élu domicile entre la fenêtre et les volets de la chambre d'amis

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Lorsque les abeilles ont fait leur ruche entre le volet et la fenêtre de la chambre d'amis, il nous a fallu faire appel à un apiculteur. Il ne s'est pas embarrassé de précautions !! Les abeilles restées sont mortes dans la chambre. Elles avaient perdu leur reine. La chambre, des jours après ( nous avions peur de nous faire piquer!!!) gardait l'odeur du produit utilisé pour les endormir et, le sol était tapissé d'abeilles mortes et de miel. Pas facile à nettoyer tout ça !!! D'autant que la chambre a un sol de planches et que j'ai peur d'utiliser des produits qui pourraient abîmer définitivement le plancher.

Lorsque ma mère s'est cassé le col du fémur, j'ai fait deux longs séjours à Marseille. J'ai retrouvé le climat que j’aime, sauf le vent, bien sûr, et j'ai renoué un peu avec ma famille de Marseille, trop longtemps perdue de vue. Mais il me tardait cependant de rompre un peu ce train-train trop monotone. Au retour chez moi, dans le Sud Ouest, j'ai eu un accueil exceptionnel. C'est là qu'on se rend compte que la nouvelle famille compte. énormément.. Mon fils m'a téléphoné; ma fille et mon mari sont venus me chercher à la gare. Ma fille avait beaucoup à raconter sur son installation dans sa nouvelle maison, mon mari avait besoin de me retrouver...et les chiennes m'ont assaillies de câlins, de jappements et de jalousies entre elles pour obtenir les compliments.
 
Pendant mon séjour à Marseille, j'ai lu, j'ai tricoté, j'ai entretenu un peu le jardin de ma mère; j'ai aussi visité ma mère bien sûr (elle était en rééducation) ma tante, des cousines, des amis, mais je me suis ennuyée. Bref beaucoup de démarches aussi et une overdose de télé, dans la maison de mes parents !!! Comment ai-je pu vivre ainsi pendant des années, d'autant que mes parents alors n'avaient pas la télé. Heureusement, les enfants et mon mari m'ont souvent secouée de cet ennui qui vous déprime. Mon mari est même venu passer quelques jours avec moi mais il est reparti. Pourquoi est-ce que je me suis ennuyée chez moi ? Ma nouvelle famille me manque et je n'ai jamais été très bien chez mes parents. Manque d'affinités ? Manque... presque d'affection réciproque ??? Trop de temps, de km, d'idées nous séparent désormais. Je me demande même s'ils s'en sont rendu compte ???

Ma mère s'est de nouveau cassé le col du fémur, l'autre...

- Excuse-moi de ne pas avoir pu t'écrire depuis un certain temps.J'ai dû partir plus tôt et d'urgence à Marseille car ma mère est tombée et s'est cassé encore le col du fémur. De l'autre côté cette fois.
Je n'ai pu prévenir personne.
J'ai reçu un coup de téléphone de sa voisine et une heure après, j'étais dans le train. J'ai réussi à arriver avant son opération. C'était sa grande peur qu'on l'amène avant qu'elle ne puisse m'embrasser...

- Salut, je suis désolé pour ta maman, parait-il que cela se ressoude sans blem, c'est con la vieillesse, j'y pense aussi et ça me fout les boules mais que faire ? Profiter un max tant que c'est possible...

Pour ma mère tout se passe bien  cette fois encore, sauf qu'elle s'ennuie depuis que je ne vais plus la voir à la clinique de rééducation...Elle n'a plus qu'une canne et marche peut-être mieux que beaucoup dans l'établissement.
Si tu veux avoir un frisson d'angoisse, c'est dans ce genre d'établissement qu'il faut aller... L'horreur : certains sont amputés à cause du diabète ou d'un accident. Des très jeunes même. J'en ai vu un à qui il ne restait que le tronc.Mais par contre ils font des prothèses extraordinaires. Les lutteurs et les courageux arrivent à remarcher et la jambe artificielle se devine à peine par une légère raideur.


Pour aller voir ma mère, je prends depuis un certain temps le train. J'y vais soit avec mon mari, soit seule. Un jour que j'étais seule, j'ai eu affaire au contrôleur habituel. Il me connaissait de vue. Dans les petits villages il n'y a pas de composteur, il faut chercher le contrôleur du train pour montrer son billet ou l'acheter. Il finit par me connaître donc. Nous bavardons parfois juste quelques mots...Et cette fois, il n'a pas voulu que je paie... Bien que prenant de l'âge et bien que mariée... je reste sensible à ce genre de séduction.

- Tu as tapé dans l'œil du contrôleur, tu as fait fort, c'est pas à moi qu'on ferait une telle faveur lol !!!



- Mon mari, en cours de bricolage chez notre fille, s'est débrouillé pour m'écraser un doigt !!! Il a fallu longtemps pour que l'ongle repousse tordu d'abord, puis d'un aspect plus sympathique. Malgré tout, je n'ai plus les mêmes sensations, ni la même sensibilité au bout du doigt.
Mes souvenirs remontent à mon bac : je l'avais échoué alors que j'étais régulièrement bonne élève. Le trac sans doute m'a toujours déstabilisée. Cette religieuse m'avait offert une année de plus sans payer l'école. Mais son aide après mon succès était devenu un poids. Etais-je indifférente ? Elle m'écrivait de ne pas me laisser entraîner à la fac ! alors que j'étudiais et que je ne cherchais qu'à nouer quelques amitiés, à enfin diriger ma vie hors de la famille. Et puis elle m'avait demandé un grand service : accompagner une aveugle partout. Je l'ai fait un certain temps. Puis j'ai eu l'impression d'étouffer. Au restau U, on passait par une porte isolée, en cours, elle faisait un bruit régulier avec sa tablette spéciale braille et les étudiants fuyaient. Suis je égoïste ? Peut-être un peu. Mais je n'ai pas vraiment sympathisé avec elle car elle-même n'était pas généreuse comme si son handicap lui donnait le droit d'exiger. Je me suis sentie piégée par cette religieuse à laquelle j'ai fini par envoyer une lettre la remerciant de son aide passée, mais que cette aide ne me rendait pas dépendante de sa volonté et de ses directives et j'ai appelé des camarades à l'aide. Nous avons partagé et allégé la mission.
Je me souviens aussi d'une américaine qui était à la fac d'Aix pour perfectionner son français. Elle parlait déjà plusieurs langues et je l'admirais.



 

Date de création : 14/03/2014 • 20:34
Dernière modification : 07/04/2015 • 16:24
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